B. LES MISSIONS DES IFRE LEUR CONFÈRENT UN STATUT À PART AU SEIN DU RÉSEAU DIPLOMATIQUE FRANÇAIS

L'accord signé le 7 février 2012 entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) prévoit que les Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) « ont pour mission la recherche, la formation par la recherche et la valorisation .

« Ils contribuent également au renforcement de la coopération scientifique entre les établissements et institutions françaises de recherche et leurs partenaires , dans les pays où ils sont implantés ».

Ces différentes caractéristiques font indéniablement des IFRE des opérateurs très particuliers du ministère de l'Europe et des affaires étrangères , au regard des missions classiques qui sont celles du Quai d'Orsay.

Mais la diplomatie scientifique apparaît bien aujourd'hui comme un aspect essentiel de la diplomatie d'influence , du « soft power », d'un grand pays industrialisé.

1. La recherche en sciences humaines et sociales à l'étranger sous tous ses aspects : enquêtes de terrain, participation au débat d'idées et formation à la recherche par la recherche

À l'instar de tous les autres laboratoires en sciences humaines et sociales du CNRS , les IFRE sont chargés d'une triple mission de recherche , de diffusion de la science et de formation à la recherche par la recherche .

Les travaux de recherche , extrêmement divers, menés au sein des IFRE visent à contribuer aux progrès de la connaissance dans de multiples disciplines , ainsi qu'il a été indiqué supra : archéologie, histoire, relations internationales, sciences politique, sociologie, anthropologie, développement durable, climat, etc.

Les résultats de ces travaux ont vocation à être publiés dans des revues à comité de lecture et dans des ouvrages savants , mais également à être diffusés le plus largement possible aux décideurs ainsi qu'au grand public, via l'organisation de colloques , de journées d'études et de séminaires .

Enfin, les IFRE sont un lieu de formation des jeunes chercheurs , français comme étrangers, à qui ils offrent un accès exceptionnel au terrain . L'objectif est de permettre à la France de disposer d'une expertise scientifique de haut niveau sur la plupart des grandes aires culturelles du monde , dont peu de grandes puissances sont en mesure de bénéficier aujourd'hui.

Pour réaliser ces différentes missions, ils peuvent s'appuyer sur des bibliothèques parfois exceptionnelles , à l'instar de celle de l'Institut français du Proche-Orient, qui comprend 125 000 ouvrages , 10 000 cartes , 800 titres de périodiques et 50 000 photographies ou de celle de l'Institut français de Pondichéry, qui possède la plus riche collection au monde de manuscrits shivaïtes (relatifs au dieu Shiva), courant de l'hindouisme très présent dans le sud de l'Inde et qui a été classée par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) comme « mémoire du monde » .

Dans certains cas, tout ou partie de ces fonds peuvent même être rendus accessibles au public , comme en témoigne le projet d'ouverture d'une maison de la presse que porte le Centre français des études éthiopiennes (CFEE), dont le but est de mettre à disposition , en version papier comme en version numérique, le fonds de presse éthiopienne du centre en langues anglaises et amharique.

Mais ce qui fait toute leur originalité et leur spécificité par rapport aux autres unités de recherche du CNRS est leur participation à la diplomatie d'influence de la France .

2. Un outil précieux de la diplomatie d'influence
a) La diplomatie scientifique, maillon essentiel de la diplomatie d'influence

La diplomatie d'influence, également appelée « soft power » 2 ( * ) , vise à agir sur les décisions de politique intérieure ou étrangère d'un autre État ou, symétriquement, à agir sur la perception que des publics étrangers ciblés ont d'un État . Ses résultats sont par nature très difficiles à apprécier. Plus prosaïquement, elle vise à la promotion de l'image de la France et donc à la défense de ses intérêts , qu'ils soient économiques , linguistiques ou culturels .

La diplomatie scientifique , à laquelle le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a consacré en janvier 2013 un rapport stratégique intitulé « Une diplomatie scientifique pour la France » 3 ( * ) , fait pleinement partie de la diplomatie d'influence .

Selon la définition qu'en donne le docteur Vaughan Turekian, directeur du Centre pour la diplomatie scientifique mis en place en 2009 par l' American Association for the Advancement of Science , la diplomatie scientifique se caractérise par « l'utilisation et l'application de la coopération scientifique pour aider à établir des liens et renforcer les relations entre les sociétés , notamment dans les domaines où il pourrait ne pas y avoir d'autres moyens d'approche au niveau officiel ».

Elle s'adresse avant tout aux communautés scientifiques des pays partenaires , mais également à leurs élites , sensibles à l'excellence de la recherche française.

En matière de sciences humaines et sociales , les récents succès de l'ouvrage Le capital au XXI e siècle 4 ( * ) de l'économiste Thomas Piketty et celui de l' Histoire mondiale de la France 5 ( * ) de l'historien Patrick Boucheron attestent d'ailleurs du maintien d'un fort rayonnement intellectuel de notre pays .

Cette diplomatie scientifique passe d'abord par la production de connaissances nouvelles et par la publication de travaux de recherche témoignant des qualités de la recherche française et de son ambition universaliste .

Elle s'exprime également par la tenue de conférences , de colloques , de séminaires , voire par une expression dans les médias locaux et internationaux , et de façon générale, par la participation la plus large possible au débat d'idées , dans le pays d'accueil comme à l'international.

À cet égard, les interventions régulières dans les médias de M. Jean-François Pérouse , directeur de l'Institut français d'études anatoliennes (IFEA) d'Istanbul, contribuent à valoriser son institut et ses travaux et à faire connaître la pensée française en Turquie tout en informant avec précision le public français sur les évolutions de la société turque contemporaine .

Enfin, l'influence française à l'étranger en matière de recherche se traduit par la création de programmes de formation en faveur des étudiants et chercheurs français à l'étranger , mais également par la participation à ces programmes d'étudiants et de chercheurs étrangers .

Au total, la diplomatie scientifique doit permettre de créer, dans une perspective de long terme, des liens forts et des réseaux entre scientifiques français et étrangers , aptes à nourrir des partenariats entre institutions , à faciliter la mobilité internationale des chercheurs français et à favoriser une saine émulation de nature à stimuler toujours davantage l'excellence de la recherche française .

De façon plus diffuse, la diplomatie scientifique est un atout considérable dans l'appui aux grands objectifs internationaux de la France , tels que la lutte contre le réchauffement climatique, le combat contre l'extrémisme islamiste, l'aide au développement ou bien encore la maîtrise des flux migratoires.

b) Un rôle et une place très variables suivant les pays et les contextes

Outre leur taille et le dynamisme de leurs équipes, c'est bien sûr l'environnement politique , économique , social , scientifique et culturel dans lequel ils s'insèrent qui détermine le rayonnement et la place que sont en mesure d'occuper les IFRE dans leurs pays d'accueil .

Le Centre de recherche français à Jérusalem (CRFJ) sera ainsi difficilement en mesure d'influencer les chercheurs et les décideurs israéliens par des travaux de sciences politiques ou de sociologie relatifs à la société israélienne , dans la mesure où les spécialistes israéliens de ces disciplines évoluent dans un environnement scientifique de très haut niveau.

Mais les compétences de ses chercheurs sont très recherchées en matière d'archéologie préhistorique ou d'étude des manuscrits de la mer Morte , pour ne citer que deux exemples.

À l'inverse, dans des pays qui disposent d'une recherche et d'institutions académiques de moins haut niveau , les IFRE sont en mesure de jouer un rôle intellectuel et scientifique de premier plan et ce, même s'ils sont de taille modeste.

Ils peuvent même constituer des espaces de liberté précieux dans des pays gouvernés par des pouvoirs autoritaires , même s'ils tendent généralement, dans les contextes les plus difficiles, à concentrer leur recherches sur des sujets éloignées de l'actualité politique ou sociale la plus brûlante .

Le maintien d'une coopération scientifique permet alors d'entretenir des liens avec les autorités , même dans un contexte géopolitique difficile , ce qui représente un atout diplomatique très précieux pour notre pays .

Le directeur d'un institut situé dans un pays « sensible » évoque en des termes particulièrement éclairants l'influence que procure à la France l'activité archéologique de son établissement : « [mon institut] constitue un important outil de dialogue qui, au-delà des retombées scientifiques, permet de construire une relation d'estime et de confiance .

« Nos ambassadeurs successifs nous font souvent la réflexion que face aux responsables gouvernementaux [de notre pays d'accueil], les premières discussions portent fréquemment sur les dernières avancées en matière de coopération archéologique et les projets à venir d'expositions internationales .

« Dans un pays souffrant d'un déficit d'image particulièrement important sur le plan international, tout le monde , jusqu'au Président, est sensible à la possibilité d'afficher les richesses patrimoniales du pays au coeur d'une grande capitale occidentale ».

La diplomatie scientifique , dont les IFRE sont l'instrument par excellence, permet donc de préserver un minimum de relations diplomatiques là où les relations d'État à État sont difficiles .


* 2 Ce concept est issu de l'ouvrage Bound to lead (1990) du professeur américain Joseph Nye.

* 3 Une diplomatie scientifique pour la France , rapport de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, janvier 2013.

* 4 Le Capital au XXI e siècle , Thomas Piketty, Le Seuil, 2013.

* 5 Histoire mondiale de la France , ouvrage collectif sous la direction de Patrick Boucheron, Le Seuil, 2017.

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