DEUXIÈME TABLE RONDE
LES ENTREPRISES DU PACIFIQUE :
CARACTÉRISTIQUES ET PERSPECTIVES

Deuxième table ronde - les entreprises du Pacifique : caractéristiques et perspectives

Introduction

Nuihau Laurey, Sénateur de Polynésie française

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la délégation sénatoriale à l'outremer,

Mesdames, Messieurs les représentants des collectivités françaises du Pacifique,

Mesdames, Messieurs les chefs d'entreprises de nos collectivités du Pacifique,

Mesdames et Messieurs les représentants des médias,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers collègues,

La seconde partie de nos discussions sera consacrée aux entreprises du Pacifique, qu'il nous est proposé d'aborder sous l'angle de leurs caractéristiques et de leurs perspectives.

Sans aller jusqu'à parler d'une singularité de nos entreprises, il est indéniable qu'elles sont confrontées à une adversité toute spécifique aux économies insulaires.

Elles sont par essence plus petites car s'adressant à des marchés plus limités.

Elles doivent intégrer dans leur fonctionnement l'éloignement des grands centres d'affaires et donc souvent de leurs fournisseurs ou partenaires.

Elles offrent leurs produits et leurs services à une clientèle disséminée sur d'immenses territoires. S'agissant de la Polynésie française, ce sont de multiples regroupements de quelques centaines de clients ou d'usagers qui sont répartis sur une étendue océanique grande comme l'Europe.

Elles opèrent sur des marchés économiques limités avec l'impossibilité qui en résulte d'amortir sur un plus grand nombre de clients ou d'usagers des coûts fixes élevés.

Elles ne disposent pas toujours des infrastructures, notamment numériques qui leur permettraient de dégager une plus grande productivité et de là même une meilleure compétitivité.

Néanmoins, en dépit de cela, elles doivent s'efforcer de proposer des prix compétitifs à des clients et usagers qui comparent souvent leurs prix, transparence oblige, à ceux qu'ils peuvent trouver ailleurs, dans des grands marchés extérieurs qui sont pourtant sans commune comparaison possible avec celui dont ils font partie localement.

Elles doivent du fait de l'unicité des territoires de la République, tenter d'assurer une équité de traitement et donc de prix de tous les citoyens de ces bassins économiques, alors que les coûts de la distribution de biens ou de services ne sont bien évidemment pas les mêmes dans des agglomérations de plusieurs dizaines de milliers d'habitants et dans des petites communautés insulaires éloignées de quelques centaines d'habitants.

Cette nécessaire équité des prix entre les habitants d'un même territoire est bien évidemment complexe et coûteuse à mettre en oeuvre pour les autorités publiques, qu'elles soient locales ou nationale. La continuité territoriale, les systèmes de péréquation, les aides sectorielles ou géographiques sont autant de dispositifs publics imaginés ici ou là dont les coûts et les résultats sont constamment rappelés par les chambres de contrôle des comptes publics.

Dans ce contexte particulier, la question qui se pose de manière récurrente aux décideurs locaux ou nationaux, aux chefs d'entreprises, aux économistes, aux experts, aux organisations syndicales est finalement la suivante : comment faciliter, soutenir, stimuler l'activité de nos entreprises, dans le contexte de difficultés que nous venons de rappeler ?

Chaque collectivité possède ses propres moteurs économiques, que cela soit le secteur minier pour la Nouvelle-Calédonie, le secteur touristique ou le développement aquacole en Polynésie ou à Wallis-et-Futuna. Chaque secteur économique possède aussi ses propres dynamiques de développement, nécessitant des réponses spécifiques et inévitablement une forte implication de la puissance publique.

Chaque collectivité a imaginé et mis en place sa propre réponse à la question centrale de la cherté de la vie outremer.

C'est aussi une spécificité de nos territoires insulaires, que de devoir gérer le paradoxe d'un tissu économique qui sollicite fort légitimement un renforcement de l'initiative privée, une plus grande place au secteur privé, dans un contexte où heureusement ou malheureusement l'intervention publique demeure encore un facteur central du développement économique.

Dans ce contexte, plusieurs leviers de facilitation ou de stimulation doivent être encore mobilisés :

1. La simplification du formalisme administratif qui est encore bien souvent trop lourd et trop fastidieux, surtout pour les petites et très petites structures privées qui constituent dans nos trois collectivités l'essentiel du tissu économique ;

2. La diminution de la pression fiscale, et de ce point de vue toutes les comparaisons continuent à être faites entre les différents systèmes fiscaux de nos collectivités. La Calédonie se pose la question de la réforme de sa taxe sur la consommation et ne semble pas souhaiter s'orienter vers une TVA mise en place en Polynésie française en 1995. La fiscalité préférentielle appliquée aux TPE en Polynésie française depuis juillet 2013 conduit aujourd'hui près des deux tiers des petites entreprises individuelles à payer un impôt forfaitaire réduit ;

3. Les charges sociales, le coût du travail au sens le plus large constitue aussi un vrai sujet de fond, dans des collectivités où le taux de chômage est structurellement plus élevé que celui de la métropole et où les dispositifs d'emplois aidés tendent aujourd'hui à constituer la norme. Des dispositifs comme le Service Militaire Adapté (SMA) qui sera évoqué dans les présentations qui suivent permettent d'insérer des publics en difficulté en leur assurant une formation professionnelle constituent aujourd'hui des outils efficaces ;

4. Le soutien de l'État aux investissements privés, le dispositif le plus commenté restant la défiscalisation instaurée en 1986 (Loi PONS) pour laquelle les milieux économiques sollicitent avec constance, avec persévérance sa prorogation au-delà du 31 décembre 2017, date prévue de l'arrêt de ce dispositif de soutien à l'investissement outre-mer.

5. Le regroupement d'entreprises, pépinières d'entreprises, pôles de développement, clusters aujourd'hui, destinés à concentrer l'activité économique sectorielle et faciliter la transversalité dans la gestion de projets de développement, je pense notamment au cluster maritime qui tente d'essaimer dans nos collectivités ce modèle de partenariat ;

6. L'innovation enfin, qui doit être soutenue par les pouvoirs publics pour distinguer nos entreprises dans la compétition internationale à laquelle elles sont confrontées, qu'elles le veuillent ou non. Le SWAC ( Sea Water Air Conditioning) , cette climatisation utilisant le pompage de l'eau froide des profondeurs en place dans deux hôtels haut de gamme en Polynésie française et permettant une économie de consommation électrique de l'ordre de 80 % constitue un exemple d'innovation.

Au-delà de ces pistes qu'il nous faut sans cesse creuser, améliorer, quelques sujets de fond dominent aujourd'hui le calendrier politique.

La pérennisation de la défiscalisation constitue aujourd'hui plus que jamais une véritable inquiétude pour les acteurs économiques de nos collectivités. L'interruption prévue de ce dispositif le 31 décembre 2017 constituerait, beaucoup l'ont déjà exprimé à maintes reprises, une catastrophe économique tant ce dispositif permet de répondre au handicap du coût élevé des investissements en outre-mer dans les secteurs prioritaires de développement.

Quelles perspectives ? Poursuite du dispositif, dont on sent la volonté des autorités budgétaires de mettre fin à ce mode de soutien à l'outremer. Transformation dans un autre dispositif ? Lequel ? Comment ?

Un autre sujet, celui de la cherté de la vie a conduit la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française à adopter des textes mettant en place un droit de la concurrence avancé, des règles de transparence des relations commerciales et sont en passe de mettre en place chacune une autorité administrative indépendante chargée de faire appliquer ces nouvelles dispositions réglementaires.

C'était une nécessité et la quasi-totalité des acteurs économiques en conviennent. Pour autant, l'enfer se trouvant dans les détails, beaucoup expriment çà et là leurs inquiétudes sur certains points de ces lois sur la concurrence, notamment sur les injonctions structurelles ou la détermination des seuils, ou sur la notion de domination économique distincte de celle de l'abus de position dominante.

La mise en place prochaine des autorités administratives indépendantes permettra de vérifier « de visu » si de réelles avancées se feront jour en matière de concurrence, notamment sur des secteurs à forte intensité en capital pour lesquels concurrence risque de ne pas rimer forcément avec baisse des prix.

Voilà rapidement mises en évidence quelques pistes, quelques leviers et surtout de véritables défis à relever ensemble pour réussir le développement économique de nos collectivités françaises du Pacifique.

Merci pour votre attention et place maintenant aux différentes interventions.

Gonzague de La Bourdonnaye, Président de l'Association régionale de l'Institut des Hautes études de Défense nationale de Nouvelle-Calédonie (AR IHEDN - NC)

Je vous remercie tout d'abord d'avoir bien voulu me permettre d'intervenir aujourd'hui au nom de l'Association régionale IHEDN de Nouvelle-Calédonie. Si je suis là ès qualité, c'est bien parce que les questions de défense ne sont pas uniquement d'ordre militaire et concernent évidemment l'économie et la plus que jamais nécessaire intelligence économique. Protéger les territoires, c'est aussi protéger les économies, notamment des convoitises, en les confortant.

Au sein de notre association régionale IHEDN, nous croyons que la France et l'Europe ont tout à fait intérêt à s'appuyer sur ces trois collectivités prometteuses du Pacifique, quelle que soit la nature des liens futurs qui les uniront à l'hexagone. Des collectivités prometteuses car fortes de leurs richesses humaines, terrestres et sous-marines. Mais aussi convoitées pour leurs positions maritimes et la zone économique exclusive (ZEE) qui les entoure.

Il ne faudrait pas oublier non plus que nos trois collectivités du Pacifique, dont la présence militaire et politique est désormais souhaitée par les grands voisins, notamment australien et américain, (accords FRANZ 6 ( * ) ou dans le cadre du QUAD 7 ( * ) avec les États-Unis) sont aussi une porte d'entrée pour la France et l'Europe dans cette région Asie-Pacifique pleine de promesses, source de croissance et de prospérité. À titre d'exemple, la France est, à travers ses trois collectivités, membre associée du Pacific Economic Cooperation Council (PECC ), contribuant ainsi aux travaux du principal forum économique de l'Asie-Pacifique. Cette intégration régionale diplomatique et économique, via nos collectivités du Pacifique, est indispensable pour notre pays car sa prospérité est désormais inséparable de cette grande région qu'est l'Asie-Pacifique.

Mais, comme nous l'avons souligné lors d'une contribution nationale récente, il demeure une condition pour que cela perdure : que la France (et par conséquent l'Europe) montre un regain d'intérêt pour les trois collectivités du Pacifique, notamment en soutenant plus fortement là-bas les investissements et, d'une manière plus générale, leurs économies qui, de par leur situation géographique éloignée, subissent - on l'a vu et nous le verrons encore au cours de cette conférence économique - de fortes contraintes structurelles. Ces collectivités recèlent également de très fortes potentialités, notamment dans ce que l'on appelle l'économie verte et bleue.

S'il faut imaginer dès à présent, un futur partagé gagnant-gagnant avec nos trois collectivités du Pacifique, notre association régionale IHEDN de Nouvelle-Calédonie s'emploie à contribuer à la réflexion et à sensibiliser citoyens et responsables politiques et économiques à ces enjeux stratégiques, afin que désormais, nous parions sans arrière-pensées - souvent purement conjoncturelles - sur ces économies en devenir.


* 6 Accord tripartite de coopération France-Australie-Nouvelle-Zélande signé le 22 décembre 1992.

* 7 Quadrilateral Defence Coordination Group.

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