II. L'UNION EUROPEENNE, UN ESPACE DE CONCURRENCE FISCALE

La divergence des orientations structurelles imprimées aux masses budgétaires dans les pays européens ne résulte pas essentiellement de choix de politiques budgétaires conjoncturelles différentes .

Contrairement aux Etats-Unis où les baisses de prélèvements obligatoires intervenues ces dernières années semblent avoir été motivées par l'objectif contracyclique (relancer l'économie) assigné à la politique budgétaire, les réductions fiscales adoptées en Europe ont un caractère plus structurel et poursuivent des objectifs de compétitivité et d'attractivité .

A cet égard, les principales réformes intervenues en Allemagne ces dernières années sont exemplaires de politiques économiques accordant une priorité au renforcement de la compétitivité et de l'attractivité .

Mais, la concurrence fiscale est beaucoup plus globalement à l'oeuvre dans l'Union européenne.

Par ailleurs, si elle touchait principalement l'imposition du capital (entreprises et revenus financiers), elle concerne désormais le coût du travail et passe par des mesures (la hausse des impôts indirects) qui s'apparentent à des dévaluations, ressuscitant ainsi les dévaluations compétitives d'avant l'euro.

A. L'EXEMPLE ALLEMAND

Ces dernières années, l'Allemagne a procédé à des réformes structurelles de grande ampleur 15 ( * ) qui semblent avoir pour but essentiel de gagner un avantage de compétitivité internationale mais aussi d'améliorer son attractivité .

La totalité des mesures structurelles de politique économique mises en oeuvre en Allemagne semble avoir été guidée par le désir d'obtenir des gains sur le front de la compétitivité-coût et de l'attractivité.

LES RÉFORMES ALLEMANDES

- Les réformes intervenues pour « moderniser le marché du travail » ont consisté à réduire la couverture du risque-chômage et à réduire les cotisations sociales dues à raison de certains emplois .(Voir l'encadré page suivante : »Les lois Hartz de modernisation du marché du travail »).

- Dans les autres domaines de la protection sociale , trois chantiers ont été ouverts : la réforme des retraites et celle de l' assurance-maladie , la réforme du financement de la protection sociale .


• S' agissant des retraites , les années 90 avaient été marquées par le passage par paliers de l'âge de la retraite à taux plein à 65 ans et par des augmentations des ressources consacrées à leur financement.

Le taux des cotisations retraite a été relevé de 17,7 % du salaire brut en 1991 à 20,3 % en 1998, pour être ensuite réduit entre 1999 et 2002 à 19,1 % après une augmentation du financement public (un tiers des ressources) financée par un relèvement du taux de TVA en 1998 et par l'instauration de l'impôt écologique sur les entreprises polluantes en 1999.

LES LOIS HARTZ DE MODERNISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL

Source : COE-Rexecode. Juillet 2007.

Depuis, des mesures importantes sont intervenues :


• les taux de cotisations ont été plafonnés par la loi en 2001 à 20 % à l'horizon 2020 et à 22 % à l'horizon 2030 ;


• les assurances complémentaires auprès des entreprises ont été encouragées ainsi que les contrats d'épargne retraite (retraites « Riester ») pour compenser la diminution des taux de remplacement dans le régime de base par des avantages fiscaux (exonération d'impôts sur le revenu et de cotisations sociales salariales et patronales, jusque fin 2008) et par le versement des primes ;


• les salariés souscrivant aux contrats de prévoyance vieillesse « Riester » bénéficient de subventions de base (76 euros en 2004 et 2005, 114 euros en 2006 et 2007 et 154 euros en 2008), d'un bonus par enfant (92 euros en 2004 et 2005, 138 euros en 2006 et 2007 et 185 euros à partir de 2008) et d'un crédit d'impôts via une déduction fiscale de la cotisation plafonnée ; les plafonds de déduction fiscale étant de 1.050 euros en 2004 et 2005, 1.575 euros en 2006 et 2007 et 2.100 euros à partir de 2008 ;


• à compter du 1 er juillet 2001, une réindexation des retraites sur le salaire brut moyen (au lieu des prix), mais tenant compte des taux de cotisation retraite et des taux de contribution au régime par capitalisation facultatif « Riester » est intervenue ;


• une nouvelle hausse du taux de cotisation retraite a été décidée en 2003, le portant à 19,5 % ;


• de nouvelles réformes de structure ont été prises en 2004 : relèvement progressif entre 2006 et 2008 de l'âge minimal de liquidation des droits pour les chômeurs (de 60 à 63 ans), réduction des bonifications au titre des études professionnelles et plafonnement à 36 mois et, introduction d'un facteur de « pérennité » dans le calcul de revalorisation des retraites qui prend en compte l'évolution du taux de dépendance (si celui-ci augmente, la hausse du salaire brut moyen n'est répercutée qu'en partie, limitant ainsi la revalorisation de la retraite) ;


• suppression de l'avantage fiscal consenti aux retraites du privé qui seront soumises à l'impôt sur le revenu d'ici à 2040 (contre seulement 50 % de la retraite brute en 2005), en contrepartie de quoi, les cotisations sociales payées par les salariés seront progressivement exonérées de l'impôt sur le revenu.

Enfin, à partir du 1 er janvier 2007, le taux de cotisations a été de nouveau porté à 19,9 % du salaire brut (un dixième de point en dessous du plafond de 20 %) tandis que suivant les recommandations de la « commission Rürup », l'âge de départ à la retraite a été reculé de 65 à 67 ans. Ce processus doit débuter en 2012 et s'achever en 2023 à raison d'un mois par an puis de deux mois à partir de 2024.

Pour un départ à 65 ans, la décote est de 3,6 % par an anticipé.


• Dans le domaine de la santé , après l'accord-cadre de 2000 qui prévoit le passage à une tarification à l'activité dans les établissements de soin, une loi a été adoptée en 2003 pour augmenter la part de financement à la charge des patients et diminuer certaines prestations.

Enfin, à partir du 1 er janvier 2009, un fonds sera constitué pour gérer les ressources du système de santé en lieu et place des caisses d'assurance-maladie.

Ce fonds versera aux caisses d'assurance maladie un forfait identique (déterminé par la loi) pour chacun de leurs assurés.

Si les ressources qui lui sont attribuées ne sont pas suffisantes, chaque caisse d'assurance maladie aura la possibilité de demander un forfait complémentaire à ses cotisants sous la forme d'un prélèvement à hauteur de 1 % du revenu du ménage, plafonné à 3.563 euros ou de 8 euros par mois (le plus élevé étant choisi). Si la caisse maladie affiche au contraire un excédent, elle pourra consentir des ristournes. L'objectif est de « responsabiliser » les caisses en accentuant la concurrence entre elles.

Enfin, les cotisations maladie qui étaient de 14,2 % du salaire ont été relevées de 0,5 point au 1 er janvier 2007, hausse supportée à égalité par les salariés et les employeurs.


• Enfin, s'agissant du financement de la protection sociale , il faut bien sûr mentionner le réaménagement des prélèvements obligatoires en lien avec la hausse de la TVA au 1er janvier 2007 , même si l'objectif de cette mesure n'est pas uniquement - ni même principalement - d'instaurer une « TVA sociale » .

Le taux de TVA a été relevé de 3 points à 19 %, les recettes supplémentaires liées à cette hausse devraient être consacrées pour les deux tiers à la réduction du déficit public et pour un tiers à une réduction des cotisations-chômage, salariés et employeurs (pour moitié chacune) dont le taux passerait de 6,5 % à 4,5 %.

Cependant, dans le même temps, les hausses de cotisations au 1 er janvier 2007, de 0,2 point du taux de cotisation employeur retraites et de 0,25 point du taux de cotisation employeur assurance maladie, limitent la baisse du taux de cotisations employeur associée à la hausse de la TVA à 0,55 point. Pour les salariés, la baisse du taux de cotisation est du même ordre puisqu'ils doivent supporter une hausse de 0,2 point du taux de cotisation salariés-retraite et de 0,25 point du taux de cotisation salarié-assurance maladie.


Dans le domaine de la fiscalité , la hausse des impôts indirects résultant de la réforme de la TVA s'accompagne d'une réduction de l'impôt sur les sociétés .

L'impôt sur les sociétés se compose d'un impôt régional de 16,7 % sur les bénéfices avant impôt, d'un impôt fédéral de 25 % sur les bénéfices après impôt régional et d'une taxe de solidarité en faveur de la réunification de 5,5 % sur les bénéfices après impôts. La réduction du taux d'imposition passera par une baisse de l'impôt fédéral à 15 %.

Deux autres mesures sont prévues :

- une « limite d'intérêts » pour les sociétés de capitaux, la charge d'intérêt de l'impôt sur les sociétés étant fonction du montant des bénéfices (plus le bénéfice est élevé, plus la déduction l'est aussi) ;

- un prélèvement à la source sur les gains en capital (intérêts, dividendes et plus-values) sera introduit en 2008 ce qui réduirait l'imposition des dividendes mais accroîtrait celles des plus-values.

S'agissant des retraites , les mesures adoptées représentent un effort pour réduire l'augmentation prévisible de la part du PIB consacrée aux pensions en Allemagne, afin notamment d'éviter la hausse des prélèvements fiscaux qu'il faudrait entreprendre pour la financer . Une combinaison alliant réduction du taux de remplacement (montant de la retraite/montant du salaire d'activité) et diminution de la durée prévisible du service des pensions a été mise en place. Les hausses de cotisations qui sont intervenues étant restées très modérées, le choix de résolution du problème comptable des retraites pour lequel l'Allemagne a opté, a un prolongement, également observé dans ce pays, la promotion de l'épargne-retraite privée. Ce prolongement s'explique dès lors que le choix réalisé en Allemagne consiste à réduire l'ampleur des retraites versées en contrepartie de prélèvements obligatoires et qu'une incertitude demeure sur les préférences des agents. L'augmentation légale de l'âge d'ouverture des « droits pleins » peut être sans effet sur les conditions réelles de départ à la retraite. Au fond, la seule certitude attachée à ce type de réformes est qu'elles permettent d'éviter d'alourdir les prélèvements obligatoires, et qu'elles peuvent 16 ( * ) contribuer à améliorer la compétitivité et l'attractivité du pays qui les entreprend.

Cet objectif de compétitivité est aussi poursuivi avec l'augmentation de la TVA , les réaménagements structurels des prélèvements obligatoires auxquels elle a donné lieu obéissant à deux motifs (ce qui les nuance par rapport à un mécanisme pur de TVA sociale) :

- augmenter la compétitivité de l'Allemagne en créant un écart de prix entre les produits nationaux et les produits importés 17 ( * ) ;

- augmenter les prélèvements obligatoires pour réduire le déficit public dans la perspective tracée par le programme de stabilité allemand élaboré pour se conformer à la discipline budgétaire européenne (v. infra ).

Dans sa première branche, l'augmentation de la TVA poursuit une inspiration très proche, voire identique, à celle motivant les dévaluations compétitives d'avant l'euro .

S'agissant de l'impôt sur les sociétés , le dispositif est évidemment destiné à améliorer l'attractivité de l'Allemagne comme terre d'accueil des capitaux et à renforcer la compétitivité des entreprises.

*

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Si l'Allemagne offre une image parlante d'une politique de concurrence fiscale conduite dans un grand pays de l'Union européenne, elle n'est évidemment pas la seule à participer à un processus, que d'ailleurs l'Europe n'a jamais vraiment condamné, se contentant de prohiber la concurrence fiscale abusive 18 ( * ) .

* 15 Ces réformes ont pour résultat de réduire le niveau de l'intervention publique principalement dans les domaines des transferts économiques et sociaux.

* 16 Sous la réserve essentielle que ce qui est « gagné » sur le front des prélèvements obligatoires ne soit pas « perdu » sur celui des salaires directs.

* 17 Toutefois, comme la baisse des cotisations sociales est d'une ampleur moindre que la hausse de la TVA, l'avantage compétitif n'est pas à la hauteur de celle-ci.

* 18 A travers un code de conduite a minima, contre la « concurrence fiscale dommageable », et certaines règles (plafond de TVA, directive épargne et accord de Feira) relevant d'une harmonisation partielle.

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