C. POURSUIVRE LE TRAVAIL AU-DELÀ DE L'ÉDICTION DE LA NORME

Une fois la norme adoptée, quelle que soit sa qualité - et en supposant donc qu'elle ne soit pas elle-même source de complexité -, une attention particulière doit être portée à sa mise en oeuvre. Vos rapporteurs ont pu constater combien certains textes avaient pu être considérés comme des noeuds de complexité en raison de leurs conditions d'application. En la matière, la qualité de l'information et des formations délivrées aux acteurs joue un rôle essentiel trop souvent négligé. Au-delà, une des pistes pour améliorer la qualité de la législation et de la réglementation consiste à considérablement renforcer nos pratiques d'évaluation ex post .

1. Assurer le « service après-vote »

Lors de leurs auditions, vos rapporteurs ont été surpris de constater que plusieurs de leurs interlocuteurs ignoraient certains dispositifs de simplification. La possibilité de réunir en un seul document intégrateur les évaluations environnementales, les dispositifs d'autorisations uniques en matière de loi sur l'eau ou d'ICPE, ainsi que l'expérimentation du certificat de projet semblaient parfaitement ignorés des professionnels eux-mêmes. Nous sommes là face à un véritable défaut d'information des différents acteurs.

Une fois votés, les textes doivent pouvoir faire l'objet, de la part du pouvoir règlementaire, de la plus grande diligence, tant dans la publication des décrets d'application que dans son devoir d'information auprès des élus, des professionnels et du grand public. Le travail de contrôle du Parlement dans l'application des lois doit pouvoir également s'élargir à ces dispositifs règlementaires, à l'image, du reste, de ce qui existe au Royaume-Uni, où le contrôle de la législation secondaire - celle qui ne relève pas d'un acte du Parlement - constitue l'une des missions phares des chambres.

Enfin, il est anormal de constater, comme ont pu le faire vos rapporteurs, que les différents sites internet de l'État ne mettent pas à jour certaines informations ou ne précisent pas la date de la dernière actualisation de leurs fiches. Cet état de fait ajoute à la confusion et au sentiment de complexité que partagent nombre de nos concitoyens.

Recommandation n° 30 : dans l'attente de la réalisation des bases de données mentionnées précédemment ( cf. recommandations n° 19 et 20), mettre à jour régulièrement les informations diffusées par l'État et indiquer la date de leur dernière actualisation.

2. Former les acteurs et les équipes

Ce travail d'information doit pouvoir se doubler d'un effort de communication de la part des différents professionnels et des personnels des services de l'État et des collectivités territoriales.

Sans être exhaustifs, et comme cela a déjà été indiqué, vos rapporteurs suggèrent notamment :

- un meilleur accompagnement et une meilleure formation des cabinets d'étude en charge de la rédaction des PLU pour le compte des collectivités ;

- une meilleure formation et sélection des commissaires en charge des enquêtes publiques afin de réduire les risques, tant de retard dans la procédure que de contentieux ultérieurs ;

- une meilleure information des collectivités locales : les services de l'État s'étant désengagés de certaines procédures d'accompagnement des collectivités (en matière d'application des droits des sols, notamment) pourraient utilement être mobilisés pour des actions ponctuelles de formation et d'information des collectivités locales sur les nouvelles législations ou les textes en préparation.

- enfin, la simplification -sa méthodologie et ses procédures- devrait pouvoir être enseignée dans les écoles de la fonction publique (ENA, INET, IRA, ENSP,...) et faire partie des cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques.

Recommandation n° 31 : prendre davantage en compte les nécessités de formation des différents professionnels et des personnels des services de l'État et des collectivités territoriales.

3. Informer les acteurs et le public

L'information des acteurs et du public doit transiter par tous les vecteurs possibles (campagnes d'information dédiées, sites internet,...), et doit aussi pouvoir cibler les professionnels. En matière de législation et de réglementation touchant les professionnels de l'urbanisme et de la construction, vos rapporteurs préconisent un travail local auprès des chambres des métiers et des chambres de commerce et d'industrie . L'information sur les nouveaux textes et leurs modalités d'application doit pouvoir s'adapter au terrain et parvenir aux représentants du monde local de l'entreprise et de leurs équipes sans délai, afin de pouvoir créer leurs effets positifs de simplification et de création d'emploi le plus rapidement possible (campagnes d'information ciblées auprès des acteurs concernés). De même, une plateforme nationale d'information - avec un onglet spécifique dédié au droit des sols - doit être accessible à tous.

Recommandation n° 32 : renforcer les démarches d'information des acteurs économiques, des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux par les services de l'État.

4. Renforcer l'évaluation ex post des textes de loi

Si la maîtrise de l'inflation normative au stade de l'examen parlementaire se révèlera toujours complexe, eu égard aux délais dont dispose le Parlement français pour accomplir sa mission, il est une méthode qui permet de remédier à cette difficulté sans, au surplus, mettre en cause le droit d'amendement des parlementaires.

Il s'agit de l'évaluation ex post des textes législatifs. De nombreux efforts ont été consentis depuis plusieurs années en la matière, mais la France reste notablement en retard dans ce domaine par rapport à ses voisins. Vos rapporteurs considèrent que le Sénat, par sa mission de représentant des collectivités territoriales, par la durée du mandat de ses membres et son recul par rapport aux agitations de la vie médiatique et sondagière a vocation à jouer un rôle éminent en la matière.

Cette évaluation est en effet de nature à permettre d'identifier les dispositions introduites aux différents stades de l'examen parlementaire, ainsi que leur impact sur les collectivités. On peut ensuite en tirer au moins trois éléments :

- des pistes de simplification et d'amélioration législatives lorsque certaines dispositions se révèlent peu pertinentes, inefficaces ou inefficientes ;

- des enseignements pour, progressivement et par effet retour, discipliner le dépôt des amendements. Un démarche complexe, audacieuse mais vertueuse pourrait être de chiffrer les conséquences en termes de complexité des apports des différents acteurs de l'élaboration de la loi ;

- surtout, le fait que des textes soient fléchés comme devant faire l'objet d'une évaluation serait un puissant levier pour aider les acteurs de la production normative à « maîtriser leurs ardeurs ». En l'espèce, plus l'évaluation sera annoncée en amont de la procédure et plus elle pourra avoir un effet incitatif ou dissuasif. L'idéal serait bien sûr que le Gouvernement intègre dès l'élaboration de son projet la contrainte évaluative, comme cela se pratique à tous les niveaux de l'action publique aux Pays-Bas. Cela le pousserait à mieux expliciter et définir ses objectifs, les actions destinées à les atteindre et les indicateurs associés. Ajoutons que prévoir l'évaluation en amont est aussi l'occasion d'affiner la construction de l'action ou du programme d'actions envisagés.

Par ailleurs, l'évaluation ex post sera amenée à se développer comme complément indispensable aux expérimentations législatives.

L'évaluation ex post pourrait par ailleurs être complétée par des clauses de révision ainsi que cela se pratique déjà dans de nombreux pays , comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne : de façon régulière, les autorités publiques seraient amenées à s'interroger, sur la base d'une évaluation, sur l'opportunité de maintenir, abroger ou modifier les dispositions concernées. Lesdites clauses de révision pourraient elles-mêmes être assorties de clauses de caducité (ou « guillotine »), en l'absence d'une évaluation effective ou en présence d'une évaluation négative.

Recommandation n° 33 : mettre en place un programme pluriannuel du Sénat d'évaluation ex post de champs de normes applicables aux collectivités territoriales.

Recommandation n° 34 : insérer des clauses de révision et, le cas échéant , des clauses « guillotine » dans les textes à fort impact sur les collectivités territoriales qui seraient ainsi soumis à une obligation périodique d'évaluation.

Les clauses de révision et de caducité : le cas britannique

Les clauses de révision sont obligatoires pour les dispositions qui touchent à l'activité des entreprises.

Dans le cas général, ces clauses imposent une évaluation de la disposition dans les cinq ans de son entrée en vigueur, puis tous les cinq ans.

La législation secondaire ou déléguée, édictée par un acte qui n'émane pas du Parlement mais qui, en France, pourrait éventuellement être de nature législative, est par ailleurs soumise, au surplus, à des clauses de caducité. Dans ce cas, la législation concernée expire automatiquement à la date qu'elle fixe ou, à défaut, dans les sept ans de son entrée en vigueur.

Source : Department for Business, Innovation & Skills and Better Regulation, Delivery Office, Better regulation : framework manual, practical guidance for UK government officials , mars 2015.

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