II. ALERTE ET POINT SUR L'ÉVOLUTION DE LA SITUATION EN FRANCE ET DANS LE MONDE

1. M. Jean-Claude Manuguerra, directeur, Cellule d'intervention biologique d'urgence (CIBU), Institut Pasteur/OMS - « 2016 : l'alerte Zika dans le monde »

J'ai commencé à travailler sur Zika en 2012, un peu par hasard, dans le cadre d'une étude sur la diversité des arbovirus conduite en collaboration avec l'Institut Pasteur de Bangui en République centrafricaine. Je regardais ce virus comme une curiosité de virologiste. Il existe de très nombreux virus portant des noms souvent exotiques. Nous étions amusés de détecter le virus Zika parmi de nouvelles espèces d' aedes . La question de l'insertion de Zika dans le panel des antigènes viraux détectés s'est même posée.

Cette première alerte était restée lettre morte. Il s'agissait tout de même d'un tournant : soixante ans après la détection du virus Zika, près du lac Victoria, 99 cas confirmés et 900 cas probables étaient dénombrés ! Ce virus semble aujourd'hui particulier mais les effets rares n'apparaissent que lorsque le nombre de cas est important. Cette première alerte est donc passée relativement inaperçue.

La séquence suivante fut la traversée de l'océan Pacifique vers la Polynésie française, où sont apparus les premiers effets rares tels que le syndrome de Guillain-Barré. Nous n'avons pas vu de cas de microcéphalie. Des études ont été lancées et leurs premiers résultats ont été publiés deux ans plus tard.

La deuxième alerte a eu lieu avec l'arrivée du virus en Amérique du Sud - d'abord au Brésil -, générant une explosion du nombre de cas. L'alerte est devenue mondiale lorsque l'OMS a déclaré que cette épidémie était un phénomène de santé publique de portée internationale, en février 2016. Nous ne savons pas très bien ce que cela va donner.

Nous nous demandons, au vu notamment des méthodes de diagnostic chez l'homme, sur quel virus nous devons nous concentrer afin de développer des tests de diagnostic. Il existe des arbovirus. Il y a eu H1N1, puis Ébola, qui nous ont beaucoup occupés. En l'absence de malades et de prélèvements, on ne peut effectuer la validation clinique de ces outils. Les équipes qui développent des vaccins sont confrontées au même problème.

Une autre question demeure ouverte : le virus Zika va-t-il devenir contagieux ? En d'autres termes, s'affranchira-t-il de son mode de transmission par des arthropodes ? On le retrouve dans le liquide séminal mais aussi, de façon plus durable que dans le sang, dans la salive ou dans l'urine. Il ne faut sans doute pas trop s'inquiéter mais la question reste ouverte.

2. Mme Sylvie Quelet, directrice, Département des maladies infectieuses, Institut national de veille sanitaire (InVS) - « Rôle de l'Institut national de veille sanitaire »

J'ai pris la liberté d'élargir le thème que vous m'avez confié en choisissant d'évoquer le rôle de la future Agence nationale de la santé publique. C'est dans ce cadre que s'inscrit la surveillance du virus Zika.

L'Agence nationale de la santé publique, qui sera inaugurée le 3 mai 2016, est inscrite dans la loi de santé adoptée en janvier 2016. Elle résulte de la fusion de quatre entités : l'InVS, l'Inpes, l'Eprus et le GIP Atalis (service de téléphonie santé, qui englobe notamment Tabac Info Service). Les missions de ces quatre structures sont maintenues et l'objectif est d'assurer un continuum entre la veille, l'alerte, la surveillance et l'action en santé publique. C'est ce que nous avons essayé de mettre en oeuvre, notamment pour le virus Zika. L'objectif est d'améliorer la sécurité sanitaire à travers une approche populationnelle et un ancrage résolument régional, permis par nos dix-sept Cire, c'est-à-dire nos antennes régionales.

Cette Agence a pour mission de surveiller les maladies infectieuses et de détecter les émergences en lien avec tous nos partenaires du réseau national de santé publique (ARS, médecins, biologistes, centres nationaux de référence), ce qui passe par le recueil et l'analyse des signaux. Nous participons à la surveillance européenne, aux réseaux d'alerte européens et internationaux, en lien avec le CDC de l'OMS. L'objectif principal sera de se préparer afin d'alerter les pouvoirs publics et les agences sanitaires de menaces éventuelles pour la santé publique et d'aider à la décision des pouvoirs publics et à la gestion de crise, avec l'évaluation du risque et des impacts sanitaires, l'évaluation des actions et des stratégies de réponse et la formulation de recommandations appropriées. Enfin, nos épidémiologistes participent à des missions d'expertise.

Ces résultats de surveillance sont communiqués aux autorités sanitaires, aux professionnels de santé et au grand public. Nous avons aussi pour mission de développer des stratégies de prévention et d'éducation pour la santé et des outils de communication. L'Agence prendra à son compte le rôle de l'Eprus aujourd'hui, à savoir apporter des renforts afin d'éviter que ne se développent des situations de crise.

Dans le cas du virus Zika, la surveillance a débuté dès l'émergence du virus au Brésil en s'appuyant sur le dispositif mis en place pour la surveillance du virus chikungunya et de la dengue, avec une surveillance régionale qui repose sur les ARS, les Cire, les médecins, les biologistes et une surveillance nationale reposant sur l'action coordonnée de la Direction générale de la santé (DGS), de l'InVS et du Centre national de référence des arboviroses. Cette situation est adaptée à la situation épidémiologique et entomologique. Elle tient compte de la présence et de l'activité du vecteur. Elle est évolutive en fonction de la phase de l'épidémie avec, tout d'abord, la détection et la confirmation biologique de chaque cas en phase d'introduction et d'émergence. Puis, dès que l'on passe en phase épidémique, elle repose sur la surveillance et la remontée des cas cliniquement évocateurs. Dans le cas du virus Zika, nous surveillons particulièrement les formes graves et inhabituelles.

S'agissant de la surveillance des cas graves, notamment des syndromes de Guillain-Barré, nous surveillons particulièrement les admissions en réanimation afin de pouvoir intervenir sur la mise en tension des systèmes de réanimation, en lien avec les médecins hospitaliers. Le nombre attendu de cas de syndromes de Guillain-Barré et d'admissions en réanimation ont pu être anticipés, en liaison avec l'équipe de modélisation de l'Institut Pasteur.

Les femmes enceintes, notamment celles qui ont été infectées par le virus Zika, sont l'objet d'un suivi attentif et adapté. Nous suivons aussi les issues de grossesse et les anomalies congénitales, en lien avec les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), avec lesquels un protocole a été élaboré, et le registre des malformations congénitales. Il faut souligner le lien fort qui existe entre l'InVS et l'Agence en général, d'une part, et avec le Centre national de référence des arboviroses et son réseau de laboratoires, d'autre part, sans lequel la surveillance ne serait pas aussi efficace.

Nous avons un groupe d'expertise interne qui regroupe l'ensemble des épidémiologistes impactés par cette surveillance. Il a pour mission d'assurer une veille bibliographique et d'adapter le dispositif de surveillance à la situation internationale et nationale. Les experts de l'InVS ont participé à l'expertise nationale et notamment aux cinq groupes du Haut Conseil. Nous participons également à la cellule d'aide à la décision de l'ANSM pour l'évaluation du risque transfusionnel ainsi que celle du risque lié à l'assistance médicale à la procréation. Au plan européen, nous avons contribué aux analyses de risque, notamment au risk assessment et à la stratégie de réponse. Une réunion européenne, organisée par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (CEPCM ou ECDE), se tient à ce sujet dans les locaux de l'InVS les 20 et 21 avril 2016.

Cette surveillance est tournée vers l'information des décideurs et des professionnels de santé. Un point épidémiologique est élaboré chaque semaine afin de faire le point sur l'évolution de l'épidémie. Parallèlement, des documents d'information ont été réalisés à destination des professionnels de santé. Ils reprennent les avis du Haut Conseil de la santé publique et ont vocation à les décliner de façon très opérationnelle et de manière réactive.

Quant aux renforts qui ont pu être apportés dans les zones épidémiques par l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), ils ont pu consister en l'achat de moustiquaires, de respirateurs, d'échographes. Cet appui s'est manifesté par l'envoi d'experts pour évaluer la situation et l'envoi de professionnels de santé : soignants pour soutenir le service de réanimation du CHU de la Martinique ou techniciens de laboratoire pour aider le CNR. S'agissant du dépistage, un renfort en sages-femmes et en gynécologues sera apporté à la Guyane.

3. M. Stéphan Rossignol, maire, Ville de La Grande-Motte - « Les moyens d'action d'un élu contre les moustiques »

Je vais apporter ici le témoignage d'un élu d'une ville balnéaire particulièrement concernée par la recrudescence de la présence des moustiques, notamment ces deux dernières années. La Grande-Motte est une ville jeune puisqu'elle a moins de cinquante ans. Elle a fait partie des six villes nouvelles construites lors de la mission Racine, créée en 1963 par le général de Gaulle. Cette mission avait notamment pour ambition de créer de nouvelles stations afin de retenir les touristes qui partaient vers l'Espagne alors que le littoral du Languedoc-Roussillon n'était pas aménagé et que la côte d'Azur l'était.

La Grande-Motte n'aurait pu voir le jour si un organisme, l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée), n'avait alors été créé pour éradiquer les millions de moustiques qui occupaient à l'époque cette partie du territoire. La Grande-Motte n'était qu'une zone de marécages et de dunes. Il a fallu assécher les marécages, niveler les dunes et, surtout, éliminer les moustiques.

Ces dernières années, nous avions été épargnés. Depuis deux saisons et même davantage, nous avons néanmoins constaté une recrudescence de la présence des moustiques, notamment lors de la saison 2015. Je fais partie des élus, avec M. François Commeinhes, maire de Sète, qui ont alerté les pouvoirs publics sur cette situation, qui pose aujourd'hui de véritables problèmes.

Il s'agit d'abord d'un problème de santé publique. L'été dernier, les pharmaciens de ma ville et les médecins ont observé que de nombreux touristes venaient acheter des produits contre les moustiques. Nous avons constaté de nombreuses allergies.

Le second problème est d'ordre économique puisque ces nuisances très importantes causées par les moustiques ont entraîné l'interruption de séjours de touristes, partis avant la fin de leur séjour. L'Office de tourisme de La Grande-Motte et les professionnels me font part d'appels de visiteurs potentiels qui souhaitent savoir s'il y aura autant de moustiques que l'an passé avant d'effectuer une réservation dans un hôtel, un camping ou dans une résidence de tourisme.

Des actions ont été conduites depuis l'an dernier avec l'EID. La Grande-Motte a notamment fait partie d'une action expérimentale d'installation de pièges-pondoirs, dans différents quartiers de la ville, afin que les moustiques tigres qui s'y posent emportent ensuite avec eux un produit qui rendra leurs congénères stériles ou empêchera la croissance des larves. La lutte avait été engagée contre le moustique des marais mais comme nous sommes passés d'une douzaine d'insecticides utilisables à un seul, cela pose un problème d'acclimatation des insectes à ce produit. On sait la difficulté de lutte contre cette espèce.

Aujourd'hui, nous avons mis en place avec l'EID des actions de prévention et d'information. L'EID était présent la semaine dernière à La Grande-Motte afin de rencontrer les professionnels. Cette initiative n'a pas eu le succès escompté car les professionnels n'étaient pas nombreux lors de cette réunion. C'est aussi ce qui justifie les mesures que nous allons prendre en termes d'information.

Après l'expérimentation que j'évoquais, nous allons informer la population, notamment dans le quartier des villas, qui compte de nombreux résidents qui furent parmi les premiers impactés. Du porte-à-porte sera fait afin d'indiquer les mesures à prendre : ne pas laisser de l'eau s'accumuler dans des coupelles de plantes, faire attention au niveau des piscines, etc. L'information touchera aussi les publics scolaires, qui peuvent être sensibilisés à ces problèmes, aux niveaux des enseignements primaire et secondaire.

Nous informons aussi les conseils de quartier. La ville est découpée en six quartiers et chaque conseil de quartier recevra des informations de l'EID. Nous organisons avec l'EID des stands sur le marché de la ville, qui a lieu tous les dimanches. Il faut enfin communiquer de façon individuelle vis-à-vis de tous les professionnels du tourisme et vers le personnel municipal, celui de l'Office de tourisme, qui est en contact avec la population et avec les touristes, dont on peut comprendre qu'ils soient inquiets devant l'arrivée du moustique tigre et du virus Zika.

Toutes ces actions de sensibilisation et d'information seront conduites au cours des prochains jours. Si La Grande-Motte compte 9 000 habitants l'hiver, sa population atteint 120 000 personnes l'été. Vous imaginez l'impact que ces problèmes de santé publique peuvent y avoir. Ils ont déjà des conséquences en termes de réservation, ce qui en fait aussi un problème économique. Nous espérons, avec mes collègues maires du littoral, que les pouvoirs publics interviennent et que de nouveaux insecticides puissent être homologués afin de pouvoir lutter efficacement. Nous espérons aussi, en cas d'urgence, bénéficier de dérogations. En Espagne, qui se trouve, comme la France, dans l'Union européenne et qui est soumise aux mêmes règles, il y a moins de moustiques que nous n'en avons sur notre littoral.

M. François Commeinhes . - Merci pour ce témoignage qui fait écho à mon expérience. Les autochtones savent se prémunir contre les moustiques mais nos visiteurs ne sont pas toujours habitués à des gestes simples de protection. Peut-être est-ce au cours de l'été qu'il faut déployer les efforts de communication que vous avez décrits, même si les visiteurs qui sont là en vacances ne sont pas nécessairement là pour apprendre comment lutter contre les moustiques.

L'un des objectifs de cette audition est de mettre en relation plus directe de multiples spécialistes des maladies à transmission vectorielle avec les élus, qui sont sollicités au quotidien et se trouvent souvent désarmés pour répondre aux attentes de leurs concitoyens.

Après l'avoir entendu à propos du contrôle des vecteurs, nous avons demandé à Frédéric Simard d'intervenir de nouveau sur les causes de la modification de la répartition géographique de l' aedes albopictus .

4. M. Frédéric Simard, directeur, Unité mixte de recherche maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC), IRD/CNRS/Université de Montpellier - « Causes de la modification de la répartition géographique de l'aedes albopictus »

L'arrivée du moustique tigre en France, notamment par le Sud, ne constitue pas une résurgence mais bien une nouvelle menace. Le moustique tigre, aedes albopictus , constitue une réelle menace pour la santé publique. Nous l'avons trouvé sur le terrain, infecté par un certain nombre de virus. Nous savons, grâce à un travail de laboratoire effectué par les équipes d'Anna-Bella Failloux et par d'autres chercheurs, qu'il est capable de transmettre de nombreux autres virus. M. Jean-Claude Manuguerra soulignait la perplexité des chercheurs devant le choix des virus sur lesquels décider de travailler. Si nous ne sommes pas capables de le dire, albopictus choisira pour nous le prochain. Il faut en tout cas le surveiller.

Ce moustique est originaire d'Asie. Depuis 1985, il a commencé à envahir le monde entier. Il est présent sur l'ensemble des continents, sauf en Antarctique. À la différence de son cousin aedes aegypti , qui reste cantonné à la zone subtropicale, il a pu pénétrer les zones tempérées, en raison notamment des propriétés de ses oeufs, capables d'entrer en diapause dans nos environnements. Une fois que la photopériode (c'est-à-dire la durée du jour) passe en-dessous de treize heures trente, les oeufs n'éclosent plus. C'est la raison pour laquelle nous pouvons affirmer que nous connaissons bien la période d'activité du moustique : elle débute lorsque la photopériode excède treize heures trente, en avril. Alors, les oeufs éclosent. C'est cette propriété qui a permis au moustique tigre de coloniser les environnements tempérés, en particulier l'Europe, où il est présent depuis 2004.

Il s'agit, à l'origine, d'un moustique selvatique qui vit dans la forêt asiatique. Ses gîtes larvaires sont de petits gîtes naturels tels que des trous d'arbre, où se trouve une très faible quantité d'eau disponible. Le risque majeur, pour le moustique et sa descendance, est que le gîte s'assèche avant que les larves n'aient pu compléter leur développement. Il s'y est adapté et ne dépose pas ses oeufs sur l'eau mais juste au-dessus de celle-ci, sur le support, de telle sorte que les oeufs éclosent lors des prochaines pluies qui vont pouvoir mettre les oeufs en eau.

En Asie, aedes albopictus a été en contact avec l'homme au niveau des forêts, notamment dans les lieux où l'on cultive du latex, ce qui lui fournit le gîte et le couvert. De fil en aiguille, il s'adapte à l'homme. Ses gîtes préférentiels sont les pneus usagés . C'est, notamment, grâce à cette capacité des oeufs à attendre leur mise en eau que le moustique a pu se disséminer sur l'ensemble des continents. Les moustiques pondent dans des pneus usagés qui sont expédiés aux quatre coins du monde. On les débarque une fois arrivés à destination. Il pleut sur ces oeufs et le cycle peut commencer. L' albopictus est ainsi introduit chaque jour plusieurs fois sur chaque continent. Le commerce du bambou constitue aussi un vecteur par lequel aedes albopictus a pu se disperser sur l'ensemble des continents.

En France, ses gîtes sont connus. Il s'agit par exemple des coupelles de pots de fleurs, comme le soulignait M. Christophe Lagneau. Le moustique est arrivé, par l'Italie à compter de 2004. Il est présent en 2016 dans trente départements. L'EID utilise des pondoirs pièges pour suivre la progression de ce moustique d'année en année. Plus de 1 300 pièges par an ont été mis en place entre 2006 et 2012. Comme un intervenant l'a déjà souligné, la surveillance peut servir à la recherche. C'est ce qu'il s'est passé lors de cette collaboration entre la MIVEGEC et l'EID à Montpellier : nous avons utilisé les données de l'EID pour modéliser la dispersion du moustique tigre en France. Les résultats de ce modèle ont montré, probabilités à l'appui, que les zones urbaines et périurbaines étaient plus favorables à l'installation d' aedes albopictus que les zones agricoles. Cela donne une idée des lieux où cibler le contrôle de l'installation du moustique. Le processus invasif est lié au transport assisté par l'homme. Je rappelle que ce moustique pique le jour. En été, le Languedoc-Roussillon et La Grande-Motte ressemblent encore à ce que nous connaissons de ces endroits.

Le moustique vit avec nous la journée. Il va nous piquer durant la journée et nous suivre dans nos moyens de transport. Ce sont les femelles qui entrent dans les véhicules et piquent. Vous roulez puis faites une pause toutes les deux heures. Le moustique a eu le temps de vous piquer et de sortir sur une aire de repos. Il va ainsi se répandre en tâche d'huile dans la métropole. Lorsqu'on utilise la distance, en termes de temps de trajet, on se rend compte que cette variable est celle qui est la plus fortement corrélée à l'invasion d' aedes albopictus en France métropolitaine.

Nous avons également pu montrer que ce processus s'accélérait. De 2004 à 2014, aedes albopictus a conquis vingt départements. Ce nombre est de trente départements, soit dix départements de plus en deux ans. Le moustique va malheureusement atteindre Nancy. Nous avons introduit des paramètres climatiques dans le modèle. Ils ont un très faible impact. La dispersion, l'invasion et l'installation d' albopictus sont indépendantes du climat, y compris du réchauffement climatique. Ces variables vont jouer sur la dynamique des populations une fois que le moustique est installé , c'est-à-dire sur sa densité, sa longévité et sa capacité à transmettre le virus.

À Montpellier, où le moustique est présent depuis assez longtemps, nous avons suivi les densités de femelles en utilisant des pièges, à partir du mois d'avril puis tout au long de la saison. Nous voyons que ces populations augmentent. En rouge, sur le schéma projeté, figure la température, avec laquelle la densité de présence des moustiques est fortement corrélée. En septembre 2014, alors que nous étions en pente descendante, s'est produit un épisode extrême à Montpellier, avec des pluies diluviennes (250 millimètres en trois heures). Nous nous attendions, en vertu du dogme, à ce que cela lessive les gîtes larvaires et à une diminution des populations de moustiques. Nous avons observé l'inverse. Les températures étaient toujours favorables et les populations de moustiques ont connu un rebond fin 2014, ce qui s'est traduit par une extension de la période de transmission du chikungunya, dont onze cas sont survenus à Montpellier. Il ne faut donc pas voir le climat comme le grand responsable de tout. Il a une contribution mais ne contribue pas à tous les phénomènes qui nous préoccupent ici.

M. François Commeinhes . - L'Office a toujours eu à coeur de compléter ses auditions, sur des thèmes scientifiques ou technologiques, par des éclairages apportés par les sciences humaines. C'est ainsi que nous allons maintenant écouter M. Daniel Bley, qui a notamment conduit des recherches interdisciplinaires en vue de comprendre les représentations et les pratiques des populations en matière de santé-environnement, notamment pour les maladies à transmission vectorielle.

5. M. Daniel Bley, anthropologue biologiste, directeur de recherche émérite, Unité mixte de recherche ESPACE, CNRS/Université Aix-Marseille - « La perception par les populations des mesures de lutte contre les maladies à transmission vectorielle »

Le Pr Jean-François Delfraissy soulignait dans la présente audition l'apport des sciences humaines et sociales dans les moyens de lutte contre les maladies vectorielles, en particulier sur le plan de la lutte antivectorielle.

Les maladies à transmission vectorielle constituent, en effet, un objet d'étude pertinent pour les sciences humaines et sociales. Des travaux ont été effectués par des chercheurs de l'IRD sur le paludisme, il y a un certain temps déjà en termes de perceptions et de comportements. En revanche, ces travaux sont assez rares sur les maladies vectorielles en France. Quelques-uns ont vu le jour au moment de l'épidémie de chikungunya à La Réunion en 2006 et au cours des années qui ont suivi. Mais il y a peu de travaux en cours sur ces questions.

Celles-ci sont pourtant emblématiques des problématiques d'environnement-santé. Elles forment un objet d'étude complexe et traitent d'une question qui s'inscrit dans l'espace public, où elles font l'objet de controverses. Mme Catherine Mir évoquait, par exemple, les dérogations. J'ai participé récemment à la saisine du Haut Conseil de la santé publique sur la dérogation d'usage du malathion en Guyane, ce qui m'a paru assez instructif sur les difficultés dans la réalisation d'une lutte antivectorielle efficace.

En l'absence de thérapie et de l'impossibilité d'éradication des vecteurs, la lutte antivectorielle constitue le principal moyen de contrôle. Il s'agit pour nous d'étudier les populations et l'ensemble des acteurs (collectivités territoriales, professionnels de santé, institutions, etc.) afin de mettre au jour comment tous perçoivent les enjeux et peuvent interagir pour lutter contre l'extension de l' aedes . C'est ce que soulignait M. Frédéric Jourdain, du CNEV, qui animait récemment un rapport sur la mobilisation sociale en soulignant l'enjeu important que celle-ci constitue.

Une des façons, pour les sciences humaines et sociales, de s'intéresser à ces questions est de comprendre comment se mettent en place des stratégies intersectorielles de lutte. Pour la première fois dans le plan national santé-environnement - dont c'est la troisième édition -, cet aspect est pris en charge.

Un projet aedes , financé dans le cadre du programme Risques-Décisions-Territoires du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer sur la perception des populations, met en évidence un problème en période interépidémique entre nuisances et risques du point de vue de la perception des populations. La plainte émane des populations (touristes et résidents), ce qui conduit à signaler au maire une nuisance. Mais de la nuisance à la perception du risque sanitaire, le chemin est plus complexe. Dans les territoires qui ont été les premiers touchés par des cas autochtones de dengue en 2010 dans les Alpes-Maritimes, par exemple, nos travaux montrent que la perception du risque sanitaire est un peu plus importante qu'elle ne l'est dans les territoires où l' aedes s'est implanté de façon récente, comme en Vendée où aucun cas n'a été déclaré.

Il existe aussi des enjeux institutionnels. Parmi les acteurs importants dans la prise en charge de la lutte antivectorielle figurent les professionnels de santé, souvent considérés comme des relais essentiels entre les directives qui émanent des autorités sanitaires et les patients. La plupart des études montre que ces professionnels ne sont pas plus informés que la moyenne des Français, malgré leur rôle clé. Je parle des médecins généralistes mais aussi des pharmaciens d'officine, qui peuvent aussi avoir un rôle important à jouer d'acteurs de santé publique - constat qui plaide pour la formation et l'information de ces professionnels.

Enfin, nos travaux mettent en exergue de fortes disparités dans l'implication des collectivités. Certaines se sont mobilisées. D'une façon générale, toutefois, les collectivités apparaissent un peu comme le maillon faible, dans la chaîne qui relie les patients à l'ARS, du signalement des cas à la prise en charge en passant par l'intervention de l'EID. Lorsqu'il faut procéder à des opérations de démoustication, cela pose parfois quelques difficultés.

En écoutant les populations évoquer les problématiques d'environnement-santé, on s'aperçoit qu'elles parlent souvent de qualité de vie, ce qui signifie pour elles être en bonne santé et vivre dans un environnement agréable, voire soutenable. Sa prise en compte permettrait d'aller vers des approches de transversalité car la qualité de vie peut s'appréhender à travers trois interfaces : la perception et la mesure, l'individuel et le collectif, le biologique et le social. C'est là qu'il existe des enjeux majeurs à explorer par les sciences humaines et sociales, à mes yeux, pour une lutte antivectorielle et une prise en charge plus efficaces.

L'interface perception-mesure renvoie à la nécessité d'une gouvernance élargie, seule garante, in fine , d'une réelle participation des populations.

La deuxième interface porte sur l'individuel et le collectif. Le baromètre Santé de l'INPES, concernant les maladies vectorielles mais aussi la pollution de l'air, montre que les populations pointent souvent du doigt la responsabilité de l'État, dont elles attendent tout. La volonté de mobilisation sociale et celle de rendre les populations actrices de leur santé ne doit cependant pas conduire à trop les culpabiliser afin qu'elles conservent une capacité d'action et d'implication dans la lutte antivectorielle.

Enfin, l'interface entre le biologique et le social me paraît importante : si la lutte antivectorielle relève de la santé publique, les populations y voient aussi une atteinte écologique, ce qu'ont bien montré certaines interventions. Les populations ont compris que les insecticides étaient dangereux pour la santé. Pourquoi, dès lors, les utiliser alors qu'ils peuvent compromettre leur santé ? Il peut y avoir là un paradoxe de leur point de vue, ce qui représente également un aspect à travailler pour une meilleure prise en charge de la lutte antivectorielle.

M. François Commeinhes . - Merci pour cet éclairage. Je vous propose maintenant que nous visionnions un film de quelques minutes sur une nouvelle technique de lutte contre les moustiques.

Un film d'environ deux minutes est projeté. M. Didier Fontenille, entomologiste médical et directeur de recherche à l'IRD, y évoque notamment les moyens de lutte communautaire et de nouvelles méthodes envisagées de lutte contre les moustiques vecteurs, notamment la lutte génétique.

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