B. LIBÉRER ET RESPONSABILISER LES ENTREPRISES

Votre délégation aux entreprises appelle l'administration à changer de regard sur l'entreprise et à lui donner à la fois plus de liberté et de responsabilité.

1. Promouvoir une régulation par objectif et non par moyen

La tendance croissante de la loi à prescrire aux entreprises leur comportement jusque dans les moindres détails asphyxie les entreprises et nuit à l'innovation. La Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie en est convenue avec vos rapporteurs. Elle a néanmoins fait observer que l'Union européenne tentait, depuis déjà une trentaine d'années, d'impulser une démarche dite « nouvelle approche », qui consiste à fixer les exigences essentielles dans la réglementation et à laisser aux entreprises le choix des moyens . Selon M. Alain Schmitt, directeur général adjoint de la DGE, cette nouvelle approche qu'il qualifie aussi de « réglementation intelligente » est de plus en plus promue dans le cadre français aussi : le recours à des normes volontaires, moyen privilégié pour atteindre l'objectif fixé par la réglementation, est ainsi encouragé. Néanmoins, il a reconnu qu'il existait encore des ministères prescripteurs, notamment dans le domaine environnemental, par exemple pour les rejets dans l'eau et l'air, et dans le domaine de la construction, où les conditions d'assurance deviennent des normes de fait. Faire peser sur les entreprises une obligation de moyens au lieu d'une obligation de résultats est souvent coûteux pour celles-ci , qui remplissent des obligations lourdes sans idée de l'objectif qui les sous-tend, et pour l'administration qui se trouve noyée sous les informations à recueillir auprès des entreprises.

Réserver à la loi la fixation des seuls objectifs à atteindre permettrait non seulement d'assurer un meilleur respect des domaines de la loi et du règlement, de préserver les parlementaires de la pression des groupes d'intérêt qui promeuvent des amendements très détaillés, mais aussi d' ouvrir aux entreprises un espace de liberté pour trouver des solutions de mise en oeuvre innovantes . Sans doute ce report de la responsabilité sur l'entreprise devrait-il conduire à interroger le principe de précaution qui conduit le Gouvernement à adopter des mesures de prévention du risque de dommages environnementaux, même en l'absence de certitudes scientifiques, et à être d'une prudence extrême pour se prémunir contre le risque pénal. Aucun fondement juridique ne permet aujourd'hui, à l'inverse, de poursuivre l'auteur d'une réglementation qui aurait détruit des emplois sans améliorer véritablement la protection des salariés ou de l'environnement...

Dans le même esprit de responsabilisation de l'entreprise, votre délégation propose d'aller plus loin encore dans la simplification et de passer d'un système où tout est interdit sauf ce qui est autorisé à un système où tout est autorisé sauf ce qui est interdit.

Proposition n° 12 : promouvoir une régulation intelligente, qui prescrit les objectifs plutôt que les moyens et qui fixe des interdits au lieu de prévoir des procédures d'autorisations

2. Privilégier la confiance a priori, assortie de contrôles a posteriori renforcés

Dans un contexte de réglementation intelligente, le poids de l'administration se fait moins sentir en amont mais se déporte sur l'aval : l'administration fait confiance a priori à l'entreprise, ce qui permet à celle-ci de gagner du temps et d'être plus libre dans ses projets, mais l'administration se doit alors de consacrer plus d'énergie au contrôle a posteriori.

Certaines administrations sont déjà entrées dans cette démarche de confiance: ainsi, la direction générale des Finances publiques (DGFiP) s'est engagée dans une démarche visant à éclairer l'entreprise dans ses choix fiscaux en rendant un avis « opposable », en contrepartie d'une plus grande transparence dans les informations données par les entreprises. Cette relation de confiance permet de renforcer la sécurité juridique et la stabilité fiscale. En octobre 2013, la DGFiP a débuté une expérimentation en ce sens, avec 14 entreprises volontaires, de tailles, de secteurs d'activité et de localisation différents. En septembre 2014, une deuxième vague d'expérimentation a été lancée qui concerne 10 nouvelles entreprises. L'expérience est prometteuse mais encore très limitée, peut-être faute de volontaires, les entreprises étant elles aussi dans une position de défiance à l'égard de l'administration : il convient donc d'encourager ce modèle de relation de confiance pour favoriser sa diffusion à plus grande échelle .

En ce qui concerne plus largement les procédures administratives, l'excès de détails, comme on le constate dans de nombreux formulaires Cerfa, infantilise l'entreprise et augmente la probabilité d'erreurs ou de dysfonctionnements, lesquels ralentissent la procédure et l'obtention de l'autorisation préalable requise. Votre délégation soutient que la compétitivité des entreprises françaises et l'attractivité de notre territoire commandent de concentrer les moyens de l'administration sur les contrôles a posteriori plutôt que sur les exigences a priori : au lieu d'attendre d'avoir tout vérifié en amont avant d'autoriser, l'administration devrait laisser émerger plus librement les projets tout en fixant le cadre d'obligations à respecter, et, si le projet devait finalement ne pas être conforme aux obligations fixées, sanctionner lourdement l'entreprise. Comme l'a fait observer à vos rapporteurs Me Leila Hamzaoui, présidente de la Commission Droit et entreprises du Conseil national des barreaux, « la France passe son temps à faire des normes compliquées et à chercher comment les contourner, les pays anglo-saxons cherchent eux à faire des normes auxquels se conformer. »

Or aujourd'hui en France, le contrôle a posteriori aboutit trop rarement à une sanction : les statistiques disponibles en matière d'inspection du travail 172 ( * ) sont éclairantes à cet égard. Sur près de 300 000 interventions réalisées en 2013 par des inspecteurs du travail, 256 000 ont généré une suite conduisant à constater, dans 201.000 cas, au moins une infraction, mais seulement 2,7 % de ces infractions (soit 5 400 cas) ont donné lieu à un procès-verbal et seul le cinquième de ces procès-verbaux aboutit à une sanction . Ce constat soulève la question de l'application de la règle de droit qui est posée, mais peut-être aussi la question de la pertinence de la règle elle-même ou de l'interprétation qui en est faite.

Proposition n° 13 : privilégier la confiance a priori , libérer les projets des entreprises après en avoir fixé le cadre, et concentrer les moyens de l'administration sur le contrôle a posteriori pour sanctionner efficacement le non respect éventuel des obligations fixées


* 172 Issu du rapport L'inspection du travail en 2013 , publié par le Ministère du travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, en décembre 2015.

Page mise à jour le

Partager cette page