C. PRIVILÉGIER L'ÉCHELON EUROPÉEN POUR RÉGLEMENTER LA VIE DES ENTREPRISES

1. Porter nos exigences dans la négociation des directives européennes

Comme l'a souligné l'étude du Conseil d'État publiée en novembre 2015 sur la transposition des directives européennes 173 ( * ) , l'organisation du travail gouvernemental n'est pas optimale : les équipes chargées de négocier à Bruxelles les directives européennes en cours d'élaboration sont mal connectées aux équipes chargées à Paris de transposer ensuite la directive européenne. Le Secrétariat général aux affaires européennes informe assurément les ministères des échéances européennes mais il n'est pas en mesure de mobiliser les services concernés dans chaque ministère et de les informer des arbitrages effectués lors de la négociation européenne des textes.

La posture souvent privilégiée par notre pays à Bruxelles est de défendre les plus grandes marges possibles pour la transposition des directives européennes . Puis, au moment de la transposition, il n'est pas rare que notre pays utilise les marges de manoeuvre offertes par la directive pour aller au-delà des obligations minimales qu'elle fixe. Cette situation, déjà analysée plus haut, nuit à la compétitivité des entreprises françaises, sans pour autant assurer une protection efficace de nos concitoyens qui, dans un contexte de libre circulation et de reconnaissance mutuelle entre États membres de l'Union européenne, consomment des produits fabriqués ailleurs en Europe et soumis à des règlementations moins strictes. C'est même une incitation à la délocalisation des productions, l'industrie nationale se voyant interdire de produire en France ce qu'elle peut produire dans d'autres pays de l'Union et réexporter en France.

Il apparaît donc nécessaire de repositionner nos efforts en amont de la négociation des textes communautaires pour convaincre nos partenaires européens du bien-fondé de nos exigences et éviter de disqualifier les entreprises françaises.

Proposition n° 14 : porter au niveau européen nos exigences plutôt que de les imposer au niveau national par des surtranspositions de directives qui disqualifient nos entreprises sans mieux protéger les Français

2. Proscrire les surtranspositions

Privilégier le recours aux règlements européens plutôt qu'aux directives permettrait d'éviter l'exercice de transposition et ses possibles dérives : le règlement européen étant d'application directe, il suffit en effet de désigner l'autorité nationale chargée d'appliquer la règle.

Néanmoins, lorsqu'il sera nécessaire de transposer une directive européenne, il conviendrait de procéder en deux étapes : d'abord, adopter sans délai un texte de transposition stricte de la directive , texte qui se calerait sur le niveau le plus favorable à la compétitivité de notre économie et qui ne devrait pas comporter d'autres dispositions que celles strictement nécessaires à la transposition du texte européen en droit national ; dans un second temps, et au terme d'une réflexion plus longue, des modifications complémentaires du droit pourraient être envisagées par le Gouvernement, accompagnées d'une étude d'impact permettant d'évaluer le coût des ajouts ou des surtranspositions éventuellement envisagés. Le Gouvernement aurait ainsi à justifier les exigences qu'il propose d'ajouter à la réglementation européenne 174 ( * ) .

C'est dans cet esprit que votre délégation avait déposé en décembre 2015 une proposition de loi constitutionnelle 175 ( * ) dont l'article 2 posait le principe d'une transposition stricte des directives européennes et rendait irrecevables les amendements aux textes de transposition qui tendraient à introduire des contraintes supplémentaires pour les entreprises par rapport à ce que prévoit la directive.

Il convient également de veiller, dans l'exercice de transposition, à assurer une meilleure articulation entre les dispositions transposées et le droit national : il arrive que les obligations européennes mal transposées viennent s'ajouter aux dispositifs français sans cohérence d'ensemble . Nos collègues MM. François Calvet et Marc Daunis l'ont récemment dénoncé dans leur rapport d'information 176 ( * ) proposant des simplifications en matière de droit de l'urbanisme et de la construction : « s'ensuit un empilement de réglementations qui, non seulement complexifie, mais reste tout autant sujet à interprétation ». Il convient donc de mettre en adéquation le droit en vigueur avec les nouvelles obligations à transposer afin de simplifier leur application.

Proposition n° 15 : transposer strictement les directives européennes en veillant à clarifier leur articulation avec le droit national, et éventuellement envisager dans un second temps des modifications complémentaires du droit après en avoir évalué l'impact

3. Mieux prendre en compte l'agenda européen en matière de réglementation applicable aux entreprises

Le Gouvernement français programme son activité normative sans prêter suffisamment attention à l'agenda de l'Union européenne. Ce défaut de coordination peut conduire la production normative nationale à entrer en contradiction ou à anticiper sur les règles européennes.

Le Conseil national de l'industrie a ainsi évoqué devant vos rapporteurs la réglementation des nanomatériaux : ce sujet, qui a émergé à la toute fin du Grenelle de l'environnement, a donné lieu à la mise en place d'une obligation de déclaration annuelle des usages et des quantités produites, distribuées et importées de substances à l'état nanoparticulaire. L'adoption de ce texte, qui n'existe qu'en France aujourd'hui et nulle part ailleurs en Europe, a pourtant été motivée par l'argument selon lequel ce décompte serait bientôt imposé par l'Union européenne. Le site du ministère de l'environnement décrit ainsi les choses : « Cette initiative est une première en Europe, et devrait être suivie par plusieurs États membres avec lesquels la France collabore très étroitement », formule qui accompagne couramment les initiatives réglementaires de la France sans qu'un bilan ne soit jamais fait du nombre de pays suivant l'exemple français 177 ( * ) . La complexité créée par cette obligation de déclaration a été dénoncée en 2015, mais les propositions de simplification alors avancées par le Conseil national de l'industrie se sont heurtées à l'opposition du ministère de l'environnement. Comme l'a fait observer M. Alain Devic à vos rapporteurs, la vraie simplification aurait été qu'il n'y ait pas de réglementation.

De même, Me Leila Hamzaoui, présidente de la Commission Droit et entreprises du Conseil national des barreaux, a déploré devant vos rapporteurs que la France se soit dotée, avec la loi dite « Sapin 2 » 178 ( * ) , d'un dispositif de lutte anticorruption sans considération des règles qui se préparent au niveau européen ou mondial ni des dispositifs déjà mis en place par les entreprises.

Plutôt que de devoir régler des difficultés qu'il se crée lui-même, notre pays doit cesser d'anticiper sur la législation européenne et de se vouloir précurseur , sans mesurer les dégâts collatéraux subis par les entreprises dans la compétition européenne et donc sans veiller aux conséquences en termes d'emplois.

Proposition n° 16 : assurer une meilleure coordination de l'activité gouvernementale avec l'agenda européen pour ne pas adopter de règles nationales anticipant sur des réglementations européennes et pénalisant nos entreprises dans la compétition européenne et mondiale


* 173 Directives européennes : anticiper pour mieux transposer , Conseil d'État, 2015.

* 174 En Allemagne comme au Royaume-Uni, toute surtransposition est interdite, sauf si elle est favorable aux entreprises nationales et dûment justifiée (cf. p. 122 du rapport d'information n° 2268 (2014-2015) de l'Assemblée nationale, déjà cité).

* 175 Proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification législative pour les entreprises n° 214, déposée le 2 décembre 2015.

* 176 Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier , rapport d'information (2015-2016) n° 720 de MM. François CALVET et Marc DAUNIS, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 23 juin 2016. Cf. p. 129

* 177 En l'espèce, la Commission européenne se démarque justement de l'approche uniforme française et insiste sur la différence des risques induits par les différents nanomatériaux selon leur nature.

* 178 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

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