B. DE L'ÉLABORATION À L'ADOPTION DE LA NORME EUROPÉENNE : REPENSER LA PLACE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. La coresponsabilité politique et financière de l'État et des collectivités territoriales : une coopération de l'amont à l'aval

La possibilité d'une action récursoire de l'État à l'encontre des collectivités territoriales à raison de sanctions pécuniaires en cas de condamnation en « manquement sur manquement » au droit européen a été consacrée par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République 117 ( * ) , dite loi « NOTRe ».

L'article 112 de la loi « NOTRe » 118 ( * ) prévoit en effet une coresponsabilité politique et financière des collectivités territoriales et de l'État en cas de procédure engagée sur le fondement des articles 258 ou 260 du TFUE , liée à l'inexécution par des collectivités territoriales d'obligations relevant « en tout ou partie » de leur compétence.

Cette coresponsabilité comporte tout d'abord un volet politique, qui se traduit par un dialogue préventif , visant à renforcer la coopération entre l'État et les collectivités en cas de contentieux ou précontentieux les concernant. Ainsi, l'État peut demander aux collectivités locales considérées comme étant à l'origine du manquement allégué la communication des informations nécessaires, afin de vérifier l'existence ou non du manquement et d'assurer sa défense devant la Commission européenne et, le cas échéant, la CJUE.

Le MEEM estime que cette phase doit permettre de « financer ou cofinancer les investissements nécessaires pour éviter de payer non seulement ces investissements mais aussi des pénalités pour ne pas les avoir faits à temps, et ainsi mieux utiliser les deniers publics et travailler de façon plus coopérative » 119 ( * ) .

En cas d'échec du dialogue préventif, c'est-à-dire lorsqu'un arrêt de la CJUE sur le fondement de l'article 260 du TFUE est jugé possible et que des provisions pour litiges communautaires sont constituées en conséquence 120 ( * ) , une phase de coresponsabilité financière est préparée.

À ce stade, la loi prévoit une saisine pour avis d'une commission consultative 121 ( * ) par le Premier ministre. Son avis inclut « une évaluation de la somme forfaitaire ou de l'astreinte susceptible d'être imposée par la CJUE ainsi qu'une répartition prévisionnelle de la charge financière entre l'État et les collectivités territoriales et leurs groupements et établissements publics en fonction de leurs compétences respectives ». La répartition de ce montant, susceptible d'ajustements après que la CJUE a rendu son arrêt, est fixée par décret.

Le MEEM considère que la réussite du dispositif dépend de celle de la coresponsabilité politique en amont, pour mieux répondre aux mises en demeure et avis motivé. De cette première phase devra découler in fine la non-activation du volet financier.

À ce jour, seul l'avis motivé relatif aux plans de gestion des déchets pourrait relever de la coresponsabilité politique et financière, et fournir un premier exemple d'application s'il devait donner lieu à un contentieux devant la CJUE. Le SGAE précise que « les collectivités territoriales concernées ont été informées de cette procédure, en l'occurrence l'ensemble des présidents de conseil régional. La saisine de la commission consultative n'a pas encore été activée pour ce cas ».

La coresponsabilité politique a le mérite d'associer les collectivités territoriales aux échanges destinés à prévenir et traiter les contentieux européens. Pour autant, l'air, l'eau et, à terme, les déchets, apparaissent comme les principaux points faibles de l'application du droit européen environnemental en France, alors même que ces domaines relèvent du champ de compétences des collectivités territoriales.

Ce constat découle non pas d'un quelconque désintérêt manifesté par les élus locaux à l'égard du droit européen, mais, outre un accompagnement imparfait de la part de l'État dans la mise en oeuvre des directives européennes déjà adoptées, d'une association aujourd'hui encore insuffisante au processus d'élaboration de la norme européenne, en particulier lorsque sa mise en oeuvre est susceptible de leur incomber.

2. La place des collectivités territoriales doit être confortée tout au long de l'élaboration de la norme européenne environnementale, depuis sa négociation jusqu'à son adoption
a) Si le SGAE s'efforce d'associer les collectivités territoriales à l'élaboration des positions françaises sur les projets de textes européens, leur participation au processus décisionnel européen demeure insuffisante

L'association des collectivités territoriales au processus décisionnel européen, en amont de l'adoption des directives dont la mise en oeuvre est susceptible de leur incomber, est aujourd'hui théoriquement assurée.

Ainsi, le SGAE affirme entretenir « des relations structurées avec les collectivités territoriales, afin de faciliter leur implication dans les négociations des textes européens susceptibles de les impacter » 122 ( * ) .

Cette association se traduit d'abord par une information quant aux projets de textes européens en cours de négociation, grâce à la diffusion de la production du SGAE intéressant les collectivités territoriales :

- au niveau national : les associations de collectivités territoriales (Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Régions de France) sont destinataires en tant que de besoin des projets de textes et des notes de position des autorités françaises sur ces projets, des veilles parlementaires nationales (par exemple, par une présentation hebdomadaire des activités du Parlement national sur les sujets européens), des réponses des autorités françaises à des consultations publiques de la Commission européenne ;

- au niveau européen , les notes de position des autorités françaises peuvent également être transmises aux membres de la délégation française du Comité des régions.

Par ailleurs, le SGAE s'efforce de prendre en compte les réflexions portées par les collectivités territoriales sur les projets de textes européens dans les positions des autorités françaises. En effet, lorsque les autorités françaises répondent à des consultations ouvertes par la Commission européenne, le SGAE recherche des convergences avec les réponses adressées à la Commission européenne par les associations de collectivités territoriales : ce dialogue vise à renforcer la cohérence des positions françaises portées par les autorités publiques nationales et locales.

En pratique, la contribution des collectivités territoriales à l'élaboration des positions françaises sur les projets de textes en négociation devant le Conseil de l'Union paraît relativement limitée. Les collectivités territoriales doivent pouvoir peser davantage sur la définition des positions françaises ainsi que sur le déroulement de la négociation .

b) Les moyens d'action du CNEN, qui évalue l'impact technique et financier des projets d'actes de l'UE sur les collectivités territoriales, gagneraient à être renforcés

La loi du 17 octobre 2013 123 ( * ) a confié au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) la mission d'évaluer l'impact technique et financier des projets de textes réglementaires ou législatifs créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités locales et à leurs établissements publics.

S'agissant de la législation européenne, la loi dispose que le CNEN « émet, à la demande du Gouvernement, un avis sur les projets d'actes de l'Union Européenne ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ». Le CNEN ne dispose pas d'un pouvoir d'auto-saisine en la matière. Autrement dit, il rend un avis uniquement sur les textes pour lesquels il fait l'objet d'une saisine par le Gouvernement - saisine assurée par le SGAE.

Ainsi, le secteur PARL du SGAE, en coordination avec le ministère « chef de file », s'attache systématiquement, lors de la transmission des actes de l'Union européenne au Parlement au titre de l'article 88-4 de la Constitution, à identifier les textes susceptibles de rentrer dans le champ du CNEN. Pour autant, d'après les informations fournies par le SGAE, le CNEN n'a été saisi que deux fois, en 2016, dans le secteur environnemental :

- sur la proposition de directive du Parlement européen modifiant la directive 2003/87/CE 124 ( * ) afin de renforcer le rapport coût efficacité des réductions d'émissions et de favoriser les investissements à faible intensité de carbone . Le CNEN a examiné ce texte lors de la séance du 4 février 2016 et rendu un avis favorable à l'unanimité, estimant que le texte n'aurait pas d'impact financier significatif et ne nécessitait donc pas un débat contradictoire en séance publique ;

- sur une série de quatre directives relatives au traitement des déchets et à l'économie circulaire 125 ( * ) . Le CNEN n'a pas rendu d'avis, estimant qu'une délibération n'est pas nécessaire à ce stade, dès lors que les travaux de concertation se poursuivent avec la Commission européenne.

L'association des collectivités territoriales au processus décisionnel européen, théoriquement assurée, en pratique perfectible, ne contribue pas à améliorer leur connaissance des obligations européennes. Surtout, celle-ci semble faire écho à une prise en compte imparfaite de leur rôle dans la mise en oeuvre du droit européen environnemental.

Recommandation n° 8 : dans un contexte de coresponsabilité politique et financière de l'État et des collectivités territoriales, associer davantage les collectivités territoriales au processus d'élaboration de la norme européenne, en particulier des projets de texte dont la mise en oeuvre est susceptible de leur incomber en raison de leur champ de compétences.


* 117 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 118 Codifié à l'article L. 1611-10 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

* 119 D'après les réponses au questionnaire envoyé par votre rapporteur spécial.

* 120 Les provisions pour litiges communautaires sont constituées lorsque la probabilité qu'une sanction soit prononcée l'année suivante est supérieure à 50 %.

* 121 Elle est composée de deux membres du Conseil d'État, de deux magistrats de la Cour des comptes et de représentants des collectivités territoriales. Sa composition est précisée par le décret n° 2016-1910 du 27 décembre 2016 pris pour l'application de l'article L. 1611-10 du code général des collectivités territoriales.

* 122 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 123 Loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d'un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

* 124 Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.

* 125 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2000/53/CE relative aux véhicules hors d'usage, la directive 2006/66/CE relative aux piles et accumulateurs ainsi qu'aux déchets de piles et d'accumulateurs, et la directive 2012/19/UE relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques - COM (2015) 593 final ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 1999/31/CE du Conseil concernant la mise en décharge des déchets - COM (2015) 594 final ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets - COM (2015) 595 final ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d'emballages - COM (2015) 596 final.

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