Seconde séquence - Des dynamiques sectorielles qui allient tradition et innovation

Olivier Barrat, Chef de la mission d'Océanie de la Direction d'Asie et d'Océanie
du Ministère des affaires étrangères et du développement international

Parler d'un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale vers cette zone géographique qu'est le Pacifique et que je limite dans ma présentation à l'Asie-Pacifique, est une affirmation qui ne va pas de soi, sauf à se limiter à dire qu'aujourd'hui l'Asie-Océanie, au sens de la direction du Quai d'Orsay à laquelle j'appartiens, représente déjà plus de 54 % de la population mondiale et 30 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète.

Il est difficile de parler des États ou des économies du Pacifique en général. À la fois parce que le Pacifique n'est pas une zone géographique marquée par un dénominateur commun, et parce qu'elle n'est pas non plus une zone organisée à son échelle. C'est même probablement la région la plus hétérogène du monde : elle compte des pays très développés, des pays émergents, des pays continent, des pays parmi les plus pauvres (PMA), des petits États insulaires en développement (PEID), des nations millénaires, des pays tout neufs. Il n'existe pas d'architecture de sécurité pour l'ensemble de la zone, ni d'organisation commerciale de libre-échange, sauf imparfaitement avec l'ASEAN qui borde le Pacifique et des initiatives prises dès 2001 mais qui marquent le pas telles que les PACER 4 ( * ) , PICTA 5 ( * ) et PACER Plus pour les membres du Forum des îles du Pacifique (FIP).

De plus, notre regard sur ce basculement doit-il être seulement français ou européen, sinon calédonien, wallisien-futunien ou polynésien ? L'Asie-Pacifique ne compte aujourd'hui (chiffres 2013) que pour 15 % des importations de notre pays et seulement 12 % de ses exportations, alors qu'il en va différemment de l'Union européenne pour qui cette région du monde est encore plus importante. L'Asie-Pacifique est, en effet, le premier partenaire commercial de l'Union européenne car elle représente 43 % des importations et 33 % des exportations extra-européennes. Pour nos collectivités françaises du Pacifique, les statistiques montrent que cet océan est encore plus important en valeur relative. S'il représente la moitié de leurs importations dans tous les cas, il reçoit plus de la moitié de leurs exportations (62 % pour la Nouvelle-Calédonie, 51 % pour la Polynésie française) à l'exception de Wallis-et-Futuna (15 %).

Malgré ces difficultés d'approche, cet ensemble géographique présente pourtant quelques caractéristiques propres, de nature essentiellement économique, qui étayent l'affirmation d'un déplacement du centre de gravité de l'économie de la planète vers le Pacifique, premier espace de transit au monde en flux de marchandises (70 % du trafic mondial) :

La première, c'est que l'Asie-Océanie est la région du monde qui a connu le plus fort développement depuis 35 ans .

Le plus illustrant est un comparatif entre les chiffres de 1980, année de l'indépendance du Vanuatu, et ceux d'aujourd'hui, le PIB de la France servant d'étalon de référence :

En 1980, le PIB de la France de 690 milliards de dollars (Mds USD) équivalait aux PIB cumulés de la Chine (300 Mds USD), de l'Inde (180 Mds USD) et de l'ASEAN (230 Mds USD). Et le PIB de l'Australie (180 Mds USD) était quasiment identique à celui de l'Inde.

En 2014, la France a un PIB (2 800 Mds USD) supérieur de 30 % à celui de l'Inde (1 900 Mds USD), ou légèrement supérieur à celui de l'ASEAN (2 450 Mds USD) et qui représente moins d'un tiers de celui de la Chine (9 200 Mds USD). L'Australie avec un PIB de 1 560 Mds USD, désormais inférieur de 20 % environ à celui de l'Inde, représente encore 78 % du PIB global des 22 États et territoires océaniens, collectivités françaises comprises.

La deuxième caractéristique, c'est l'hétérogénéité de la croissance des économies de l'Asie Pacifique .

Depuis 1980, la Chine a été le pays d'Asie-Océanie qui a connu la croissance la plus importante puisque son PIB a été multiplié par 30. S'il représentait un peu plus de 10 % du PIB des États-Unis en 1980, en 2014, le PIB chinois a dépassé celui des États-Unis selon le FMI. Elle est devenue la première puissance économique du monde.

La Chine a été suivie, dans l'ordre, par la Corée du Sud (PIB x 12), l'Inde et l'ASEAN (PIB x 10).

La lanterne rouge si l'on peut dire, en valeur relative, c'est le Japon. En 1980, le PIB japonais (1 070 Mds USD) comptait pour plus de la moitié du PIB asiatique. En 2014, le PIB japonais représente moins d'un quart du PIB asiatique et la Chine a dépassé le Japon en 2009.

En Océanie, la croissance a aussi porté ses fruits. Si l'on met de côté la Nouvelle-Calédonie (PIB x 9 depuis 1980), la croissance la plus forte, malgré la tyrannie de la distance, a soutenu les deux puissances régionales que sont l'Australie, « lucky country » , comme elle se nomme, de 23 millions d'habitants (PIB x 9) et la Nouvelle-Zélande (PIB x 7), qualifiée aujourd'hui de « rockstar » ou de « rock economy » pour ses bons résultats économiques. Cette croissance a aussi nourri l'émergence de deux acteurs importants dans la région : la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) et Fidji. Avec une population en passe d'atteindre 8 millions d'habitants et un taux de croissance qui devrait avoisiner 15 % en 2015 grâce à la rente de ses ressources naturelles, la PNG a aujourd'hui les moyens de rejoindre les rangs des puissances émergentes moyennes. Son produit national brut (PNB) qui a quasiment stagné entre 1980 et 2002 a été multiplié par 6,5 pour atteindre 15,3 Mds USD en 2014, soit légèrement moins que le PIB cumulé de la Nouvelle-Calédonie (9 Mds USD) et de la Polynésie française (7,2 Mds USD). Fidji, avec ses 800 000 habitants, a su jouer de sa capacité à demeurer le « hub régional » et a multiplié par quatre son PIB depuis 1980 pour atteindre 4 Mds USD.

Ailleurs, en Océanie, la croissance a été inégale, y compris dans sa redistribution, et certains pays n'ont pas encore réussi à quitter leur statut de PMA ou sont au bord de la faillite.

La troisième caractéristique, c'est l'accroissement très fort du commerce intra-zone Asie-Pacifique depuis 20 ans. Il représente 60 % des échanges de la zone en 2014 (soit un pourcentage supérieur à celui du commerce nord-américain, 37 %, mais inférieur au commerce intra-européen de l'ordre de 70 %). C'est en Asie de l'Est que sa progression a été la plus forte.

En Océanie, l'Australie présente un commerce extérieur qui assure plus de 80 % des flux de marchandises, loin devant la Nouvelle-Zélande (13 %). Elle a fait des pays d'Asie-Pacifique ses premiers partenaires et près de 40 % des transactions commerciales australiennes sont réalisées avec seulement la Chine, le Japon et la Corée du Sud. La Chine a conforté en 2013 sa place de premier partenaire commercial de l'Australie. Elle absorbe désormais près du tiers des exportations australiennes (31,2 %, soit une progression de cinq points sur un an seulement).

Cet accroissement du commerce intra-asiatique, accompagné par un mouvement général de libéralisation des échanges, a donné lieu récemment à une forte dynamique d'intégration sous-régionale, voire régionale. Les accords multilatéraux se sont multipliés depuis une dizaine d'années entre les pays du Pacifique. Les plus significatifs sont peut-être l'accord de libre-échange (ALE) Chine-ASEAN mis en oeuvre depuis 2010, celui portant constitution d'une communauté économique de l'ASEAN qui doit être mise en place fin 2015, et l'accord de libre-échange tripartite Chine-Corée-Japon déjà signé.

La dynamique du commerce intra-asiatique a des conséquences :

La demande des pays occidentaux est devenue moins décisive pour la prospérité de l'Asie-Pacifique tandis que cette zone est devenue un marché plus important pour les États-Unis et l'Union européenne. Pour s'accrocher à cette dynamique, les États-Unis ont avancé dès 2002 leur projet de Trans Pacific Partnership . L'UE s'est lancée en 2007 dans un début de négociation avec l'ASEAN pour un ALE mais il marque le pas. Le seul ALE conclu par l'UE aujourd'hui a été avec la Corée, entré en vigueur en 2011, tandis que des négociations sont en cours avec plusieurs autres pays de la zone. En contrepoint, la Chine a lancé en 2012 son projet de Regional Comprehensive Partnership après le sommet de l'ASEAN au Cambodge c'est-à-dire un ALE Chine-ASEAN associant les six pays avec lesquels l'ASEAN a déjà conclu des ALE : Australie, Chine, Inde, Corée du Sud, Japon et Nouvelle-Zélande.

Après ceux conclus avec la Nouvelle-Zélande (1983), Singapour (2003), les Etats-Unis et la Thaïlande (2005), le Chili (2009), la Malaisie et la Corée du Sud (2013), le Japon en 2014 et la Chine en cours, l'Australie recherche à engager des négociations avec l'Union européenne, qui privilégie, quant à elle, la conclusion d'un accord cadre de partenariat (ACP). L'Australie a tenu fin octobre 2014 un sommet de négociation de l'accord de partenariat Trans-Pacifique (TPP). La Nouvelle-Zélande, de son côté, multiplie les démarches, en faveur de l'ouverture de négociations avec l'Union européenne en vue d'un ALE.

La quatrième caractéristique, c'est que l'Asie-Océanie va demeurer la zone la plus dynamique de la planète .

Deux des trois plus grandes économies mondiales sont désormais asiatiques. Six pays d'Asie-Pacifique sont membres du G20. Si cette zone compte pour 30 % du PIB mondial en 2013, elle représentera la moitié du PIB mondial à l'horizon 2050.

À plus court terme, l'Asie-Océanie va concentrer près de la moitié de la croissance mondiale pour les cinq prochaines années. Les prévisions de croissance pour cette zone en 2015 sont en effet supérieures à la croissance mondiale (4 % prévus) pour les principaux pays : Chine (7 %), Inde (6,1 %), ASEAN (5,6 %), à l'exception du Japon (1,1 %) et en Océanie de la Nouvelle-Zélande (3 %) et de l'Australie (2 %). Dans le Pacifique Sud, la Papouasie-Nouvelle-Guinée se singularise avec 15 % de prévision de croissance.

Les investisseurs ne s'y trompent pas. La presse se fait l'écho que l'Asie-Pacifique est aujourd'hui la première destination des flux mondiaux d'investissements directs à l'étranger (estimés à 1 600 milliards d'euros en 2014) soit 30 % de leur total. Cette tendance devrait d'ailleurs se poursuivre selon la plupart des analystes.

Le Pacifique est une zone d'opportunités pour la France et ses collectivités .

Un réel potentiel existe pour nos entreprises. En particulier, les défis structurels très importants auxquels l'ensemble des pays d'Asie-pacifique devront faire face, à brève échéance, se présentent comme autant d'opportunités. Ces défis, ce sont :

- le défi démographique et alimentaire. L'Asie-Pacifique connaît une croissance de sa population globalement forte (un milliard de personnes de plus d'ici 2050) même si elle est inégale entre les sous-régions. Cette évolution va créer des besoins d'infrastructures très importants dans les prochaines années, en matière de transports, d'énergie, d'approvisionnement en eau et électricité, d'assainissement et de sécurité alimentaire notamment, qui correspondent à nos avantages comparatifs ;

- le défi sociétal. On assiste à une croissance rapide des classes moyennes (10-100 USD par jour) représente également de nouveaux marchés pour les biens de consommation , dans les secteurs d'excellence française : agro-alimentaire, luxe, pharmacie, cosmétiques même si elle coexiste avec des poches de grande pauvreté (moins de 1,25 USD par jour). Le tourisme en provenance de la région est en pleine croissance sinon explose. 4 millions de touristes asiatiques et 1,2 million d'Australiens ont visité la France en 2013. Il faut compter dans notre pays 1,7 million de touristes chinois, 700 000 Japonais, 500 000 Coréens. C'est une source importante de devises et de croissance, y compris pour nos collectivités du Pacifique ;

- le défi lié à l'urbanisation. En 2030, plus de 50 % de la population en Asie-pacifique sera urbaine et on prévoit que plus de 8 200 Mds$, selon les grandes agences mondiales, seront investis dans le secteur des infrastructures d'ici 2020 ;

- le défi environnemental. Des pressions de plus en plus lourdes pèsent sur l'environnement au sein de la zone : destruction de forêts, pollution de l'air, de l'eau, des sols, disparition de la ressource halieutique et recul de la biodiversité, acidification de l'océan, remontée des eaux, etc. Nos entreprises ont des solutions sur certains de ces créneaux.

À ces défis générant autant d'opportunités, l'on peut aussi ajouter les débouchés pour l'industrie française de l'aéronautique et de l'armement. Nous sommes en excédent commercial sur la zone Océanie dans son ensemble et nos excédents sont souvent dopés par nos ventes d'aéronefs. Le marché de l'Asie-Pacifique a représenté 28 % des exportations d'armement sur la période 2008-2012.

L'Asie-Pacifique représente un enjeu majeur en termes d'échanges scientifiques et estudiantins . L'Asie-Océanie est considérée aujourd'hui comme la zone la plus innovante au monde. La Chine ambitionne de devenir le premier laboratoire de la planète dès 2020. Le potentiel éducatif et de recherche de la région ouvre des possibilités considérables d'échanges et de partenariats. L'émergence des classes moyennes entraîne un développement exponentiel des flux étudiants et de scientifiques qu'il convient de canaliser. En 2050, près des deux tiers des étudiants dans le monde viendront du Pacifique. Les étudiants chinois surtout, mais aussi coréens et vietnamiens, sont désormais près de 50 000 en France.

Pour l'heure , l'Asie-Océanie représente près de 30 % de notre déficit commercial (plus de 22 milliards d'euros en 2013), déficit qui provient essentiellement de nos échanges avec la Chine qui absorbe plus du quart de nos exportations vers cette zone. Notre part de marché y est trop faible (1,3 %) par comparaison avec certains autres membres de l'UE (environ 3 % pour l'Allemagne) et les États-Unis (7 %). Mais il faut dire que l'Asie Océanie est, pour autant, la région du monde avec laquelle nos échanges commerciaux ont doublé entre 2005 et 2014 . Elle est même devenue un relais de croissance quand la demande faiblit au sein de l'UE et elle tire nos exportations. C'est même la progression la plus forte des grandes régions du monde puisque 57 % de la croissance de nos exportations depuis 2005 y ont été réalisés. Notre déficit se réduit globalement même si le solde dépend du succès volatil de grands contrats. Nous redevenons excédentaires avec certains d'entre eux à mesure de leur émergence, comme c'est le cas de l'Australie, de la Corée, de Hong-Kong. Et nos déficits avec les grands pays commencent à se réduire : avec le Japon d'abord (à peine un dixième de notre déficit avec la Chine), la Chine même enfin - très ou trop timidement (27 milliards d'euros, 80 % de notre déficit avec la zone). Et d'autres pays du Pacifique à fort potentiel demeurent des enjeux importants comme l'Indonésie ou le Vietnam, par exemple.

En outre, la France est un investisseur en Asie-Océanie . Cette région ne représente que 7 % du stock de nos investissements à l'étranger mais ils ont globalement progressé depuis 2005. Ils s'établissaient à plus de 75 milliards d'euros en 2013. Le Japon reste le premier pays destinataire en stock (17,6 Mds EUR) devant la Chine (16,5 Mds EUR), l'ASEAN (12,1 Mds EUR), l'Australie (5,1 Mds EUR).

L'Asie-Océanie compte 20 % des implantations françaises et 18 % de l'effectif salarié total des filiales à l'étranger des groupes français. Rappelons que 120 000 Français résident en Asie soit 7 % de la population française à l'étranger dont 50 000 en Chine. En Océanie, nos trois collectivités comptent quelque 550 000 compatriotes auxquels il faut ajouter au moins 80 000 Français en Australie (25 000 immatriculés) et plus de 5 000 en Nouvelle-Zélande

En sens inverse, le stock des investissements asiatiques en France demeure faible malgré quelques belles réussites comme l'investissement de Toyota à Valenciennes dont les productions visent le marché américain. Les entreprises japonaises emploient 82 000 personnes en France.

Notre diplomatie prend en compte ces enjeux autour de trois grands axes d'action : l'établissement de partenariats stratégiques, l'ouverture de négociations commerciales et la mise en oeuvre d'une diplomatie économique et d'influence, tout en appuyant l'insertion régionale de nos collectivités du Pacifique et les politiques qu'elles mènent dans le cadre des compétences qui leur ont été transférées.

Nous avons noué des partenariats et des dialogues stratégiques avec les grands acteurs de la région : Chine (« partenariat global » de 1997, « dialogue stratégique » de 2001 et « partenariat global stratégique » de 2004), Indonésie (2011), Japon (« dialogue stratégique » de niveau ministériel 2012), Australie (2012), Singapour (2012) et tout dernièrement Vietnam (2013).

Les partenariats sont des outils. Ils sont destinés à refléter des communautés de vues sur le contexte stratégique international, souvent même des communautés de valeurs ainsi, bien sûr, qu'une communauté d'intérêts. Ils sont conçus moins comme des labels, prenant en compte ce qui a déjà été fait, que comme des leviers pour accompagner ou faire sortir de terre de grands projets communs.

Leur promotion s'appuie sur un dialogue politique soutenu, marqué par un rythme sans précédent de visites à haut niveau dans la région. Voici quelques exemples depuis 2012 : déplacements du Président de la République en Chine et au Japon, en Australie et aux Philippines, mais aussi du Premier ministre (Philippines, Chine) et du ministre des Affaires étrangères (Indonésie, Vietnam, Chine, Japon, Philippines).

Mais les partenariats stratégiques n'épuisent pas le sujet. Nous entretenons avec d'autres pays de la région des dialogues politico-militaires de plus en plus denses.

La France et ses collectivités du Pacifique ont des atouts à faire valoir avec les pays émergents pour nouer des relations particulièrement dynamiques. Qu'avons-nous à offrir ? Une identité forte, une culture appréciée et considérée comme prestigieuse, un système éducatif et universitaire reconnu et performant, une image d'excellence scientifique et technologique, une présence ancienne en Asie-Pacifique et des liens historiques avec certains pays, un réseau diplomatique dense (25 ambassades, 14 consulats, 42 établissements scolaires, 79 alliances françaises accueillant 100 000 étudiants, des grands groupes français, etc.) et déjà un premier délégué pour la Nouvelle-Calédonie intégré dans notre ambassade à Wellington depuis 2012.

En matière de négociation commerciale , du fait de sa compétence exclusive, l'Union européenne a un rôle majeur à jouer en la matière puisque c'est elle qui négocie les traités de commerce, en particulier les accords de libre-échange avec les pays de la région. S'il s'agit d'abaisser les tarifs douaniers avec nos partenaires du Pacifique, il s'agit également de négocier l'abaissement des barrières non tarifaires, d'assurer le respect des investissements et de la propriété intellectuelle et d'obtenir l'ouverture des marchés publics. Le premier accord de libre-échange à avoir été signé et mis en oeuvre concerne la Corée du Sud avec laquelle d'ailleurs nous sommes devenus pour la première fois bénéficiaire en 2011. Des demandes ont déjà été formulées par les pays d'Asie-Pacifique comme le Japon, le Vietnam, la Nouvelle-Zélande et l'Australie voire la Chine désormais.

En matière de diplomatie économique , il faut souligner que le 1 er janvier 2015, Ubifrance et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) ont fusionné pour constituer un opérateur public unique, Business France, en vue de rendre plus efficace la chaîne d'acteurs et de services dédiés au développement et au succès des entreprises françaises, quels que soient leurs tailles ou leurs secteurs, et qu'il s'agisse d'exportation, d'investissement ou de partenariats internationaux.

En matière d'influence, élément de la diplomatie économique, nous promouvons la francophonie en Asie-Océanie où l'on compte 2,5 millions de francophones, avec l'appui de nos collectivités. Deux pays du Pacifique sont membres de la l'Organisation internationale de la francophonie (Vietnam, Vanuatu). Le français reste une langue attractive et dans beaucoup de pays d'Asie-Pacifique, elle est la deuxième langue étrangère étudiée.

Des efforts sont faits pour encourager la mobilité étudiante au niveau du master et du doctorat et pour promouvoir auprès du public jeune l'image d'une France et de collectivités créatives et innovantes (partenariats de recherche et culture). Nous travaillons à adapter les procédures pour se rendre en France ou dans nos collectivités du Pacifique, à améliorer l'accueil, à développer les formations en anglais pour les non-francophones.

Dans le domaine culturel, nous avons des saisons croisées, avec la Corée du Sud (2013) et le Vietnam (2014) et bien sûr les manifestations qui ont marqué le 50 ème anniversaire de l'établissement de nos relations diplomatiques avec la Chine en 2014.

Enfin, un mot sur notre aide publique au développement, qui est un autre outil de notre politique d'influence. L'aide bilatérale s'élève à un milliard d'euros par an pour l'Asie et l'Agence française de développement (AFD), présente aussi à Nouméa, intervient dans 13 pays de la zone. Il convient également d'ajouter l'aide qui transite par les canaux multilatéraux dont le Fonds européen de développement (FED), qui joue un rôle majeur en Océanie.

En conclusion, la montée en puissance ou l'émergence du Pacifique où bascule l'économie du monde est une réalité. Il faut l'appréhender comme une chance à saisir et un défi à relever, pour la France et ses collectivités, et pour l'UE, comme l'ont souligné il y a un instant à la tribune le président du Sénat et le sénateur Guy Frogier. Mais comme l'a rappelé aussi le ministre des affaires étrangères et du développement international, « ll nous faut établir une relation qui soit bénéfique pour l'ensemble des parties et construire une relation équilibrée pour une gestion concertée des enjeux globaux. En Asie-Pacifique, la France devra rattraper le temps perdu ».

Frédéric Moncany de Saint-Aignan, Président du Cluster maritime français

Merci de m'avoir invité à participer à cette conférence où le monde de la mer est particulièrement bien représenté.

Brève présentation du Cluster maritime français (CMF).

Créé en 2006 par et pour les professionnels, le CMF est l'outil de promotion et de dynamisation du secteur économique maritime. De 30 adhérents en 2006, on est passé à plus de 375 aujourd'hui, à savoir des PME, des TPE, des grands groupes, des fédérations et des associations, mais aussi des régions, des communes et des établissements publics, tous secteurs d'activités confondus.

Chaque année le CMF organise, conjointement avec le journal Le marin du groupe Ouest-France, les Assises de l'économie de la mer, qui rassemblent plus de 1 700 décideurs du monde économique et politique.

Le CMF développe trois axes de travail : communication institutionnelle ; actions d'influences ; synergies opérationnelles.

1. Rapide historique sur la constitution des clusters maritimes d'outre-mer

Un groupe synergie outre-mer a été créé en 2008, avec pour but d'utiliser la mer comme vecteur de développement pour les outre-mer.

Le travail de ce groupe synergie a permis d'identifier la nécessité pour les acteurs maritimes locaux de se fédérer et de travailler ensemble.

Ainsi, nous avons pu assister à la création des premiers clusters maritimes d'outre-mer : Guadeloupe (mai 2011), La Réunion (septembre 2011), Guyane (mai 2012), Martinique (juin 2013), Polynésie française (juin 2014) et la Nouvelle-Calédonie (août 2014). Ils rassemblent aujourd'hui environ 250 membres au total et sont particulièrement actifs dans leurs territoires respectifs.

Nous sommes en lien constant avec eux, pour les aider à développer leurs structures, pour les accompagner sur des dossiers communs et enfin pour échanger sur des bonnes pratiques, quand c'est nécessaire.

2. Actions menées par le CMF

À ce titre, permettez-moi d'illustrer mes propos par quelques exemples concrets d'actions menées ensemble.

Notre groupe synergie outre-mer qui rassemble les représentants des clusters maritimes d'outre-mer et les acteurs maritimes de métropole se réunit tous les deux-trois mois à Paris.

Nous organisons pour eux une journée de coordination des clusters maritimes d'outre-mer une fois par an, permettant de faire un point sur les dossiers et continuer d'échanger sur les bonnes pratiques.

À tout moment et sur leur demande, nous avons une capacité d'action à Paris pour appuyer les dossiers bloqués au niveau local (par exemple : développement d'une base logistique en Guyane ; problématique des visas croisière en Polynésie française ; moyens Action de l'État en mer à La Réunion et développement d'un hub portuaire ; coordination Martinique-Guadeloupe pour la mise en place d'un marché unique antillais).

Le CMF permet également des mises en relation et l'organisation de rendez-vous à Paris (par exemple avec les acteurs des énergies marines renouvelables ; avec le collège d'experts de l'expertise scientifique collégiale en Polynésie française sur les ressources minérales marines et les acteurs métropolitains du Deep Sea Mining ).

Le succès de ces clusters maritimes ultramarins du Pacifique prend un sens particulier dans le cadre du développement économique dans cette zone.

3. Déplacement des économies dominantes vers la zone Asie Pacifique

On constate en effet que les principaux flux de marchandises et de matières premières transitent désormais majoritairement à travers le monde en provenance ou en retour de la zone Asie-Pacifique, soit 70 % du trafic mondial. Cet espace est aujourd'hui moteur de la mondialisation, traduite par une croissance des flux maritimes. Le cabinet Ernst & Young estime dans une étude datant de 2012 que la croissance des flux commerciaux depuis l'Asie-Pacifique vers l'Amérique du Nord, le Moyen-Orient, l'Amérique latine et l'Afrique progresserait de 10 % chaque année entre 2010 et 2020.

Il faut noter que les premiers ports du monde sont situés en Asie : dans le top 10, sept sont chinois, un pour Singapour, un pour l'Australie et l'Europe est représentée par Rotterdam...

Mais les pays exportateurs leaders dans la région, à savoir la Chine, Taïwan et la Corée du Sud, deviennent également de plus en plus des importateurs, permettant aux pays voisins et au reste du monde d'y vendre leurs valeurs ajoutées. Les flux de marchandises pourront bientôt transiter par Panama, avec l'ouverture prochaine du nouveau canal, permettant de relier encore plus l'Europe et l'Amérique à l'Asie-Pacifique.

La zone Asie-Pacifique est aussi l'objet d'enjeux concernant les ressources énergétiques, dont les hydrocarbures. On note un développement puissant de l' oil&gas offshore , tant par l'accroissement des technologies (recherche sismique, forage, plateforme offshore) que par les revendications de pays, où rentrent en ligne de compte les ambitions de l'Australie, de la Chine et de la Nouvelle-Zélande.

Le maritime est donc un vecteur de croissance en Asie-Pacifique, dont les États riverains représentent près d'un tiers du PIB mondial, au coeur des enjeux géopolitiques régionaux et internationaux. Cela nécessite une attention particulière, tant en matière de développements qu'en terme de sécurisation du trafic maritime, donc des approvisionnements et des mers.

Maritimisation du monde et enjeux régionaux

Avec 7,6 millions de kilomètres carrés (deux tiers de la ZEE française), le terrain de jeu (maritime) du Pacifique Sud comporte des enjeux particuliers pour la France.

La maritimisation du monde est une réalité, il faut pouvoir compter sur les atouts dont nous disposons.

Tout d'abord, des opportunités dont je vous énumère les principales, celles que je considère comme prioritaires :

• l'extraordinaire biodiversité du monde marin du Pacifique tant pour les bioressources (dont les ressources halieutiques) que pour l'essor des biotechnologies (pharmacie, cosmétique) ;

• les possibilités d'indépendance énergétique avec la mise en place de nouvelles technologies utilisant la mer comme source d'énergie ;

• la richesse de la géodiversité qui permet aujourd'hui l'exploitation du nickel et demain des ressources minérales profondes en mer ( deep sea mining ) ;

• être un partenaire économique pour les États voisins d'Australie et de Nouvelle-Zélande, mais aussi pour l'ASEAN, en tant que point intermédiaire des routes maritimes, en étant non plus une fin de ligne mais un hub de redistribution régional ;

• le développement de l'aquaculture et des cultures marines, pour répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels de la planète, sans augmenter la pression sur les ressources halieutiques ;

• les enjeux du tourisme, avec l'arrivée d'une nouvelle clientèle asiatique. Il faut mentionner l'essor des croisières dans les beaux lagons...

• le réel savoir-faire local qui nécessite toutefois un maintien et une montée en gamme de la formation dans les métiers de la mer ;

• un nécessaire maintien voire renforcement des moyens de l'action de l'État en mer, tant pour sécuriser nos trafic commerciaux que pour surveiller nos eaux territoriales et maintenir notre souveraineté.

Après cette énumération d'atouts, permettez-moi d'attirer votre attention sur un point de vigilance, à savoir la méconnaissance (totale) des élites (parisiennes) quant aux réalités locales, alors qu'il est nécessaire de prendre en compte les spécificités des collectivités d'outre-mer (notamment vis à vis de l'Union Européenne) pour des adaptations de la règlementation. Je ne suis pas un spécialiste du sujet, mais je souhaite relayer les préoccupations que l'on a pu me remonter de ces territoires.

En conclusion, les régions du Pacifique sont un trait d'union entre l'Asie orientale, l'Amérique et l'Europe, au coeur d'enjeux stratégiques et économiques dont le secteur maritime est un outil et un vecteur indispensable. La maritimisation du monde est en marche, c'est une chance pour les acteurs du Pacifique qui ont déjà commencé à s'en saisir.


* 4 PACER : Pacific Agreement on Closer Economic Relations

* 5 PICTA : Pacific Island Countries Trade Agreement

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