C. DES RISQUES BUDGÉTAIRES POTENTIELS À MOYEN TERME

1. Des prévisions optimistes quant à l'issue des trois procédures en cours
a) Le contentieux sur le Grand Hamster d'Alsace

À la suite de l'arrêt en manquement prononcé par la CJUE le 9 juin 2011 (affaire C-383/09), condamnant la France pour manquement aux obligations résultant de l'article 12 §1 de la directive 92/43/CE « Habitats » concernant la conservation des habitats naturels, ainsi que de la faune et de la flore sauvages, deux arrêtés ministériels complétant les dispositifs généraux de préservation des espèces et de leur habitat avaient été publiés en août et octobre 2012 17 ( * ) . Le Conseil d'État a annulé ces deux arrêtés 18 ( * ) , « considérant que les décisions attaquées, eu égard, d'une part, à la portée de la protection qu'elles organisent et, d'autre part, aux conséquences qu'elles entraînent pour l'usage des terrains concernés, portent une atteinte disproportionnée aux autres intérêts en présence ».

La révision du dispositif réglementaire de protection de l'habitat du Hamster commun en Alsace, engagée au second semestre de l'année 2016 19 ( * ) , doit être complétée par l'évaluation du plan national d'actions 2012-2016, arrivé à échéance, auquel devrait succéder un nouveau plan.

Les échanges restent nourris avec la Commission européenne, notamment au regard de la réalisation de l'autoroute A355 de grand contournement ouest de Strasbourg, l'enjeu étant d'en limiter les effets sur l'habitat de cette espèce . D'après le SGAE, « la récente évolution du dispositif urbanistique ainsi que la progression sensible des mesures agricoles volontaires (MAEC) sont perçues de manière favorable par la Commission européenne » 20 ( * ) .

En outre, « les autorités françaises se sont engagées à fournir à la Commission européenne tous les éléments relatifs au respect des clauses des concessions relatives à la compensation des atteintes à la biodiversité dans le cadre de la délivrance des autorisations uniques des ouvrages concernés, en application de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le classement de ce contentieux est lié à la nature des informations qui seront fournies ».

b) Le contentieux relatif aux nitrates agricoles et à la désignation de zones vulnérables

La mise en oeuvre de la directive sur les nitrates par la France s'est nettement améliorée : le contentieux relatif à la protection des eaux contre la pollution aux nitrates à partir de sources agricoles et aux programmes d'actions nitrates a fait l'objet d'un classement par la Commission européenne en décembre 2016 (cf . supra ), tandis que l'exécution de l'arrêt en manquement relatif à la protection des eaux contre la pollution aux nitrates à partir de sources agricoles et à la « désignation des zones vulnérable », rendu le 13 juin 2013, est en bonne voie.

En effet, l'avancement des travaux d'adaptation du cadre réglementaire permet d'espérer un classement de ce contentieux 21 ( * ) . D'après le SGAE, « les nouveaux arrêtés de désignation et de délimitation des zones vulnérables, pris indépendamment des arrêtés précédents (annulés ou faisant encore l'objet d'une procédure contentieuse) et sur la base des données les plus récentes de qualité de l'eau, sont définitifs pour quatre des six bassins (Rhin-Meuse, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée) . Les procédures sont toujours en cours pour deux bassins (Adour-Garonne et Seine-Normandie), mais la Commission européenne a fait savoir qu'elle pourrait ne pas attendre leur finalisation » avant de classer le contentieux, dès lors que l'exécution de l'arrêt lui semble « acquise de manière irréversible ».

c) Le contentieux relatif aux eaux résiduaires urbaines

Par un arrêt en manquement du 23 novembre 2016 (affaire C-314/15) concernant la mise en oeuvre des dispositions de la directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, la CJUE a jugé que la France a manqué aux obligations qui lui incombent en n'ayant pas assuré, à compter de l'échéance du 31 décembre 2005, un traitement secondaire ou équivalent des eaux urbaines résiduaires de quinze agglomérations ayant soit un équivalent habitant (EH) compris entre 10 000 et 15 000, pour tous les rejets hors zones sensibles, soit un EH compris entre 2 000 et 10 000 pour tous les rejets dans des eaux douces et des estuaires (en zones sensibles) 22 ( * ) . D'après le SGAE, « ces quinze agglomérations étaient dotées d'équipements conformes le jour du prononcé de l'arrêt. La Commission a fait savoir que, après une dernière vérification des données de surveillance transmises, conformes aux exigences de la directive, elle s'acheminait vers un classement de l'affaire ».

2. Si les enjeux budgétaires sont jugés faibles à l'heure actuelle, plusieurs dossiers pourraient faire peser des risques à l'avenir
a) L'intégralité des provisions pour litiges communautaires a fait l'objet d'une reprise à la fin de l'année 2016

Comme mentionné supra , l'exécution de trois arrêts en manquement est en cours. Si ces arrêts n'induisent pas le prononcé de sanctions financières, ils imposent la prise de mesures d'exécution afin d'éviter l'engagement d'une procédure de « manquement sur manquement », susceptible, quant à elle, d'aboutir à des sanctions pécuniaires.

Les formules de la Commission européenne pour le calcul des astreintes
et de la somme forfaitaire

En août 2016, la Commission européenne 23 ( * ) a mis à jour les données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes qu'elle proposera à la Cour dans le cadre des procédures d'infraction. Cette actualisation des données macroéconomiques utilisées pour le calcul, prévue depuis 2010 24 ( * ) , tient compte de l'évolution de l'inflation et du PIB.

Une mise à jour des coefficients servant de base aux calculs à appliquer aux sanctions est effectuée, mais les formules de calcul des sanctions restent identiques : elles se fondent sur trois critères : la gravité de l'infraction, sa durée et la capacité de l'État membre à payer. La CJUE décide toutefois librement du montant des sanctions qu'elle inflige.

Formule relative à l'astreinte journalière :

680 (€/jour ; forfait de base uniforme) X gravité de l'infraction (de 1 à 20) X durée de l'infraction (de 1 à 3) X 17,81 (capacité de paiement de la France et nombre de voix dont elle dispose au Conseil)

Formule relative à la somme forfaitaire :

230 (€/jour ; forfait de base uniforme) X gravité de l'infraction (de 1 à 20) X durée de l'infraction (nombre de mois de persistance de l'infraction divisé par 10) X 17,81 (capacité de paiement de la France et nombre de voix dont elle dispose au Conseil).

La somme forfaitaire minimale, établie pour chaque État membre, est également mise à jour. Elle est proposée à la Cour si le total des sommes forfaitaires journalières n'excède pas la somme forfaitaire minimale fixe. Elle est fixée pour la France à un peu plus de 10 millions d'euros.

Source : commission des finances, d'après les données de la Commission européenne

Par ailleurs, ces mesures doivent être prises dans un délai contraint, dès lors que la phase de l'avis motivé est supprimée. Autrement dit, après avoir mis en demeure l'État défaillant, la Commission européenne peut saisir la CJUE dès l'expiration du délai prévu pour la réponse à la mise en demeure.

Si les condamnations de la France ont été rares, elles ont été coûteuses pour le budget du ministère de l'écologie.

Condamnations financières au titre des contentieux environnementaux

La première condamnation fut la plus importante, avec l'affaire dite des « Poissons sous taille ». Le ministère de l'écologie n'avait pas été concerné par la répartition des sommes entre ministères. Cependant, après l'arbitrage du Premier ministre, le budget du ministère chargé de l'équipement, aujourd'hui intégré à celui du ministère de l'écologie, avait payé plus de 2,5 millions d'euros (sur 20 millions) en somme forfaitaire, la même clé de répartition ayant été retenue pour l'astreinte de 57,8 millions d'euros.

La seconde condamnation a résulté du défaut de transposition de la directive 2011/18/CE relative aux OGM, pour un montant de 10 millions d'euros, dont le ministère de l'écologie a supporté 20 %.

Source : « L'application du droit communautaire de l'environnement : de la prise de conscience à la mobilisation des acteurs », rapport d'information n° 20 (2011-2012) de Mme Fabienne Keller, fait au nom de la commission des finances

Pour faire face aux risques de condamnations pécuniaires que l'État encourt au titre des litiges avec les tiers - et qu'il n'encourt désormais plus seul, voir infra -, dans le cadre de la mise en oeuvre d'une comptabilité d'exercice pour l'État prévue par la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, des provisions pour litiges communautaires sont inscrites au passif du bilan de l'État .

Les risques financiers inhérents aux affaires pendantes à l'encontre de l'État devant la CJUE dans le cadre des procédures ouvertes sur les fondements des articles 258 et 260 TFUE, entrent dans le périmètre des provisions pour litiges. Au regard du suivi des procédures contentieuses qu'il réalise et de son rôle de coordination du travail interministériel pour l'exécution des arrêts de condamnation en manquement prononcés à l'encontre de la France, le SGAE mène depuis 2006 les travaux d'inventaire des provisions pour litiges en concertation avec l'ensemble des départements ministériels . Il lui revient d'apprécier la probabilité et le montant des condamnations pécuniaires encourues par l'État sur le stock d'affaires en cours, afin d'évaluer les provisions à enregistrer au passif du bilan de l'État.

Cependant, la répartition des montants provisionnés entre ministères ne détermine pas l'imputation budgétaire qui sera décidée en cas de condamnation. Elle s'inscrit dans la logique de responsabilisation des ministères dans la mise en oeuvre du droit européen, et de prise en compte des efforts accomplis par chacun d'entre eux dans la bonne exécution d'un arrêt en manquement.

Actuellement, aucune provision pour litiges communautaires n'est inscrite au bilan de l'État en clôture de l'année 2016 . Dans la mesure où le risque budgétaire des trois affaires précédemment décrites est considéré comme « faible » par le SGAE, c'est-à-dire que le risque de condamnation pécuniaire n'est pas supérieur à 50 %, les provisions pour litiges communautaire inscrites avant 2016 ont toutes fait l'objet d'une reprise .

La condamnation en manquement concernant la mise en oeuvre des dispositions de la directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, en date du 23 novembre 2016 n'a pas donné lieu à la constitution d'une provision pour litige communautaire. En effet, les campagnes de recensement des provisions pour litiges à constituer pour une année tiennent compte des condamnations prononcées jusqu'au 31 octobre de l'année donnée - en l'espèce, au 31 octobre 2016. Les provisions éventuelles concernant les condamnations prononcées entre le 1 er novembre et le 31 décembre ne sont analysées qu'au cours de la campagne de recensement de l'année suivante ; ici, 2017. Toutefois, ces provisions font l'objet d'un rattachement comptable à l'exercice précédent.

Ainsi, le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer (MEEM) précise que la condamnation en manquement du 23 novembre 2016 n'a pas été provisionnée en 2016, mais qu'elle « pourra donner lieu à la constitution d'une provision (si les conditions sont remplies) au cours de la campagne qui démarrera en septembre 2017, auquel cas une écriture comptable permettra de modifier la balance au 1 er janvier, afin, de manière rétroactive, de rattacher cette provision à 2016 ».

En outre, la provision pour litige concernant la directive 2012/27 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l'efficacité énergétique, constituée en 2015, a été reprise en 2016. La Commission européenne a en effet classé ce dossier en juillet 2016 au regard des mesures réglementaires adoptées par la France.

Enfin, le SGAE souligne que la mise en oeuvre de ces arrêts provoque des coûts administratifs et de mise en oeuvre non négligeables, mais non chiffrés . Par exemple, « les efforts financiers réalisés par les exploitants agricoles dans le cadre du programme d'action associé à la directive « nitrates » auraient représenté un investissement d'environ 53 000 euros par exploitation » 25 ( * ) .

b) De nouveaux dossiers nécessitent une vigilance constante

L'absence de procédure de « manquement sur manquement » en cours constitue une source de satisfaction, mais doit être nuancée par le risque financier pesant sur la France à moyen terme au titre d'un certain nombre de procédures ouvertes, à ce stade, sur le fondement de l'article 258 du TFUE.

Ainsi, votre rapporteur spécial souhaite appeler l'attention sur plusieurs dossiers, qui appellent une vigilance particulière.

La procédure contentieuse relative au braconnage du bruant ortolan semble particulièrement sensible. Après une mise en demeure envoyée le 25 janvier 2013, la Commission européenne a émis un avis motivé le 16 juin 2016 pour manquement aux obligations incombant aux autorités en vertu de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Une violation de cette directive, systématique et tolérée, au moins localement, est ainsi reprochée à la France par son abstention à prendre toutes les mesures nécessaires, notamment de police et de nature judiciaire, pour instaurer un régime général de protection efficace et de long terme du bruant ortolan dans le département des Landes. Le Collège des commissaires a décidé, le 8 février 2017, de saisir la CJUE d'un recours en manquement.

En outre, le dossier relatif aux plans de gestion des déchets prévus par la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets retient également l'attention. La Commission européenne reproche à la France, dans un avis motivé du 17 novembre 2016, de ne pas avoir adopté des plans de prévention et de gestion des déchets pour certaines parties de son territoire (en vertu de l'article 28 §1), ni veillé à ce que les plans existants de gestion des déchets soient évalués au moins tous les six ans et, le cas échéant, révisés (au terme de l'article 30 §1). Ce contentieux s'inscrit dans le cadre de la décentralisation opérée par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi dite « NOTRe »), par laquelle les compétences en matière de planification relative aux déchets ont été transférées des départements aux régions.

À ce jour, plusieurs types de plans en vigueur depuis plus de six ans, et dont la révision n'a été ni achevée ni initiée sont dénombrés 26 ( * ) .

D'après le SGAE, « les autorités françaises se sont engagées à présenter par écrit à la Commission européenne les dispositions opposables au regard des objectifs nationaux à atteindre en matière de prévention et de gestion des déchets, pour les territoires qui ne disposent pas de plan ou pour lesquels les plans n'ont pas été réévalués dans les six ans qui ont suivi leur adoption ainsi que la liste de plans à réviser selon leur date d'adoption ».

Enfin, il convient de signaler les deux dossiers précontentieux relatifs à la qualité de l'air , qui feront l'objet de développements approfondis dans la deuxième partie de ce rapport. D'après la Cour des comptes, « le montant de l'amende pour le seul contentieux « particules », estimé par le SGAE en 2012, pourrait s'élever à plus de 100 millions d'euros la première année, puis 90 millions d'euros par an les années suivantes, et ce tant que des dépassements seront observés » 27 ( * ) .

Comme le rappelle le SGAE, si ces dossiers nécessitent une vigilance certaine, ils n'ont pas donné lieu à la constitution de provision pour litige communautaire à l'issue du dernier exercice d'inventaire interministériel portant sur le bilan 2016, le fait générateur d'une telle provision étant la condamnation en manquement par la CJUE.


* 17 Arrêté du 6 août 2012 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt relatif aux conditions dans lesquelles sont accordées les dérogations aux mesures de protection du hamster commun et arrêté du 31 octobre 2012 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt relatif à la protection de l'habitat du hamster commun.

* 18 Conseil d'État, 6 ème /1 ère sous-sections réunies, n° 363638, Syndicat mixte du Piémont des Vosges et alii, 15 avril 2016.

* 19 Les nouvelles dispositions sont définies dans l'arrêté du 9 décembre 2016 relatif aux mesures de protection de l'habitat du hamster commun.

* 20 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 21 Décret n° 2015-126 du 5 février 2015 relatif à la désignation et à la délimitation des zones vulnérables en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole ; arrêté du 5 mars 2015 précisant les critères et méthodes d'évaluation de la teneur en nitrates des eaux et de caractérisation de l'enrichissement de l'eau en composés azotés susceptibles de provoquer une eutrophisation et les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables définies aux articles R. 211-75, R. 211-76 et R. 211-77 du code de l'environnement.

* 22 Goyave, Bastelica, Morne à l'Eau, Aiguilles-Château-Ville Vieille, Borgo-Nord, Isola, Plombières les-Bains, Saint-Céré, Vincey, Etueffont, Volx et Villeneuve

* 23 COM(2016) 5091 final du 9 août 2016.

* 24 SEC(2010) 923/3.

* 25 « Pollution de l'air, le coût de l'inaction », tome I (n° 610) du rapport de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, (2014-2015), p. 145.

* 26 32 plans départementaux de prévention et de gestion des déchets non dangereux ; 11 plans régionaux de prévention et de gestion des déchets dangereux ; 83 plans départementaux de gestion des déchets du BTP sont également concernés, pour n'avoir pas été révisés à l'issue des six ans. Dix départements ne sont toujours pas couverts par un plan dans ce domaine.

* 27 « Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l'air », enquête demandée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, Cour des comptes, décembre 2015.

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