EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L'OPECST DU 28 JUIN 2016 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS RELATIVES À L'AUDITION PUBLIQUE DU 7 AVRIL 2016 SUR LES MALADIES À TRANSMISSION VECTORIELLE

M. François Commeinhes, sénateur . - Le 7 avril 2016, l'OPECST a organisé une après-midi d'audition publique sur les maladies à transmission vectorielle à la suite d'une demande que j'avais formulée auprès du Bureau de l'Office. Cette audition a réuni près d'une trentaine d'intervenants qui ont versé au débat des contributions d'une grande qualité relatives à la prolifération de tous les vecteurs, des moustiques en particulier, et sur les dangers sanitaires qu'ils représentent.

Je rappelle que la recrudescence de la présence de vecteurs a pris une ampleur inquiétante pour la santé, la vie quotidienne et le tourisme. C'est ainsi que l'épidémie causée par le virus Zika est présente dans tous les esprits et que les zones géographiques où elle apparaît s'étendent.

Si la priorité va évidemment aux questions de santé, il n'est cependant pas envisageable non plus que ces insectes rendent la vie impossible aux habitants de certaines régions françaises, qu'elles soient métropolitaines ou d'outre-mer. C'est le cas également pour les touristes qui trouvent actuellement dans nos régions à moustiques la même situation qu'il y a cinquante ans, c'est-à-dire celle d'avant la démoustication de masse qui a permis de jeter les bases de l'industrie touristique. Mais l'extension des zones de présence des tiques est également préoccupante.

Même si l'OPECST ne pouvait, en une après-midi d'audition publique, trouver des solutions pratiques à un problème d'une telle ampleur, la contribution de l'Office, avait pour ambition d'appréhender le maximum d'aspects de cette question avec l'aide, indispensable, des meilleurs spécialistes. Il a été rappelé que différents types de vecteurs existent : les anophèles, les phlébotomes, les tiques, les moustiques susceptibles de transmettre des maladies aussi graves et invalidantes que le paludisme, la filariose, les leishmanioses de plusieurs types, différents flavovirus, mais également le chikungunya, la dengue, le Zika et des fièvres comme le West Nile , la fièvre jaune ou encore celle de la vallée du Rift.

Comme à son habitude, l'OPECST a mis à profit cette audition publique pour appréhender tous les aspects scientifiques et technologiques des maladies à transmission vectorielle à travers une approche rigoureuse et aussi complète que possible : toutes les maladies, tous les vecteurs, tous les milieux.

L'audition a ainsi permis de faire émerger des pistes de solutions concrètes - qu'elles soient ou non d'ordre législatif.

Ni le 7 avril ni aujourd'hui, il n'est possible de tirer une conclusion définitive de l'audition publique menée par l'Office. Néanmoins, l'adoption du compte rendu de cette audition aujourd'hui, dans un contexte national et international confirmant les risques et dangers des maladies à vecteurs depuis le jour de l'audition, permettra de diffuser ce point de connaissances multiples résultant de la richesse des propos des intervenants.

Cette audition n'est qu'une phase provisoire qui s'inscrit dans un processus où nombre d'acteurs institutionnels ou privés ont leur rôle à jouer pour que la connaissance des risques et dangers des maladies à transmission vectorielle, encore trop lacunaire à ce jour, permette une lutte plus efficace.

Comment vivre du mieux possible avec les vecteurs ? Où placer les limites entre les précautions et mesures d'intervention efficaces et raisonnables et celles qui constitueraient, en elles-mêmes, une atteinte excessive à la santé ou à la qualité des milieux ?

Cette audition a d'abord permis de mieux cerner le phénomène des arboviroses, de prendre conscience de la difficulté et du rythme des solutions à apporter, et des méthodologies, nouvelles ou éprouvées, auxquelles il faudra recourir pour limiter ou endiguer ce phénomène.

Les conclusions présentées à l'Office s'articulent de la manière suivante : après l'énoncé de quelques informations indispensables, mais pas forcément très connues, sur les vecteurs, seront rappelées les questions qui se posaient à tout un chacun avant l'audition publique avec, en réponse, les principaux éléments d'information tirés de l'audition.

Cette mise en regard montrera que certaines questions étaient mal posées, que des problèmes non perçus sont parfois prépondérants mais, également, qu'une palette de solutions peut être mise en oeuvre.

À ce stade, je crois nécessaire de rappeler quelques faits indispensables pour entrevoir la complexité des vecteurs : il existe près de trois mille cinq cents espèces de moustiques dont soixante en France et quarante sur le littoral méditerranéen et il a été dénombré deux cents espèces de tiques molles et sept cents espèces de tiques dures.

C'est le moustique femelle qui pique.

La prolifération du moustique tigre est grandement aidée par la multiplication des petits gîtes larvaires artificiels créés par l'homme qui se plaint de cette prolifération.

Dans ce contexte, quelles sont les principales questions posées par les maladies à transmission vectorielle ?

Avant l'audition publique, certaines évidences semblaient s'imposer comme :

- la prolifération du moustique tigre dans le Sud de la France provenait du réchauffement lié aux changements climatiques ;

- le déplacement des zones d'habitat était surtout spectaculaire pour le moustique tigre ;

- des démoustications par des biocides moins offensifs que l'ancien DDT étaient possibles ;

- des dérogations favorables aux épandages de biocides étaient envisageables ;

- l es liens de causalité entre la piqûre de moustique et des maladies étaient déjà scientifiquement établis ; le virus Zika transmettant la microcéphalie, le syndrome de Guillain-Barré ou encore des complications neurologiques ;

- il n'existait pas de transmission sexuelle des arboviroses .

À ces six principales questions, les intervenants de l'audition publique ont apporté des réponses conduisant à largement nuancer ces six certitudes :

- La prolifération du moustique tigre dans le Sud de la France ne provient pas du réchauffement lié aux changements climatiques mais constitue une retombée de la mondialisation des échanges de personnes et de biens . Par exemple, les importations de pneus usés, le recours massif au transport par containers, les passagers du transport aérien... Tout cela entraîne des cas d'arbovirus importés.

De plus, les moustiques vivent très bien en pays tempéré voire en pays tempéré froid ; en réalité, plus que les changements climatiques, c'est la destruction des forêts qui peut avoir un impact sur l'extension de la présence de moustiques ; de même, plutôt que les changements climatiques, les retours de vacances lointaines voire l'organisation de Jeux olympiques , ici ou là, constituent des accélérateurs de la prolifération des vecteurs de maladies.

- La modification des zones d'habitat ne concerne pas seulement le moustique tigre mais tous les moustiques et aussi les tiques - de plus en plus présentes dans l'Est de la France.

- L'extension de la résistance des moustiques aux insecticides et les effets de ces biocides sur la santé humaine et l'environnement doivent être pris en compte de manière prioritaire avant de pouvoir envisager des campagnes massives de démoustication. Une forte résistance des moustiques aux insecticides existe en particulier dans les départements français d'Amérique.

- Parallèlement, la gamme des insecticides utilisables se restreint grandement et il s'agit moins de dérogation juridique à obtenir que de problèmes pratiques de santé publique à surmonter.

- Les liens de causalité entre un vecteur et une affection particulière ne sont pas établis de manière aussi certaine que le relatent les médias.

- Contrairement à ce qui a été longtemps admis, certaines arboviroses semblent se transmettre par voie sexuelle . La transmission sexuelle du virus Zika est maintenant fortement suspectée.

En complément de ces éclaircissements, certaines questions moins médiatisées n'avaient pas été entrevues avant l'organisation de l'audition publique et, de plus, d'autres problématiques émergent.

À noter tout d'abord à nouveau , l'expansion mondiale actuelle des arbovirus et celle des tiques.

Arrivé en 2004 dans les Alpes-Maritimes, le moustique tigre est maintenant présent dans trente départements dont ceux de l'Alsace et du Val-de-Marne. De petites épidémies d'arboviroses ont eu lieu dans le Sud de la France.

L'augmentation des cervidés conjuguée à la baisse des populations de lynx et de loups a entraîné l'augmentation des tiques qui se sont déplacées vers l'Est de la France.

Si la forêt tropicale a toujours regorgé de nombreux virus, désormais, en raison de la déforestation, l'émergence de nouveaux virus peut être redoutée.

La recherche en matière de produits biocides n'est pas aussi dynamique que souhaitable car, pour ces produits, le marché est restreint et donc peu rentable . D'autant que les entreprises qui s'y intéressent ne sont pas susceptibles de recevoir l'aide octroyée aux investissements d'avenir.

Au fil des ans, une seule substance biocide a fini par être considérée comme utilisable, à savoir la deltaméthrine , ce qui restreint l'efficacité de la lutte contre les vecteurs qui développent une accoutumance.

Par ailleurs, la lourdeur et la lenteur du système de financement de la recherche ne sont pas adaptées aux délais très courts de réaction nécessaire en matière de crise sanitaire.

Très peu de médicaments existent contre les arboviroses et aucun vaccin sauf celui contre la fièvre jaune.

Un des moyens de lutte contre la prolifération des anophèles a été la production d'enzymes de détoxication mais cela a favorisé l'adaptation de ces vecteurs au milieu urbain.

Les moustiques adaptent leurs comportements pour déjouer les protections offertes aux personnes par les moustiquaires imprégnées d'insecticides.

Pour affronter ces divers problèmes, quelques solutions réalistes sont recherchées.

Au cours de cette audition publique de bonnes nouvelles ont aussi été enregistrées comme celle de la possibilité de l'élimination du paludisme qui serait envisageable à l'horizon de vingt à trente ans.

De même, il existe de nombreuses méthodes, à utiliser seules ou de manière combinées, tendant à la réduction des populations de vecteurs : la lutte mécanique (barrière de pièges), la lutte insecticide (par la démoustication, l'usage de moustiquaires imprégnées d'insecticides, l'étalement de répulsifs sur la peau), la lutte biologique (incluant la diminution de la durée de vie des vecteurs, leur modification génétique, le recours à des antibiotiques, à des larvicides, à des adulticides).

En outre, d'autres pistes résulteraient de :

- l'existence dans la durée et dans l'ensemble du monde de compétences d'entomologistes ;

- l'accentuation des efforts de veille en raison de virus émergents ;

- l'inscription des crises sanitaires parmi les autres crises : selon la voie tracée par la plate-forme (alliance REACting Aviesan) ;

- l'indispensable augmentation du nombre de lits de soins intensifs puisque, par exemple, un mois d'hospitalisation est nécessaire en cas de syndrome de Guillain-Barré ;

- l'intensification des recherches en sciences humaines et sociales ;

- la cartographie des zones à risques ;

- l'information du grand public sur le risque acariologique ;

- la modification des comportements humains grâce à la mobilisation du plus grand nombre ; les petits gestes du quotidiens ;

- l'autodissémination par les vecteurs eux-mêmes ;

- la limitation de la résistance des vecteurs à la deltaméthrine ;

- la découverte d'une alternative au Bti ;

- le suivi des femmes enceintes ;

- la surveillance épidémiologique renforcée des cas suspects ;

- la vaccination ;

- la multiplication des contacts entre les élus et des spécialistes des maladies à transmission vectorielle.

Compte tenu des observations précédentes, j'ai l'honneur de proposer à l'Office l'adoption du compte rendu et des conclusions de l'audition publique de l'Office relative aux maladies à transmission vectorielle et l'autorisation de sa publication.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST. - Merci. Y a-t-il des questions ou des commentaires ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'OPECST . - Une précision déjà sur la demande de publication qui vient d'être formulée : s'agit-il de la publication de l'ensemble du dossier ou seulement de celle de la synthèse, très intéressante, qui vient d'être présentée à l'instant ?

M. François Commeinhes . - La publication comprendra l'ensemble dont le compte rendu intégral de l'audition publique.

Mme Catherine Procaccia . - Parce que, à mes yeux, l'audition elle-même, à laquelle j'ai tenté d'assister un peu, était trop dense, avec trop d'intervenants ; elle a été trop longue alors que la synthèse qui vient d'être faite est intéressante ; il est possible d'en tirer quelque chose.

Je voudrais également poser une question sur la dégradation de la situation. Est-ce qu'il y a vraiment, en France, maintenant, autant de moustiques que dans les années 1950 ?

M. François Commeinhes . - Il y a cinquante ans, la mission Racine s'est développée pour réaliser des stations balnéaires sur la côte méditerranéenne dans des zones infréquentables infestées de moustiques. À l'époque, il y a eu démoustication par le DDT et les moustiques ont disparu ; les stations balnéaires se sont créées. Aujourd'hui, cinquante ans après, les stations balnéaires sont là, les touristes aussi mais ils sont sur le point de repartir parce que cela devient invivable et infréquentable, le soir, à partir de dix-huit heures.

De plus, des produits autorisés à l'époque ne le sont plus de nos jours et il n'y a plus d'insecticides vraiment efficaces puisque les moustiques sont capables de muter en vingt-cinq jours pour s'adapter à ces produits ; c'est une course permanente. Si on rate une phase d'un traitement pouvant avoir un effet sur les larves, après on est dévoré par les moustiques tout l'été.

Mme Catherine Procaccia . - Ma seconde question porte sur la vaccination contre la fièvre jaune qu'il fallait renouveler tous les cinq ans. Maintenant, ce serait seulement tous les dix ou quinze ans. Cela signifie-t-il que ce vaccin est devenu plus efficace ?

M. François Commeinhes . - À ma connaissance, le vaccin est toujours le même mais une seule vaccination apparaît désormais suffisante. A une époque j'allais régulièrement effectuer des remplacements de médecins généralistes sur les pétroliers pour procéder à la vaccination des navigateurs contre la fièvre jaune et autres maladies, il s'agissait de protéger des personnes risquant des contaminations fréquentes.

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l'OPECST . - Le vaccin est toujours le même dans ses grandes lignes, même s'il a été légèrement perfectionné, mais les études ont montré la présence d'une immunité plus durable que ce qui avait été anticipé. C'est une bonne immunité mais insuffisante pour les personnes qui auraient un déficit immunitaire au départ. En revanche, pour les personnes d'âge moyen et d'une immunité normale, la durée d'efficacité du vaccin est plus longue que prévu.

On espère qu'il en sera de même pour la dengue, d'autant plus qu'il paraît possible de coupler les deux vaccinations contre la dengue et le virus Zika puisque, maintenant, on sait qu'un même mécanisme immunitaire peut protéger contre les deux, qui appartiennent à la même famille de virus. Donc, là aussi, une seule vaccination protégerait contre les deux et on espère que ce serait de manière suffisamment durable pour ne pas refaire des campagnes de vaccination trop fréquentes dans les pays infestés.

Pour la France, où les cas de dengue ou de Zika en métropole se comptent encore sur les doigts d'une main, une question se pose : à partir de quel seuil faudra-t-il envisager une vaccination de masse ? Une des préoccupations des scientifiques présents à l'audition était de savoir s'il pouvait y avoir transmission sexuelle de ces virus et donc un risque dans nos régions sans même attendre que ce moustique prenne l'avion.

M. Bruno Sido, sénateur, vice-président de l'OPECST . - Nous sommes amenés, les uns et les autres, à voter des lois sur la protection de l'environnement et sur l'interdiction de certains produits. Cela faisait longtemps qu'on avait interdit le DDT lorsqu'on a trouvé du DDT dans la graisse des phoques. On nous dit aujourd'hui qu'il faut manger du thon mais pas plus de deux fois par an puisqu'il est en bout de la chaîne alimentaire et qu'il accumule dans sa chair tous les métaux.

Dans le cadre de la loi du Grenelle de l'environnement, dont j'avais l'honneur d'être rapporteur, j'avais fait accepter que la loi dise que tous les traitements aériens étaient interdits à l'exception, par exemple, du traitement contre la chenille processionnaire du pin car, si vous ne prenez pas un hélicoptère ou un avion pour traiter, tous les pins meurent. Il est donc utile de prévoir des exceptions dans la loi.

On s'aperçoit, avec tes conclusions sur l'audition publique qui sont très bonnes et dont je te remercie -  je t'avais déjà écouté avec beaucoup d'intérêt quand tu étais venu me voir pour me suggérer cette audition - que, dans d'autres domaines, par exemple, on utilise des matières actives interdites de plus en plus en agriculture comme, par exemple, le glyphosate. Dans le même temps, il est recommandé de ne pas labourer pour diverses raisons.

Avec la conjonction de ces divers éléments, on arrive maintenant à des impossibilités et je me pose la question de savoir s'il ne faudrait pas que l'Office, un jour, soit saisi pour se pencher sur ces questions afin de parvenir à analyser le rapport entre les services rendus et les problèmes réels liés à l'interdiction d'un certain nombre de produits. Il ne faudrait pas arriver, à un moment donné, à un certain déséquilibre où les hommes mourront tandis que la nature se portera mieux. Cela recoupe d'ailleurs ce que tu m'avais dit ou suggéré.

Il est anormal que, dans le midi de la France hier, maintenant en Alsace et demain à Paris, dès six heures du soir, il faille rentrer chez soi s'enfermer pour éviter les piqûres de moustiques.

Ne pourrait-on réfléchir à cette question très en amont par rapport au problème ? Ceux qui ont été piqués par le moustique tigre souffrent. En exagérant mon propos, ne sera-t-on pas obligé de revenir au DDT ?

M. Roland Courteau, sénateur, vice-président de l'OPECST . - Pour confirmer les propos de M. François Commeinhes, il y a cinquante ou soixante ans, dans des régions comme la nôtre, le Languedoc-Roussillon, c'était l'enfer. Les rares touristes fuyaient les moustiques et les vendangeurs avaient toutes les peines du monde à effectuer leurs travaux. J'ai même connu des périodes où les viticulteurs payaient journée double pour recruter des vendangeurs car on n'en trouvait pas, tellement c'était infernal.

Puis l'entente interdépartementale pour la démoustication a dû traiter pour faire reculer ce véritable fléau ; les moustiques ont reculé et les touristes sont revenus.

Aujourd'hui, effectivement, on assiste à un retour de la prolifération des moustiques et les touristes en sont très affectés ; des menaces pèsent sur le tourisme dans nos régions mais les habitants eux-mêmes sont obligés de se doter de moustiquaires dans toutes les habitations alors que ces accessoires avaient disparu durant des décennies.

Sur tous ces points, je rejoins les sénateurs Bruno Sido et François Commeinhes, un vrai problème existe.

Je voudrais faire une remarque également sur le virus Zika car j'ai lu dans une revue que des chercheurs européens avaient découvert de puissants anticorps susceptibles de le neutraliser et pensaient aboutir à la fabrication d'un vaccin. Ce qui m'a étonné, c'est que ces mêmes anticorps seraient capables de neutraliser également le virus de la dengue. Il y a là de grands espoirs d'éviter que le virus Zika ne provoque des lésions cérébrales, notamment chez le foetus.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, membre de l'OPECST . - L'impact du réchauffement climatique a-t-il été établi sur la prolifération de certaines espèces porteuses de virus ? Par exemple, celle du moustique tigre dans le Sud de la France proviendrait-elle plutôt du brassage des populations que du réchauffement climatique ?

M. François Commeinhes . - D'après les scientifiques, le réchauffement climatique n'y est pour rien. En revanche, les flux de population, les flux de marchandises peuvent induire le transport de petites quantités d'eau dans lesquelles il peut se trouver des larves de moustiques provenant de Thaïlande, du Brésil ou d'ailleurs.

M. Bruno Sido . - Sur ce point très précis, il faut interroger les botanistes et les entomologistes qui constatent que le même insecte ou la même plante remontent vers le nord de la France - et ce phénomène s'observe dans le monde entier - depuis la zone méditerranéenne, de dix ou vingt kilomètres par an, ce qui est énorme ; donc, effectivement, on aura les problèmes des maladies transmises par ces vecteurs, demain, à Paris et, après-demain, à Lille.

M. François Commeinhes . - Je vais vous donner l'exemple d'un impact du réchauffement climatique : dans notre région, on commence à voir des perroquets ou des espèces de grosses perruches comme il s'en trouve dans les arbres des ramblas à Barcelone. Ces bestioles-là peuvent être transporteuses de tiques, de moustiques ou de parasites.

M. Patrick Abate, sénateur, membre de l'OPECST. - Je ne veux pas apparaître trop pessimiste mais on fait référence à la démoustication et aux opérations effectuées, il y a une cinquantaine ou une soixantaine d'années, à des endroits bien précis pour développer le tourisme puisqu'il était absolument impossible d'imaginer ce développement sans démoustiquer. Mais si l'on se démunit de toute possibilité d'intervention, à un moment donné, c'est nous qui allons mourir.

Mais, en même temps, on est bien conscient, si j'ai bien compris, que l'on n'est plus du tout en face du même phénomène consistant à combattre les moustiques, qui seraient les dominants dans un endroit donné, pour que l'homme puisse s'y installer. Aujourd'hui, les choses ont changé et, du fait de la mondialisation des échanges et des hommes, nous sommes dans une situation où les moustiques viennent ici. Dans ces conditions, il faudrait épandre des insecticides à chaque vol d'avion, à chaque transport de marchandises par bateau. Il faudra sûrement avoir l'intelligence collective d'aborder ce problème autrement qu'avec les méthodes et les outils que l'on a connus dans le passé. Le parallèle ne peut pas tout à fait être établi entre la démoustication d'il y a cinquante ans et la situation d'aujourd'hui.

M. François Commeinhes . - La différence avec la situation d'il y a cinquante ans c'est que, à l'époque, il n'y avait pas de transmission, pas de problèmes sanitaires. Il y avait des moustiques qui piquaient, un point c'est tout. Il n'y avait pas de cas de dengue, de chikungunya, de syndrome de Guillain-Barré, de Zika alors que, actuellement, ce sont des pathologies que l'on voit chez nous régulièrement, qui ont été transmises localement et non contractées dans des pays d'outre-mer. Il s'agit d'un problème sanitaire. Et l'on commence à être confronté, dans les services hospitaliers universitaires, à des hospitalisations de plus en plus fréquentes. Il faut donc revoir l'approche du problème : avant, il s'agissait d'une question de confort et, maintenant, il s'agit d'une question sanitaire. Il importe de mesurer les avantages et les risques pour chaque département.

Mme Dominique Gillot, sénatrice, membre de l'OPECST . - Pourquoi, il y a cinquante ans, les moustiques n'étaient-ils perçus que comme désagréables et non comme vecteurs de maladie ? N'est-ce pas parce que, à cette époque, l'épidémiologie ne permettait pas de dépister les maladies dont ils étaient les vecteurs ? De nos jours, avec la mobilité des populations et celle des animaux, des moustiques nouveaux sont arrivés et vous disiez que, avec la déforestation, il y a aussi d'autres vecteurs qui peuvent intervenir.

Je voudrais vous citer les travaux qui ont été menés au Sénat dans le cadre de la délégation à la prospective sur les maladies infectieuses émergentes liées justement, dans les pays du Sud, à la déforestation. Les conclusions des scientifiques à cet égard étaient très inquiétantes. Non seulement les virus ne sont plus cantonnés dans les forêts mais ils entrent en contact avec les populations locales ; ces populations se déplaçant, des vecteurs peuvent amener ces virus chez nous. Il y a donc une stratégie de prévention, d'information et de traitement des maladies liées à ces bactéries ou ces virus qui est à l'étude aujourd'hui ; c'est vraiment quelque chose de très sérieux.

M. Bruno Sido. - Je l'ai lu mais ne l'ai pas vérifié, pardonnez-moi. Mais en 1939-1940, il y a eu une épidémie de malaria à Paris. Pourquoi ? Déjà, tout simplement parce qu'il avait peut-être fait plutôt chaud mais, surtout, du fait d'un brassage de populations et de soldats impaludés qui étaient arrivés à Paris. Le problème est que, avec le brassage actuel des populations, les maladies vont partout, et singulièrement dans le Sud de la France.

M. Gilbert Barbier, sénateur, membre de l'OPECST . - Au-delà de la gêne que le fait d'être piqué par les moustiques peut représenter, notamment pour les touristes, connaît-on le nombre de cas de maladies recensés dans le Sud de la France ? Existe-t-il un recensement dans l'étude qui nous est présentée du nombre de cas de syndrome de Guillain-Barré, de dengue ou autre dans les hôpitaux ?

M. François Commeinhes . - Les services hospitaliers disent qu'il y a une recrudescence du syndrome de Guillain-Barré. Pour les cas de dengue, je crois que, au CHU de Montpellier, par exemple, il y a une soixantaine de cas par an alors que, avant, il n'y en avait jamais.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Merci à tous pour ces réflexions, je voudrais juste ajouter deux mots. Premièrement, le nombre d'interventions montre bien que ce sujet intéresse car presque tous les collègues présents ont pris la parole.

Deuxièmement, la mondialisation des échanges et des hommes entraîne une mondialisation des moustiques. Des espèces, qui n'étaient pas présentes à un moment donné, peuvent s'implanter en venant d'autres parties du monde. C'était le cas, sans doute, pendant la guerre, quand il y avait un brassage des populations, et c'est encore plus le cas aujourd'hui. De plus, comme les températures sont un petit peu plus élevées, moins de moustiques, moins de larves meurent en hiver et, donc, ces larves se maintiennent sur le territoire en des lieux où ces moustiques ne proliféraient pas antérieurement.

En cet instant, j'ai envie d'émettre une proposition, une sorte de testament, dans la mesure où notre collègue François Commeinhes n'a pas envisagé de conduire une étude au-delà de l'audition publique du 7 avril 2016. Cette audition a été très intéressante ; elle a permis de faire le point sur la situation mais a montré que beaucoup de questions restent pendantes. Ainsi que le préconisait tout à l'heure notre premier vice-président, Bruno Sido, je pense qu'il serait intéressant d'approfondir ces questions.

Comme une étude dure au moins une année, l'année prochaine ce ne seront plus les mêmes membres de l'Office qui seront autour de cette table. Mon testament consisterait à dire que ce sujet mérite quand même une étude plus poussée sur plusieurs points, dont ceux-ci : de quels moyens de lutte disposons-nous contre les maladies transmises par les moustiques ? Il existe déjà nombre de moyens de lutte mécanique mis en place avec le drainage, l'assainissement, le curage des rivières, des mares ou le recours à des moustiquaires.

Mais on a vu que les moustiques s'adaptent, aujourd'hui, aux produits qui imprègnent les moustiquaires et piquent plus tôt dans la journée. Ce qui veut dire que le moustique, au lieu de commencer à piquer vers vingt-et-une heures, pique maintenant dès dix-sept heures, lorsque vous n'êtes pas sous la moustiquaire. Par ailleurs, il faudrait être capable de mesurer les résistances aux moyens insecticides.

Les autres stratégies sont des moyens de lutte biologique, soit avec des agents pathogènes et des bactéries, et notamment celles du groupe des Wolbachia qui vont attaquer les moustiques.

En outre, il existe tous les moyens des biotechnologies. Avec Mme Catherine Procaccia, nous sommes allés aux États-Unis, à San Diego, dans un laboratoire qui travaille sur ce sujet (Gendrive) et qui a été capable d'introduire un gène de stérilité chez un moustique ou encore un autre gène qui peut, par exemple, empêcher, à un moment donné, un antibiotique d'agir ou, au contraire, le rendre efficace. Toutes sortes de gènes sont utiles dans cette lutte. Grâce au forçage de gène, pour le mettre sur les deux éléments de la paire de chromosomes d'un moustique initial, de façon qu'il soit transmis à la génération suivante, il devient possible que le gène d'intérêt aille automatiquement, par un système de copie, se mettre sur l'autre chromosome. Ce qui signifie que les moustiques vont transmettre une information donnée, qui peut être une information de stérilité, ou une information qui permet de lutter contre certaines maladies.

C'est déjà mis au point et cela pose beaucoup de problèmes. En effet, peut-on se permettre d'éteindre complètement des espèces au nom de la santé humaine ? Sans pouvoir répondre, aujourd'hui, à ce type de questions évoquées par le Président Sido, je pense qu'il serait possible de proposer, en félicitant d'abord les sénateurs Roland Courteau et François Commeinhes qui ont animé les tables rondes de l'audition publique, qu'une étude plus complète de toutes ces questions puisse constituer un futur sujet d'étude de l'Office après le renouvellement de ses membres l'an prochain.

Je mets donc aux voix les conclusions de l'audition publique du 7 avril 2016. Elles sont adoptées à l'unanimité.

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