AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

À l'occasion de ses déplacements en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, votre rapporteur spécial avait eu plusieurs fois l'occasion de visiter des centres de recherche français à l'étranger , comme la Maison franco-japonaise de Tokyo , le Centre d'études français sur la Chine contemporaine de Hong Kong ou bien encore l'Institut français de Pondichéry .

En rapportant les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » avec son collègue Éric Doligé, il a pris conscience que ces différents centres de recherche appartenaient tous à un réseau commun méconnu , celui des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) , placés depuis 2007 sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) , et qui se consacrent à la recherche en sciences humaines et sociales .

En tant que rapporteur spécial de la mission, il a donc souhaité en savoir plus sur ces IFRE , qui constituent un objet atypique au sein du dispositif diplomatique français , et s'interroger à la fois sur leur pertinence et sur la qualité de leur gestion .

Pour mener à bien ce contrôle budgétaire , votre rapporteur spécial a entendu les tutelles des IFRE à Paris et a envoyé à chacun de leurs directeurs un questionnaire commun , auquel une bonne partie d'entre eux ont répondu, souvent de façon très complète. Il a également souhaité aller à la rencontre de leurs équipes en visitant le Centre Marc-Bloch de Berlin et le Centre de recherche français de Jérusalem .

À la suite de ces différents échanges, il a acquis la conviction que les IFRE sont des outils utiles de la diplomatie d'influence française , mais qu'il est indispensable de mieux les valoriser pour qu'ils puissent pleinement jouer leur rôle au service de notre pays.

PREMIÈRE PARTIE : LES INSTITUTS FRANÇAIS DE RECHERCHE À L'ÉTRANGER, UN OUTIL AU SERVICE DU RAYONNEMENT SCIENTIFIQUE DE LA FRANCE DANS LE MONDE

I. UN RÉSEAU UNIQUE AU MONDE, HÉRITÉ DE L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE ET SCIENTIFIQUE DE LA FRANCE

A. VINGT-SEPT INSTITUTS FRANÇAIS DE RECHERCHE À L'ÉTRANGER RÉPARTIS DANS LE MONDE ENTIER

1. Les IFRE sont présents sur tous les continents, avec une implantation particulièrement marquée sur le pourtour méditerranéen et au Moyen Orient

Les Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) sont des établissements scientifiques implantés partout dans le monde et placés sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) .

a) Un réseau présent partout dans le monde

Le réseau des IFRE compte vingt-sept établissements et huit antennes , répartis sur tous les continents (voir carte en Annexe I).

La présence des IFRE est particulièrement forte sur le pourtour de la Méditerranée et au Moyen Orient avec pas moins de huit implantations : Maroc (Centre Jacques Berque de Rabat), Tunisie (Institut de recherche sur le Maghreb contemporain), Égypte (Centre d'études et de documentations économiques, juridiques et sociales du Caire), Israël (Centre de recherche français de Jérusalem), Turquie (Institut français d'études anatoliennes d'Istanbul), Iran (Institut français de recherche en Iran de Téhéran), Yémen (Centre français d'archéologie et de sciences sociales de Sanaa, qui opère dans les sept pays de la péninsule arabique) et Institut français du Proche-Orient , basé à Beyrouth au Liban , mais qui compte des antennes en Irak , Jordanie , dans les territoires palestiniens et en Syrie (cette implantation étant actuellement fermée).

En Asie , des IFRE sont implantés en Chine (Centre d'études français sur la Chine contemporaine de Hong Kong), au Japon (Maison franco-japonaise de Tokyo), en Thaïlande (Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine de Bangkok) et en Inde (Institut français de Pondichéry et Centre des sciences humaines de Delhi).

L'Asie centrale compte pour sa part deux IFRE , l'Institut français d'études sur l'Asie centrale, basé en Ouzbékistan , mais qui possède des antennes au Tadjikistan , au Kirghizstan et au Kazakhstan , ainsi que la Délégation archéologique française en Afghanistan , basée à Kaboul.

L'Afrique sub-saharienne et orientale compte cinq IFRE : au Soudan (Section française de la direction des antiquités du Soudan à Khartoum), en Éthiopie (Centre français des études éthiopiennes à Addis-Abeba), au Nigeria (Institut français de recherche en Afrique d'Ibadan), au Kenya (Institut français de recherche en Afrique de Nairobi) et en République sud-africaine (Institut français d'Afrique du Sud basé à Johannesburg).

Cinq IFRE sont également installés en Europe , en Grande-Bretagne (Maison française d'Oxford), en République Tchèque (Centre français de recherche en sciences sociales de Prague), en Russie (Centre d'études franco-russe de Moscou) et en Allemagne (Centre March Bloch de Berlin et Institut français d'histoire en Allemagne à Francfort-sur-le-Main).

L'Amérique latine , enfin, compte deux IFRE : le Centre d'études mexicaines et centraméricaines basé au Mexique et qui compte une antenne au Guatemala , et l'Institut français d'études andines, basé à Lima au Pérou , mais qui possède également des antennes en Colombie , en Bolivie et en Équateur .

b) La création des IFRE s'est échelonnée tout au long du XXe siècle

Ce réseau s'est constitué progressivement , sans vision d'ensemble ni plan préconçu , à partir d'initiatives parfois individuelles et sur la base de partenariats avec les autorités locales .

Les dates de création de chacun des vingt-sept IFRE sont précisées dans le tableau ci-après.

Chronologie de l'ouverture des vingt-sept IFRE

Ville/Pays

IFRE

Date de création

Kaboul (Afghanistan)

DAFA

1922

Tokyo (Japon)

MFJ

1924

Istanbul (Turquie)

IFEA

Institut français d'archéologie fondé en 1930

Oxford (Royaume-Uni)

MFO

1946

Lima + Bogota-Quito-la Paz

IFEA

1948

Jérusalem

CRFJ

1952

Addis-Abeba (Éthiopie)

CFEE

Mission archéologique française en Éthiopie fondée en 1955

Pondichéry (Inde)

IFP

1955

Mexico (Mexique)

CEMCA

1961

Khartoum (Soudan)

SFDAS

1967

Le Caire (Égypte)

CEDEJ

1968

Nairobi (Kenya)

IFRA

1977

Francfort (Allemagne)

IFRA-SHS

Mission Historique Française en Allemagne (MHFA) fondée en 1977

Hong Kong (Chine)

CEFC

Antenne de sinologie fondée en 1978

Sanaa (Yémen) relocalisé au Koweït en 2015

CEFAS

1982

New-Delhi (Inde)

CSH

1983

Téhéran (Iran)

IFRI

1983

Ibadan (Nigéria)

IFRA

1990

Prague (République Tchèque)

CEFRES

1991

Rabat (Maroc)

CJB

1991

Berlin (Allemagne)

CMB

1992

Bichkek (Kirghizistan)

IFEAC

1992

Tunis (Tunisie)

IRMC

1992

Johannesburg (Afrique du Sud)

IFAS-recherche

1995

Bangkok (Thaïlande)

IRASEC

2001

Moscou (Russie)

CEFR

2001

Beyrouth -Amman-Jerusalem-Erbil (Irak)

IFPO

2003- Fusion de 3 instituts nés respectivement en 1922, 1946 et 1977

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Si l'ouverture des IFRE s'est échelonnée dans le temps de façon très graduelle , et a été soumise aux vicissitudes des relations diplomatiques entre la France et les États d'accueil, il est possible de distinguer plusieurs sous-ensembles .

Certaines missions anciennes telles que la mission archéologique française en Iran, ancêtre de l'Institut français de recherche en Iran (IFRA), la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) ou l'Institut français d'études anatoliennes (IFEA) ont été créées dans le cadre des missions archéologiques orientales . D'autres, à l'instar de la Maison franco-japonaise (MFJ), sont nées de l'initiative d'un ambassadeur , en l'occurrence Paul Claudel.

Plusieurs centres de recherche en Asie et en Afrique, tels que l'Institut français de Pondichéry (IFP) ou la Section française des antiquités du Soudan (SFDAS), ont été créés au moment des indépendances , pour développer une coopération scientifique de haut niveau avec les nouveaux États .

Enfin, l'ouverture de plusieurs centres a accompagné les grandes mutations géopolitiques contemporaines .

La création du Centre Marc Bloch de Berlin (CMB), de l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC) ou du Centre d'études franco-russe (CEFR) ont visé notamment à mieux connaître les pays de l'ex-bloc de l'Est et à développer une coopération scientifique étroite avec eux , dans le contexte de la chute du mur de Berlin et de la disparition de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

Dans le même ordre d'idées, la création de l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC) visait à doter la France d'une institution à même de nourrir la recherche en sciences humaines et sociales sur une région du monde en pleine émergence .

c) La plupart des IFRE sont de très petites structures, même si quelques-uns d'entre eux possèdent une taille plus significative

La plupart des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) possèdent une taille modeste , voire très modeste .

Ainsi, la Maison Franco-Japonaise (MFJ) de Tokyo, si elle accueille des doctorants et post-doctorants pour des périodes limitées, ne compte que cinq chercheurs et quatre personnels administratifs recrutés localement.

Le Centre d'études mexicaines et centraméricaines (CEMCA) ne rassemble pour sa part que six chercheurs statutaires , une quinzaine de chercheurs associés (non présents sur place), quatre doctorants et onze agents administratifs de droit local .

À l'inverse, quelques centres , minoritaires, se distinguent par une taille plus importante .

Le Centre Marc-Bloch (CMB) de Berlin, dans lequel s'est rendu votre rapporteur spécial, rassemble ainsi vingt chercheurs statutaires , trois chercheurs affiliés , cinquante-sept chercheurs associés (non présents sur place), sept doctorants financés par le CMB et cinquante-trois doctorants rattachés (non financés par le CMB).

L'Institut français de Pondichéry (IFP), le plus gros des IFRE, compte pour sa part vingt-cinq chercheurs statutaires et dix doctorants , auxquels s'ajoutent quarante-sept personnes salariées par le centre à des titres divers : techniciens, secrétaires mais également chercheurs accueillis pour des périodes courtes.

2. Des objets d'études variables, même si de grandes constantes se dégagent
a) L'archéologie, mission originelle de nombreux IFRE

Ainsi qu'il a été rappelé supra , de nombreux IFRE ont été fondés dans le cadre des missions archéologiques françaises à l'étranger et onze d'entre eux continuent à consacrer une grande partie de leurs ressources , humaines et financières, à l'archéologie 1 ( * ) , deux s'y consacrant même de façon exclusive (la DAFA en Afghanistan et la SFDAS au Soudan).

Ces IFRE mènent des fouilles en continu dans leurs pays d'implantation mais jouent également un rôle essentiel d'appui logistique aux missions archéologiques françaises qui se rendent dans leurs pays d'accueil pour une période de temps donnée.

Le directeur de la SFDAS résume de façon très complète le rôle joué par son institut en appui aux missions archéologiques françaises : « la SFDAS effectue toutes les démarches administratives (demande de visas, traduction de documents, enregistrement à la police, permis de fouille en amont de l'arrivée, demande d'importation de matériel, etc.) des missions de fouilles .

« Elle organise avec les chefs de mission la logistique sur place et met à disposition du matériel et des véhicules . Pour les missions directement affiliées au centre, elle participe également financièrement aux travaux de terrain et aux analyses post-fouilles .

« Elle offre également un cadre éditorial pour la publication de travaux archéologiques sous la forme de monographies ou d'articles dans la revue du Service des Antiquité qu'elle édite.

« Enfin, les membres de la SFDAS contribuent à titre personnel au logement de la plupart des missions de fouilles afin d'alléger les budgets et de les allouer principalement aux travaux scientifiques ».

Les IFRE qui se consacrent à l'archéologie constituent également des lieux de formation et d'échange entre archéologues français et étrangers .

Ainsi, le DAFA propose aux scientifiques afghans des formations aux techniques de l'archéologie et à celles de la restauration de matériel archéologique (conservation et restauration de sculptures et de peintures murales par exemple).

La SFDAS est sans doute encore davantage intégrée au sein de la communauté archéologique soudanaise, dans la mesure où elle appartient au service des Antiquités du Soudan , son directeur étant responsable devant le directeur des Antiquités du Soudan.

L'archéologie française à l'étranger

La promotion de l'archéologie française à l'étranger est une mission ancienne de la diplomatie française : l'intérêt des diplomates pour l'archéologie se manifeste dès 1843, lorsque les consuls de France à Mossoul, Paul-Émile Botta et Victor Place, découvrent le site de Khorsabad. En 1877, c'est au tour du consul de France à Bassora, Ernest de Sarzec, de révéler la civilisation sumérienne sur le site de Tello.

Ce processus s'est poursuivi jusqu'aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, qui ont vu se sceller ce lien grâce à la création, sous l'action du général de Gaulle et de l'archéologue Henri Seyrig, de la commission consultative des recherches archéologiques françaises à l'étranger, la « Commission des fouilles ». Cette instance née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale rassemble les meilleurs spécialistes des aires géographiques et périodes concernées pour évaluer chaque année la qualité scientifique des projets de recherche et proposer les grandes orientations scientifiques à suivre à l'étranger. C'est ainsi qu'en 2016, 160 missions ont été financées sur les cinq continents, dont 12 projets dirigés par de jeunes archéologues qui témoignent du renouvellement générationnel des équipes.

Les missions archéologiques, déployées dans plus de 70 États partenaires, répondent à plusieurs grands enjeux.

Elles génèrent une intense coopération scientifique et universitaire à travers l'attribution de bourses, la création d'un réseau de recherche international et l'intégration en grand nombre de chercheurs locaux dans les fouilles. Des équipes pluridisciplinaires et internationales, engagées sur des recherches conjointes sur le terrain, se constituent à travers le monde.

Jouissant d'une reconnaissance internationale pour la qualité de leurs productions, pour leur capacité d'innovation, mais aussi pour le dialogue qu'elles favorisent avec les pays hôtes, les missions archéologiques sont un atout diplomatique pertinent dans un contexte de mondialisation des échanges et de mise en danger croissante des hauts lieux de la civilisation, à la fois par les hommes et par le climat. Les partenariats que l'archéologie crée sur le terrain dans la durée permettent parfois le maintien ou la réouverture du dialogue par-delà les évolutions politiques du pays hôte. Les relations entretenues entre les archéologues français et leurs homologues étrangers ne cessent pas brutalement lorsqu'un conflit éclate. Au contraire, même si les activités de terrain doivent cesser pour un temps, l'activité scientifique et le lien avec les archéologues du pays sont maintenus via des publications communes, l'organisation de journées d'étude, la formation des étudiants et de professionnels du patrimoine. C'est grâce à la continuité de ce partenariat que les activités de terrain peuvent ensuite reprendre à la fin des conflits.

Les missions françaises ont, de plus, les capacités de monter rapidement un projet pour des fouilles de sauvetage si les enjeux scientifiques sont importants, ce qui contribue au rayonnement du savoir-faire français en recherche et en protection du patrimoine. En effet, la protection du patrimoine dans les pays en danger est depuis plusieurs années une préoccupation majeure de la diplomatie française et du Président de la République (Conférence d'Abou Dhabi sur la protection du patrimoine en danger de décembre 2016).

Enfin, les activités des missions archéologiques suscitent une importante coopération muséale qui permet d'intéresser un large public à cette discipline. L'archéologie française à l'étranger est donc à la croisée de la coopération universitaire, scientifique et culturelle, mais aussi un vecteur de tourisme et de rayonnement national.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

b) Les sciences humaines et sociales, une vocation ancienne encouragée tant par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères que par le CNRS

Chaque IFRE possède plusieurs axes de recherche , comme le montrent les exemples du Centre français des études éthiopiennes (CFEE) et de l'Institut français d'Afrique du Sud (IFAS) présentés en annexe 2.

À l'exception de la DAFA en Afghanistan et de la SFDAS au Soudan, tous les IFRE consacrent une part essentielle de leurs activités de recherche aux sciences humaines et sociales en général : histoire, ancienne comme contemporaine, relations internationales, anthropologie, sociologie, démographie, sciences politiques, etc.

Leurs travaux, qui ont naturellement vocation à porter sur les zones géographiques et les sociétés qui abritent chaque IFRE, s'inscrivent dans le cadre des études aréales , c'est-à-dire des études des grandes aires culturelles , dont l'Institut des sciences humaines et sociales (Inshs) du CNRS , qui assure la tutelle des IFRE au sein du CNRS, a fait l'une de ses priorités en matière de recherche .

Les études contemporaines menées dans les IFRE portent souvent sur de grandes problématiques susceptibles d'intéresser décideurs politiques et diplomates , telles que les migrations, les radicalités, le fait religieux, les études urbaines ou bien encore l'environnement et le développement durable.

Les études historiques portent sur l'histoire, la mémoire, le patrimoine ou les vestiges archéologiques des pays d'accueil.

Pleinement inclus, surtout depuis que le CNRS est devenue leur cotutelle, dans la vie de la recherche françaises, leurs travaux s'inscrivent pour une bonne part d'entre eux dans le cadre du défi n°8 de la Stratégie nationale de recherche (SNR) intitulé « Sociétés innovantes, intégratives et adaptatives » , et correspondent en particulier à ses orientations n° 30 « Étude des cultures et des facteurs d'intégration » ainsi que n° 33 « Innovations sociales, éducatives et culturelles » .

c) L'existence d'autres champs de compétences propres à certains IFRE

Si les sciences humaines et sociales sont la raison d'être des IFRE , certains instituts, au cours de leur histoire, ont développé des spécificités , qui ont même conduit certains d'entre eux à se spécialiser dans des sciences « dures » .

Ainsi, l'Institut français de Pondichéry (IFP) a développé un axe de recherche « Écologie et changement climatique » qui s'inscrit dans le défi SNR « Gestion sobre des ressources et adaptation au changement climatique » en s'appuyant sur son département d'écologie qui élabore des programmes de recherche interdisciplinaire sur le climat et la gestion de l'eau .

Dans le même ordre d'idée, le professeur Frédéric Thibault-Starzyk, directeur de recherche au CNRS actuellement à la tête de la Maison française d'Oxford (MFO), qui est lui-même chimiste, spécialiste de spectroscopie en catalyse, projette d'élargir les disciplines d'études de l'institution qu'il dirige actuellement aux sciences physiques .

Sans se prononcer sur le bien-fondé de ce projet, qui est probablement parfaitement justifié, votre rapporteur spécial estime néanmoins qu'il peut être légitime de s'interroger sur le champ des recherches qui doivent être celles des IFRE .

À cet égard, il considère que l'archéologie et les sciences humaines et sociales doivent rester au coeur de leur champ de compétences .

Naturellement, il ne s'agit pas de renoncer aux spécialisations acquises au cours des décennies , comme c'est le cas en matière d'écologie et de gestion de l'eau à l'Institut français de Pondichéry (IFP).

Mais il est plus circonspect sur la création d'axes de recherche radicalement nouveaux , ne prenant pas appui sur des recherches passées menées au sein d'un IFRE donné, dont la pérennité pourrait être menacée au départ du directeur qui les aurait mis en place .

En outre, de tels axes de recherche seraient susceptibles de venir brouiller l'identité du réseau des IFRE , qui souffrent déjà d'un déficit de lisibilité et de notoriété .

Recommandation n°  1 : afin d'éviter la dispersion, délimiter précisément le champ de compétence de chaque IFRE , en tenant compte des traditions de recherche propres à chaque institut.

d) L'interdisciplinarité, un atout à cultiver

Les zones frontières entre les disciplines se révélant particulièrement fécondes en matière de recherche, la quête de l'interdisciplinarité est aujourd'hui reconnue comme une priorité des politiques de recherche de tous les grands pays industrialisés .

Les IFRE, qui rassemblent des chercheurs issus de nombreuses disciplines, se prêtent tout particulièrement à cet exercice et leurs tutelles sont très attentives à encourager la multiplication des initiatives en faveur du développement de l'interdisciplinarité .

Les directeurs des IFRE sont ainsi invités à mettre en place des axes de recherche susceptibles de relever de plusieurs matières .

Ainsi, l'axe de recherche « Pouvoirs en exercice : configurations et représentations » élaboré par le Centre Marc-Bloch (CMB) de Berlin intègre trois groupes de recherche distincts : « Individu, société et culture à l'époque nationale-socialiste », « L'Europe comme espace de communication : médias, espaces publics et émotions » et « Action publique et circulation des savoirs », qui font appel à des disciplines très diverses .

La participation à des projets interdisciplinaires de l'Agence nationale de la recherche (ANR) peut être également une occasion particulièrement propice à un travail commun de chercheurs issus de disciplines différentes .

L'équipe du Centre March-Bloch a ainsi présenté à votre rapporteur spécial, lors de sa visite du Centre, le projet « AlgoDiv » , qui bénéficie de financements de l'ANR sur la période 2016-2019, et rassemble des chercheurs venus d'horizons très variés .

Le projet « AlgoDiv »

Ce projet vise à clarifier les acceptions de la notion de « diversité informationnelle » en associant étroitement informaticiens et chercheurs en sciences sociales. Il cherchera à répondre à des questions telles que : sommes-nous de plus en plus enfermés dans des « bulles informationnelles » qui rétrécissent notre horizon en cachant des informations qui pourraient nous surprendre ou nous déranger ? Les algorithmes peuvent-ils être neutres ? Quels sont les desseins de ceux qui pourraient les « biaiser » ? Quelles sont les conséquences du guidage algorithmique sur l'autonomie et le libre arbitre des internautes ?

Source : Centre Marc-Bloch

L'interdisciplinarité apparaît en effet comme une source de progrès scientifiques considérables et la qualité des travaux menés par les IFRE ne peut que se nourrir de sa pratique quotidienne , favorisée par la grande diversité des parcours des chercheurs et étudiants qui viennent y séjourner.

3. La coexistence des IFRE avec les unités de service et de recherche à l'étranger propres au CNRS ainsi qu'avec les grands établissements scientifiques français à l'étranger n'apparaît guère cohérente

Notre pays dispose d'autres établissements de recherche à l'étranger qui, bien que n'appartenant pas au réseau des IFRE, remplissent des missions qui se rapprochent considérablement de celles des IFRE .

Le CNRS dispose ainsi de trois unités de service et de recherche à Naples (le centre Jean Bérard), à Alexandrie (le centre d'Études Alexandrines) et à Karnak (le Centre franco-égyptien d'étude des Temples de Karnak), qu'il partage avec deux Écoles françaises à l'étranger (l'École française de Rome et l'Institut français d'archéologie orientale, citées infra ) et avec le Conseil suprême des antiquités de la République Arabe unie d'Égypte .

Le CNRS possède également trois unités mixtes internationales en partenariat avec des institutions étrangères , à Los Angeles (avec l'Université de Californie - UCLA), à Tucson (avec la University of Arizona ) et à Dakar (avec l'Université Cheikh Anta Diop et l'Université de Bamako au Mali).

Enfin, le CNRS travaille en collaboration avec les six grands établissements scientifiques français placés sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dit « réseau des Écoles françaises à l'étranger » : l'École française de Rome, l'Institut français d'archéologie orientale du Caire, l'École française d'Athènes, l'École biblique de Jérusalem, la Casa de Velázquez et l'École française d'Extrême Orient.

L'accord interministériel de décembre 2000 relatif aux IFRE (voir infra ) les prend d'ailleurs en compte, puisqu'il stipule que « la mise en réseau des IFRE prend en compte l'existence des Écoles françaises à l'étranger tout comme ces dernières prennent en considération l'existence des instituts ».

Les Écoles françaises à l'étranger

Les Écoles françaises à l'étranger constituent un réseau de cinq établissements d'enseignement supérieur et de recherche régis par le décret n° 2011-164 du 10 février 2011.

Établies à l'étranger, en Grèce (École française d'Athènes, 1846), en Italie (École française de Rome, 1875), en Égypte (Institut français d'archéologie orientale, Le Caire, 1880), en Asie du Sud-Est (École française d'Extrême-Orient, Paris, 1898) et en Espagne (Casa de Velázquez, Madrid, 1920), elles remplissent une triple mission de formation, de recherche et de diffusion en sciences humaines et sociales.

Elles accueillent des jeunes chercheurs au niveau doctorat ou post-doctorat, s'appuient sur une communauté de chercheurs confirmés, français ou étrangers, et publient une centaine de volumes par an. Elles développent dans les pays d'accueil des réseaux de collaboration et de coopération qui font d'elles des acteurs irremplaçables de la recherche française à l'étranger.

Relevant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, les Écoles françaises à l'étranger sont placées sous la tutelle scientifique de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres ainsi que sous celles de l'Académie des Beaux-Arts pour la section artistique de la Casa et de l'Académie des Sciences Morales et Politiques pour l'École de Rome.

Elles sont dotées chacune d'un conseil d'administration et d'un conseil scientifique, ainsi que d'un conseil artistique pour la Casa. Par convention, elles ont créé en janvier 2015 un comité des directeurs avec présidence tournante, instance de réflexion et de proposition du réseau. Depuis 2013 elles sont représentées à la Conférence des Présidents d'Universités (CPU).

Source : site Internet des Écoles françaises à l'étranger

Si les trois unités mixtes internationales du CNRS, qui se consacrent aux sciences « dures », ont sans doute un objet un peu éloigné de celui des IFRE, les autres établissements cités supra , qui se consacrent à l'archéologie ainsi qu'aux sciences humaines et sociales , ressemblent de manière troublante aux IFRE .

Faire coexister , avec des tutelles différentes, avant tout pour des raisons historiques, ces différents réseaux de recherche à l'étranger qui font face aux mêmes problématiques n'apparaît pas pleinement satisfaisant .

Une réflexion interministérielle associant ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et CNRS devrait être menée afin d'étudier la possibilité de fusionner ces réseaux ou, a minima, de les faire plus étroitement travailler ensemble .

Recommandation n° 2 : afin de rationaliser le réseau scientifique français à l'étranger, mener une réflexion interministérielle pour évaluer la pertinence d'une inclusion dans le réseau des IFRE des trois unités de service et de recherche à l'étranger du CNRS et des six grands établissements scientifiques français à l'étranger du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche .

4. Un réseau sans véritable équivalent dans le monde, même si l'Allemagne possède elle aussi un nombre important d'établissements de recherche à l'étranger

La France n'est pas le seul pays à avoir développé des réseaux d'établissements consacrés au moins en partie à la recherche en sciences humaines et sociales, mais aucun d'entre eux ne paraît avoir la densité, l'ancienneté ni l'ancrage dans les sociétés d'accueil qui est celui des Instituts français de recherche à l'étranger (IFRE) .

L'Allemagne , dotée elle aussi d'une tradition d'excellence dans le domaine des sciences humaines et sociales, est probablement le pays qui dispose du modèle le plus proche de celui des IFRE , même s'il s'en distingue à de nombreux égards, en faisant intervenir une pluralité d'acteurs .

Les instituts allemands en sciences humaines à l'étranger de la fondation Max Weber ( Max Weber Stiftung - Deutsche Geisteswissenchaftliche Institute in Ausland ), qui ressemblent en partie aux IFRE, sont au nombre de dix .

Ils sont implantés, pour deux d'entre eux, à Paris , mais également à Londres , à Moscou , à Rome , à Varsovie , à Washington , à Tokyo , à Beyrouth et à Istanbul . La fondation Max Weber est une fondation de droit public du gouvernement fédéral allemand . En pratique, elle est placée sous la tutelle du ministère allemand de l'éducation et de la recherche.

Le réseau de la fondation Max Weber apparaît donc nettement moins étendu que celui des IFRE .

Mais l'Allemagne dispose également d'un autre outil de recherche à l'étranger avec la société Max Planck , créée en 1948, et qui possède des centres de recherche à l'étranger qui se consacrent à la fois aux sciences « dures » et aux sciences humaines et sociales , avec des centres tels que la Bibliotheca Hertziana - Max Planck Institute for art history de Rome ou le Max Planck Institute Luxembourg for international, european and regulatory procedural law de Luxembourg .

Enfin, l'Allemagne est en train de développer en Inde , en Amérique latine et en Afrique du Sud un nouveau réseau de « Merian international centres for advanced studies in the humanities and social science » , eux aussi consacrés aux sciences humaines et sociales.

En dehors de l'Allemagne, aucun pays ne paraît disposer de réseaux d'établissements de recherche analogue à celui des IFRE , les réseaux des British International research institutes (BIRI) et des Council of american overseas research centres (CAORC) n'ayant pas du tout la même étendue .

Cependant, localement, des institutions de recherche, publiques ou privées, appartenant à tel ou tel pays, sont susceptibles d'être présentes sur le terrain et d'apparaître comme des partenaires des IFRE français .

Ainsi, le Centre de recherche français à l'étranger de Jérusalem (CRFJ) cohabite à la fois avec le Kenyon Institute britannique (l'ancienne British school of archaeology ) et avec l' Albright Institute américain .

Malgré tout, les cas du Centres d'études mexicaines et centraméricaines (CEMCA), du Centre français des études éthiopiennes (CFEE) ou bien de la Section française de la direction des antiquités du Soudan (SFDAS), qui sont les seules institutions de recherche étrangères établies en permanence dans leur pays d'accueil - ce qui est source de rayonnement scientifique pour notre pays , ne sont pas rares .

5. Une carte à rationaliser et à faire évoluer en fonction des grandes évolutions géopolitiques mondiales

L'excellente qualité des travaux menés par les IFRE et leur indéniable rayonnement au sein des communautés scientifiques et de l' intelligentsia de leur pays d'accueil (voir infra ), ne doit pas empêcher le débat sur les évolutions envisageables du réseau .

Une première interrogation peut porter sur la taille critique minimale d'un IFRE . Un institut qui n'accueille qu'une poignée de chercheurs est-il en mesure de mener des travaux de recherche ambitieux et de participer activement à la diplomatie scientifique de la France ?

Cette interrogation ne préjuge naturellement pas de la réponse à lui apporter : si la présence de cette institut est une richesse pour notre pays , tant sur le plan diplomatique que scientifique, il faut le conserver , mais en envisageant soit de renforcer ses effectifs , soit de le transformer en antenne d'un autre centre situé dans la même région géographique , afin de réaliser des économies d'échelle et de lui assurer un rayonnement scientifique supérieur .

Du reste, c'est bien ce qui a été réalisé en 2003 lors de la création de l'Institut français du Proche-Orient (IFPO ) : celui résulte en effet du regroupement de trois instituts jusque-là indépendants , l'Institut français d'études arabes de Damas (IFEAD, fondé en 1922), l'Institut français d'archéologie de Beyrouth (créé en 1946), devenu l'Institut français d'archéologie du Proche-Orient (IFAPO) en 1976 et le Centre d'études et de recherche sur le Moyen-Orient contemporain (CERMOC), établi en 1977.

Chacun de ces trois anciens instituts sont devenus un département de l'IFPO , à savoir les départements de l'histoire de l'Antiquité et de l'archéologie (DAHA), des études arabes, médiévales et modernes (DEAMM) et des études contemporaines (DEC). Si chaque département a pu conserver une identité propre , tous bénéficient désormais d'une politique scientifique commune et de quatre services d'appui à la recherche et à sa valorisation mutualisés .

Dès lors, il n'est pas interdit de penser qu'une telle solution pourrait être envisagée dans d'autres contextes .

Est-il indispensable de disposer de deux IFRE en Allemagne ou ne serait-il pas souhaitable de fusionner le Centre Marc-Bloch de Berlin et l'Institut français d'histoire en Allemagne, basé à Francfort-sur-le-Main ? Une collaboration plus étroite entre le Centre Jacques-Berque de Rabat et l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain , qui formaient jusqu'à une date récente un centre unique, ne pourrait-elle être pertinente ?

La seconde interrogation légitime peut porter sur les évolutions de la carte du réseau des IFRE .

Comme rappelé supra , les grandes mutations géopolitiques du début des années 1990 ont été accompagnées par l'ouverture de nouveaux IFRE dans des pays où les sciences humaines et sociales françaises ne disposaient pas de lieux d'accueil. Ne faudrait-il pas éventuellement ouvrir de nouveaux IFRE dans des pays porteurs , tels que le Brésil ou l'Indonésie ?

Recommandation n° 3 : pour adapter le réseau aux grandes évolutions géopolitiques mondiales, évaluer périodiquement la pertinence de maintenir un IFRE , d'opérer des regroupements entre IFRE ou d'ouvrir des IFRE dans de nouveaux pays .


* 1 Parmi eux figurent notamment l'IFEA en Turquie, l'IFEA à Lima, le CECMA au Mexique ou bien encore l'IFPO au Proche-Orient.

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