II. LES SOUS-PRÉFECTURES FACE À LA NOUVELLE ARCHITECTURE DE LA FRANCE DES ACTEURS PUBLICS, UN RISQUE DE MARGINALISATION ACCRUE

Délégué du préfet de département dans chacun des 234 arrondissements disposant d'une sous-préfecture à part entière, le sous-préfet est exposé à un risque d'isolement fonctionnel et de débordement géographique dans une France des territoires qui évolue.

Ces points de vulnérabilité ressortent accrus des évolutions récentes de l'organisation territoriale, qu'elles concernent les services de l'État lui-même ou les collectivités territoriales.

A. LA RÉFORME DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT (REATE), VERS UN AFFAIBLISSEMENT DU PRÉFET DE DÉPARTEMENT ?

1. Les constats proposés par les services d'inspection ministériels en 2006 quant au risque d'isolement des sous-préfets...

D'un rapport commun à différentes inspections administratives d'avril 2006 intitulé « Quel avenir pour le sous-préfet d'arrondissement ? » 5 ( * ) , il ressortait que les relations du sous-préfet avec son environnement administratif étaient d'une intensité variable, le rapport concluant à une forme « d'isolement professionnel » du sous-préfet et de la sous-préfecture .

En ce qui concerne les structures préfectorales elles-mêmes , le rapport relevait un certain cloisonnement entre les services de la sous-préfecture et ceux de la préfecture .

Cette situation est évidemment regrettable compte tenu de la vocation même du sous-préfet .

On rappelle en effet que celui-ci est le délégué du préfet de département dans l'arrondissement .

Plus globalement, il semble illusoire qu'il puisse se passer des fonctions de support que doivent pouvoir lui réserver les services préfectoraux de même qu'il serait tout à fait regrettable que ceux-ci soient fermés aux informations de terrain que le sous-préfet a naturellement pour mission de réunir et de communiquer.

Il convient d'ajouter que les services préfectoraux contribuent naturellement à la gestion de questions qui émergent des arrondissements et que le départ entre les affaires traitées en sous-préfectures et celles gérées par la préfecture n'est pas toujours facile à déterminer, en particulier pour les fonctions les plus qualitatives qui reposent sur l'initiative des personnels.

Enfin, l'issue préfectorale d'un grand nombre de dossiers traités en sous-préfecture militerait pour une relation systématiquement très développée entre les sous-préfets et les services préfectoraux, dont, au premier chef, le préfet de département.

Recommandation : formaliser systématiquement les relations entre le préfet de département et les sous-préfets d'arrondissement dans le cadre de lettres de mission assorties d'une garantie d'accès aux services de la préfecture.

L'éloignement du pôle régional était présenté comme plus fort encore.

Pour ce qui est des services déconcentrés des ministères, le même rapport constatait l'inexistence d'un réseau interministériel au niveau infra-départemental .

Relevant la bonne qualité des relations avec les services de police et de gendarmerie, il notait que les contacts avec les autres services déconcentrés étaient beaucoup plus épisodiques.

2. ... ressortent accrus des réformes administratives engagées depuis

En toute logique, les risques alors diagnostiqués sont susceptibles de sortir renforcés des évolutions administratives dues à la réforme de l'administration territoriale de l'État (la RéATE), au renforcement de l'échelon régional et à l'affirmation et à la diversification des opérateurs de l'État, comme entités autonomes.

Ces évolutions qui risquent d'altérer l'effectivité du rôle du préfet de département peuvent , par ricochet, affecter les moyens d'action du sous-préfet, qui se trouve placé sous la direction administrative de ce préfet et n'entretient, semble-t-il, que de trop lointains rapports avec les services régionaux d'administration générale de l'État.

Il convient donc d'obvier au risque de relégation du préfet de département associé au développement de l'échelon régional dans un contexte où la réforme de l'administration territoriale - la RéATE - peut exercer des effets ambivalents sur les conditions d'exercice de ses missions d'animation des politiques publiques et de coordination des services de l'État.

Recommandation : renforcer par tous moyens adéquats la capacité des sous-préfets de mobiliser les services de l'État nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

En ce qui concerne la RéATE , entrée en vigueur en janvier 2010 , elle a entendu promouvoir une logique de rationalisation de l'organisation territoriale de l'État et d'affirmation et de son échelon régional autour de quelques grandes orientations :

- une recherche de clarification des rôles entre le niveau régional et départemental ;

- la mission confiée à l'échelon régional de définir les modalités d'application des directives nationales dans la région et de répartir les moyens alloués par les ministères ;

- l'identification de la région comme niveau de pilotage des politiques publiques ;

- l'attribution à la circonscription départementale de la mission de contact avec les usagers et de mise en oeuvre des politiques publiques de proximité .

Cette dernière mission paraît aujourd'hui largement dépassée compte tenu des orientations arrêtées dans le cadre du PPNG, au moins sous l'angle des relations avec les usagers ordinaires que sont les résidents des territoires.

En outre, force est d'observer une certaine concurrence des conceptions relatives à l'échelon adéquat pour prendre en charge la préoccupation de proximité, désigné tantôt comme le département, tantôt comme l'arrondissement.

Mais c'est au-delà qu'il faut aller pour apprécier les effets de la RéATE sur l'exercice des missions préfectorales et, par-là, sur les ressources accessibles aux sous-préfets.

a) Les principales évolutions suivies par la réforme de l'administration territoriale de l'État : promotion du niveau régional et regroupement départemental des services

Le renforcement du rôle du préfet de région en est une des premières composantes majeures.

Il est devenu responsable de l'exécution des politiques publiques dans la région et a reçu un pouvoir d'instruction sur le préfet de département et un droit d'évocation de certaines des compétences de ce dernier.

En outre, une circulaire du 4 décembre 2013 en a fait le responsable unique des budgets opérationnels de programme (RBOP) gérés par les services placés sous son autorité.

Deuxième évolution majeure, l'organisation des services de l'État a été recomposée, au niveau régional, autour de huit grandes entités administratives intégrées contre vingt auparavant .

Dans chaque région métropolitaine (hors région Île-de-France qui présente une organisation spécifique), les nouvelles directions régionales déconcentrées sont les suivantes :

- la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ( DIRECCTE ) ;

- la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt ( DRAAF ) ;

- la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ( DREAL ) ;

- une direction régionale des affaires culturelles ( DRAC ) ;

- la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ( DRJSCS ) ;

- la direction régionale des finances publiques ( DRFiP ) ;

- les services du Rectorat ;

- l'agence régionale de santé ( ARS ).

Le tableau suivant présente un récapitulatif des directions avant et après la RéATE.

Les services déconcentrés régionaux avant et après la RéATE

Avant la RéATE

Après la RéATE

Direction générale de la comptabilité publique (DGCP)

Direction régionale des finances publiques

(DRFIP)

Direction générale des impôts (DGI)

Direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP)

Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE)

Directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP)

Mission « Concurrence » de la Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DRCCRF)

Division développement industriel des DRIRE

Services de métrologie des DRIRE

Direction régionale du commerce extérieur (DRCE)

Délégation régionale du tourisme (DRT)

Service du Délégué régional au commerce et à l'artisanat (DRCA)

Chargé de mission régional à l'intelligence économique (CRIE)

Direction régionale de l'équipement (DRE)

Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement

(DREAL)

Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE)

Direction régionale de l'environnement (DIREN)

Direction régionale de l'agriculture et de la forêt (DRAF)

Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt

(DRAAF)

Direction régionale des affaires culturelles (DRAC)

Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS)

Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale

(DRJSCS)

Direction régionale de la jeunesse et des sports (DRJS)

Direction régionale de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé)

Agences régionales de l'hospitalisation (ARH)

Agences régionales de santé (ARS)

Rectorat

Source : commission des finances du Sénat

L'échelon départemental devait, quant à lui, être recentré sur des missions plus spécifiquement opérationnelles pouvant reposer sur une ossature resserrée comme indiqué dans l'encadré ci-dessous.

Les services départementaux après la RéATE

Outre les services de la préfecture et des sous-préfectures, tous les départements sont dotés de directions départementales interministérielles (DDI) , au nombre de deux ou trois selon l'importance démographique des départements placées sous l'autorité du préfet de département.

La direction départementale des territoires (DDT), commune à l'ensemble des départements regroupe, en reprenant leurs missions en matière de politiques d'aménagement et de développement durables des territoires, les anciennes directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF), de l'équipement (DDE) et les services « environnement » de la préfecture. Dans les départements littoraux (soit 22 départements), la DDT englobe également l'ancienne direction des affaires maritimes dont elle reprend les missions : la DDT prend alors le nom de direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).

La direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations ( DDCSPP ) reprend les compétences des anciennes directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), des affaires sanitaires et sociales (DDASS) en matière d'affaires sociales, des unités départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des services vétérinaires des DDAF.

Dans les départements dont la population est supérieure à 400 000 habitants (soit 42 départements) ou dont les circonstances locales en matière de cohésion sociale et de politique de la ville le justifient, les missions de la DDCSPP sont confiées à deux structures :

- une direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) , dont la mission est d'affirmer le rôle d'animateur de l'État dans les domaines de la cohésion sociale, de la jeunesse, des sports, de la vie associative et de l'éducation populaire. Elle rassemble les personnels de l'ancienne DDJS, une partie de ceux des DDASS et les personnels des préfectures intervenant en matière d'accès au logement, de politique de la ville ou de droits des femmes ;

- une direction départementale de la protection de la population (DDPP) , qui rassemble les compétences techniques, scientifiques, juridiques et économiques dont dispose l'État pour assurer ses fonctions d'information, de prévention et de contrôle dans le domaine de la protection des populations. Elle est issue du rapprochement des personnels de la direction départementale des services vétérinaires et ceux en charge de la répression des fraudes.

Enfin, chaque département comprend une délégation départementale de l'ARS, une inspection d'académie, une direction départementale des finances publiques (DDFiP) et les services chargés de la sécurité intérieure (police, gendarmerie).

b) Des perspectives sans garanties pour l'échelon départemental et, par conséquent, pour le local

La capacité de l'échelon préfectoral à imprimer son autorité sur un certain nombre de services de l'État est traditionnellement problématique . Elle se répercute naturellement sur les conditions dans lesquelles les sous-préfets peuvent concrètement mobiliser les moyens en cause d'autant, qu'au contraire du préfet, le sous-préfet ne dispose le plus souvent d'aucun pouvoir général formellement reconnu de direction des services.

La réforme de l'administration territoriale de l'État est susceptible d'accentuer ces difficultés tant par le renforcement de l'échelon régional que par la constitution de directions départementales puissantes se substituant au préfet dans les fonctions d'animation et de coordination des services de l'État.

Sur ce dernier point, il serait prématuré de voir dans le processus de constitution de grandes directions départementales interministérielles, qu'il faut du reste nuancer, l'incarnation d'un État ayant accompli sa mue en direction d'une horizontalité interministérielle déployée dans les départements.

Un problème particulier semble se poser dans les domaines où les ministères ont développé le recours à des opérateurs dont l'autonomie financière et juridique est de principe. Par ailleurs, le secteur de la santé, très marqué par la création des agences régionales de santé (ARS), que certains interlocuteurs de votre rapporteur spécial ont qualifié de « préfectures sanitaires », semble particulièrement préoccupé de préserver son libre-arbitre.

De façon générale, dès que la portée du principe selon lequel le préfet est l'ordonnateur secondaire connaît une atténuation, l'autorité du préfet s'étiole plus ou moins.

Si le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration témoigne d'une certaine conscience des fragilités d'un État dont les démembrements altèrent l'unité d'action , la désignation du préfet de région qui « peut être désigné délégué territorial des établissements publics de l'État, ou à défaut peut convier les responsables territoriaux de ces établissements aux instances de collégialité et émettre un avis sur leur désignation et leur évaluation » ne résout pas grand-chose, le texte du décret en témoigne suffisamment.

Cette réorganisation semble s'être accompagnée d'un certain nombre d'évolutions peu favorables à l'exercice par le préfet de département de ses fonctions traditionnelles .

Outre le transfert au niveau régional d'un certain nombre d'emplois que paraissent avoir choisi de mettre en oeuvre certains ministères et leurs effets sur les moyens opérationnels des préfets de département, les « conduits budgétaires » mis en oeuvre par les ministères ont pu renforcer la perte d'autonomie de l'échelon départemental liée à l'amplification de la régionalisation des budgets dans le cadre de la réduction du nombre des régions (voir infra ).

C'est ainsi qu'aux désormais deux (ou trois) DDI s'ajoutent trois unités territoriales (UT) de directions interministérielles régionales.

Elles remplacent certaines anciennes structures départementales :

- l' UT de la DIRECCTE , composée essentiellement de l'ancienne direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) ;

- l' UT de la DRAC , qui succède au service départemental de l'architecture et du patrimoine (SDAP) ;

- l' UT de la DREAL , composée de l'ex-subdivision de la direction régionale de la recherche et de l'environnement (DRIRE).

Leur existence permet aux ministères concernés de conserver un réseau départemental qui leur soit propre et de maintenir plus d'autonomie vis-à-vis du préfet de département. Elles dérogent ainsi à la règle générale d'intégration des services départementaux au sein des nouvelles directions départementales intégrées que sont les DDI.

Sur la question de l'implication des directions départementales resserrées sur le « gouvernement » des services de l'État par le préfet, les avis divergent.

D'un côté, comme le rappellent nos collègues Éric Doligé et Marie-Françoise-Dumont dans un rapport adopté par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat 6 ( * ) , on peut faire valoir que « ... la réussite de la RéATE c'est le resserrement autour du préfet des services déconcentrés de l'État . »

De l'autre, comme suggéré par le rapport de synthèse des missions d'examen de l'organisation et du fonctionnement des directions départementales interministérielles, un renforcement des particularismes « verticaux » se serait produit, résultat sans doute paradoxal mais pouvant s'expliquer par la perte d'autorité du préfet de département sur des services auxquels il n'a plus qu'un accès indirect.

Les relations interservices

« Il semble qu'au niveau départemental le dialogue interservices ait décliné. Ce paradoxe peut s'expliquer par le fait que les sujets de travail en commun sont plus limités et ponctuels (il s'agirait alors d'un effet positif de la RéATE, qui permet de traiter et d'arbitrer en interne dans un service des questions qui nécessitaient auparavant des arbitrages interservices), mais aussi par la tendance de chaque service à se recentrer, sous la contrainte de la réduction des effectifs et devant la pression de l'urgence, sur son coeur de métier, en négligeant les liens avec les domaines connexes et en rendant plus difficile la mise en oeuvre des politiques interministérielles. À noter que certaines structures n'assurent leur mission qu'avec l'aide de l'échelon régional ».

Source : Rapport de synthèse 2014 des missions d'examen de l'organisation et du fonctionnement des directions départementales interministérielles (comité de pilotage inter-inspections (IGA-IGAS-IGJS-IGSCCRF-CGEDD-CGAER)


* 5 « Quel avenir pour le sous-préfet d'arrondissement ? » Inspection générale de l'administration, conseil général des mines, conseil général des ponts-et-chaussées, inspection générale de l'environnement. Avril 2006.

* 6 Sénat, « Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités », rapport n° 181 (2016-2017) d'Éric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

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