B. UNE PLACE ATYPIQUE AU SEIN DE LA POLICE NATIONALE QUI NE CONNAÎT AUCUN ÉQUIVALENT EN FRANCE ET À L'ÉTRANGER

1. Une place atypique au sein de l'organisation policière

Historiquement, l'organisation policière française a longtemps été caractérisée par un dualisme inégalitaire : non seulement la préfecture de police est restée indépendante de l'institution chargée de la police sur le plan national, mais elle a également bénéficié d'une forme de prééminence.

Ce dualisme inégalitaire s'explique avant tout par la difficile émergence d'une structure chargée de façon autonome et pérenne de la police au niveau national 23 ( * ) . Alors que l'existence de la préfecture de police n'a jamais été remise en cause depuis sa création en 1800, le ministère de la police est supprimé à quatre reprises entre 1796 et 1853. Si la direction de la sûreté générale, créée en 1853, connaît une existence plus durable, elle est subordonnée à la préfecture de police de 1859 à 1870 puis de 1874 à 1876 et rétrogradée au rang de simple sous-direction de 1881 à 1882 et de 1899 à 1903.

Par la suite, si la préfecture de police et la sûreté, devenue « nationale » en 1934, demeurent indépendantes, il subsiste entre les deux institutions un écart important sur le plan des moyens matériels et humains. Comme le soulignent Jean-Marc Berlière et René Lévy, « face à la préfecture richement dotée, aux effectifs nombreux et spécialisés, l'indigence de la sûreté, pourtant supposée diriger toutes les polices de France, semble caricaturale » 24 ( * ) .

À cet égard, si la loi Frey de 1966 25 ( * ) , conséquence directe de l'affaire « Ben Barka », constitue un indéniable point de rupture avec la mise en place de la police nationale, l'unification est imparfaite : elle concerne essentiellement les statuts des personnels, et non l'organisation administrative.

De ce fait, la préfecture de police conserve aujourd'hui une place à part au sein de la police nationale , caractérisée par l'absence de lien hiérarchique entre le préfet de police et le directeur général de la police nationale.

En effet, l'article 1 er de l'arrêté du 12 messidor an VIII dispose que le préfet de police exerce ses fonctions « sous l'autorité immédiate des ministres ». Nommé par décret du président de la République en Conseil des ministres, le préfet de police est ainsi placé sous l'autorité directe du ministre de l'intérieur, et non du directeur général de la police nationale .

Concrètement, le préfet de police s'entretient quotidiennement avec le ministre de l'intérieur ou son directeur de cabinet . Comme l'a rappelé Jean-Marc Falcone lors de son audition, le directeur général de la police nationale n'est destinataire des informations transmises par le préfet de police que lorsqu'il existe un impact potentiel sur sa zone de compétence ou en gestion. Par ailleurs, ce dernier ne dispose pas d'une vision consolidée du budget de la préfecture de police, dans la mesure où il n'a aucun droit de regard sur le budget spécial.

Cette spécificité apparaît directement liée à la multiplicité des pouvoirs du préfet de police . Interrogée à ce sujet, la préfecture de police justifie en effet l'absence de lien hiérarchique entre les deux autorités par le « large panel de compétences » du préfet de police - et plus spécifiquement par son statut de représentant de l'État. Le préfet de police étant au « même niveau que le préfet de zone de défense et de sécurité dans la zone, le préfet de région dans la région et le préfet de département dans le département », il ne saurait être placé sous l'autorité du directeur général de la police nationale, « à l'instar de tous les autres préfets territoriaux » 26 ( * ) .

À cet égard, le poste de préfet de police semble demeurer plus attractif que celui de directeur général de la police nationale. Ainsi, « lorsque le préfet Michel Gaudin, directeur général de la police nationale depuis 2002, est nommé préfet de police de 2007 à 2012, il s'agit d'une promotion » 27 ( * ) . La nomination de Pierre Verbrugghe en 1988 relève du même schéma.

La singularité de cette organisation apparaît d'autant plus marquée qu'elle ne connaît aucun équivalent en France et à l'étranger.

2. Une organisation policière sans équivalent en France et à l'étranger

En France, la volonté de mener « une action forte et coordonnée » 28 ( * ) en matière de sécurité intérieure dans les Bouches-du-Rhône a conduit en 2012 à la création d'un préfet de police de « plein exercice » , en remplacement du traditionnel préfet délégué pour la défense et la sécurité, rattaché au préfet de département.

Placé sous l'autorité directe du ministère de l'intérieur, il dispose de compétences propres , définies par les textes réglementaires et normalement dévolues au préfet de département 29 ( * ) . En particulier, il a la charge de l'ordre public dans le département des Bouches-du-Rhône. À ce titre, il a « autorité sur les forces de police et les unités de gendarmerie », « coordonne leur action » et assure certaines missions de police administrative concourant à la sécurité intérieure normalement dévolues au préfet de département 30 ( * ) .

Cette création contemporaine, dont les commentateurs n'ont pas manqué de souligner les points de convergence avec le modèle parisien 31 ( * ) , permet en réalité de mesurer à quel point ce dernier demeure singulier.

Tout d'abord, l'autorité du préfet de police des Bouches-du-Rhône sur les forces de police et de gendarmerie est relativement faible . En effet, son autorité est de nature fonctionnelle, et non hiérarchique. Le préfet de police des Bouches-du-Rhône ne dispose d'aucun pouvoir s'agissant des notations et des mutations des agents. Les différents directeurs continuent de dépendre hiérarchiquement de leur direction centrale. Leur autonomie est renforcée par leur périmètre d'intervention, aujourd'hui zonal, qui contraste avec celui de préfet de police, limité au seul département des Bouches-du-Rhône.

En outre, les compétences du préfet de police des Bouches-du-Rhône ne sont pas comparables avec celles de son homologue parisien . Sur le plan policier, il ne dispose pas d'une compétence générale mais de compétences d'attribution limitativement définies. En pratique, il ne cumule pas les pouvoirs d'un préfet et d'un maire. Sur le plan administratif, ses attributions sont quasi inexistantes, l'objectif étant de faire du préfet de police des Bouches du Rhône « un chef de la police à temps plein », concentré sur l'opérationnel. Aussi, il ne s'occupe pas de la délivrance des titres régaliens, de l'immobilier ou encore des ressources humaines, contrairement au préfet de police de Paris.

De ce fait, les effectifs directement placés sous l'autorité hiérarchique du préfet de police se limitent à une quarantaine d'agents - soit une structure se rapprochant d'un simple cabinet qui ne saurait être comparée avec la préfecture de police de Paris.

Un constat similaire peut être dressé s'agissant de l'organisation policière des capitales étrangères .

En l'espèce, les comparaisons internationales sont particulièrement intéressantes dans la mesure où le statut de capitale de la ville de Paris est régulièrement avancé dans le débat public pour justifier les particularismes de la préfecture de police.

À titre d'exemple, si le Conseil d'État a récemment jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les pouvoirs étendus du préfet de police en matière de circulation et de stationnement, c'est parce qu'il estimait que ces dispositions sont « justifiées par la situation particulière, au regard de la sécurité des personnes et des biens et du maintien de l'ordre public, de la capitale et de certains secteurs de son territoire, notamment en raison de la présence du siège des institutions de la République et des représentations diplomatiques » et ne peuvent donc être regardées comme « introduisant, entre la ville de Paris et les autres communes ou entre les habitants de la capitale, des différences de traitement contraires à la Constitution » 32 ( * ) .

Or, les comparaisons internationales s'accordent pour confirmer que, d'une part, l'organisation policière de nombreuses capitales étrangères ne présente aucun caractère dérogatoire et que, d'autre part, les particularismes, lorsqu'ils existent, n'ont pas l'ampleur de ceux observés à la préfecture de police.

Dès 1990, notre regretté collègue Lucien Lanier, rapporteur au nom de la commission des lois, relevait ainsi « qu'il résulte d'une étude effectuée par la cellule de législation comparée du service des affaires européennes du Sénat (...) que la situation extrêmement dérogatoire au droit commun qui est celle du maire de Paris en matière de police constitue une exception » 33 ( * ) .

Plus récemment, le professeur Olivier Renaudie indiquait en conclusion de son étude de droit comparé « qu'il n'existe pas d'institution équivalente à la préfecture de police » dans les principales capitales étrangères et que, parmi les capitales présentant un particularisme policier, « Paris est assurément celle qui, par le biais de la préfecture de police, présente l'originalité statutaire la plus prononcée » 34 ( * ) .

Typologie des principales capitales étrangères selon leur organisation policière

Absence de particularisme

Existence d'un régime spécifique

Périmètre restreint sur lequel l'État fédéral est compétent

Conditions de nomination dérogatoires du chef de la police

Pouvoirs étendus du chef de la police

Bruxelles

X

Berlin

X

Londres

X

X

Madrid

X

Tokyo

X

Washington

X

Source : commission des finances du Sénat (à partir des informations transmises par Olivier Renaudie à la suite de son audition)

Ainsi, même la comparaison avec la police métropolitaine de Londres, souvent avancée pour relativiser les particularismes de la préfecture de police de Paris 35 ( * ) , doit être nuancée dans la mesure où :

- la police métropolitaine exerce ses compétences sous la responsabilité d'une agence dirigée par le maire de Londres et majoritairement composée d'élus locaux (qui prépare et contrôle le budget et fixe les priorités ainsi que les objectifs des forces de police) 36 ( * ) ;

- les compétences de la police métropolitaine sont nettement moins étendues (à titre d'exemple, elles ne comprennent ni le secours et la défense contre l'incendie, ni le stationnement et la circulation) ;

- la police métropolitaine exerce ses compétences sur un territoire unique (le Grand Londres) ;

- le ressort territorial de la police métropolitaine ne recouvre pas l'ensemble de la ville de Londres (en raison du régime particulier prévu pour la City ) .

Finalement, il est loisible de se demander si la singularité de la préfecture de police ne tiendrait pas « avant tout à la persistance d'une conception de l'État (...) héritière d'un modèle d'administration marqué par l'importance accordée au centre » 37 ( * ) .

À cet égard, force est de constater que si la création de la fonction de maire de Londres par le Greater London Authority Act du 11 novembre 1999 a immédiatement conduit à une réforme d'ampleur de l'organisation policière de la capitale anglaise visant à circonscrire ses particularismes, tel n'a pas été le cas à Paris.


* 23 Olivier Renaudie, La préfecture de police , précité, p. 390-392.

* 24 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France. De l'ancien régime à nos jours , précité, p. 87.

* 25 Loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale.

* 26 Réponses au questionnaire adressé à la préfecture de police.

* 27 Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France. De l'ancien régime à nos jours , précité, p. 59.

* 28 Discours de Manuel Valls, Premier ministre, sur la sécurité à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, 9 février 2015.

* 29 Cf. décret n° 2012-1151 du 15 octobre 2012 relatif à l'organisation et à l'action des services de l'État dans le département des Bouches-du-Rhône et décret n° 2014-134 du 17 février 2014 relatif à l'organisation des services de l'État dans le département des Bouches-du-Rhône et aux attributions du préfet de police des Bouches-du-Rhône.

* 30 Article 78-3 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements.

* 31 Cf. pour un exemple : Maryline Baumard, Laurent Borredon et Sylvia Zappi, « Marseille disposera d'un préfet de police de plein exercice », Le Monde, 7 septembre 2012.

* 32 Conseil d'État, 5 e sous-section jugeant seule, 10 octobre 2013, 370154.

* 33 Rapport n° 258 (1989-19990) de Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi relative à l'exercice du pouvoir de police municipale à Paris, p. 24-25.

* 34 Olivier Renaudie, La préfecture de police , précité, p. 467-468.

* 35 Au cours de l'examen en séance publique, le 21 mai 2015, de la proposition de loi précitée tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police, Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, observait ainsi qu'à Londres, « les missions de la Metropolitan police sont très similaires à celles de la préfecture de police, et le responsable est nommé par le pouvoir central ». De ce fait, elle concluait qu'en « aucun cas la France n'est donc isolée dans sa conception de la sécurité au sein de sa capitale ».

* 36 Simon Bacik, Timothée Delacote, Gaëlle Galand, Mayeul Places, Aude Le Rest et Nicolas Salvagno, « La métropole du Grand Londres », Étude commanditée par la mission de préfiguration de la Métropole du Grand Paris, Institut national des études territoriales, novembre 2015, p. 44.

* 37 Olivier Renaudie, La préfecture de police , précité, p. 468.

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