C. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE : UNE PROCÉDURE PARLEMENTAIRE

Devant le Conseil d'Etat, réuni en assemblée générale les 27 et 28 août 1958, le Gouvernement a présenté une version modifiée de
l'article 35 qui portait désormais exclusivement sur la recevabilité financière, la recevabilité prévue par l'actuel article 41 de la Constitution faisant l'objet d'un nouvel article.

En outre, l'arbitrage du Conseil constitutionnel en cas de désaccord entre le Parlement et le Gouvernement sur la recevabilité financière d'une initiative parlementaire était supprimé. A cet égard, il est intéressant de noter que Raymond Janot avait affirmé devant l'assemblée générale qu'« il n'y avait pas d'intérêt à maintenir la consultation du conseil constitutionnel dont il faut bien dire, à la vérité, que les compétences seront plus juridiques, ou politiques, que financières ».

Dans ces conditions, le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires était réservé au Parlement , à l'instar de ce qui se faisait sous l'empire de la IV e République. Pour autant, le Conseil constitutionnel s'est rapidement imposé comme le « juge d'appel » des organes parlementaires en matière de recevabilité financière, comme cela sera montré ultérieurement.

Le futur article 40 de la Constitution était ainsi arrêté dans sa forme définitive, référencé à l'article 38 du projet de texte adopté par l'assemblée générale du Conseil d'Etat :

Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.

Ce sont, en effet, ces mêmes dispositions qui figurent, inchangées, à l'article 40 de la Constitution depuis la promulgation de cette dernière , le 4 octobre 1958.

D. LE PÉRIMÈTRE DES RESSOURCES ET CHARGES PUBLIQUES

Les travaux préparatoires apportent des informations complémentaires quant au périmètre des ressources et charges publiques à retenir pour l'application de la recevabilité financière des initiatives parlementaires.

Dans une première version élaborée par le groupe de travail institué par le Gouvernement en juin 1958, les dispositions relatives à la recevabilité financière concernaient uniquement les ressources et les charges de l'Etat .

Toutefois, ce périmètre est rapidement apparu comme insuffisant. Ainsi, l'avant-projet gouvernemental transmis au Comité consultatif constitutionnel en juillet 1958 mentionnait déjà les ressources et les charges publiques .

Les débats devant le Comité consultatif montrent qu'une acception large des ressources et charges publiques doit être retenue , ainsi que cela était indiqué précédemment. Concernant le périmètre des ressources publiques, que certains souhaitaient voir réduit afin de préserver le pouvoir des parlementaires de réduire la charge fiscale, la proposition tendant à limiter celui-ci aux seules ressources inscrites en loi de finances avait été écartée .

L'argumentation développée par Jean Gilbert-Jules, membre du Comité consultatif, permet de comprendre les motifs de ce refus :

Un grand nombre de ressources ne figurent pas dans le budget. Lorsque le Gouvernement, pour l'allocation supplémentaire de la retraite-vieillesse, a demandé des recettes correspondantes, ce n'était pas budgétaire. On peut, chaque fois, permettre au Parlement, par des amendements, de demander la diminution des ressources autres que budgétaires et vous démunissez le Gouvernement des pouvoirs qu'il détient actuellement de la loi des maxima.

Ainsi émerge une conception extensive des « ressources publiques » et donc, par symétrie, des « charges publiques » . Celles-ci dépassent le cadre du budget de l'Etat et semblent, déjà, absorber le domaine des finances sociales.

Enfin, devant la commission constitutionnelle du Conseil d'Etat, Gilbert Devaux, commissaire du Gouvernement et également directeur du budget, insistait pour qu'il soit précisé que la notion de « charge » répondait à la définition des charges donnée par l'article 10 du décret-loi organique du 19 juin 1956, premier texte organisant l'ensemble des finances publiques ; cet article disposait :

Aucune mesure législative ou réglementaire susceptible soit d'entraîner une dépense nouvelle, l'accroissement d'une dépense déjà existante, ou une majoration de la charge nette résultant de la gestion des comptes spéciaux du Trésor, soit de provoquer une perte de recette ou encore, soit d'accroître les charges, soit de réduire les ressources des départements et des communes ou des divers régimes d'assistance et de sécurité sociale, ne peut intervenir en cours d'année sans avoir fait l'objet, s'il y a lieu, d'une ouverture préalable de crédits et qu'aient été dégagées, pour un montant équivalent, soit des nouvelles recettes prévues au budget, soit des économies entraînant la suppression ou la réduction d'une dépense antérieurement autorisée.

Le Gouvernement est tenu de prendre toute mesure réglementaire nécessitée par l'application des dispositions votées, dans les conditions ci-dessus, par le Parlement 10 ( * ) .

Selon Gilbert Devaux, ces dispositions impliquaient que soit comprises dans le champ des charges publiques « non seulement des dépenses de l'Etat et des dépenses budgétaires et de trésorerie mais également des charges pouvant incomber aux collectivités territoriales , aux organismes de Sécurité sociale , aux établissements publics , aux entreprises nationales » . Il ajoutait en outre « qu'il ne s'agit pas uniquement des charges d'un exercice, mais des charges valables pour tous les exercices à venir » 11 ( * ) .

Il faut aussi noter qu'il s'agissait bien du sens donné aux charges publiques par la commission constitutionnelle du Conseil d'Etat, ainsi que l'a indiqué le rapporteur, Jérôme Solal-Céligny.


* 10 Journal officiel du 20 juin 1956, page 5634.

* 11 Réunion de la commission constitutionnelle du Conseil d'Etat des 25 et 26 août 1958.

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