Rapport d'information n° 113 (2007-2008) de MM. Joël BOURDIN et Yvon COLLIN , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 5 décembre 2007

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N° 113

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 décembre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour la planification (1) sur la coordination des politiques économiques en Europe ,

Par MM. Joël BOURDIN et Yvon COLLIN,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; M. Pierre André, Mme Évelyne Didier, MM. Joseph Kergueris, Jean-Pierre Plancade, vice-présidents ; MM. Yvon Collin, Claude Saunier, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Gérard Bailly, Yves Fréville, Yves Krattinger, Philippe Leroy, Jean-Luc Miraux, Daniel Soulage .

AVANT-PROPOS

L' Union européenne , et plus encore la zone euro, est une zone de forte intégration économique (échanges commerciaux, flux financiers, monnaie unique...). Par ailleurs, la construction européenne a une dimension politique , qui pour être diversement ressentie en Europe, est une donnée essentielle de l'imaginaire et de l'histoire des citoyens européens .

Dans ces conditions, l'intégration économique européenne ne peut être considérée , et n'est pas vécue, comme le simple fruit des circonstances ou comme un compromis de nature exclusivement technique destiné à mettre de l'huile dans les rouages commerciaux d'une collection d'Etats que tout séparerait par ailleurs. Elle est en soi un objectif politique, ce que l'adoption d'une monnaie unique, en lieu et place des monnaies nationales, vient consacrer avec une force particulière.

Il n'en reste pas moins que l'Union européenne n'est pas un ensemble complètement unifié : les frontières demeurent avec une grande partie de leur efficace. L'Europe est toujours segmentée : le commerce, la finance, la langue, la culture, en somme la plupart des réalités socio-économiques, tout en Europe est plus national qu'européen . L' organisation politique européenne porte la marque de cette identité. Les souverainetés politiques ont bien pu donner lieu à des abandons, elles subsistent dans leurs aires nationales .

Ces souverainetés trouvent naturellement à s'exercer dans le domaine des politiques économiques.

Elles ont, certes, été limitées. Mais , excepté pour la monnaie, même quand des contraintes européennes sont posées, les souverainetés juridiques des Etats demeurent , plus ou moins, complètes.

Elles sont même sans limite dans tous les autres domaines que la monnaie, sauf celui de la politique budgétaire .

A l'usage, cette pyramide des souverainetés a confirmé l'instabilité qu'on pressentait à mesure qu'elle était édifiée et les Etats ont affiché la volonté de l'asseoir plus solidement : la coordination des politiques économiques en Europe était née . Le présent rapport est consacré à en évaluer le contenu et l'efficacité.

La coordination des politiques économiques représente un engagement politique majeur dans le processus historique de la construction européenne. Dans les faits, cet engagement n'a pas été tenu pour des raisons politiques qu'il faut analyser car, de cette analyse, dépendent les pistes de solutions qu'il est possible d'explorer .

La coordination des politiques économiques en Europe est inscrite dans le Traité fondateur qui stipule que « les Etats membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil » .

La coordination des politiques économiques est ainsi un engagement international solennel, élément à part entière de l'équilibre sur lequel repose la construction européenne.

Cet engagement est-il seulement formel ? Le texte du Traité semble inviter à une réponse affirmative . La coordination des politiques économiques entre les Etats y est présentée comme faisant l'objet d'un engagement de principe auquel le Conseil a vocation à donner telles suites concrètes qu'il souhaite.

Pourtant, cette approche restrictive, et quelque peu résignée, ne peut être retenue pour au moins quatre raisons :

- le relief donné à la coordination des politiques économiques, « une question d'intérêt commun », oblige à considérer qu'au-delà d'une obligation de moyen, est fixée une véritable obligation de résultat : les Etats membres n'ont pas à se contenter d'essayer de coordonner leurs politiques économiques, ils doivent, substantiellement, les coordonner ;

- les Traités, et les protocoles annexés, définissent dans plusieurs domaines dont, en premier lieu, le domaine budgétaire, des modalités précises de coordination des politiques économiques qui, dépassant la seule intention formelle, déterminent des règles de fond (le déficit excessif, la dette soutenable...) ;

- le renoncement à l'instrument monétaire pour servir les intérêts économiques nationaux suppose, en contrepartie, une coordination des politiques économiques entre Etats, pour des motifs différenciés : pour assurer la préservation de la monnaie certes mais aussi parce que l'adoption des principes communs de politiques économiques est seule de nature à éviter une concurrence ruineuse entre Etats ;

- enfin , et surtout , la construction européenne n'est pas qu'un projet formel ; elle prétend à des finalités politiques .

Ainsi dans le domaine économique, comme l'indique le Traité négocié lors du récent Sommet de Lisbonne (article 3.3), qui renforce, en ce domaine, les ambitions européennes, « l'Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social , et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales , l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale , et la solidarité entre les Etats membres [...] ». 1 ( * )

Ainsi, la coordination des politiques économiques ne doit pas être prise à la légère .

Pilier fondamental de la construction économique dans une Europe non fédérale, elle doit être considérée comme un engagement politique fort, visant, dans un cadre politique et institutionnel décentralisé, à tenir la place et exercer les fonctions d'une gouvernance européenne non-unifiée.

Là réside l'importance de la coordination des politiques économiques mais là se trouvent aussi les racines du mal qui semble la frapper .

L'absence d'unification politique en Europe, à quoi prétend remédier la coordination des politiques économiques, laisse toute sa force à la diversité d'options de politiques nationales qui s'opposent et à la survivance d'intérêts nationaux qui se concurrencent.

Dans ces conditions, bien que gagnante, et collectivement, et pour chacun, la coordination des politiques économiques a peu de chances d'aboutir. De fait, elle doit surmonter deux obstacles redoutables : les désaccords sur le sens même des coordinations à instaurer ; la concurrence des intérêts nationaux tels que les conçoivent les Etats.

Il existe alors un risque mortel pour l'Europe, le déroulement d'un processus d'hyper-compétition entre les Etats ruinant le projet politique européen qui repose sur une solidarité minimale.

Cette éventualité, à laquelle l'histoire de la coordination des politiques économiques en Europe donne malheureusement beaucoup de crédit, déboucherait sur une « guerre économique » quand le projet européen peut s'enorgueillir d'avoir maintenu depuis plus de cinquante ans la paix politique et militaire.

Ce qui constituerait une régression économique serait donc aussi une formidable faillite politique.

Les auteurs du présent rapport, qui s'attachent à analyser les échecs et les enjeux économiques de la coordination des politiques économiques en Europe, n'oublient pas que la tâche essentielle, et le moyen de prévenir la grave crise politique que ne manquerait pas d'engendrer le statu quo, est de nature politique.

Il s'agit de démentir la formule historique du Général de Gaulle : « Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts » . Pour cela, il faut penser au-delà de l'idée des débuts de la construction économique selon laquelle les intérêts nationaux nous feraient amicaux les uns aux autres, et redécouvrir et consacrer vraiment la puissance considérable qui réside pour l'Europe dans le choix de la coopération entre partenaires.

Telle nous semble devoir être la priorité absolue de la future présidence française de l'Union européenne.

CHAPITRE I - POURQUOI IL FAUT COORDONNER LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EN EUROPE

En lien avec les arguments reposant sur l'inefficacité - voire la nocivité - des politiques budgétaires, une thèse s'est répandue qui, se rattachant plus ou moins à ceux-ci, vient à l'appui d'une contestation de la nécessité de coordonner les politiques budgétaires des différents pays européens :

- la coordination serait inutile ;

- elle serait même nuisible .

La seule coordination justifiée serait en place avec le « Pacte de stabilité et de croissance » qui garantirait les disciplines budgétaires nécessaires à la viabilité de l'euro et à éviter les seules externalités économiques vraiment redoutables : celles qui passent par l'inflation exportée et la hausse des primes de risques dans la zone euro, avec les tensions sur les taux d'intérêt qui en découlent.

Pour le reste, il suffirait de laisser faire . Cette recommandation n'est-elle pas conforme à l'un des aspects fondamentaux de l'Union européenne qui présente le visage d'un marché unique fortement concurrentiel , cette forte concurrence étant d'ailleurs l'un des motifs de la création d'un marché unique pour les effets vertueux sur la croissance qu'on lui prête ? Dans la quasi-totalité des secteurs économiques, n'existe-t-il pas au moins deux concurrents avec des ancrages territoriaux marqués ? Laissons donc les pays européens rivaliser sur le front de la compétitivité et sur le terrain de l'attractivité. Laissons-les se montrer capables de succès dans l'accueil des flux de capitaux internationaux (qui se dirigent majoritairement vers l'espace européen).

On le voit, entre l'ambition affichée de coordination des politiques économiques , qui correspond à la promotion d'intérêts communs, et la mise en oeuvre de politiques économiques et sociales au service de la compétitivité et de l'attractivité de chaque pays, il peut y avoir un évident conflit d'objectifs, qu'il faut bien trancher .

A l'examen, il apparaît que la thèse de l'inutilité de la coordination des politiques économiques, qui repose sur des bases plus que fragiles, est incohérente avec le souci tant manifesté des « disciplines budgétaires » et, pis encore, négligeant par trop les risques de l'incoordination et les gains de la coordination, qu'elle éloigne l'Europe de l'atteinte des objectifs essentiels de la construction européenne.

Ainsi, il semble à vos rapporteurs que c'est à bon droit, que, tournant le dos à la thèse de l'inutilité de la coordination, l'Union européenne, en tant qu' espace économique fortement intégré , se caractérisant par des interdépendances macroéconomiques étroites entre pays et des ambitions économiques élevées , a envisagé les politiques économiques nationales comme porteuses d'enjeux dépassant le seul cadre national des pays où elles sont entreprises. Oui, les politiques économiques des Etats membres de l'Union sont judicieusement reconnues comme « d'intérêt commun ».

Elles doivent donc être coordonnées, et par la coordination européenne des politiques économiques, il ne s'agit pas seulement d'éviter que les politiques économiques nationales ne lèsent les partenaires, mais aussi de s'inscrire dans le cadre d'objectifs communs afin que les politiques économiques contribuent au succès des objectifs essentiels de l'Union européenne.

L'absence de coordination des politiques économiques crée un contexte favorable à une guerre économique entre les Etats européens dont tous sortent perdants .

I. LA THÈSE DE L'INUTILITÉ DE LA COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES, UNE THÈSE INFLUENTE EN EUROPE

La thèse de l' inutilité de la coordination des politiques budgétaires s'appuie sur une série d'arguments qui font valoir la faible incidence des politiques budgétaires nationales sur les partenaires d'une union économique et monétaire régionale.

Apparemment, elle va nettement à contre-courant de l'engagement européen de coordination des politiques économiques .

A l'examen, les choses sont moins simples et il se révèle que l'organisation de la coordination des politiques économiques en Europe emprunte nombre de ses traits à cette thèse.

Celle-ci, à vrai dire, ne conduit pas tant à récuser les modalités de la « coordination » des politiques économiques en Europe qui, on le verra, s'inspirent étroitement , dans leur architecture et leur existence réelle, de cette approche, qu'à promouvoir une coordination a minima .

C'est, aux yeux de vos rapporteurs, tout son danger.

A quoi revient, en effet, la position de principe qu'elle comporte ? Sur le plan de l'économie réelle , à la dénégation des inter-dépendances entre économies nationales et, paradoxalement, sur le plan monétaire , à l'affirmation que les comportements financiers des Etats nationaux exercent de puissants effets sur les conditions monétaires et financières de chacun dans une zone monétaire unifiée.

Par ce contenu, on aura reconnu les caractéristiques essentielles de l'organisation européenne de la coordination des politiques économiques avec son noyau dur, le Pacte de stabilité et de croissance, outil de prévention plus qu'espace de coordination positive, et son ventre mou, qui recouvre, de fait, tous les autres aspects de la politique économique.

A. UNE COORDINATION INUTILE SUR LE PLAN DE L'ÉCONOMIE RÉELLE ?

Sur le plan de l'économie réelle , la thèse de l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires s'attache généralement à démontrer que la réaction de la croissance économique d'un pays suite à une impulsion budgétaire n'influe pas sur les autres.

Sans affirmer que la politique budgétaire d'un pays de l'Union européenne n'exercerait pas d'effets sur les pays tiers, l'étude du Cepii estime qu'« il n'est pas sûr que les externalités budgétaires soient importantes » .

Autrement dit, elle donne un certain crédit à l'idée que le sens donné à la politique budgétaire dans un pays de l'Union européenne n'ayant que peu d'impact réel direct sur les autres, il ne serait pas vraiment nécessaire , du moins sous cet angle, de promouvoir davantage de coordination entre les pays .

Cette suggestion s'appuie sur la mobilisation de différentes techniques : des modèles macroéconométriques ; des modèles plus théoriques .

1. Les résultats de certains modèles macroéconomiques

Une étude partant des estimations des externalités budgétaires, réalisées au moyen de plusieurs modèles macroéconométriques, associées à différentes configurations de politique budgétaire 2 ( * ) conclut que la coordination des politiques budgétaires est sans véritable intérêt .

Sont estimées successivement :


• une politique budgétaire expansionniste réalisée isolément dans un grand pays - l'Allemagne ;


• une politique budgétaire expansionniste réalisée, soit par les trois grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie), soit par huit « petits pays ».

Les effets d'une augmentation des dépenses publiques de 1 point de PIB en Allemagne, sur les pays de l'Union européenne, tels qu'ils sont évalués dans quatre modèles macroéconométriques disponibles en Europe, sont présentés dans le tableau ci-dessous.

IMPACT D'UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES PUBLIQUES DE 1 POINT DE PIB EN ALLEMAGNE AU COURS DE L'ANNÉE OÙ ELLE EST MISE EN oeUVRE SUR LA CROISSANCE DES PAYS DE L'UNION MONÉTAIRE (ÉCARTS EN POINTS DE PIB)

QUEST

Marmotte

NiGEM

Moyenne

Multimod

Allemagne

(pays référent)

0,33

- 0,07

0,96

0,41

Nd

France

- 0,05

0,04

- 0,03

- 0,01

Nd

Italie

- 0,07

0,06

- 0,01

- 0,01

Nd

Espagne

- 0,10

0,07

- 0,11

- 0,05

Nd

Pays-Bas

0,04

0,09

0,01

0,05

Nd

Belgique

0,02

0,22

- 0,04

0,07

Nd

Irlande

- 0,03

0,02

0,03

0,01

Nd

Pologne

- 0,08

n.a.

- 0,02

- 0,05

Nd

Grèce

- 0,10

0,08

- 0,07

- 0,03

Nd

Moyenne zone euro

- 0,03

0,04

- 0,02

0,00

- 0,10

Source : Gros et Hobza.

Une augmentation des dépenses publiques de 1 point de PIB , réalisée au moyen d'un accroissement de même ampleur de la consommation publique, en Allemagne exerce des effets de sens contraires selon les modèles, mais qui, hormis dans le pays même, peuvent être considérés comme toujours mineurs :


• dans les modèles Quest et NiGEM, l'impact est négatif, sans excéder toutefois 0,03 point de PIB ; pour le modèle MULTIMOD, l'effet négatif est plus important (- 0,1 point de PIB) ;


• seul le modèle Marmotte montre un impact favorable ; mais il est de faible ampleur (+ 0,04 point de PIB).

Les résultats sur les pays tiers d'un choc budgétaire expansionniste ne diffèrent pas fondamentalement lorsqu'on teste plusieurs scénarios alternatifs :


• celui d'un choc conjoint dans les trois grands pays de l'union monétaire ou dans huit « petits pays » ;


• celui d'un choc de dépenses ou, alternativement, d'un choc fiscal ;


• celui d'un choc avec sensibilité de la Banque centrale européenne à l'inflation ou au niveau des taux d'intérêt réel.

RÉACTION DE LA BCE

BCE avec cible d'inflation

BCE avec cible de taux d'intérêt réel

Dépenses

Impôts

Dépenses

Impôts

D+F+I

8 pays

D

D+F+I

8 pays

D+F+I

8 pays

D+F+I

8 pays

Allemagne (D)

0,2

-0,01

0,27

0,32

0,04

0,52

0,1

0,23

0,01

France (F)

0,23

0,02

0,06

0,31

0,04

0,49

0,11

0,24

0,02

Italie (I)

0,26

-0,05

0,05

0,31

0,01

0,53

0,04

0,24

-0,01

Espagne

-0,23

0,27

0,04

0,07

0,17

0,08

0,37

0

0,14

Pays-Bas

-0,01

0,16

0,09

0,16

0,17

0,27

0,25

0,09

0,14

Belgique

0,04

0,05

0,1

0,19

0,13

0,35

0,15

0,12

0,1

Irlande

-0,11

0

0,08

0,14

0,09

0,21

0,11

0,06

0,07

PO

-0,21

0,21

0,03

0,04

0,12

0,01

0,28

-0,02

0,1

OS

-0,1

0,11

0,08

0,11

0,12

0,18

0,2

0,04

0,1

SF

-0,26

0,35

0,07

0,1

0,23

0,07

0,46

0,02

0,2

Grèce

-0,27

-0,09

0,02

0,02

-0,01

-0,02

-0,01

-0,03

-0,03

Royaume-Uni

-0,21

-0,01

0,04

0,07

0,03

0,06

0,08

0,01

0,01

EMU11

0,14

0,04

0,13

0,26

0,06

0,43

0,13

0,19

0,04

Moyenne

-0,02

-0,01

0,04

0,04

0,02

0,06

0,05

0,02

0

Source : Gros et Hobza.


• C'est dans les pays à l'origine du choc budgétaire que la politique budgétaire est la plus efficace à court terme.


• Plus les pays sont grands, plus l'efficacité de la politique budgétaire l'est elle-même.


• Moins la BCE se montre rigoureuse, plus la politique budgétaire est efficace.


Enfin, les effets sur les pays tiers sont, en moyenne, très faibles, qu'ils soient positifs ou négatifs .

Les modèles cités dans l'étude pour estimer les effets externes des politiques budgétaires nationales en Europe débouchent sur des enseignements qualitatifs identiques quand on s'intéresse au long terme .

Pas plus que le court terme, celui-ci ne conduit à recommander un renforcement de la coordination des politiques budgétaires.

Graphique n° 1

LE PROFIL TEMPOREL DES EFFETS EN FRANCE D'UNE EXPANSION BUDGÉTAIRE EN ALLEMAGNE (EN % DU PIB)

Source : Gros et Hobza. Fiscal policy spillovers in the euro area. 2001.

Au contraire, comme le montre le graphique n° 1 ci-dessus, les modèles (à l'exception du NiGEM) suggèrent que l'impact sur les pays étrangers d'une expansion budgétaire nationale (ici les effets sur la production en France d'une relance budgétaire allemande atteignant 1 point de PIB) se réduit au cours du temps.

2. Les résultats de simulations plus théoriques

Une récente étude 3 ( * ) , consacrée aux effets externes à court terme des politiques budgétaires dans une union monétaire, débouche sur des conclusions qui, quoique plus nuancées, relativisent également l'intérêt d'une plus grande coordination des politiques économiques .

Plusieurs types de politiques budgétaires à visée expansionniste sont envisagés selon qu'elles passent par une augmentation des dépenses publiques ou par une diminution des prélèvements obligatoires, selon la nature des enchaînements économiques qu'elles suscitent (réactions de demande ou réactions d'offre) et selon le type de politique monétaire qui les accompagne.

IMPACT D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE EXPANSIONNISTE DANS UN PAYS DE L'UNION MONÉTAIRE

Augmentation des dépenses publiques

Réduction des impôts

Sans effets d'offre

Avec effets d'offre

Sans effets d'offre

Avec effets d'offre

Production du pays d'origine

+

+

+

+

Production du pays tiers

-

-

-

+/-

Prix du pays d'origine

+

+

+

+/-

Prix du pays tiers

-

-

-

+/-

Source : « Short-terme fiscal spillovers in a monetary Union », par Agnès Benassy-Quéré, CEPII. 13 juillet 2006.

Dans l'hypothèse où la Banque centrale conduit une politique monétaire non-accommodante, les effets d'une relance budgétaire sur les pays tiers, sont :


négatifs pour la production , que cette relance passe par une augmentation des dépenses ou par une baisse des impôts (avec toutefois des résultats ambigus quand des effets d'offre 4 ( * ) interviennent dans le pays tiers) ;


désinflationnistes (sauf dans l'hypothèse où des effets d'offre se déclenchent avec alors des effets plus ambigus).

Ces enchaînements s'expliquent par l'impact sur les pays étrangers de la hausse des taux d'intérêt que suscite la relance budgétaire. Elle fait plus que compenser l'impact favorable de la relance budgétaire qui passe par le commerce international.

Le caractère plus ambigu d'une relance prenant la voie d'une réduction fiscale s'explique par la variabilité de ses effets selon que la compétitivité des pays tiers est ou non affectée 5 ( * ) .

B. UNE COORDINATION NUISIBLE ?

La thèse de la nocivité de la coordination des politiques économiques repose sur trois catégories principales d'arguments :

- la nécessité de préserver les capacités d'action des Etats dans une union monétaire ;

- le coût excessif de la coordination ;

- la transparence des responsabilités économiques, argument peu souvent mentionné mais opportunément cité dans l'étude du CEPII annexée au présent rapport.

1. L'argument de préservation des marges de manoeuvre des Etats dans une union monétaire imparfaite

Selon cet argument, la réalisation de l'UEM accentuerait la nécessité de pouvoir mobiliser librement les politiques budgétaires nationales, ce qui plaiderait pour une coordination a minima .

L'adoption d'une monnaie commune signe la constitution en Europe d'une zone monétaire unique. Elle s'incarne dans une unification monétaire qui a, comme pendant, une « européanisation » de la politique monétaire.

En outre, ce cadre de fonctionnement s'applique à un ensemble économique qui, s'il a abandonné une situation insatisfaisante de multiplicité des monnaies, ne répond pourtant pas au modèle théorique d'une zone monétaire optimale.

Au total, c'est le hiatus entre l'UEM et le modèle d'une zone monétaire optimale, combiné avec l'absence d'un budget européen capable d'amortir les chocs, qui justifieraient que les politiques budgétaires nationales soient les moins coordonnées possible .

a) Le hiatus entre le modèle de zone monétaire optimale et l'UEM
(1) L'UEM ne présente pas les caractéristiques d'une zone monétaire optimale

Une zone monétaire optimale est un ensemble économique caractérisé par la faible occurrence des chocs asymétriques et le haut niveau de flexibilité du marché du travail .

L'existence de chocs asymétriques, c'est-à-dire d'événements touchant différemment les membres de la zone, est un défi pour la stabilité d'une zone à monnaie unifiée puisque, par hypothèse, les participants à cette zone sont privés d'outils importants de politique économique.

De fait, la persistance de situations économiques et sociales disparates dans la zone euro semble propice au déclenchement de tels chocs.

(2) Une intégration économique et sociale incomplète

L'UEM s'applique à un ensemble de pays dont les spécificités économiques restent fortes.

En dépit des progrès de l'intégration européenne et de la convergence nominale qui ont permis et suivi l'adoption de l'euro, les spécificités économiques des pays de la zone restent fortes.

Trop nombreuses pour faire l'objet d'un recensement exhaustif dans ce rapport, on en donnera trois exemples dans des domaines sensibles pour les politiques économiques : les prix, la croissance et le chômage.

S'agissant des prix , le tableau ci-après témoigne, à partir des séries de prix à la consommation, de la forte dispersion des performances nationales par rapport aux résultats moyens de la zone.

Elle confirme l'existence de divergences entre les Etats et la difficulté d'adopter une politique monétaire commune appropriée à chacun d'entre eux.

S'agissant du chômage , les situations sont elles aussi très disparates. Certains pays paraissent près du plein-emploi, si bien que toute accélération de l'activité y est susceptible de buter sur une contrainte de rareté de la main-d'oeuvre et un dérapage inflationniste.

Dans d'autres pays, le sous-emploi persiste et appelle, entre autres, un supplément de croissance afin de le résorber.

Enfin, la dispersion des performances de croissance est patente. Quelques pays évoluent sur un rythme supérieur à leur potentiel tandis que d'autres subissent une activité nettement moindre. Il n'y a pas en Europe de synchronisation des cycles nationaux.

b) Une intégration budgétaire européenne presque inexistante

A côté de l'européanisation de la monnaie et des politiques liées directement à elle, l'intégration budgétaire n'a que peu progressé.

S'il existe un budget des communautés européennes, son poids limité par un plafond, à 1,24 % du PIB européen et son objet, financer quelques unes des politiques communautarisées, en même temps que la règle d'équilibre qui lui est appliquée, lui ôtent toute capacité d'être utilisé en l'état comme instrument de stabilisation économique.

En l'état, la dimension européenne ne s'impose aux politiques budgétaires nationales qu'à travers le pacte de stabilité et de croissance.

Dans le modèle de la zone monétaire optimale, ce danger peut être conjuré par la mobilité des facteurs de production ou par la flexibilité des salaires. Un choc obérant la compétitivité d'un Etat est d'autant mieux absorbé que les salaires s'ajustent. Pour un choc réduisant la croissance, il en va de même et la mobilité géographique des salariés renforce cette capacité d'adaptation. Or, l'Europe ne se caractérise pas par une mobilité généralisée de la main-d'oeuvre.

L'existence d'un hiatus entre le modèle des zones monétaires optimales et la zone euro ne peut donc pas être sérieusement contestée. Mais, les propriétés de cette situation n'amènent pas vos rapporteurs à la conclusion que la coordination des politiques budgétaires serait inutile (voir le II du présent chapitre).

2. L'argument tiré des coûts de la coordination

La coordination des politiques budgétaires repose sur des procédures inter-gouvernementales (au sein de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin) qui fait intervenir autant d'acteurs que d'Etats membres de la zone euro. Elle se surajoute à une coordination budgétaire interne entre le gouvernement central et les assemblées parlementaires, mais aussi, dans les Etats fédéraux notamment, avec les gouvernements locaux. L'engagement des Etats membres au niveau européen ne peut donc être que conditionnel aux procédures budgétaires internes. En outre, il est limité dans le temps en raison du cycle électoral. Ainsi, la coordination des politiques budgétaires serait très coûteuse en énergie pour un résultat nécessairement fragile.

3. L'argument de la responsabilisation des Etats

Ce troisième argument en défaveur de la coordination repose sur l'idée qu'il serait nécessaire de mettre les gouvernements devant leurs responsabilités. L'idée est de laisser jouer une concurrence par comparaison entre les gouvernements des différents Etats afin que les électeurs sanctionnent les gouvernements inefficaces, ou bien ceux qui ne poursuivent pas la maximisation du bien-être social (Etats dits « léviathans »).

C. UNE COORDINATION NÉCESSAIRE SUR LE SEUL PLAN MONÉTAIRE ET FINANCIER ?

Il vaut d'être souligné que la thèse de l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires en Europe, au motif de la faible intensité des interactions réelles entre les économies européennes, s'accompagne généralement d'une très grande préoccupation pour les effets monétaires des politiques budgétaires nationales , qui d'ailleurs la fondent en grande partie (voir le titre II du présent chapitre). Cette préoccupation conduit à préconiser, au nom de la solidarité monétaire des pays d'une zone monétaire, un ferme encadrement des politiques de soutien de la demande, présenté (à tort, selon vos rapporteurs) comme une modalité de coordination.


• D'un point de vue théorique, les interdépendances entre pays d'une union économique et monétaire , appréciées sous l'angle de leur effet sur le rythme de croissance économique des partenaires, peuvent emprunter plusieurs canaux :

- celui des échanges commerciaux entre le pays à l'origine du « choc budgétaire » et ses partenaires ;

- celui des conditions monétaires et financières .

Le principe d'une surveillance des politiques budgétaires nationales dans l'Union monétaire européenne résulte principalement des incidences éventuelles qu'elles peuvent exercer sur l'ensemble des partenaires à travers ce dernier canal.


• Le canal des échanges commerciaux , rarement mentionné, n'est évoqué pour justifier la « discipline » budgétaire qu'à travers l'éventualité d'une détérioration de la position commerciale de l'ensemble de la zone (soit par excès de demande, soit par des pressions inflationnistes) et ses effets sur la valeur de l'euro .

Les risques inverses suivants ne sont pas pris en compte :

- celui d'une dépréciation de l'euro résultant d'un différentiel de croissance anticipée entre la zone euro et le Reste du Monde résultant de politiques budgétaires restrictives en Europe ;

- celui d'une appréciation de l'euro associée à l'accumulation d'excédents extérieurs en lien avec un tel différentiel de croissance 6 ( * ) .


• Le canal des conditions monétaires et financières est beaucoup plus abondamment envisagé.

Il décrit l'impact que toute politique budgétaire peut avoir sur le niveau des prix, sur les taux d'intérêt ou sur la valeur externe de la monnaie.

Ces différents « biens » étant communs dans une zone monétaire unique, on est fondé à considérer comme d'intérêt commun les politiques budgétaires nationales .

Ainsi, l'adoption d'une monnaie commune à des Etats souverains sur le plan budgétaire impose une discipline commune qui est souvent présentée comme une forme de coordination.

Globalement, l'idée est que le déficit excessif ou la dette excessive d'un Etat appartenant à une zone monétaire ne sont pas que l'affaire de cet Etat mais qu'ils concernent l'ensemble des partenaires.

Lorsque des pays différents partagent la même monnaie, des orientations budgétaires insoutenables se traduisent, du fait des perspectives d'inflation ou de répudiation de la dette publique, par une élévation des taux d'intérêt dans l'ensemble de la zone, qui touche donc tous les pays (et leurs agents économiques).

De surcroît, les pays les plus handicapés sont alors les pays les plus « vertueux » puisque la hausse des taux d'intérêts qui se produit exerce une tension asymétrique sur les taux d'intérêt réels. Le pays le plus inflationniste est moins affecté par la hausse des taux nominaux que les autres.

Relevons enfin que la vigilance manifestée à l'encontre de politiques budgétaires nationales insoutenables dans une union monétaire se nourrit de la préoccupation de voir favorisée l'adoption de telles politiques dans un tel cadre. Celle-ci est assise sur une double inquiétude théorique :

- celle de voir multiplier les comportements nationaux cyniques en lien avec les effets asymétriques d'un resserrement des conditions monétaires et financières mentionnés ci-dessus ;

- celle associée au relâchement des disciplines naturelles que représente pour un Etat le souci de préserver la valeur de sa monnaie et des conditions financières favorables dans un contexte où chacun a la responsabilité de ces équilibres.

*

* *

On aura reconnu dans ces raisonnements la justification théorique du « Pacte de stabilité et de croissance » européen qui, de fait, s'attache à définir les conditions de prévention et de corrections des déficits et des dettes nationaux excessifs.

Rappelons que, de ce point de vue :

- un déficit est excessif, sauf appréciation commune contraire, quand le niveau du déficit public atteint 3 points de PIB ;

- tandis qu'une dette publique est excessive quand elle dépasse 60 points de PIB (ou du moins ne décline pas assez vite vers ce niveau).

II. ASSURER EN EUROPE UNE COORDINATION ÉTROITE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES, UN IMPÉRATIF À CONSACRER

La thèse de l'inutilité de la coordination des politiques économiques en Europe repose sur des arguments excessifs, soit par la légèreté de certaines interprétations, soit par la faiblesse des présupposés qui les fondent .

Elle se rattache à une posture économique, celle de l'inutilité, voire de la nocivité, de toute politique économique, que ne partage aucun Etat dans le monde parce que cette thèse conduit à de graves revers.

La considération de son utilité doit faire prévaloir une mise en oeuvre sans faille de l'engagement de coordination des politiques économiques pris par les Etats de l'Union européenne .

A. POURQUOI IL NE FAUT PAS NÉGLIGER LA COORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES

Les arguments avancés pour affirmer l'inutilité de la coordination des politiques économiques en Europe sont excessifs. Ils reposent sur des interprétations discutables de données économétriques et sur des approches théoriques qui sont elles-mêmes susceptibles d'être contredites.

1. Une coordination inutile, des raisonnements contestables...

a) Les leçons tirées des simulations dans certains modèles

Sur ce premier plan, on peut estimer, à l'inverse de certains commentaires, que les simulations utilisées pour accréditer la thèse de l'inutilité de la coordination des politiques économiques en Europe montrent, au contraire, qu'il est nécessaire de mieux coordonner ces politiques .

Sans, à ce stade, s'intéresser, sur le fond, aux résultats des simulations, on peut remarquer que certaines d'entre elles font ressortir un impact assez net d'une relance budgétaire nationale sur les partenaires, qu'il s'agisse de la croissance économique ou de l'inflation.

En ce qui concerne l' inflation , les modèles extériorisent des effets inégaux, dont certains sont importants comme le montrent les données ci-dessous correspondant aux simulations du modèle Marmotte.

EFFETS EXTERNES SUR L'INFLATION D'UNE RELANCE BUDGÉTAIRE EN ALLEMAGNE SELON DEUX MODÈLES MACROÉCONOMÉTRIQUES (EN ÉCARTS DE POINTS)

QUEST

Marmotte

France

- 0,05

- 0,28

Italie

- 0,06

- 0,35

Espagne

- 0,07

- 0,25

Pays-Bas

- 0,06

- 0,43

Belgique

- 0,08

- 0,41

Irlande

- 0,14

- 0,17

Pologne

- 0,08

n.a.

Grèce

- 0,09

- 0,33

Moyenne zone euro

- 0,05

- 0,21

Source : Gros et Hobza

En ce qui concerne la croissance économique , il faut relever que la valeur absolue de la moyenne des externalités (voir tableau) est élevée dans, au moins, un des modèles cités (le modèle Multimod), et que les valeurs relatives des externalités, calculées comme le rapport entre les effets sur la croissance de la politique budgétaire dans le pays où elle est entreprise et dans les autres, sont importantes .

Par ailleurs, une donnée importante doit être soulignée : les résultats des simulations sont des « résultats de premier tour », qui sont insusceptibles de rendre compte du cumul des effets envisagés.

Les « effets de second tour », c'est-à-dire les interactions entre les autres pays européens ne sont pas restituées par les modèles. Tout se passe comme si les interdépendances autres que celles entre l'Allemagne et chacun des autres pays européens n'existaient pas.

VALEURS RELATIVES DES EXTERNALITÉS D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE DE RELANCE EN ALLEMAGNE (EN % DE L'EFFET SUR L'ALLEMAGNE)

QUEST

Marmotte

NiGEM

Moyenne 1

France

- 15

- 55

- 3

- 24

Italie

- 21

- 82

- 1

- 35

Espagne

- 30

- 90

- 11

- 44

Pays-Bas

12

- 118

1

- 35

Belgique

6

- 292

- 4

- 97

Irlande

- 9

- 25

3

- 10

Pologne

- 24

n.a.

- 2

- 13

Grèce

- 30

- 113

- 7

- 50

Moyenne zone euro

- 10

- 59

- 2

- 24

1 Hors Autriche et Portugal, pour Marmotte

Source : Gros et Hobza

b) Une interprétation théorique contestable : les conséquences attachées aux imperfections de la zone euro au regard de la théorie des zones monétaires optimales

Il est peu contestable que la zone euro n'est pas une zone monétaire optimale. Ainsi, il est justifié que les Etats disposent de larges marges de manoeuvre de politique budgétaire.

Pour autant, il faut aussi considérer l'efficacité de la politique budgétaire. Laisser à la disposition des Etats une politique sans réunir les conditions de son efficacité n'a pas de sens.

Si l'on estime que la coordination des politiques économiques est une condition de l'efficacité des politiques budgétaires nationales, comme c'est le cas dans le présent rapport, alors les lacunes de la zone euro du point de vue de ce qui forme une zone monétaire optimale, conduisent, au contraire, à plaider pour une forte coordination des politiques économiques .

2. ... qui doivent être contredits

Les simulations utilisées pour apprécier les effets économiques externes des politiques budgétaires nationales dépendent, en fait, de l'estimation de l'impact de la relance budgétaire sur l'économie qui en est à l'origine : que celui-ci soit faible, alors les externalités le sont aussi ; qu'il soit important, les effets externes le sont également.

L'utilisation des modèles macroéconométriques présente l'avantage inestimable d'éclairer les diagnostics économiques, en promouvant un haut degré de rigueur analytique là où prévalent trop souvent l'expression de simples opinions et, finalement la production de préjugés plus ou moins cohérents.

Il reste que les modèles économiques ne peuvent techniquement ambitionner de décrire les mécanismes économiques qu'au prix d'hypothèses plus ou moins robustes. Tout l'enjeu scientifique des modèles réside dans le degré de cette robustesse.


Or, les caractéristiques techniques essentielles des modèles utilisés pour nier l'opportunité de la coordination des politiques budgétaires en Europe - qui sont présentées en annexe - conduisent nécessairement, avec le jeu d'hypothèses exogènes employé, à limiter les effets expansionnistes de la politique budgétaire .

Ces modèles conduisent d'ailleurs à une conclusion beaucoup plus globale encore que celle de l'inefficacité des politiques de relance budgétaire : l'absence d'effet de tout choc de demande.


• Le tableau ci-après qui résume les estimations des effets sur l'économie domestique d'une relance budgétaire en Allemagne en témoigne.

PROFIL TEMPOREL DE L'IMPACT SUR L'ÉCONOMIE INTÉRIEURE D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE EXPANSIONNISTE
EN ALLEMAGNE, DE 1 POINT DE PIB (EN POINTS DE PIB)

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Marmotte

- 0,07

- 0,12

- 0,18

- 0,19

- 0,19

- 0,18

- 0,17

- 0,16

- 0,15

- 0,14

MULTIMOD

1,20

0,88

0,46

0,09

- 0,19

- 0,38

- 0,41

- 0,36

- 0,25

- 0,07

NiGEM

0,96

0,51

0,36

0,31

0,28

0,19

0,06

- 0,03

- 0,09

- 0,15

QUEST

0,41

0,05

0,02

0,0

- 0,02

- 0,03

- 0,04

- 0,05

- 0,05

- 0,02

Moyenne

0,63

0,33

0,17

0,05

- 0,08

- 0,10

- 0,14

- 0,15

- 0,14

- 0,10

Source : Gros et Hobza

EFFETS SUR LE NIVEAU DES PRIX EN ALLEMAGNE D'UNE RELANCE BUDGÉTAIRE EFFECTUÉE DANS CE PAYS (EN POINTS DE PIB)

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Marmotte

0,71

0,69

0,66

0,62

0,58

0,53

0,50

0,46

0,43

0,40

MULTIMOD

0,68

0,78

0,60

0,32

0,04

- 0,18

- 0,31

- 0,36

- 0,37

- 0,35

NiGEM

0,02

0,31

0,65

0,87

1,01

n.a.

n.a.

n.a.

n.a.

n.a.

QUEST

0,09

0,13

0,15

0,16

0,16

0,16

0,17

0,17

0,18

0,17

Source : Gros et Hobza

Dans deux modèles, l'impact d'une politique budgétaire expansionniste est soit insignifiant (Quest), soit même négatif (Marmotte) au bout d'un an. Dans les deux autres modèles (Multimod et NiGEM), l'effet de la relance, élevé la première année, se réduit rapidement au cours du temps.

En moyenne, le multiplicateur budgétaire, déjà inférieur à l'unité la première année, diminue encore au-delà si bien qu'au bout de quatre ans, la politique budgétaire a perdu l'essentiel de ses effets favorables sur la croissance économique.

a) Des présupposés théoriques et des hypothèses exogènes particulières...

Ces résultats proviennent d'abord des présupposés théoriques à la base de la construction de la plupart des modèles en cause .

Ils comportent, systématiquement, en leur accordant plus ou moins de place, des paramètres d'équilibrage inspirés du paradigme néo-classique et des anticipations rationnelles.

LES PRÉSUPPOSÉS DES MODÈLES CONDUISENT À RÉCUSER L'INTÉRÊT DE LA COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES

Deux présupposés théoriques prédéterminent, plus ou moins, les modèles dont les résultats sont exploités par les études concluant à l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires en Europe :

- la théorie néo-classique de la croissance d'équilibre ;

- la théorie des anticipations rationnelles.

Ces deux théories conduisent, plus globalement, à récuser les bénéfices des politiques budgétaires de relance, et, au contraire, à recommander, pour leurs vertus d'accélération de la croissance économique, les politiques d'excédents budgétaires.

Le paradigme néo-classique prétend qu'il existe un sentier de croissance équilibré dont les dysfonctionnements ne sauraient résulter que des perturbations occasionnées par les interventions publiques. Celles-ci ne sont justifiées que dans les cas particuliers de défaillance du marché. Hors ces configurations, toute intervention publique est inutile - la puissance du sentier d'équilibre est telle qu'on ne peut rien contre elle - et nocive - si l'activité réelle n'y réagit pas, les prix, eux, sont flexibles et susceptibles d'augmenter.

Quant à la théorie des anticipations , elle conduit à établir que le maniement de l'instrument budgétaire à des fins de stabilisation se heurte nécessairement aux anticipations des agents économiques.

Des arguments théoriques , connus sous le nom de théorème d'équivalence de Ricardo-Barro, suggèrent que la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive pourrait, dans certaines circonstances, ne pas entraîner de contraction de la demande totale (et vice versa ). La baisse de la consommation et des investissements publics serait contrebalancée par une hausse de la consommation privée (c'est-à-dire une baisse du taux d'épargne des ménages).

En effet, dès lors que les ménages ont le « souci du futur » , c'est-à-dire que leur consommation ne dépend pas de leur seul revenu courant, mais aussi de leurs anticipations de revenus futurs - leur « revenu permanent » -, et que le système financier leur permet d'effectuer aisément des arbitrages entre leur consommation actuelle et leur consommation future (c'est-à-dire que les ménages disposent d'une gamme étendue de produits financiers pour leur épargne et d'un accès facile au crédit), une réduction des dépenses ou des déficits publics peut accroître la consommation privée selon les mécanismes suivants :

- Si les ménages sont convaincus qu'une hausse des prélèvements fiscaux est inéluctable à moyen terme (pour stabiliser la dette publique), ils se sont déjà constitués une épargne supplémentaire en vue de ces impôts futurs. Inversement, l'annonce que l'ajustement budgétaire ne sera pas différé non seulement ne réduit pas la consommation (les ménages puisent dans cette épargne accumulée), mais peut même l'accroître si la résolution aujourd'hui des difficultés budgétaires les rassure pour l'avenir.

- De manière similaire, si une politique budgétaire restrictive réduit le risque d'une répudiation prochaine de la dette publique (par l'inflation ou la dévaluation) et d'une crise financière , cela augmente la probabilité d'une croissance saine à moyen terme, donc des revenus futurs des ménages ; cette « bonne nouvelle » les incite à accroître immédiatement leur consommation.

- Enfin, si la politique budgétaire restrictive s'accompagne d'une diminution des dépenses publiques perçues comme improductives , les ménages anticipent une meilleure allocation des ressources de la Nation et une augmentation de l'ensemble de leurs revenus disponibles futurs (c'est-à-dire de leur « revenu permanent »), ce qui est de nature à accroître immédiatement leur consommation.

Il est à noter que ces anticipations favorables sont en partie « autoréalisatrices » : si une majorité des ménages estiment qu'une politique budgétaire « trop laxiste » était la cause principale des difficultés économiques et augmentent leur consommation à l'annonce d'une politique budgétaire restrictive, cette dernière est alors susceptible d'avoir un impact favorable sur la croissance.

Tous ces arguments sont réversibles et utilisés pour affirmer qu'à l'inverse des politiques de relance budgétaire exercent des effets économiques défavorables .

Ces mécanismes « surdéterminent » les résultats des simulations de politique budgétaire dans un sens défavorable .

L' ajout d'hypothèses « ad hoc » concernant l'impact des politiques budgétaires sur les conditions monétaires et financières renforce leurs mécanismes dans ce dernier sens.

Elles répondent également à des considérations théoriques , qui mettent en exergue l'existence d'un effet d'éviction et d' effets inflationnistes systématique dans toutes politiques de relance.

Sur ce dernier point, l'idée est qu'une relance aggrave systématiquement les tensions inflationnistes, qui seules peuvent expliquer l'existence d'un déséquilibre économique.

Dans un régime néoclassique, si la production n'est pas maximale, c'est que des rigidités nominales existent au terme desquelles les prix sont trop élevés. Tout supplément de demande alourdit ces difficultés.

L' inflation qui en résulte appelle un resserrement de la politique monétaire qui annihile l'effet de la relance sur la production réelle.

Quant à elle, la mobilisation de la théorie de l'effet d'éviction conduit à associer à toute politique budgétaire expansionniste une tension sur les taux d'intérêt .

LA THÉORIE DE L'EFFET D'ÉVICTION

Selon cette approche théorique, les politiques budgétaires expansionnistes exerceraient un effet d'éviction , ce qui conduit à recommander de tendre vers une amélioration constante des soldes publics.

En effet, la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive est susceptible de conduire à une baisse des taux d'intérêt à travers différents canaux de transmission :

- La réduction du besoin de financement des administrations publiques permet une réduction du montant net des émissions de titres publics . Il en résulte a priori une baisse du prix du capital - le taux d'intérêt - sur les marchés obligataires.

- L'assainissement de la politique budgétaire réduit « l'effet boule de neige » de l'endettement public, donc le risque de répudiation de sa dette par l'Etat (soit directement par défaut de paiement, soit indirectement grâce à une relance de l'inflation ou grâce à une dévaluation si la dette est libellée en monnaie nationale). Ceci diminue la prime de risque de change, et la prime de risque inflationniste attachées aux titres publics ou privés émis en monnaie nationale (en particulier à long terme), s'en trouvent réduites.

- Plus généralement, si la situation budgétaire est fortement dégradée, une politique de réduction des déficits publics est de nature à améliorer la crédibilité de la politique économique d'ensemble , ce qui peut également permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt directeurs.

- Enfin, lorsque la politique budgétaire restrictive exerce un effet de ralentissement de l'activité économique, ce phénomène est en lui-même susceptible de favoriser une baisse de l'ensemble des taux d'intérêt : d'une part, la diminution de l'investissement privé concourt avec la baisse des émissions de titres publics à une détente des taux de marché ; d'autre part, la contraction de la demande ralentit l' inflation , ce qui peut permettre aux autorités monétaires de réduire les taux d'intérêt de court terme .

Dans ces conditions, l'effet de relance économique résultant de l'augmentation de la demande est contrecarré par une réduction de l'offre, si bien que ses incidences sur la croissance en volume de la production tendent à être négatives, dans un contexte où l'inflation doit systématiquement être combattue.

b) ... qui, dans la généralité qu'on leur donne, doivent être contredits

Les théories à la base des modèles économiques en cause qui prétendent à l'inutilité, et même la nocivité systématique des politiques budgétaires, et, par conséquent, à l'absence d'intérêt d'une plus grande coordination en ce domaine doivent être contredites pour leur généralité .


Sous cet angle, on doit d'abord critiquer la théorie d'équivalence Ricardo-Barro .

Elle suppose que les agents économiques ne subissent aucune contrainte de liquidité et qu'ils considèrent systématiquement que la stimulation budgétaire ne peut être efficace. La première condition est nécessaire pour que, dans le cas d'une politique budgétaire restrictive, les agents économiques puissent continuer à exprimer la même demande. Il faut, en effet, en ce cas, qu'ils abaissent leur taux d'épargne ce qui suppose qu'ils puissent recourir au crédit. La seconde condition est nécessaire pour que les agents économiques soient insensibles au soutien de leur revenu qu'implique une relance budgétaire. Ils doivent imaginer devoir la « payer » plus tard par un supplément de prélèvements fiscaux.

On pressent, à leur énoncé, combien l'extension de ces conditions à l'ensemble des agents économiques est irréaliste. Nombre d'entre eux n'ont évidemment pas accès au crédit. De même, pour nombre d'entre eux, il est assez peu vraisemblable que la conviction de l'inefficacité de la politique budgétaire soit partagée, alors qu'ils savent apprécier le desserrement de leur contrainte budgétaire pour consommer.

Si le théorème d'équivalence de Ricardo-Barro devait avoir une quelconque validité, il est justifié, à tout le moins, de le considérer excessif dans la généralité de son énoncé.


L'approche par l'effet d'éviction est justiciable d'une même appréciation .

Relevons d'abord qu'elle est quelque peu contradictoire avec la première alors que ces deux théories sont parfois mobilisées concomitamment par les modélisateurs. En effet, elle s'appuie sur un rationnement de l'accès aux marchés financiers alors que l'équivalence de « Ricardo-Barro » suppose son inexistence.

Mais, au-delà, il faut souligner que l'existence d'un effet d'éviction est des plus improbables lorsqu'on se situe dans une configuration où les théories qui justifient l'activation de la politique budgétaire trouvent à s'appliquer . En effet, les politiques budgétaires expansionnistes sont essentiellement recommandées lorsque la demande est insuffisante par rapport à l'offre. Elles ne le sont pas dans l'hypothèse inverse, du moins sous l'angle de leurs propriétés de relance conjoncturelle. Dans de telles configurations, c'est l'excès d'épargne qui prédomine et l'effet d'éviction n'a pas lieu d'être sérieusement pris en considération.


• Enfin, l'argument selon lequel toute augmentation du déficit budgétaire serait nécessairement inflationniste, et vouée à déclencher une tension sur les taux d'intérêt , suppose que et les autorités monétaires et les investisseurs sur les marchés de capitaux, méconnaîtraient systématiquement les conditions particulières dans lesquelles une relance budgétaire est inflationniste. Or, l'identification de ces conditions est véritablement élémentaire. Elles ne sont réunies que lorsque les capacités d'offre sont insuffisantes pour satisfaire la demande.

Le tableau ci-après, tiré du travail de simulation des effets externes des politiques de relance, rend compte de la sensibilité des estimations des externalités budgétaires à l'hypothèse posée quant à la réaction des conditions monétaires et financières suite à une telle relance .

IMPACT D'UNE POLITIQUE BUDGÉTAIRE EXPANSIONNISTE DANS UN PAYS DE L'UNION MONÉTAIRE AVEC UNE POLITIQUE MONÉTAIRE ACCOMODANTE

Augmentation des dépenses publiques

Réduction des impôts

Prédominance des effets de demande

Prédominance des effets d'offre

Prédominance des effets de demande

Prédominance des effets d'offre

Facteur d'intensité de la détente monétaire

0

>0

0

>0

0

>0

0

>0

Production du pays d'origine

+

++

+++

+

+

+

+

++

+++

++

+

-

Production du pays tiers

-

+/-

+++

-

+/-

+

+/-

++/-

+++

+/-

+/--

-

Prix du pays d'origine

+

+

+

+

+

+

+/-

++/-

+

+/-

+/--

-

Prix du pays tiers

-

+/-

+

-

+/-

+

+/-

++/-

+

+/-

+/--

-

Source : « Short-terme fiscal spillovers in a monetary Union », par Agnès Benassy-Quéré, CEPII. 13 juillet 2006.

Alors que lorsque la politique monétaire n'est pas accommodante, ces externalités sont négatives et faibles, une configuration monétaire et financière plus favorable les transforme radicalement.

Elles deviennent alors le plus souvent positives (la relance dans un pays augmente la production des partenaires) et ressortent comme fortes (ce que traduit le nombre de « + » dans le tableau).

*

* *

Autrement dit, il apparaît injustifié, à vos rapporteurs, et dangereux de s'appuyer sur des travaux qui ne décrivent que des états-limites pour prétendre à la vérité générale que les politiques économiques de pilotage de la conjoncture sont sans efficacité et n'appellent pas de coordination .

B. POURQUOI IL FAUT UNE COORDINATION ÉTROITE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES

Vos rapporteurs préfèrent privilégier des approches plus réalistes. Il faut alors reconnaître que les gains de la coordination des politiques économiques ressortent clairement des différentes approches théoriques 7 ( * ) et empiriques qui ne sont pas inspirées par un dogmatisme étroit.

Ces résultats , qui sont logiques étant donné l'étroitesse des relations économiques entre les pays de l'Union européenne, confortent d'abord l'idée que la coordination a des vertus qui lui sont propres . Ils conduisent ainsi à mettre en évidence les coûts de la non-coordination , qui tiennent dans les incidences défavorables des politiques antagonistes (désinflation compétitive ou, au contraire, indifférence à l'inflation), auxquelles l'absence de coordination conduit les Etats.

Au-delà, il faut considérer les coûts d'opportunité résultant de la non-coordination des politiques économiques, les coûts de la non-Europe .

La conclusion est sans appel : l'absence de coordination dégénère systématiquement sur une configuration antagonique coûteuse et, par nature, prive l'Europe des gains positifs de la coopération.

1. Les gains de la coordination dans les approches théoriques

Trois catégories d'approches théoriques méritent ici une mention :


• la théorie des jeux qui montre qu'à défaut de coordination, les choix des Etats sont moins favorables qu'avec une coordination et tendent vers des solutions antagonistes ;


• le multiplicateur keynésien qui rend compte des interdépendances économiques entre les pays ;


• la considération de quelques principes d'économie publique .

a) L'incoordination crée de l'antagonisme, les leçons de la théorie des jeux

D'un point de vue purement théorique, les raisonnements développés dans le cadre de la « théorie des jeux » permettent de comprendre pourquoi la coordination est nécessaire et d'identifier les gains potentiels résultant de la coordination des politiques économiques.

Le message fondamental de cette théorie est qu'en l'absence de coordination les Etats européens sont incités à des décisions apparemment rationnelles de leur point de vue propre mais défectueuses pour tous. L'absence de coordination pousse à des stratégies nationales antagonistes qui, cumulées, sont une très mauvaise solution, pour chaque partenaire et pour l'ensemble qu'ils forment.

Ils montrent aussi que ces gains sont dépendants de conditions précises qui ne sont pas systématiquement réunies dans l'Union européenne.

APERÇU SUR LES GAINS DE LA COOPÉRATION DANS LA THÉORIE DES JEUX

En simplifiant beaucoup, la théorie de jeux s'efforce de rendre compte du comportement de deux (au moins) acteurs qui, conscients des interactions existant entre eux, ne savent pas dans quel sens agira l'autre ; cette ignorance, dans l'absence d'accord entre les acteurs, débouche sur une situation moins bonne pour tous (une solution « sous-optimale ») que si un accord était intervenu entre eux. La formulation la plus célèbre, et la plus simple, de la théorie des jeux est le dilemme du prisonnier. Il met en situation deux prisonniers A et B qui se voient proposer chacun le choix entre trois solutions éventuelles :

- dénoncer l'autre alors que celui-ci se tait ;

- dénoncer l'autre et être dénoncé par lui ;

- se taire.

Dans le premier cas, le dénonciateur est remis en liberté, l'autre est condamné à 10 ans de prison. Dans la deuxième hypothèse, tous les deux sont condamnés à 2 ans de prison. Dans la dernière hypothèse, les deux suspects sont libérés.

La meilleure solution est évidemment la troisième. Mais elle présente un risque considérable : celui de se taire et d'être dénoncé par l'autre. En ce cas, au lieu de la liberté espérée, c'est 10 ans de prison qui se présentent.

La perte est moindre lorsque chacun se dénonce puisqu'alors la peine n'est que de 2 ans de prison, soit une perte de bien-être de 2 au lieu de 10. Bien que sous-optimale, c'est la solution de dénoncer l'autre qui est alors la plus rationnelle.

Il est évident que la coopération entre les deux suspects, si elle avait eu lieu, aurait donné des résultats biens supérieurs . Chacun aurait été libéré sur le champ.

Appliquée aux politiques économiques, la théorie des jeux suggère que la conduite des politiques économiques reposant sur la rationalité individuelle de chacun aboutit à une solution sous-optimale par rapport à une situation où une coopération entre Etats interviendrait .

En bref, elle consacre, sur une base théorique, l'utilité de la coordination des politiques économiques .

On peut illustrer ce propos en imaginant que chaque Etat de l'Union européenne gagnerait 1 point de croissance à augmenter les salaires dans son pays, mais perdrait 1 point de croissance s'il n'était pas suivi par les autres qui, dans cette hypothèse, gagneraient chacun 0,5 point de croissance. La seule solution rationnelle en l'absence de coopération est de s'abstenir de relancer les salaires.

La démonstration de la supériorité de la coopération apportée par la théorie des jeux est essentielle, mais suspendue à deux conditions de faisabilité :

- elle suppose que chacun participe au même jeu, c'est-à-dire qu'il y ait homogénéité des acteurs ; chacun est dans la même situation et se trouve exposé aux mêmes conséquences d'un choix identique ;

- la démonstration repose aussi sur une vision claire des solutions et de leurs conséquences.

Dans le cas qui nous occupe, on ne peut prétendre que ces deux conditions soient toujours empiriquement réunies :

- il existe une forte hétérogénéité, réelle ou perçue, des situations entre les pays de l'Union européenne ;

- il n'existe pas toujours d'accord sur la meilleure solution possible.

Ces subtilités ne viennent pas remettre en cause le message principal, et précieux, de la théorie des jeux : la coordination des politiques économiques en Europe doit être active car il existe de fortes interactions. Elles le précisent.

Pour que la coordination des politiques économiques soit réellement mise en oeuvre, il faut :

- primo , que les sentiments particularistes ne dominent pas les approches communautaires, problème auquel répond, en théorie, l'affirmation par les Traités que les politiques économiques nationales sont d'intérêt commun ;

- secundo , qu'un consensus, ou à tout le moins un accord minimal, soit réuni sur la « meilleure solution possible » . Sur ce plan, la configuration institutionnelle de l'Europe, ainsi que les conditions techniques dans lesquelles se forgent les orientations des politiques économiques, en bref les processus décisionnels en Europe, sont loin de garantir la réalité d'un tel accord .

b) La théorie du multiplicateur keynésien en économie ouverte

La théorie du multiplicateur keynésien s'attache à montrer la sensibilité de la croissance économique à une relance budgétaire. Son contraire, le diviseur budgétaire, a la même ambition dans le cas d'une contraction budgétaire.

Le multiplicateur associe à une hausse des dépenses publiques, ou à une baisse des impôts, une variation de la croissance économique.

Dans une économie ouverte aux échanges extérieurs, une partie de la relance budgétaire est absorbée par les économies extérieures à travers l'augmentation des importations liée à la relance.

Ainsi, le multiplicateur keynésien en économie ouverte est à la fois :

- moins puissant pour l'économie qui pratique la relance ;

- et source d'externalités qui augmentent la demande adressée aux partenaires commerciaux de ce pays.

Ces deux propriétés invitent à recommander une coordination des politiques budgétaires entre les Etats.


• L'effet national de la relance budgétaire est plus important lorsque le pays qui l'entreprend n'est pas seul à le faire.


• Les effets extérieurs de la politique d'un Etat justifient que la politique budgétaire qu'il entreprend tienne compte de la situation des tiers ou que ceux-ci soient à même d'en tenir compte.

c) De quelques principes d'optimisation tirés de l'économie publique

L'économie publique appliquée conduit à considérer les rendements d'échelle résultant de l'exercice de politiques concertées.

Dans le domaine du réglage macroéconomique, la coordination permet à des impulsions moins fortes de produire les effets d'impulsions qu'il faut nettement plus amples lorsque la coordination est défaillante. La coordination permet d'amplifier les effets d'une politique.

Dans le domaine des interventions publiques plus structurelles, la coordination permet d'optimiser les moyens, c'est-à-dire de dépenser moins, ou mieux, pour des résultats au moins aussi favorables. Dans un ensemble comme l'Union européenne, ces gains d'efficience peuvent être considérables dans tous les domaines où l'intervention publique se déploie pour inciter à la production d'un « capital » commun : infrastructures transnationales, recherche, innovation, sécurité, défense...

2. Les gains de la coordination confirmés dans les faits

De très nombreux travaux empiriques ne valident pas l'idée d'une inefficacité des politiques budgétaires de relance qui fonde la thèse de l'inutilité de la coordination des politiques budgétaires.

Au contraire, ils mettent en évidence ce que la considération des principaux traits économiques qu'offre la réalité de la zone euro laissent présager : l'existence d'importantes externalités non seulement des politiques budgétaires, mais aussi, plus largement des politiques économiques de soutien de la demande au sein de cette zone et, partant, l'utilité de la coordination des politiques économiques.

a) L'efficacité des politiques de demande est démontrée

Les données empiriques montrent que les approches théoriques condamnant les épisodes de relance de la demande et, inversement, préconisant des politiques de contraction budgétaire ont peu d'écho auprès des gouvernements .

Ainsi, par exemple, le nombre d'épisodes de contraction budgétaire relevés par les différentes études disponibles est faible, comparé aux possibilités d'occurrence.

Surtout, la proportion des épisodes de contraction budgétaire qui furent expansionnistes est modeste et, plus encore, lorsqu'on s'intéresse à des cas où les conditions monétaires sont restées inchangées .

Pour l'UE-14, Giudice et al . (2003) trouvent que sur 49 épisodes de consolidation, 24 ont été expansionnistes . Le nombre de « cas purs » où la contraction budgétaire s'est accompagnée d'une accélération de l'activité sans qu'une baisse des taux d'intérêt réels entre l'année précédant l'ajustement et celle le suivant ne soit intervenue est encore plus faible. 11 « cas purs » sont dénombrés.

Encore faut-il souligner qu'à l'examen, dans ces dernières hypothèses, des variables exogènes ont favorisé l'expansion des pays concernés.

En réalité, l'efficacité des politiques de pilotage de l'activité économique, quand celui-ci s'impose 8 ( * ) est abondamment démontrée , même quand on s'inscrit dans le contexte contemporain de mondialisation.

Celui-ci peut bien réduire l'effet des politiques conjoncturelles, il ne les annihile pas, et les rend plus nécessaires.

Les valeurs du multiplicateur dans les modèles qui sont construits sur des enchaînements qui n'intègrent pas les limitations théoriques néoclassiques sont positives , comme le montrent les exemples suivants empruntés aux modèles Mosaïque et Mimosa.

HAUSSE PERMANENTE DE 1 POINT DE PIB DE LA CONSOMMATION PUBLIQUE DANS LES SERVICES

(Ecart en % au compte central)

Source : OFCE

Une augmentation permanente de 1 point de PIB du niveau de la consommation publique dans les services augmente la production d'un montant supérieur au choc des dépenses. Elle exerce un effet positif sur la consommation et l'investissement que la dégradation du commerce extérieur limite sans l'effacer.

Le tableau ci-après confirme l'efficacité des relances budgétaires même s'il rend compte d'une, légère, érosion de cette efficacité.

EFFET À 5ANS D'UN CHOC DE 1 POINT DE PIB DES DÉPENSES PUBLIQUES RÉALISÉ EN...

Source : Calculs OFCE, Mosaïque

Le multiplicateur des dépenses publiques passe de 1,49 (à une augmentation des dépenses publiques de 1 point de PIB correspond une augmentation de la production de 1,49 point de PIB) à 1,35 entre 1987 et 1995.

Incidemment, on peut remarquer que le tableau ci-dessus montre aussi que, du fait de son impact sur la production, la relance budgétaire est largement autofinancée. A une augmentation des dépenses publiques de 1 point de PIB correspond ex post une dégradation du déficit public limitée à 0,34 point de PIB du fait des « retours » de l'augmentation de la production sur les comptes publics.

b) De nombreux travaux empiriques démontrent que l'intégration économique justifie la coordination des politiques économiques en Europe

Conformément à l'intuition résultant du constat de la forte intégration économique de l'Union européenne, l'existence de fortes externalités de politique économique apparaît bien établie en Europe et invite à conclure que ces politiques sont d'autant plus efficaces qu'elles sont coordonnées.

(1) L'Union européenne est une zone de forte interdépendance économique


L'intégration monétaire est totale pour les pays qui partagent l'euro.


L'intégration commerciale des pays de l'Union européenne est poussée.

Les exportations de biens entre pays de l'Union européenne à 15 représentent près de 18 % de leur PIB contre un peu de plus de 10 % pour les exportations à destination de pays extérieurs.

S'agissant des services, ces chiffres sont respectivement de 4,7 et 4 points de PIB.

Au total, les exportations vers les autres pays de l'Union européenne à 15 « expliquent » en moyenne près de 25 % de la production de richesses de chaque pays de l'Union européenne.

L'interdépendance commerciale entre les pays européens est donc forte, sensiblement plus que celle existant entre les pays européens et le reste du monde et plus importante que dans un autre espace commercialement intégré, l'ALENA.


• L'interdépendance financière va se renforçant
.

Les investissements directs étrangers (IDE) des pays européens se concentrent à 78 % dans les pays de l'Union européenne ; les Etats-Unis, première destination extérieure, accueillant 12 % des flux.

(2) Dans ce contexte, l'efficacité des politiques économiques dépend beaucoup de la coordination

Le graphique ci-après témoigne de l' effet d'amplification que la convergence des politiques budgétaires exerce , dans ce contexte, sur l'efficacité de la politique budgétaire dans la zone euro .

Dans tous les cas, à une augmentation des dépenses publiques correspond une augmentation de la production. Mais celle-ci est plus ou moins importante selon, d'abord, qu'elle intervient dans un ensemble économique ou pour un seul pays (ici la France) de cet ensemble et ensuite, selon le modèle employé.

L'effet d'une augmentation des dépenses publiques dans l'ensemble de la zone euro est plus favorable à la croissance que lorsque seule la France est concernée . Ce résultat est conforme à la théorie puisque, lorsqu'un seul pays est concerné, la relance par les dépenses publiques est en partie absorbée par ses partenaires commerciaux via une hausse induite des importations qui réduit la valeur du multiplicateur.

Au total, une politique budgétaire coordonnée exerce des effets plus importants, dans une proportion qui va dans certains modèles du simple au double, qu'une politique isolée. Cette conclusion sort renforcée quand on considère la politique monétaire. Une politique monétaire accommodante renforce les effets des politiques budgétaires. Elle montre tout l'enjeu d'une bonne coordination des politiques économiques puisque ses leçons peuvent être étendues au-delà de la politique budgétaire.

*

* *

Au total, vos rapporteurs jugent que le réalisme impose d'accorder la plus grande attention à la coordination des politiques économiques afin d'en tirer les gains et d'éviter une configuration où la seule issue est dans la conduite de politiques économiques marquées du sceau de l'antagonisme.

Les constructions sur lesquelles repose l'idée que la coordination des politiques économiques serait inutile, voire néfaste, sont, quand on en généralise outrancièrement la portée, de simples vues de l'esprit.

Au demeurant, il apparaît qu'elles ne débouchent sur l'affirmation d'une inutilité de la coordination des politiques que par le souci d'une cohérence intellectuelle, qui, à l'examen paraît bien artificielle. Leur message est fondamentalement que les interventions publiques destinées à influer sur la croissance économique ne sont pas désirables, car sans efficacité réelle, et doivent être proscrites pour leur dangerosité. L'inutilité de la coordination ne vient que par prétérition.

Ces controverses doctrinales recèlent des enjeux très importants. L'organisation européenne de la coordination des politiques économiques est marquée, paradoxalement, par l'influence des théories qui semblent condamner toute politique économique active. Hormis la politique monétaire qui est désormais unique pour tous les pays de la zone euro, le seul domaine où l'intégration des politiques économiques est vraiment achevée est celui des politiques budgétaires considérées sous le seul angle des déficits et de la dette publique. Dans ce domaine, en fait de coordination, c'est la surveillance du respect par les Etats de trajectoires de réépargne publique qui prévaut systématiquement du fait de règles , qui ne s'accommodent pas, en réalité, d'une réelle coordination. Tout le reste des politiques économiques est, au mieux, évoqué sporadiquement, et le plus souvent, négligé.

Dans ces conditions, l'échec de la coordination des politiques économiques en Europe semble inéluctable.

CHAPITRE II - L'ABSENCE DE COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES CONJONCTURELLES

L'étude du CEPII sur la coordination des politiques budgétaires en Europe (voir annexe), réalisée pour votre Délégation, montre clairement que les politiques budgétaires des deux principales économies de la zone euro - l'Allemagne et la France - n'ont pas été coordonnées et que, sur le plan structurel, elles ont été divergentes .

On doit, en réalité, aller plus loin et affirmer que, plus généralement, c'est l'ensemble des politiques économiques sous la responsabilité des gouvernements qui, non seulement, ont échappé à toute coordination, mais encore ont été, au contraire, régies par la concurrence des Etats (v. chapitre IV du présent rapport).

On pourrait croire que cette configuration traduit l'existence de politiques économiques plus habiles que les autres. Un examen élémentaire montre que, non seulement les pays les plus divergents ne gagnent rien durablement à leurs stratégies, mais encore, entraînent l'ensemble de l'Europe vers le bas.

L'antagonisme européen des politiques économiques est à la racine du déclin de l'Europe.

Dans ce chapitre, on évalue si la coordination des politiques budgétaires en Europe s'est révélée défaillante sous l'angle de leur utilisation à des fins de pilotage de l'activité économique .

On ne peut que répondre positivement à la question : face à des évolutions parallèles de l'activité économique, les politiques budgétaires en Europe ont réagi différemment pour stabiliser la croissance économique, ce qui témoigne d'une incoordination générale et a altéré l'efficacité du pilotage budgétaire en Europe.

I. MALGRÉ DES CYCLES ÉCONOMIQUES PARALLÈLES, DES IMPULSIONS BUDGÉTAIRES DIVERGENTES

Depuis 1992, les grands pays européens, notamment l'Allemagne et la France, ont connu des oscillations parallèles de leur activité, ce que les économistes appellent des chocs symétriques.

Ils ont pourtant assez souvent réagi, différemment et à contre temps, ce qui est caractéristique d'un défaut de coordination.

A. DES CYCLES D'ACTIVITÉ PARALLÈLES

Depuis 1992, les cycles d'activité économique en France et en Allemagne ont été généralement parallèles même si notre pays a créé davantage de richesses (graphique n° 1).

Les deux pays ont connu une récession en 1993 , une courte reprise en 1994 suivie d'un ralentissement jusqu'en 1996 . Au-delà, l' activité a accéléré jusqu'en 2000, année d'un pic de croissance auquel a succédé une croissance de plus en plus faible . La reprise observée en 2004 connaît les mêmes hésitations en 2005 que l'année 2006 semble surmonter.

Le profil de la croissance économique est identique, mais la France connaît continûment un rythme d'activité supérieur à celui de l'Allemagne depuis 1996 de l'ordre de 0,8 point de PIB. L'écart se réduit toutefois au fil du temps et s'inverse en 2006.

B. DES IMPULSIONS BUDGÉTAIRES DIVERGENTES

Face à ces oscillations économiques analogues, les politiques budgétaires ont enregistré des évolutions qui, quoique proches en apparence (graphique n° 2), ont été contrastées .

1. Des évolutions contrastées des soldes budgétaires nominaux

Les déficits publics nominaux ont été quasi-continus dans les deux pays avec des évolutions souvent divergentes.


•  Les deux pays connaissent au cours de la période des déficits publics nominaux constants excepté l'Allemagne en 2000 puisque, pour la première fois depuis 1973, un solde positif a été constaté dans ce pays.


• Mais la France a enregistré des évolutions du solde nominal des administrations publiques plus amples en début de période , avec une très forte dégradation après 1991 suivie, à partir de 1995, d'une nette amélioration . Dans ces périodes, le solde budgétaire est resté presque inchangé en Allemagne, autour d'un déficit public de l'ordre de -2,5 à
-3 points de PIB.

Inversement , le creusement du déficit public nominal en Allemagne après le pic de 2000 a été nettement plus accusé qu'en France . Notre pays a suivi l'Allemagne en 2002 et l'a rattrapée. Puis, les deux pays ont connu des déficits publics évoluant grosso modo dans le même sens, selon une ampleur analogue.


Sauf en 2001, 2002 et 2005, le solde nominal des administrations publiques a été constamment inférieur en France à ce qu'il a été en Allemagne

2. Des politiques budgétaires discrétionnaires différentes

Ces évolutions sont-elles le signe de politiques budgétaires discrétionnaires différentes ou ne traduisent-elles que l'impact de la conjoncture sur les comptes des administrations publiques ?

Le sens, et l'ampleur, de la politique budgétaire d'un pays ne peuvent être appréciés à partir du seul « solde budgétaire global » 9 ( * ) . Ce solde budgétaire peut être décomposé en deux composantes distinctes : une composante conjoncturelle et une composante structurelle qui, elle-même, peut être appréhendée selon deux méthodes différentes.

SOLDE STRUCTUREL ET EFFORT STRUCTUREL

_____

I - Détermination du solde structurel

Le solde des administrations publiques est affecté par la position de l'économie dans le cycle. On observe ainsi un déficit de recettes et un surplus de dépenses (notamment celles qui sont liées à l'indemnisation du chômage), qu'on peut juger transitoire, lorsque le PIB est inférieur à son niveau potentiel et, à l'inverse, un surplus de recettes et une diminution des dépenses, qu'on peut aussi qualifier de transitoire, lorsqu'il est supérieur.

L'indicateur usuel de solde structurel vise à corriger le solde public effectif de ces fluctuations liées au cycle. La méthode d'évaluation du solde structurel consiste à calculer, en premier lieu, la partie conjoncturelle du solde public, c'est-à-dire celle qui s'explique par les écarts entre la conjoncture observée et les tendances « normales » de la croissance, selon une méthodologie largement commune aux organisations internationales. En pratique, ce calcul repose notamment sur l'hypothèse que les recettes conjoncturelles évoluent au même rythme que le PIB, et que les dépenses - à l'exception notable des allocations chômage - ne sont pas sensibles à la conjoncture. Le solde structurel est ensuite calculé comme un « résidu », par différence entre le solde effectif et sa partie conjoncturelle. Cet indicateur constitue une référence internationale pour l'appréciation de l'orientation des politiques budgétaires.

Une fois les effets de la conjoncture éliminés, on retrouve dans les évolutions du solde structurel :


• l' effet des variations de la dépense publique , mesuré par l'écart entre la progression de la dépense et la croissance potentielle : lorsque la dépense publique croît moins vite que la croissance potentielle, cela correspond bien, si les prélèvements obligatoires ne sont pas diminués d'autant, à une amélioration structurelle des comptes publics ; à l'inverse, si l'augmentation des dépenses publiques est plus rapide que la croissance potentielle, il y a toutes choses égales par ailleurs du côté des prélèvements obligatoires, une dégradation de la situation structurelle des comptes publics ;


• les mesures nouvelles concernant les prélèvements obligatoires , pour lesquelles les mêmes appréciations peuvent être portées mutatis mutandis .

II - L'effort structurel

Cependant, à côté de ces facteurs effectivement représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire , le solde structurel tel qu'il est défini pour les organisations internationales, en recouvre d'autres, sans doute moins pertinents :


Le solde structurel est affecté par des « effets d'élasticité » des recettes publiques . L' hypothèse , en pratique, d' élasticité unitaire des recettes au PIB 10 ( * ) , retenue dans le calcul du solde conjoncturel, n'est en effet valable qu'à moyen-long terme.


A court terme en revanche, on observe des fluctuations importantes de cette élasticité. Pour l'Etat par exemple, l'amplitude de l'élasticité apparente des recettes fiscales est forte, du fait notamment de la variabilité de l'impôt sur les sociétés : l'élasticité des recettes fiscales nettes peut ainsi varier entre zéro et deux.

Retenir l'hypothèse d'une élasticité unitaire, comme le font les organisations internationales, revient donc à répercuter entièrement en variations du solde structurel les fluctuations de l'élasticité des recettes , alors même que ces fluctuations s'expliquent largement par la position dans le cycle économique. L'interprétation des variations du solde structurel s'en trouve donc sensiblement brouillée.


• D'autres facteurs peuvent également intervenir comme les variations des recettes hors prélèvements obligatoires (les recettes non fiscales de l'Etat, par exemple). Par construction, ces évolutions n'étant pas tenues pour conjoncturelles viennent affecter le solde structurel, ce qui n'est pas toujours fidèle à l'esprit qui préside à la distinction entre situations conjoncturelle et structurelle des comptes publics.

Afin de s'en tenir aux facteurs dont la nature structurelle est le mieux établie, on peut donc retirer du solde structurel les effets d'élasticité et, par souci de simplicité, la variation des recettes hors prélèvements obligatoires .

L' indicateur qui en résulte, que l'on peut qualifier d'« effort structurel » ou de « variation discrétionnaire du solde structurel » retrace les seuls effets combinés des variations des dépenses publiques et des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires décidées par les pouvoirs publics.

L'écart entre l'indicateur de variation du solde structurel et celui de l'effort structurel peut être important.

Source : d'après le Rapport économique, social, et financier, annexé au projet de loi de finances pour 2004.

Un niveau - ou une variation - donné du solde budgétaire peut correspondre à des politiques discrétionnaires différentes et, même, opposées que seule la considération du solde budgétaire structurel peut révéler.

En bref, l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire peut se révéler très différente de ce que la variation du solde public nominal donne à voir . Ainsi, l'Allemagne a, l'année de son seul excédent budgétaire, conduit une politique budgétaire expansive et non restrictive.

Le graphique n° 3 montre que, après une courte période où la France a suivi une politique budgétaire volontairement expansive , tandis que l'Allemagne réduisait son déficit structurel , les deux pays ont conduit une politique analogue de redressement du solde structurel de 1996 à 1999 .

Au-delà , le relâchement de la politique budgétaire a commencé en 2000 dans les deux pays , mais il s'est accentué davantage en Allemagne qu'en France en 2001.

La France a « rattrapé » le déficit structurel allemand en 2002 et a continué de le creuser en 2003, alors que l'Allemagne commençait à redresser le sien.

De 2004 à 2006, les deux pays ont poursuivi parallèlement une politique de réduction du déficit structurel qui a été plus ample en Allemagne qu'en France.

*

* *

Au total, les politiques budgétaires de la France et de l'Allemagne ont connu, au cours de la période, une alternance de phases de congruence et de divergence .

La mesure synthétique des divergences de politique budgétaire entre les deux pays réalisée à partir de la différence entre le solde structurel allemand et le solde structurel français 11 ( * ) ( graphique n° 4 ) met en évidence les périodes de divergence et les périodes de convergence des orientations des deux pays.

Du graphique 4 , il ressort deux périodes de convergence globale entre les deux pays : 1997-2000 et 2004-2006. Dans les deux cas, il s'agit de périodes de consolidation budgétaire .

En revanche, l'Allemagne s'est distinguée par une politique plus restrictive que la France en 1992-1993 et en 2002-2003 . La France s'est distinguée de la même manière en 1995-1996 et en 2001 .

II. DES FONCTIONS DE RÉACTION BUDGÉTAIRE DIFFÉRENTES, LES RÉSULTATS DE L'ÉTUDE DU CEPII

L'étude du CEPII réalisée pour le présent rapport (v. annexe) confirme, et permet d'affiner, le diagnostic d'un défaut d'homogénéité des réponses apportées par les politiques budgétaires européennes aux fluctuations de l'activité économique.

Il s'agit d'apprécier la politique budgétaire, en examinant sa réactivité à la situation économique conjoncturelle et sa sensibilité à la situation de l'endettement public , principalement dans trois pays : l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.

Elle révèle que, si au cours du temps les fonctions de réaction budgétaire de ces trois pays ont évolué, les divergences ont été de règle, les toutes dernières années étant dominées par l'inertie budgétaire manifestée par l'Allemagne.

A. QUELQUES PRÉCISIONS DE MÉTHODE

L'étude du CEPII se consacre à identifier si, sous ces deux angles, les politiques discrétionnaires conduites en France, en Allemagne et au Royaume-Uni ont été homogènes ou non.


• Il est, en effet, a priori légitime que la politique budgétaire poursuive un double objectif 12 ( * ) :

- le premier, de stabiliser la conjoncture économique , c'est-à-dire de remédier aux écarts entre la production et la demande ;

- le deuxième, de préserver la viabilité financière de l'économie et d'éviter tout excès 13 ( * ) d'endettement public.


Dans une certaine mesure , ces objectifs peuvent être jugés contradictoires puisque le premier peut s'accompagner, en cas de phase récessive, d'une augmentation du déficit budgétaire, alors que le second tend à orienter l'usage de la politique budgétaire dans le sens structurel d'une réépargne publique 14 ( * ) .

Le but de stabilisation économique est incontestablement un objectif ; la réaction à la dette publique exprime plutôt une contrainte pesant sur la politique budgétaire.


Mais, le conflit existant a priori entre ces deux finalités doit être nuancé .

Une politique budgétaire de stabilisation conjoncturelle peut , en dépit de l'augmentation de l'appel public à l'épargne qu'elle suppose, ne se traduire par une augmentation de la dette publique que transitoirement, si elle réussit . Pour cela, il faut que le creusement du déficit ex ante provoque les effets attendus - une augmentation de la production - dans des proportions telles que la progression ex ante du ratio « dette publique/PIB » soit effacée ex post par l'accroissement du PIB (dénominateur du ratio).

Inversement, une politique budgétaire sensible à la dette publique peut peiner à atteindre son objectif si la réduction du besoin de financement public (ou l'augmentation de la capacité de financement publique) entraîne une contraction de l'activité qui contrecarre la baisse du ratio dette publique/PIB .


• Il faut avoir ces nuances à l'esprit, avant de prendre connaissance des résultats de l'étude du CEPII sur les déterminants des politiques budgétaires discrétionnaires conduites en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. En effet, cette étude n'entend pas sonder les intentions des responsables des politiques en cause. Elle se propose uniquement d'identifier, à l'aide des outils objectifs de l'économétrie, l'ampleur de leur réactivité, d'une part, à l'écart entre la croissance effective et la croissance potentielle, d'autre part, à la dette publique afin de juger de leur homogénéité.

Or, selon les « vertus » prêtées à la politique budgétaire - qui sont âprement discutées, ce qui constitue comme on l'a expliqué au chapitre I du présent rapport un obstacle considérable à l'élaboration de politiques économiques coopératives en Europe -, un même objectif peut entraîner des réponses radicalement contraires.

Ainsi, des réactions de politique budgétaire différentes peuvent traduire une identité fondamentale d'objectifs .

B. UNE ÉTUDE QUI CONFIRME LA DIVERGENCE DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES CONJONCTURELLES

Alors que sur longue période, la politique budgétaire apparaissait plus réactive en Allemagne qu'en France et au Royaume-Uni, les années récentes, après l'adoption de l'euro, ont vu l'Allemagne de plus en plus inerte face aux fluctuations conjoncturelles.

Alors que les deux pays continentaux semblent peu sensibles aux variations de la dette publique, le Royaume-Uni témoigne d'une attention plus grande à cette variable. Les caractéristiques du cycle outre-Manche, marqué par une croissance économique élevée et un fort endettement privé, conduisent à nuancer la comparaison avec l'Allemagne et la France.

1. Les résultats de l'étude à comportements constants

Le tableau ci-après synthétise les règles que semblent avoir suivies les politiques budgétaires en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, entre 1971 et 2005 , quand on évalue leur réactivité au rythme de l'activité économique et leur sensibilité à la dette publique sur la base de comportements moyens.

ESTIMATION DES RÈGLES DE POLITIQUES BUDGÉTAIRES À COEFFICIENTS CONSTANTS 1971-2005

Allemagne

France

Royaume-Uni

Réaction à l'écart de production

0,21**

(0,10)

0,09*

(0,11)

0,09

(0,10)

Réaction à la variation de la dette

0,05

(0,08)

0,06*

(0,04)

- 0,02

(0,06)

R-squared

0,15

0,30

0,14

Entre parenthèses : écart-type * significatif à 68 % ** significatif à 95 %

Source : CEPII

Sur très longue période (1971-2005), l'Allemagne apparaît légèrement plus réactive que la France et le Royaume-Uni aux variations du cycle économique . Le solde budgétaire structurel y varie de 0,2 point quand la production évolue de 1 % par rapport à la production potentielle, ces coefficients étant deux fois moindres en France et au Royaume-Uni. La réactivité de la politique budgétaire est toutefois toujours faible .

Pour autant, en Allemagne comme en France , la politique budgétaire discrétionnaire apparaît sensible à la situation de la dette publique, ce qu'elle ne paraît pas être au Royaume-Uni . Toutefois, cette sensibilité est faible : une hausse de la dette publique de 1 point de PIB entraîne un redressement du solde structurel limité, de 0,06 point de PIB en France, de 0,05 point de PIB en Allemagne.

2. Les résultats de l'étude quand on tient compte de l'évolution des comportements budgétaires

Les résultats présentés plus hauts, fondés sur des moyennes de longue période, ne rendent pas compte des changements de comportement, intervenus au fil du temps .

Or, a priori , il est probable que de telles évolutions se soient produites compte tenu des modifications de contexte qui sont apparues depuis le début des années 70.

A travers de méthodes économétriques tendant à « capturer » ces évolutions, l'étude du CEPII confirme ces modifications.

En conséquence, le panorama de la réactivité des politiques budgétaires aux inflexions du cycle économique et aux variations de la dette publique présente des différences notables par rapport à ce qu'enseigne une analyse à « comportements moyens ».


• L' activation de la politique budgétaire pour stabiliser la conjoncture , plus forte en Allemagne qu'en France et au Royaume-Uni, quand on raisonne à comportements moyens, apparaît , au contraire, plus marquée au Royaume-Uni et en France - à partir de 2000 pour notre pays - lorsqu'on tient compte des changements de comportements. En revanche, en Allemagne , après un regain d'intervention budgétaire entre 1995 et 2000, une sorte d'inertie apparaît qui conduit à qualifier la politique allemande d'a-cyclique , c'est-à-dire qu'elle ne réagit pas aux variations de l'activité économique, ni pour la soutenir, ni pour la modérer.


Quant aux réactions de la politique budgétaire aux variations de la dette publique, elles sont très différentes selon les pays.

La politique budgétaire allemande semble généralement indifférente aux variations de la dette publique alors que, pour la France et le Royaume-Uni, des évolutions notables de la sensibilité des orientations budgétaires aux évolutions de la dette publique interviennent .

Entre 1974 et 1985, la France paraît poursuivre un objectif de contention de la dette publique quand, au Royaume-Uni , le solde structurel s'améliore dans une période où pourtant la dette publique diminue, ce qui témoigne d'une orientation privilégiant la réduction de la dette publique .

Au-delà, jusqu'au milieu des années 90, l'augmentation de la dette publique que connaît la France n'entraîne aucune réaction visant à la contrecarrer ; au contraire, le solde public structurel reste négatif même s'il s'améliore avant la date de qualification à l'euro. Pendant cette période, le Royaume-Uni adopte une politique qui reste prudente mais moins volontariste .

La préoccupation de modérer la dette publique reprend au-delà du milieu des années 90 en France . Mais, l'amélioration du solde structurel n'apparaît pas beaucoup plus forte quand la dette publique s'alourdit que lorsqu'elle diminue.

Au total, les politiques budgétaires de trois des principaux pays de l'Union européenne ne réagissent pas de la même manière, ni dans le même tempo face à des évolutions analogues de l'activité économique.

Les divergences ne sont certes pas considérables. Mais, cette dernière réserve ne doit pas abuser :

- elle tient pour beaucoup au manque d'ampleur de la mobilisation conjoncturelle de la politique budgétaire en Allemagne et en France ;

- elle n'empêche pas qu'il existe un coût de l'incoordination des politiques budgétaires, dont le plus important est sans doute « caché » : le coût d'opportunité de l'inertie européenne.

CHAPITRE III - DIVERGENCES BUDGÉTAIRES STRUCTURELLES ET CONCURRENCE FISCALE

Les politiques budgétaires de stabilisation conjoncturelle ressortent déjà comme insuffisamment coordonnées en Europe .

Les composantes des politiques budgétaires , les prélèvements obligatoires et les dépenses des administrations publiques, montrent encore plus nettement que ces deux pays ont fait des choix divergents .

Le panorama est dominé par l'existence d'une forte concurrence fiscale, surtout perceptible pour les assiettes fiscales mobiles (l'imposition des sociétés et des revenus financiers), mais qui a aussi gagné les salaires, dans un contexte européen où les stratégies de désinflation compétitive semblent devenir l'alpha et l'oméga des politiques économiques .

I. LES ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES DES STRUCTURES BUDGÉTAIRES

Appréciées dans leurs composantes - les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques -, les structures budgétaires ont évolué différemment en France et en Allemagne, à partir de 1999. Si, sur longue période, le trait le plus remarquable est la similarité des orientations des deux pays, les années les plus récentes semblent ouvrir une époque de divergence avec, en Allemagne, le choix d'un net repli de l'intervention collective.

A. LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

1. Des évolutions quantitatives différentes

Les prélèvements obligatoires , exprimés en points de PIB, ont longtemps connu des profils d'évolution analogues dans les deux pays mais, en fin de période, des divergences sont apparues.

Dans les deux cas , le pic est atteint en 1999 . Il fait suite à une augmentation du taux de prélèvements obligatoires du même ordre (+ 3,2 points en France et en Allemagne par rapport au point bas). Toutefois, une nuance peut être relevée : l'Allemagne hausse son taux de prélèvements obligatoires dès le début de la période quand la France attend 1993 pour le faire.

Après 1999 , une réduction importante du taux de prélèvements obligatoires intervient en Allemagne avec un repli de près de 2 points de PIB en 2000 . La France procède plus progressivement : ce n'est qu'en 2002 que le taux de prélèvements obligatoires se situe 2 points au-dessous de son pic. Cette baisse correspond, par ailleurs, à une diminution du taux de prélèvements obligatoires légèrement plus modérée en pourcentage qu'en Allemagne. Une baisse des prélèvements obligatoires de 2 points de PIB correspond à un repli de 4,7 % en Allemagne et de 4,4 % en France compte tenu de niveaux de départ différents.

Dans la fin de la période , le taux de prélèvements obligatoires remonte nettement en France (+ 1,1 point de PIB entre 2003 et 2005) et n'augmente que plus faiblement en Allemagne .

Au cours de la période, le taux de prélèvements obligatoires est constamment supérieur en France à ce qu'il est en Allemagne .

L' écart initial est de l'ordre de 3 points de PIB (en 1990). Il se réduit nettement en début de période pour revenir rapidement à ce niveau après 1995. La nette baisse du taux de prélèvements obligatoires intervenue en Allemagne en 2000 creuse encore l'écart entre les deux pays. Il tangente les 5 points de PIB en 2004-2005 , moment où le taux de prélèvements obligatoires remonte en France quand il se stabilise en Allemagne.

C'est donc à la fin de la période étudiée que l'écart entre les deux pays atteint son maximum .

Au total, le niveau relatif des prélèvements obligatoires est, dans les deux pays , plus élevé en fin de période qu'au début , mais s'il est assez nettement plus élevé en France (environ 2 points de PIB supplémentaires soit 5 % de plus qu'à l'origine), l'augmentation est plus modérée en Allemagne (+ 0,7 point de PIB, soit 1,8 % de plus).

2. Des évolutions qualitatives différenciées

Dans ce contexte, les deux pays ont procédé à des aménagements de la structure de leurs prélèvements obligatoires qui ont différé à partir de données de départ elles-mêmes sensiblement dissemblables .

En France, toutes les recettes réaugmentent légèrement pour compenser la baisse des cotisations sociales et la stabilité de l'impôt sur les sociétés.

En Allemagne, les recettes d'impôt sur les entreprises stagnent et les impôts directs sur les ménages et les cotisations diminuent mais ceci est compensé par une hausse des impôts indirects.

Dans les deux pays, l'imposition du capital et les cotisations sociales ressortent comme volontairement contenues ou allégées. L'Allemagne, plus que la France, paraît faire le choix d'une montée en puissance des impositions indirectes.

B. DES CHOIX CONTRASTÉS SUR LE FRONT DES DÉPENSES PUBLIQUES

Au cours des années les plus récentes, un repli important de la place des dépenses publiques se produit en Allemagne. L'écart entre les deux pays se creuse.

1. Le niveau général des dépenses publiques

En ce qui concerne les dépenses publiques, l'éventail entre les deux pays s'est également ouvert au cours de la période .

Le niveau des dépenses publiques relativement au PIB plus élevé en France qu'en Allemagne dès le début de la période, l'est encore davantage à son terme.

Pour les dépenses publiques hors intérêt de la dette publique - dites « dépenses primaires » - l'écart entre la France et l'Allemagne était de l'ordre de 5,2 points de PIB à l'origine . Il s'élève désormais à 7,5 points de PIB alors qu'au milieu des années 90 un rapprochement, certes modeste, s'était produit.

Dans les deux pays, les dépenses primaires sont, en fin de période, supérieures à leur niveau de départ. Mais, elles le sont, de fait, peu en Allemagne (environ 0,3 point de PIB) alors qu'en France, la part des dépenses primaires dans le PIB est plus élevée de 3 points de PIB .

En France, les dépenses primaires sont assez proches du pic observé en 1993 (49,4 points du PIB) alors qu'elles s'en étaient éloignées par le bas de plus de 2 points au tournant du siècle.

En Allemagne, elles se situent 3 points de PIB au-dessous du pic. Toutefois, le creusement de l'écart entre la France et l'Allemagne n'est pas un processus continu.

Pour les dépenses, comme pour les prélèvements obligatoires, la divergence entre les deux pays est concentrée sur la dernière partie de la période étudiée . L'inflexion des dépenses primaires est plus tardive en France et beaucoup moins prononcée qu'en Allemagne.

2. La structure des dépenses publiques

En France , toutes les composantes de la dépense (excepté les dépenses classées en « Autres transferts ») ont augmenté dans de faibles proportions.

En Allemagne , la forte hausse des prestations sociales a été compensée par des économies sur les autres postes sauf les consommations intermédiaires non salariales.

FRANCE - ÉVOLUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES PAR FONCTION

1995 - 2005

(en millions d'euros constants)

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Total des dépenses

650 674

668 862

681 372

697 420

718 594

744 300

772 094

815 229

851 083

883 116

919 700

Services publics généraux

97 729

103 385

103 095

104 659

106 730

109 095

111 129

112 736

117 503

121 478

123 608

Défense

30 466

31 873

31 034

29 850

29 711

29 694

30 811

32 179

31 011

32 260

32 897

Ordre et sûreté publics

15 053

15 334

15 424

15 878

16 371

16 806

18 467

20 159

21 515

22 284

23 846

Affaires économiques

46 900

44 098

41 799

42 862

43 815

47 377

46 478

50 822

50 324

49 283

49 684

Protection de l'environnement

7 056

7 475

8 004

8 242

8 522

9 961

10 772

11 497

12 467

13 569

14 004

Logement et aménagement urbain

18 386

19 004

20 097

20 000

20 931

24 207

25 428

27 457

28 343

29 791

31 283

Santé

77 971

82 778

84 223

87 214

89 785

94 586

100 412

108 623

115 502

121 474

125 580

Loisirs, culture et religion

12 894

13 376

13 960

15 187

15 806

15 966

18 143

20 664

22 411

23 764

25 479

Education

79 045

79 910

82 653

85 164

90 059

91 031

94 610

99 092

101 308

102 279

105 613

Protection sociale

265 174

271 629

281 083

288 364

296 864

305 577

315 844

332 000

350 699

366 934

387 706

Source : OCDE. Comptes des administrations publiques.

ALLEMAGNE - ÉVOLUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES PAR FONCTION

1995 - 2005

(en millions d'euros constants)

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Total des dépenses

1 012 330

925 080

926 200

944 020

966 890

930 400

1 005 060

1 030 760

1 046 810

1 038 040

Services publics généraux

123 870

125 680

127 190

131 470

130 600

80 270

131 290

132 790

135 470

133 930

Défense

24 910

24 890

24 340

24 380

25 190

25 080

25 030

25 450

25 180

24 690

Ordre et sûreté publics

30 260

31 170

31 650

32 430

33 210

33 700

35 150

35 950

35 660

35 800

Affaires économiques

205 160

81 770

75 720

78 530

85 710

85 150

88 660

84 840

83 630

79 710

Protection de l'environnement

17 610

16 090

14 880

13 760

13 500

12 870

12 340

11 170

11 070

11 310

Logement et aménagement urbain

15 430

14 950

16 270

18 100

19 660

21 220

21 890

22 950

23 730

23 510

Santé

115 800

119 520

118 420

120 680

123 860

127 110

132 790

136 880

139 990

134 970

Loisirs, culture et religion

14 790

14 240

14 230

14 260

14 680

14 930

14 870

15 100

15 010

14 800

Education

80 760

83 150

83 900

84 860

85 850

86 630

89 090

91 420

91 000

89 480

Protection sociale

383 850

413 620

419 600

425 550

434 630

443 440

453 950

473 910

486 070

489 840

Source : OCDE. Comptes des administrations publiques.

Dans un très prochain rapport consacré aux dépenses publiques, notre collègue Bernard Angels rendra compte des facteurs d'évolution des dépenses publiques et de leurs incidences.

Anticipant un peu sur les résultats de son étude, on peut relever ici que les écarts entre la France et l'Allemagne semblent s'expliquer assez largement par un niveau d'investissement public plus faible dans ce dernier pays, mais, qu'en revanche, la différence relative aux salaires est plus visuelle. L'externalisation plus poussée en Allemagne permet de réduire ce poste, mais cette réduction est compensée par davantage de dépenses dites de transferts.

*

* *

La divergence des choix structurels dans le domaine budgétaire est récente. Elle rompt avec des évolutions historiques convergentes qui manifestaient l'existence de choix analogues de niveau d'intervention collective.

Elle semble témoigner de l'existence en Europe de politiques motivées par la poursuite d'objectifs de compétitivité et d'attractivité, à laquelle participent plus globalement d'autres dimensions de la politique économique (v. Chapitre IV).

Ces différences peuvent donc, dans une large mesure, être vues comme la manifestation d'un haut degré de concurrence fiscale en Europe. Les politiques budgétaires européennes apparaissent non seulement en manque de coordination, mais aussi fondamentalement non-coopératives, antagonistes .

II. L'UNION EUROPEENNE, UN ESPACE DE CONCURRENCE FISCALE

La divergence des orientations structurelles imprimées aux masses budgétaires dans les pays européens ne résulte pas essentiellement de choix de politiques budgétaires conjoncturelles différentes .

Contrairement aux Etats-Unis où les baisses de prélèvements obligatoires intervenues ces dernières années semblent avoir été motivées par l'objectif contracyclique (relancer l'économie) assigné à la politique budgétaire, les réductions fiscales adoptées en Europe ont un caractère plus structurel et poursuivent des objectifs de compétitivité et d'attractivité .

A cet égard, les principales réformes intervenues en Allemagne ces dernières années sont exemplaires de politiques économiques accordant une priorité au renforcement de la compétitivité et de l'attractivité .

Mais, la concurrence fiscale est beaucoup plus globalement à l'oeuvre dans l'Union européenne.

Par ailleurs, si elle touchait principalement l'imposition du capital (entreprises et revenus financiers), elle concerne désormais le coût du travail et passe par des mesures (la hausse des impôts indirects) qui s'apparentent à des dévaluations, ressuscitant ainsi les dévaluations compétitives d'avant l'euro.

A. L'EXEMPLE ALLEMAND

Ces dernières années, l'Allemagne a procédé à des réformes structurelles de grande ampleur 15 ( * ) qui semblent avoir pour but essentiel de gagner un avantage de compétitivité internationale mais aussi d'améliorer son attractivité .

La totalité des mesures structurelles de politique économique mises en oeuvre en Allemagne semble avoir été guidée par le désir d'obtenir des gains sur le front de la compétitivité-coût et de l'attractivité.

LES RÉFORMES ALLEMANDES

- Les réformes intervenues pour « moderniser le marché du travail » ont consisté à réduire la couverture du risque-chômage et à réduire les cotisations sociales dues à raison de certains emplois .(Voir l'encadré page suivante : »Les lois Hartz de modernisation du marché du travail »).

- Dans les autres domaines de la protection sociale , trois chantiers ont été ouverts : la réforme des retraites et celle de l' assurance-maladie , la réforme du financement de la protection sociale .


• S' agissant des retraites , les années 90 avaient été marquées par le passage par paliers de l'âge de la retraite à taux plein à 65 ans et par des augmentations des ressources consacrées à leur financement.

Le taux des cotisations retraite a été relevé de 17,7 % du salaire brut en 1991 à 20,3 % en 1998, pour être ensuite réduit entre 1999 et 2002 à 19,1 % après une augmentation du financement public (un tiers des ressources) financée par un relèvement du taux de TVA en 1998 et par l'instauration de l'impôt écologique sur les entreprises polluantes en 1999.

LES LOIS HARTZ DE MODERNISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL

Source : COE-Rexecode. Juillet 2007.

Depuis, des mesures importantes sont intervenues :


• les taux de cotisations ont été plafonnés par la loi en 2001 à 20 % à l'horizon 2020 et à 22 % à l'horizon 2030 ;


• les assurances complémentaires auprès des entreprises ont été encouragées ainsi que les contrats d'épargne retraite (retraites « Riester ») pour compenser la diminution des taux de remplacement dans le régime de base par des avantages fiscaux (exonération d'impôts sur le revenu et de cotisations sociales salariales et patronales, jusque fin 2008) et par le versement des primes ;


• les salariés souscrivant aux contrats de prévoyance vieillesse « Riester » bénéficient de subventions de base (76 euros en 2004 et 2005, 114 euros en 2006 et 2007 et 154 euros en 2008), d'un bonus par enfant (92 euros en 2004 et 2005, 138 euros en 2006 et 2007 et 185 euros à partir de 2008) et d'un crédit d'impôts via une déduction fiscale de la cotisation plafonnée ; les plafonds de déduction fiscale étant de 1.050 euros en 2004 et 2005, 1.575 euros en 2006 et 2007 et 2.100 euros à partir de 2008 ;


• à compter du 1 er juillet 2001, une réindexation des retraites sur le salaire brut moyen (au lieu des prix), mais tenant compte des taux de cotisation retraite et des taux de contribution au régime par capitalisation facultatif « Riester » est intervenue ;


• une nouvelle hausse du taux de cotisation retraite a été décidée en 2003, le portant à 19,5 % ;


• de nouvelles réformes de structure ont été prises en 2004 : relèvement progressif entre 2006 et 2008 de l'âge minimal de liquidation des droits pour les chômeurs (de 60 à 63 ans), réduction des bonifications au titre des études professionnelles et plafonnement à 36 mois et, introduction d'un facteur de « pérennité » dans le calcul de revalorisation des retraites qui prend en compte l'évolution du taux de dépendance (si celui-ci augmente, la hausse du salaire brut moyen n'est répercutée qu'en partie, limitant ainsi la revalorisation de la retraite) ;


• suppression de l'avantage fiscal consenti aux retraites du privé qui seront soumises à l'impôt sur le revenu d'ici à 2040 (contre seulement 50 % de la retraite brute en 2005), en contrepartie de quoi, les cotisations sociales payées par les salariés seront progressivement exonérées de l'impôt sur le revenu.

Enfin, à partir du 1 er janvier 2007, le taux de cotisations a été de nouveau porté à 19,9 % du salaire brut (un dixième de point en dessous du plafond de 20 %) tandis que suivant les recommandations de la « commission Rürup », l'âge de départ à la retraite a été reculé de 65 à 67 ans. Ce processus doit débuter en 2012 et s'achever en 2023 à raison d'un mois par an puis de deux mois à partir de 2024.

Pour un départ à 65 ans, la décote est de 3,6 % par an anticipé.


• Dans le domaine de la santé , après l'accord-cadre de 2000 qui prévoit le passage à une tarification à l'activité dans les établissements de soin, une loi a été adoptée en 2003 pour augmenter la part de financement à la charge des patients et diminuer certaines prestations.

Enfin, à partir du 1 er janvier 2009, un fonds sera constitué pour gérer les ressources du système de santé en lieu et place des caisses d'assurance-maladie.

Ce fonds versera aux caisses d'assurance maladie un forfait identique (déterminé par la loi) pour chacun de leurs assurés.

Si les ressources qui lui sont attribuées ne sont pas suffisantes, chaque caisse d'assurance maladie aura la possibilité de demander un forfait complémentaire à ses cotisants sous la forme d'un prélèvement à hauteur de 1 % du revenu du ménage, plafonné à 3.563 euros ou de 8 euros par mois (le plus élevé étant choisi). Si la caisse maladie affiche au contraire un excédent, elle pourra consentir des ristournes. L'objectif est de « responsabiliser » les caisses en accentuant la concurrence entre elles.

Enfin, les cotisations maladie qui étaient de 14,2 % du salaire ont été relevées de 0,5 point au 1 er janvier 2007, hausse supportée à égalité par les salariés et les employeurs.


• Enfin, s'agissant du financement de la protection sociale , il faut bien sûr mentionner le réaménagement des prélèvements obligatoires en lien avec la hausse de la TVA au 1er janvier 2007 , même si l'objectif de cette mesure n'est pas uniquement - ni même principalement - d'instaurer une « TVA sociale » .

Le taux de TVA a été relevé de 3 points à 19 %, les recettes supplémentaires liées à cette hausse devraient être consacrées pour les deux tiers à la réduction du déficit public et pour un tiers à une réduction des cotisations-chômage, salariés et employeurs (pour moitié chacune) dont le taux passerait de 6,5 % à 4,5 %.

Cependant, dans le même temps, les hausses de cotisations au 1 er janvier 2007, de 0,2 point du taux de cotisation employeur retraites et de 0,25 point du taux de cotisation employeur assurance maladie, limitent la baisse du taux de cotisations employeur associée à la hausse de la TVA à 0,55 point. Pour les salariés, la baisse du taux de cotisation est du même ordre puisqu'ils doivent supporter une hausse de 0,2 point du taux de cotisation salariés-retraite et de 0,25 point du taux de cotisation salarié-assurance maladie.


Dans le domaine de la fiscalité , la hausse des impôts indirects résultant de la réforme de la TVA s'accompagne d'une réduction de l'impôt sur les sociétés .

L'impôt sur les sociétés se compose d'un impôt régional de 16,7 % sur les bénéfices avant impôt, d'un impôt fédéral de 25 % sur les bénéfices après impôt régional et d'une taxe de solidarité en faveur de la réunification de 5,5 % sur les bénéfices après impôts. La réduction du taux d'imposition passera par une baisse de l'impôt fédéral à 15 %.

Deux autres mesures sont prévues :

- une « limite d'intérêts » pour les sociétés de capitaux, la charge d'intérêt de l'impôt sur les sociétés étant fonction du montant des bénéfices (plus le bénéfice est élevé, plus la déduction l'est aussi) ;

- un prélèvement à la source sur les gains en capital (intérêts, dividendes et plus-values) sera introduit en 2008 ce qui réduirait l'imposition des dividendes mais accroîtrait celles des plus-values.

S'agissant des retraites , les mesures adoptées représentent un effort pour réduire l'augmentation prévisible de la part du PIB consacrée aux pensions en Allemagne, afin notamment d'éviter la hausse des prélèvements fiscaux qu'il faudrait entreprendre pour la financer . Une combinaison alliant réduction du taux de remplacement (montant de la retraite/montant du salaire d'activité) et diminution de la durée prévisible du service des pensions a été mise en place. Les hausses de cotisations qui sont intervenues étant restées très modérées, le choix de résolution du problème comptable des retraites pour lequel l'Allemagne a opté, a un prolongement, également observé dans ce pays, la promotion de l'épargne-retraite privée. Ce prolongement s'explique dès lors que le choix réalisé en Allemagne consiste à réduire l'ampleur des retraites versées en contrepartie de prélèvements obligatoires et qu'une incertitude demeure sur les préférences des agents. L'augmentation légale de l'âge d'ouverture des « droits pleins » peut être sans effet sur les conditions réelles de départ à la retraite. Au fond, la seule certitude attachée à ce type de réformes est qu'elles permettent d'éviter d'alourdir les prélèvements obligatoires, et qu'elles peuvent 16 ( * ) contribuer à améliorer la compétitivité et l'attractivité du pays qui les entreprend.

Cet objectif de compétitivité est aussi poursuivi avec l'augmentation de la TVA , les réaménagements structurels des prélèvements obligatoires auxquels elle a donné lieu obéissant à deux motifs (ce qui les nuance par rapport à un mécanisme pur de TVA sociale) :

- augmenter la compétitivité de l'Allemagne en créant un écart de prix entre les produits nationaux et les produits importés 17 ( * ) ;

- augmenter les prélèvements obligatoires pour réduire le déficit public dans la perspective tracée par le programme de stabilité allemand élaboré pour se conformer à la discipline budgétaire européenne (v. infra ).

Dans sa première branche, l'augmentation de la TVA poursuit une inspiration très proche, voire identique, à celle motivant les dévaluations compétitives d'avant l'euro .

S'agissant de l'impôt sur les sociétés , le dispositif est évidemment destiné à améliorer l'attractivité de l'Allemagne comme terre d'accueil des capitaux et à renforcer la compétitivité des entreprises.

*

* *

Si l'Allemagne offre une image parlante d'une politique de concurrence fiscale conduite dans un grand pays de l'Union européenne, elle n'est évidemment pas la seule à participer à un processus, que d'ailleurs l'Europe n'a jamais vraiment condamné, se contentant de prohiber la concurrence fiscale abusive 18 ( * ) .

B. UNE CONCURRENCE FISCALE GÉNÉRALISÉE

On sait que la concurrence fiscale trouve un terrain particulièrement propice, avec les assiettes fiscales mobiles : les fiscalités des revenus de capitaux mobiliers et des entreprises étant particulièrement concernées par ce phénomène. Les tendances fiscales observées en Allemagne, mais aussi dans d'autres pays, montrent que d'autres composantes de la fiscalité sont de plus en plus mobilisées à cette fin.

Le graphique n° 7 ci-après montre clairement que l'Union européenne est particulièrement touchée par la concurrence fiscale.

Des pays de la Triade (Europe, Etats-Unis, Japon), elle est la zone où les impôts sur le capital (figurés en bleu et en mauve) occupent la place la plus faible dans le total des recettes publiques .

Cette situation résulte notamment d'un abaissement constant des taux d'imposition des sociétés, nominal ou effectif, comme le montre le graphique n° 8.

Ces tendances sont « payantes » pour les pays les plus agressifs fiscalement . Le graphique ci-après montre que moins le taux d'imposition est élevé, plus les recettes fiscales sont importantes.

Au total, la concurrence fiscale aboutit à une déconnexion patente entre le niveau des recettes fiscales des impôts sur le capital et la répartition de l'activité économique dans l'espace européen . Cette discordance touche aussi les perspectives de croissance économique en Europe.

Plus globalement, on doit relever un grand nombre de phénomènes fiscaux témoignant d'une volonté nationale d'améliorer la compétitivité-coût et l'attractivité de chaque pays . La déformation des structures fiscales en Europe vers plus d'impôts indirects et moins de prélèvements directs sur les revenus du travail en est la manifestation la plus globale. Par certaines de ses dimensions - la hausse de la TVA compensée par les baisses de cotisation -, elle conduit à restaurer les dévaluations compétitives entre Nations européennes d'avant l'euro .

Par d'autres, elle manifeste une volonté univoque de réduction des coûts salariaux qui a le même objectif.

L'analyse des coûts salariaux conduite en ajoutant aux coûts salariaux directs correspondant aux salaires versés par les employeurs les coûts non salariaux : les cotisations sociales payées par les employeurs et les contributions patronales à des couvertures sociales contractuelles ou privées, le confirme.

Le niveau de ces coûts non salariaux apparaît très disparate en Europe, ce qui reflète des divergences structurelles, et montre aussi que de nombreux pays ont adopté des politiques de compétitivité sous cet angle au cours de la période la plus récente (2000-2006).

Le tableau ci-après en donne un aperçu.

LES COÛTS NON SALARIAUX DU TRAVAIL EN EUROPE

Célibataire (100 % du salaire moyen)

Célibataire (67 % du salaire moyen)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Différence
2000/2006

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Différence
2000/2006

Belgique

57.1

56.7

56.3

55.7

55.4

55.4

55.4

-1.7

51.3

50.7

50.5

49.6

48.9

49.1

49.1

-2.2

Danemark

44.3

43.6

42.6

42.6

41.3

41.4

41.3

-3.0

41.2

40.5

39.8

39.8

39.3

39.3

39.3

-1.9

Allemagne

53.9

53.0

53.6

51.5

53.3

51.8

52.5

-1.4

48.6

47.7

48.2

45.5

47.9

46.7

47.4

-1.2

Grèce

38.4

38.1

37.7

37.7

38.3

38.8

n.a.

n.a.

35.5

35.1

34.3

34.4

34.4

34.4

n.a.

n.a.

Espagne

38.6

38.8

39.1

38.5

38.7

39.0

39.1

0.5

34.7

35.3

35.7

34.7

35.2

35.7

35.9

1.2

France

49.6

49.8

49.8

49.8

49.8

50.1

50.2

0.6

47.4

47.6

47.4

45.0

42.3

41.4

44.5

-2.9

Irlande

28.9

25.8

24.5

24.2

26.2

25.7

23.1

-5.8

18.1

17.3

16.7

16.2

20.5

19.9

16.3

-1.8

Italie

46.4

46.0

46.0

45.0

45.4

45.4

45.2

-1.2

43.1

42.7

42.7

41.1

41.4

41.7

41.5

-1.6

Luxembourg

38.2

36.2

33.6

34.1

34.6

35.3

36.5

-1.7

32.5

30.6

28.6

28.9

29.2

29.8

30.6

-1.9

Pays-Bas

39.7

37.2

37.4

37.1

38.6

38.6

44.4

4.7

42.0

38.9

39.1

40.0

40.4

41.3

40.6

-1.4

Autriche

47.3

46.9

47.1

47.4

47.5

47.4

48.1

0.8

43.2

42.9

43.1

43.5

43.4

42.5

43.5

0.3

Portugal

37.3

36.4

36.6

36.8

36.8

36.2

36.3

-1.0

33.2

32.2

32.3

32.4

32.4

31.7

31.7

-1.5

Finlande

47.8

46.4

45.9

45.0

44.5

44.6

44.1

-3.7

43.0

41.4

40.9

40.0

39.4

39.5

38.9

-4.1

Suède

50.1

49.1

47.8

48.2

48.4

47.9

47.9

-2.2

48.6

47.8

46.8

47.0

47.1

46.5

46.0

-2.6

Royaume-Uni

32.1

31.8

31.9

33.3

33.4

33.5

33.9

1.8

28.3

28.0

28.1

29.6

29.7

29.9

30.4

2.1

Source : Commission européenne.

Ainsi, la concurrence fiscale contribue largement aux politiques de désinflation compétitive par lesquelles se construit le nouvel antagonisme européen.

CHAPITRE IV - LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE, DES POLITIQUES ANTAGONISTES DOMINÉES PAR LA DÉSINFLATION COMPÉTITIVE

Les phénomènes de concurrence fiscale ont des prolongements dans d'autres domaines de la politique économique , au premier rang desquels la politique de partage de la valeur ajoutée , auxquelles elles participent.

Sur ce plan, les politiques suivies par les pays européens sont également très divergentes. Trois grandes configurations émergent . Deux d'entre-elles supposent des arbitrages manifestement antagoniques, c'est-à-dire porteurs d'effets fortement négatifs pour les partenaires de la zone euro.

I. TROIS CONFIGURATIONS DIVERGENTES

Le partage de la valeur ajoutée est un des arbitrages essentiels des politiques économiques. Sur ce plan, l'Europe abrite des choix divergents autour de configurations nationales nettement contrastées.

A. EN LIEN AVEC DES COÛTS SALARIAUX UNITAIRES EXTREMEMENT DIVERGENTS...

De fait, au cours de la période 1999-2006, les salaires par tête ont augmenté de façon très variable dans la zone euro.

INDICATEURS DE COÛTS DU TRAVAIL DANS LA ZONE EURO (1999 - 2006)

(croissance en %)

Salaire par tête

Productivité par tête

Coût salarial unitaire

Belgique

2,8

1,3

1,5

Allemagne

1,9

1,7

0,2

Irlande

5,9

2,9

2,9

Grèce

6,4

3,4

2,9

Espagne

3,1

0,4

2,6

France

2,8

1,0

1,7

Italie

2,9

0,4

2,6

Luxembourg

3,5

1,0

2,5

Pays-Bas

3,8

1,7

2,0

Autriche

1,9

1,4

0,5

Portugal

4,0

0,8

3,1

Finlande

3,2

2,1

1,2

Moyenne

2,6

1,1

1,4

Source : Commission européenne.

Autour d'une moyenne de 2,6 % par an, la croissance du salaire par tête s'est étagée entre 1,9 % en Allemagne et en Autriche, et 6,4 % en Grèce. En France, l'augmentation a été proche de la moyenne (+ 2,8 %).

Ces écarts reflètent, en partie, des différences de gains de productivité par tête . Ceux-ci ont atteint 1,1 % en moyenne avec des écarts importants entre pays : de 0,4 % l'an, en Espagne, les gains de productivité par tête ont atteint 3,4 % en Grèce.

Corrigées des performances de productivité, les variations des salaires par tête aboutissent à des évolutions des coûts salariaux unitaires qui, au total, sont moins dispersées que celles des coûts de main d'oeuvre .

Toutefois, des différences significatives sont à relever en ce domaine .

Autour d'une augmentation annuelle moyenne de 1,4 % , les coûts salariaux unitaires ont évolué moins que la moyenne dans trois pays : l'Allemagne, l'Autriche et la Finlande ; autour de cette moyenne (+ 0,6 %) dans trois pays : la Belgique, la France et les Pays-Bas ; et, très au-delà dans six pays : le Luxembourg, l'Espagne, l'Italie, l'Irlande, la Grèce et le Portugal.

Ces évolutions témoignent de l'existence de conditions très variables de partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits dans la zone euro avec des conséquences importantes, notamment quant à la compétitivité-coût des différentes économies de la zone .

B. ... TROIS CONFIGURATIONS...

Les données relatives aux variations des coûts salariaux unitaires dans la zone euro montrent qu'entre 1999 et 2006, le partage de la valeur ajoutée s'est opéré très différemment selon les pays .

En forçant un peu le trait, on peut indiquer que :

- quelques pays ont fait le choix , du moins implicite, de la désinflation compétitive ;

- d'autres pays ont été relativement insensibles à la hausse des coûts salariaux unitaires ;

- les derniers pays ayant occupé la situation intermédiaire .


• Ainsi, la divergence des trajectoires suivies en ce domaine fait cohabiter trois « modèles » .

- Le modèle du « passager clandestin » , qui est celui d'un pays avec forte inflation et creusement des besoins de financement . Immunisé contre les effets sur son taux de change et ses taux d'intérêt d'un déficit extérieur explosif, le « passager clandestin » bénéficie des efforts de ses partenaires dont la maîtrise de l'inflation permet de contenir les taux d'intérêt nominaux dans la zone euro.

Au demeurant, il en bénéficie plus qu'eux :

- d'une part, les taux réels y sont plus bas que dans le reste de la zone euro du fait d'une inflation plus forte ;

- d'autre part, le supplément d'inflation qu'il connaît lui permet de respecter plus facilement les disciplines budgétaires du « Pacte de stabilité et de croissance ».

Ce modèle « payant » à court terme bénéficie aussi aux partenaires quand le pays qui le pratique est ouvert à leurs exportations.

- Le modèle de la désinflation compétitive touche ses partenaires à qui il prend des parts de marché et sa population puisque le renforcement de la compétitivité-prix suppose une austérité salariale.

- Certains pays sont dans une situation médiane .

II. UN ANTAGONISME PERDANT

Le partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits est l'une des questions économiques les plus importantes que doive affronter la politique économique.

Les choix opérés en Europe sont des choix de confrontation et le modèle dominant dans un univers de non-coordination, la désinflation compétitive, qui exerce des effets très négatifs même pour le pays qui l'adopte, représente une option manifestement non-coopérative.

A. LES ENJEUX

Le partage spontané par les marchés peut ou non correspondre aux objectifs des gouvernements (en matière d'inflation de demande ou d'investissement) qui disposent, même si leur efficacité est parfois à nuancer, d'instruments leur permettant de le corriger.

Les évolutions des coûts salariaux unitaires déterminent les équilibres du partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits :

- la stabilité des coûts salariaux unitaires accompagne une stabilité de ce partage ;

- la hausse des coûts salariaux unitaires tend à augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée ;

- la baisse des coûts salariaux unitaires provoque une diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée.

A chaque équilibre atteint, ou selon le sens de leurs variations, on peut associer des enchaînements, dont la probabilité d'occurrence peut évoluer en fonction du contexte économique, qui permettent de prédire les incidences des choix opérés :

- une augmentation des coûts salariaux unitaires est plutôt inflationniste et favorable à l'élévation de la demande domestique, du moins transitoirement, ses effets sur le renforcement des capacités de production étant ambigus ;

- une diminution des coûts salariaux unitaires accroît la compétitivité-coût et les profits des entreprises mais pèse sur la demande intérieure ; elle a des effets indéterminés sur les capacités d'offre ;

- une stabilisation des coûts salariaux unitaires s'accompagne d'un maintien en l'état du partage de la valeur ajoutée ; elle n'alimente ni désinflation, ni inflation, n'exerce pas d'effet sur la demande domestique et fait dépendre l'évolution de la compétitivité-coût du pays des évolutions intervenant dans les autres pays.

B. LES FAITS : DISTORSION DE COMPÉTITIVITÉ ET ÉCARTS DE DEMANDE INTÉRIEURE


• La divergence des choix entre pays européens a provoqué une distorsion de la compétitivité des économies de la zone euro
.

Dans une Union économique disposant d'une monnaie unique, les taux de change ne jouant plus entre pays, l'évolution du taux de change réel d'un pays, indicateur usuel de compétitivité-prix ne varie plus qu'en fonction de l'évolution relative de ses coûts salariaux unitaires.

Le graphique n° 1 ci-dessus regroupe des pays selon le sens de la variation de leur taux de change réel effectif, ce regroupement épousant celui présenté au sujet des modalités du partage de la valeur ajoutée dans la zone.

Dans un premier groupe de pays (Grèce, Italie, Espagne, Irlande, Portugal et Pays-Bas), l'indicateur de compétitivité ressortant de l'évolution de taux de change réel s'est dégradé entre 1999 et 2006. En Allemagne et, à un moindre titre en Autriche, une très nette amélioration s'est produite.

Dans le dernier groupe de pays, l'indicateur du taux de change réel dénote une amélioration de la compétitivité (France, Belgique) ou une quasi stabilité (Finlande).


• Par ailleurs, en lien avec le degré de priorité accordée à la compétitivité, la demande domestique dans les pays européens a évolué très différemment.

La croissance nominale des salaires par tête a été très inégale selon les pays.

En lien avec ces écarts, il faut relever le dynamisme très contrasté de la consommation des ménages .

De même, les rythmes de l' investissement des entreprises ont été très variés.

C. UNE CONFIGURATION ANTAGONIQUE VOUÉE À L'ÉCHEC

Dans la configuration européenne des politiques économiques où l'absence de coordination dégénère en concurrence fiscale et en des politiques de désinflation compétitive, nombreuses sont les opinions qui érigent en modèle les pays qui poussent cette logique la plus loin.

C'est ainsi qu'après le modèle italien (celui des PME en réseaux des débuts des années 90), le modèle néerlandais (d'une croissance riche en emplois), le modèle britannique (de flexibilité du travail), le modèle danois (de flexisécurité), c'est désormais le modèle allemand qui est distingué (pour ses succès à l'exportation).

Ce dernier engouement est quelque peu étonnant au vu des effets de la stratégie qu'elle salue, qui combine une contention de la demande domestique, ce qui n'est pas un objectif satisfaisant de politique économique, et des pertes de croissance chez les partenaires.

Il n'est donc pas déplacé de ne pas le partager, de même qu'il est justifié de s'inquiéter des phénomènes de concurrence fiscale en Europe comme, alors ministre de l'économie et des finances, M. le Président de la République avait pu le faire.

C'est que, fondamentalement, les politiques économiques ouvertement non coopératives, apparemment « gagnants-perdants », ce qui suffirait à les condamner dans une Union monétaire reposant sur un principe politique de solidarité sont, pis encore, comme facteurs de régression pour toute l'Europe, des stratégies de cumul de pertes de bien-être économique.

1. Apparemment gagnante...

Aux trois « modèles » identifiés plus haut, on peut associer a priori des chances de succès différentes :


• La stratégie du « passager clandestin » , pays avec forte inflation et creusement des besoins de financement, ne semble « tenable » qu'un temps. A terme, il doit buter sur la perte de compétitivité résultant d'une appréciation du taux de change réel.

Autrement dit, une régulation naturelle est susceptible de discipliner le « passager clandestin » .

- La stratégie de désinflation compétitive est apparemment plus durable que les autres dans une union monétaire puisque le pays peut accumuler des capacités de financement sans craindre une appréciation de son taux de change.

Les pays qui l'adoptent semblent pouvoir échapper plus durablement à des phénomènes de régulation spontanée que le « passager clandestin ». A supposer qu'un tel modèle soit jugé non souhaitable, il appelle ainsi plus que ce dernier à une régulation volontariste.

- les pays en situation médiane (ce qui est le cas de la France) appartiennent au groupe de pays de la zone euro ayant des taux d'inflation faibles mais sans réduction drastique des salaires. Cette situation peut être transitoirement pénalisante. En effet, par rapport à des pays moins vertueux sur le plan de l'inflation, à taux d'intérêt nominal égal, l'économie française subit un taux d'intérêt réel plus élevé alors qu'à l'inverse de l'Allemagne, par exemple, elle ne profite pas de la dépréciation de son taux de change réel résultant de la déflation salariale.

La stratégie de désinflation compétitive ressort ainsi apparemment comme la plus « performante » pour le pays qui la choisit, ce qui la rend d'autant plus dangereuse qu'à ce titre, elle peut susciter des imitations .

2. ... la désinflation compétitive est porteuse de déclin

Cependant, une telle stratégie n'est, en réalité, pas tenable pour les pays qui l'adoptent.

Les stratégies de désinflation compétitive ne sont pas tenables à terme pour les pays qui les conduisent, parce qu'elles sont incohérentes avec un fonctionnement économique équilibré. En toute hypothèse, elles impliquent le renoncement à des ambitions territoriales.

a) La vulnérabilité aux réactions des partenaires

Que ceux-ci connaissent un ralentissement économique ou, pis encore, qu'ils imitent les pays qui la conduisent, alors la désinflation compétitive est prise à revers . Dans un tel cas, l'imitation aggrave encore le déclin économique ( voir le chapitre V ) inhérent à cette stratégie.

Un tel échec peut aussi survenir si l'évolution du taux de change du pays contrecarre les gains de compétitivité-coût qu'il s'est efforcé d'acquérir, mécanique à laquelle la dépréciation des devises étrangères face à l'euro confère une certaine actualité.

b) Une stratégie de déclin

Elles sont également non durables, parce que non conformes à un sentier d'équilibre .

Elles impliquent, en effet, une déformation du partage de la valeur ajoutée. Or, un tel phénomène a peu de chances de se produire durablement.

Elles passent par une réduction des coûts salariaux unitaires, qui, pour accroître la compétitivité, altère aussi la demande domestique.

Le gonflement des profits - qui résulte de la modération salariale dans l'hypothèse où les entreprises gagnent des parts de marchés - risque alors d'être sans effet sur le rythme de l'investissement national, privé de perspectives de demande interne.

Car la limite fondamentale des politiques de désinflation compétitive est qu'en elles-mêmes, elles ne contribuent nullement à une quelconque hausse de la productivité.

Elles ne font que produire des chocs économiques auxquels, dans une Europe contrainte par l'absence de marges de manoeuvre des politiques macroéconomiques (du fait surtout du Pacte de stabilité et de croissance et de l'absence d'une politique de change réactive), il est impossible de répondre.

Depuis qu'une telle orientation a été privilégiée, la croissance économique en Allemagne a été de 0,5 % l'an, (moyenne annuelle au cours de la période 2001-2005), la forte croissance de 2006 relevant de circonstances exceptionnelles.

Vos rapporteurs estiment que ces politiques de déflation salariale ont même l'effet inverse sur la productivité des pays qui les choisissent :

- en amenuisant la demande domestique, elles privent l'investis-sement des perspectives qui lui sont nécessaires. La situation de l'investissement en Allemagne le confirme abondamment. Dans une économie globalisée, cet enchaînement a d'autant plus de chances de se produire que la fuite de l'investissement est une issue normale. Dans ces conditions, les profits d'aujourd'hui peuvent bien faire les investissements de demain, mais ce sont des investissements à l'étranger.

- en réduisant les gains salariaux, elles altèrent une des incitations essentielles au travail ;

- en privant les Etats de bases fiscales, elles les conduisent à sacrifier les dépenses les plus porteuses d'avenir (éducation, recherche, infrastructures...) et réduisent la portée des assurances collectives pourtant si nécessaires pour accompagner les mutations économiques dans un monde en transition.

CHAPITRE V - L'INCOORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EN EUROPE : UN MÉCANISME À LA RACINE DU DÉCLIN EUROPÉEN

L'incoordination des politiques économiques en Europe y crée des conditions économiques qui minent toutes les ambitions qu'elle s'est donnée et, finalement, la poursuite de ses objectifs politiques.

Le rapport du CEPII évoque un triangle d'incompatibilité pour décrire la situation actuelle de l'Europe . L'image apparaît juste.

Dans le cadre de l'euro , le pacte de stabilité contraint à renoncer aux déficits structurels, objectif en soi contestable et dont l'atteinte devient totalement illusoire en cas de généralisation des politiques non-coopératives, notamment de concurrence fiscale, tout en faisant obstacle aux objectifs de la stratégie de Lisbonne , avec lesquelles les politiques économiques européennes antagonistes entrent, elles-mêmes, directement en conflit, par leur esprit et leurs incidences pratiques.

L'angle le plus faible du triangle est assurément la stratégie de Lisbonne , qui est pourtant le seul projet économique européen . Ni la monnaie unique, l'euro, qui est un instrument essentiel, mais qui n'est qu'un instrument, ni la concurrence ne sont de vraies politiques économiques puisqu'elles ne comportent en elles-mêmes aucun objectif économique.

Au total, le défaut de coordination des politiques économiques en Europe , qui se résoud en une « coordination de fait », en dégénérant en politiques économiques antagonistes , est source de problèmes qui ne sont pas seulement de court terme et conjoncturels mais, encore, au-delà des problèmes structurels.

Structurellement :


• l'euro peut être menacé ;


• et l'objectif d'élévation de la croissance potentielle en Europe (la « Stratégie de Lisbonne ») être relégué au rang de la simple rhétorique.

I. L'EURO MENACÉ

Les contradictions dans lesquelles est prise la construction européenne du fait de l'incoordination des politiques économiques créent deux menaces pour l'euro. L'une dépend de la fonction de réaction de la Banque centrale européenne (la BCE), et l'autre est directement liée aux effets des politiques non coopératives sur les équilibres européens.

A. L'EURO EN TANT QU'ESPACE MONÉTAIRE À TAUX D'INTÉRÊT STABLES ET NEUTRES

Les politiques économiques européennes non coopératives sont susceptibles d'aggraver la situation budgétaire de la zone euro par leurs incidences budgétaires négatives pour les partenaires des pays qui les conduisent.

Par ailleurs, elles ont un impact plutôt déflationniste puisqu'elles reposent sur des mécanismes de désinflation et qu'elles augmentent le déficit de production des partenaires. En soi, ces politiques augmentent le taux d'intérêt réel dans la zone euro. Ainsi, théoriquement, elles devraient susciter une réaction de la part de la Banque centrale européenne dans le sens d'une baisse de ses taux d'intervention.

Pourtant, les faits ne confirment pas cet enchaînement logique. La BCE ne semble pas tenir compte de l'existence en Europe de politiques déflationnistes. Outre que la BCE peut être plus sensible à d'autres éléments, soit exogènes, de nature plutôt inflationniste, comme la hausse des prix des matières premières, soit internes à certains pays européens (entraînant chez eux une résistance de l'inflation) 19 ( * ) , il faut rappeler qu'elle s'affiche régulièrement préoccupée par les déficits publics, que les politiques non coopératives creusent dans les pays qui les subissent.

Au total, l'incoordination des politiques économiques en Europe, obstacle considérable au « redressement » des finances publiques, est aussi un facteur de resserrement des conditions monétaires si la BCE ne tient pas compte de ses incidences, par nature, désinflationnistes et se montre sourcilleuse sur les évolutions des situations budgétaires. A son tour, ce processus de durcissement monétaire peut aggraver le ralentissement économique et dégrader la situation des finances publiques.

B. LES EFFETS DE L'OUVERTURE DES CISEAUX DES TAUX DE CHANGE RÉELS AU SEIN DE LA ZONE

Depuis l'adoption de l'euro, les déséquilibres des balances courantes des pays de la zone se sont amplifié tout en divergeant nettement.

L'Allemagne, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas ont accumulé des excédents commerciaux tandis que les autres pays ont subi une dégradation de leurs positions commerciales internationales. La France n'est pas la plus touchée mais sa situation s'est dégradée.

Ce phénomène est étroitement corrélé avec les variations des positions concurrentielles résultant de l'évolution des coûts salariaux unitaires.

Les coûts salariaux unitaires ont évolué en divergeant nettement au cours de la période de 1994-2006.

Ces tendances aboutissent cependant à des résultats contrastés. En Italie et en Espagne, les coûts salariaux unitaires sont significativement plus élevés qu'en 1994. En France et en Allemagne, ils sont plus bas mais leur diminution en Allemagne les conduit à un niveau beaucoup plus faible qu'en 1994 alors qu'en France, ils tendent à rejoindre ce niveau.

Au total, les données relatives à la compétitivité-coût des pays européens ont divergé si bien que les positions compétitives relatives des pays se sont modifiées.

Quant aux coûts salariaux unitaires dans le secteur manufacturier , les tendances sont encore plus divergentes.

Ces données conduisent à plusieurs constats importants :

- entre 1994 et 2006, la zone euro se singularise par une baisse des coûts salariaux unitaires , même si depuis 2000, une certaine augmentation est intervenue, alors qu'aux Etats-Unis et au Royaume Uni , la tendance inverse peut être relevée ; finalement dans la « Triade » seul le Japon connaît une baisse des coûts salariaux unitaires plus forte que la zone euro ;

- au sein de la zone euro , les évolutions des coûts salariaux unitaires ont été assez nettement divergentes, l'Allemagne se distinguant par une baisse prolongée.

Variation des soldes courants

Sous cet angle, seuls les Pays-Bas échappent à la règle, pour des raisons essentiellement géographiques.

Mais, les corrélations s'expliquent aisément par la divergence des prix à l'exportation.

Les divergences concernant les coûts salariaux unitaires sont doublement en cause :


• les pays situés en bas à droite du graphique ont gagné en compétitivité-coût par rapport aux pays situés en haut du graphique, ce qui a permis aux premiers de gagner des parts de marché aux dépens des seconds ;


• souvent, ces gains se sont accompagnés d'un ralentissement de leur demande intérieure qui a pénalisé les exportations des partenaires.

Dans ces conditions, il n'est pas abusif de prétendre que, malgré l'adoption de l'euro, monnaie unique de l'ensemble des pays de la zone, les dévaluations compétitives n'ont pas disparu en Europe .

On peut alors se souvenir, sans en être étonné, qu'un débat s'est ouvert il y a quelques mois sur les gains de l'euro. Ce débat a été particulièrement vif en Italie où l'activité économique a connu une langueur persistante avec une croissance annuelle moyenne de 0,05 % l'an, à partir de 2001.

La demande intérieure y a été en progression de plus en plus lente tandis que la contribution du commerce extérieur italien était devenue fortement négative.

Le débat en Italie a porté sur la responsabilité de l'euro sur la dégradation de la position internationale du pays à telle enseigne que la participation de l'Italie à la zone euro a pu être remise en cause.

*

* *

Vos rapporteurs ne partagent nullement les positions excessives et dangereuses auxquelles ce débat a donné lieu. Mais, ils estiment qu'il faut être très attentif aux conditions dans lesquelles les taux de change réels évoluent au sein de la zone euro, qui dépendent étroitement de la qualité de la coordination des politiques économiques .

II. LA « STRATÉGIE DE LISBONNE », UN EXERCICE PUREMENT INCANTATOIRE ?

L'incoordination des politiques économiques en Europe, conduit à leur conférer une allure souvent antagonique.

Ce processus altère la croissance économique et accentue les effets pervers du « Pacte de stabilité et de croissance », en renforçant les difficultés budgétaires en Europe et en incitant à sacrifier les mesures les plus susceptibles d'élever le rythme de la croissance potentielle .

Ce cercle vicieux ouvre en Europe des perspectives de croissance économique moroses qui compliquent, à leur tour les assainissements budgétaires tant souhaités et privent de toute crédibilité l'objectif d'élévation de la croissance potentielle en Europe.

A. L'INCOORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EN EUROPE AGGRAVE LES EFFETS DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE

L'impact récessif des politiques de désinflation compétitive , et les effets de la concurrence fiscale, qui prendraient des dimensions alarmantes si tous les pays européens devaient les adopter en vertu d'une « coordination » de fait, est un obstacle important au respect de la seule modalité de coordination des politiques économiques européennes existant réellement (en dehors, bien entendu, de la politique monétaire) : le « Pacte de stabilité et de croissance » .

Les insuffisances du pacte comme instrument de la coordination des politiques budgétaires entre Etats ressortent avec une particulière acuité de sa confrontation avec ce qu'on peut qualifier de désert de la coordination des politiques économiques en Europe. Celui-ci, par les chocs économiques dont il entretient la récurrence, est incompatible avec la surveillance rigide des politiques budgétaires qu'implique trop souvent le Pacte de stabilité et de croissance.

1. Le « Pacte de stabilité et de croissance », une règle aux effets pervers sur la coordination des politiques budgétaires en Europe

En soi, le « Pacte de stabilité et de croissance », est une version faible de la coordination des politiques budgétaires en Europe.

Le « Pacte de stabilité et de croissance » est constitué d'un corps de règles destinées à prévenir et à corriger les politiques budgétaires « non soutenables ».

Votre Délégation a consacré plusieurs rapports 20 ( * ) à analyser ce mécanisme pour conclure à la nécessité de le réformer.

Cette réforme, que plusieurs responsables de la politique économique jugeaient alors impossible, est pourtant intervenue lors du Conseil européen de mars 2005.

Votre Délégation s'en réjouit. Les inflexions apportées témoignent d'une inspiration en ligne avec ses propres recommandations.

LA RÉFORME DU « PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE » DE MARS 2005
_____

Lors du Conseil européen de mars 2005, les chefs d'Etat et de gouvernements de l'UE ont décidé de réviser le « Pacte de stabilité et de croissance ».

Selon la nouvelle mouture du pacte, les Etats membres doivent toujours maintenir leur déficit et leur dette publique en dessous des seuils fixés respectivement à 3 % et à 60 % de leur PIB.

Les Etats membres s'engagent à utiliser les rentrées fiscales imprévues, durant les périodes de forte croissance, afin de réduire leur déficit et leur dette.

Cependant les règles du pacte ont été "assouplies" sur plusieurs points :


• les Etats membres pourront ainsi échapper à une procédure de déficit excessif dès lors qu'ils se trouvent en situation de récession alors que cette exemption n'était jusqu'alors accordée qu'aux Etats frappés par une forte crise de croissance (entraînant une perte supérieure ou égale à 2 points de PIB) ;


• la décision d'engager une procédure de déficit excessif ne sera prise qu'après examen d'un certain nombre de « facteurs pertinents », susceptibles d'entraîner la suspension de la procédure ;


• enfin, les délais seront également allongés.

S'agissant des « facteurs pertinents » permettant à un pays d'échapper à une procédure de déficit excessif, le texte ne dresse pas de liste exhaustive, mais énonce des "têtes de chapitre", lesquelles prennent la forme de principes généraux dont l'application devra faire l'objet de discussions entre la Commission et les Etats membres. En cas de dépassement « temporaire » des valeurs de référence fixées dans le pacte, les Etats membres pourront, afin d'échapper à la mise en oeuvre d'une procédure de déficit excessif à leur encontre, faire valoir notamment la mise en oeuvre de réformes structurelles (réforme des systèmes de retraites ou de sécurité sociale, par exemple),
l' adoption de programmes de soutien à l'effort de recherche et développement , ainsi que la mise en oeuvre de politiques d'assainissement budgétaire (réduction des niveaux d'endettement, accumulation de réserves budgétaires en période de conjoncture économique favorable, etc.).

Des libertés seront encore données aux pays qui s'efforcent de "favoriser la solidarité internationale et d'atteindre les objectifs européens, notamment la réunification du continent, notamment à travers l'aide au développement de la contribution d'un Etat au budget européen.

Allongement des délais dans les procédures de déficit excessif

Les Etats auront deux ans (contre un auparavant) pour réduire leur déficit s'il est jugé excessif. Ce délai peut être allongé en cas « d'événement économique inattendu ayant des conséquences graves pour le budget survenant pendant la procédure ». Pour bénéficier de cette clause, les Etats doivent apporter la preuve qu'ils ont adopté les mesures de correction du déficit qui leurs étaient conseillées.

Objectifs à moyen terme spécifiques à chaque pays

Des objectifs à moyen-terme seront définis pour chaque Etat  sur la base du ratio de sa dette par rapport au PIB et de sa croissance potentielle. Ces objectifs peuvent aller d'un déficit de 1 point de PIB pour des pays avec une faible dette et un fort potentiel de croissance jusqu'à l'équilibre budgétaire ou même un excédent pour les pays avec une dette élevée et un faible potentiel de croissance.

Cependant, au terme de ce réaménagement, il n'est toujours pas possible de regarder le « Pacte de stabilité et de croissance » comme une modalité satisfaisante de coordination des politiques budgétaires.

Il faut prendre le pacte pour ce qu'il est : un simple instrument de surveillance des politiques budgétaires des Etats membres de l'UEM.

Sans doute, encore que seul l'usage permettra de le vérifier, les principes de la réforme de 2005 donnent-ils davantage de latitude à la politique budgétaire des Etats, ils ne fondent en rien la coordination positive des politiques budgétaires nationales.

Certains prétendent que le plafond de déficit public représente une sorte de frein à des politiques de concurrence fiscale exacerbée. Cet argument ne résiste pas vraiment à l'examen puisque la concurrence fiscale, qui a pour objectif de capter des bases taxables, peut, en cas de réussite, s'accompagner du respect du plafond du déficit.

Au total, plutôt que d'évoquer un processus de coordination des politiques budgétaires, le pacte européen représente son contraire :


l'intangibilité de ses règles ôte toute réelle marge de manoeuvre à la négociation entre Etats ;


leur universalité prive la zone euro de la capacité de tenir compte des situations particulières ;


enfin, leur rigidité constitue un aiguillon pour adopter des politiques nationales non coopératives .

2. Les confirmations apportées par l'étude du CEPII

L'étude du CEPII confirme cette analyse, s'agissant de la situation franco-allemande .

a) La politique budgétaire française aurait dû être plus contracyclique

Sans doute, est-il vrai que la France a conduit une politique qui est devenue légèrement plus contracyclique que celle de l'Allemagne. Toutefois, deux observations doivent être faites :


• le pacte n'a pas empêché la France de conduire une politique budgétaire procyclique au tournant de la dernière décennie ;


• la situation économique de la France aurait globalement justifié une politique budgétaire nettement plus active qu'en Allemagne alors qu'elle ne l'a été que faiblement.

En effet, malgré une croissance plus forte, la France a globalement souffert d'un déficit de production plus élevé qu'en Allemagne.

Depuis 1992, les cycles d'activité économique en France et en Allemagne ont été généralement parallèles mais notre pays a créé davantage de richesses (graphique n° 7).

Les deux pays ont connu une récession en 1993 , une courte reprise en 1994 suivie d'un ralentissement jusqu'en 1996 . Au-delà, l' activité a accéléré jusqu'en 2000, année d'un pic de croissance auquel a succédé une croissance de plus en plus faible . La reprise observée en 2004 connaît les mêmes hésitations en 2005 que l'année 2006 semble surmonter.

Le profil de la croissance économique est identique, mais la France connaît continûment un rythme d'activité supérieur à celui de l'Allemagne depuis 1996 de l'ordre de 0,8 point de PIB. L'écart se réduit toutefois au fil du temps et s'inverse en 2006.

Ce panorama se retrouve, dans ces grandes lignes, quand on apprécie la situation économique des deux pays à partir des « écarts de production » qu'ils ont connus (graphique n° 8).

« L'ÉCART DE PRODUCTION » : DÉFINITION ET UTILITÉ

___

« L'écart de production » mesure la différence entre la production effective d'un pays et le niveau potentiel de sa production. Celui-ci résulte du niveau de sa population active et des performances de productivité du pays. La production potentielle doit satisfaire à une condition d'absence de tensions inflationnistes. Autrement dit, pour en mesurer le niveau on ne compte pas la totalité de la population active disponible mais la seule population active qui peut être mobilisée sans qu'une hausse des prix intervienne. En effet, il existe un seuil, variable selon la situation du pays, au-delà duquel l'augmentation de l'emploi s'accompagne d'une tension sur les salaires et sur les prix.

L'utilité de la notion de production potentielle - ou, quand on raisonne sur des variations, de croissance potentielle - est multiple. En ne l'envisageant que sous l'angle des politiques économiques de stabilisation conjoncturelle - qui est l'objet du présent rapport -, elle tient aux indications que l'« écart de production » fournit : lorsque la production est inférieure au potentiel de production, une politique d'accélération de la croissance effective est recommandable - du moins si l'on souscrit aux vertus des politiques économiques -. Elle est, en outre, efficace puisque des capacités de production sont inemployées - il existe un chômage involontaire : dans ces conditions, le risque d'inflation est, macroéconomiquement, nul.

Toutefois, dans le cadre d'évolutions analogues des « écarts de production », il faut noter des différences entre la France et l'Allemagne. Au cours des années 1990 à 2006, malgré une croissance économique souvent plus forte, notre pays a enregistré des « déficits de production », en cumulé, nettement plus importants que l'Allemagne, excepté entre 2003 et 2005 .

Ainsi, le retard de production de la France a été plus important et plus durable que celui de l'Allemagne. Un constat comparable peut être effectué avec l'Italie.

L'excédent de croissance économique de la France par rapport à l'Allemagne depuis 1996 (+ 0,8 point en moyenne) a permis de rapprocher la situation des deux pays au regard du critère de l'« écart de production », mais sans que soient comblées les différences de ce point de vue.

Ces différences entre les deux pays auraient justifié une politique budgétaire plus active en France.


• Le supplément de croissance économique qu'a connu la France par rapport à l'Allemagne à partir de 1996 (+0,8 point par an en moyenne) traduit, dans une large mesure , un potentiel de croissance supérieur dans notre pays, qui aurait justifié un différentiel de croissance effective encore plus favorable à la France ;


• Mais, il faut aussi relever que les différences entre les pays concernés - et plus largement entre les pays européens -sous l'angle des potentiels de croissance justifient des politiques économiques différenciées , ce qui aurait dû conduire la France à adopter des orientations budgétaires beaucoup plus expansionnistes.

Le potentiel de croissance d'une économie désigne le rythme de croissance économique que ce pays peut normalement ambitionner d'atteindre compte tenu de l'augmentation de sa population active et des gains de productivité qu'il est capable de démontrer.

Quand, comme ce fut généralement le cas au cours de la période sous revue, la croissance effective se situe en deçà de la croissance potentielle , la politique économique recommandée consiste à mettre en oeuvre une combinaison des politiques budgétaire et monétaire accommodante .

En effet, la configuration économique montre alors souvent (excepté quand le pays souffre d'un problème de compétitivité extérieur) que c'est la demande qui est insuffisante par rapport aux capacités de production, ce qui écarte toute perspective de tensions inflationnistes.

Au cours des longues années où le déficit de croissance effective par rapport à la croissance potentielle a été en France supérieur à celui observé en Allemagne, soit qu'elles aient couvert la phase de préparation à l'euro, soit qu'elles lui aient été postérieures, la politique monétaire a imposé des conditions à peu près identiques aux deux pays (de plutôt favorable à l'Allemagne, la politique monétaire est devenue de plus en plus homogène pour les deux pays à mesure que se rapprochait la perspective de l'euro). Une politique monétaire unique comporte a priori 21 ( * ) des effets asymétriques pour des pays qui connaissent des écarts de production différents : elle est plus rigoureuse pour le pays qui subit le déficit de production le plus élevé.

Dans un tel cas, il est justifié que le pays qui est relativement désavantagé sur le front de la politique monétaire s'engage dans une politique budgétaire plus active. La stimulation de sa demande domestique réclame en effet une impulsion budgétaire 22 ( * ) plus nette que dans le pays où le déficit de production est relativement plus faible.

En conclusion, la situation économique française aurait globalement justifié une politique budgétaire plus énergique qu'en Allemagne, ce d'autant que les deux pays connaissaient en fait des situations monétaires différenciées représentant un handicap pour la France .

b) Les politiques budgétaires ont été bridées en zone euro

Sans doute, ces pays ont-ils pu conduire des politiques budgétaires contracycliques depuis l'entrée en vigueur du pacte et cette donnée pourrait suggérer que le « Pacte de stabilité et de croissance » n'a pas été un cadre aussi coercitif pour ces politiques qu'on le prétend .

En ce qui concerne la France, après une longue phase, entre 1987 et 2000 où la politique budgétaire aura été plutôt procyclique, une orientation plus contracyclique est imprimée aux choix de politique budgétaire dans un contexte de retard de production.

Or, cette politique - qui se traduit par un creusement des déficits structurels alors que les soldes publics sont déjà déficitaires intervient dans un contexte où les « directives européennes » sont « d'améliorer » le solde structurel, de 0,5 point de PIB par an.

Toutefois, de telles conclusions seraient erronées . En effet, deux considérations essentielles doivent être formulées :

- les réactions contracycliques de la politique budgétaire française et allemande ont valu à ces pays d'être soumis à la « procédure de déficit excessif » du « pacte de stabilité et de croissance » ce qui peut évidemment être considéré comme une sérieuse entrave à la liberté de manoeuvre budgétaire .

- la politique budgétaire en zone euro a été bridée .

De fait, on peut relever que les politiques budgétaires ont été, en zone euro, très faiblement contracycliques, contrastant en cela avec celles des Etats-Unis et du Royaume-Uni.


• Le graphique n° 9 montre que les politiques budgétaires discrétionnaires ont été très inégalement réactives face aux différentes phases du cycle économique en zone euro et aux Etats-Unis , entre 1999 et 2007 .

Dans ce dernier pays, le solde budgétaire structurel - figuré en noir dans le graphique - a été presque constamment contra-cyclique et a été utilisé avec une particulière ampleur dans les phases de ralentissement économique .

Au contraire, dans la zone euro , la politique budgétaire discrétionnaire - figurée en vert - est plutôt pro-cyclique au cours de cette période .

En bref, en zone euro, que la croissance soit languissante ou rapide, les politiques budgétaires discrétionnaires ne vont pas à contre-pente, mais, au contraire accentuent la tendance spontanée de l'activité économique.

L'orientation pro-cyclique de la politique budgétaire discrétionnaire dans la zone euro n'est que partiellement compensée par les évolutions spontanées du solde budgétaire en réaction aux oscillations de la croissance économique ( graphique n° 10 ).

Les « stabilisateurs automatiques », plus puissants en zone euro en raison d'une taille des budgets publics plus importante qu'aux Etats-Unis, jouent dans les deux espaces économiques un rôle contra-cyclique qu'accentue l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire aux Etats-Unis . En zone euro, la situation inverse prévaut . La politique discrétionnaire réduit l'efficacité des stabilisateurs automatiques .

Le contraste entre les politiques budgétaires en zone euro et aux Etats-Unis se retrouve quand on considère le Royaume-Uni.

Au total, l'impulsion budgétaire (la variation du solde public structurel), en cumulé sur la période 2003-2006, est quasiment nulle en zone euro (0,5 point de PIB) alors qu'elle atteint des niveaux élevés dans les deux pays anglo-saxons considérés ici.

IMPULSION BUDGÉTAIRE CUMULÉE (2002-2006) - EN POINTS DE PIB

2002

2003

2004

2005

2006

Zone euro

1,5

1,4

1,1

0,5

0,5

Royaume-Uni

2,9

4,5

4,6

4,2

4,1

États-Unis

3,8

4,8

5,0

5,0

5,0

Source : OFCE

B. L'INCOORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES, UN OBSTACLE INFRANCHISSABLE POUR LES AMBITIONS EUROPÉENNES DE CROISSANCE

L' absence de coordination des politiques économiques en Europe affecte le dynamisme économique de la zone , et réduit les capacités de financement des projets identifiés dans le cadre de la « Stratégie de Lisbonne » comme nécessaires à l'augmentation du rythme de la croissance potentielle.

Ainsi, la mauvaise coordination des politiques économiques en Europe se paie, à court terme, par un déficit de croissance et, plus structurellement, par la remise en cause des ambitions de l'Union européenne .

L'absence de coordination des politiques économiques en Europe débouche sur une « coordination de fait » qui toujours plus poussée accroît les problèmes de l'Europe, zone de croissance molle, d'innovation faible, de chômage élevé et de pouvoir d'achat languissant.

Le défaut de coordination est le principal responsable des choix de certains pays de politiques de désinflation compétitive et des conséquences déflationnistes de ces choix. Il entretient une incitation permanente à l'imitation de telles stratégies, à la généralisation de la concurrence fiscale et salariale.

Cette contagion, à mesure qu'elle prend de l'ampleur, aggrave encore la situation de l'Europe.

1. L'incoordination contre la croissance

De cette mécanique de déclin, abondamment exposée dans le présent rapport, on peut citer un exemple particulièrement « parlant ».

LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND 2001-2005

___

Au cours de la période 2001-2005, l'Allemagne a enregistré une croissance annuelle de 0,5 % en moyenne. Au cours de ces mêmes cinq années, la politique de désinflation compétitive de l'Allemagne a amputé la croissance française de 0,4 points de PIB par an .

Ce montant correspond aux pertes de croissance subies par la France du fait de l'évolution comparée des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne. Ces pertes, rappelons-le, passent par le canal de la compétitivité et de l'écart de dynamisme des demandes domestiques des deux pays.

Le rapprochement est éclairant : les politiques antagonistes à l'oeuvre en Europe sont à la source des pertes immédiates de bien-être, qui se cumulent .

Plus encore, dans l'hypothèse où les politiques les plus concurrentielles se propageraient partout en Europe, la croissance économique ne dépasserait pas 0,4 % l'an, au mieux .

Pour le comprendre, il suffit de citer l'extrait suivant d'un article récemment publié par la Revue française d'économie 23 ( * ) : « La stratégie allemande, mise en oeuvre depuis le début des années 1990, avec une forte accélération depuis 2000, vise à provoquer une baisse très forte des coûts salariaux unitaires de l'industrie par la hausse de la productivité et la compression des salaires. La hausse de la productivité et la compression des salaires. La hausse de trois points du taux de TVA au 1er janvier 2007, de charges sociales par la TVA (hausse d'un point de la TVA pour une baisse de 2 points des cotisations chômage) et le financement d'une baisse de l'impôt sur les sociétés de 25 % à 15 % par une hausse de deux points de TVA. En outre, les entreprises allemandes ont externalisé une part importante de leur production en Europe centrale afin de bénéficier des faibles coûts de main-d'oeuvre dans ces pays.

Ce faisant, l'Allemagne ne vise pas des coûts unitaires de production qui soient inférieurs à ceux des pays émergents mais à ceux des autres pays européens afin de gagner des parts de marché au détriment des autres pays de la zone euro et de regagner des parts de marché sur son marché intérieur.

Cette stratégie, menée isolément, est critiquable même du point de vue allemand, car elle a conduit à comprimer la demande intérieure ce qui explique en partie, l'Allemagne représentant le tiers du PIB de la zone euro, la faiblesse observée de la croissance de l'ensemble de la zone euro sur la période 2002-2006.

Mais cette stratégie a produit des effets puissants sur la balance commerciale allemande. La dégradation du solde de la balance commerciale de la France, de 1998 à 2005, est plus importante vis-à-vis de l'Allemagne qu'avec l'ensemble des pays émergents. C'est également vrai pour l'Italie. En sorte que l'essentiel de l'amélioration du solde de la balance commerciale allemande au cours des années 2000 s'est fait au détriment du reste de la zone euro plutôt que de l'Asie. C'est moins glorieux mais très efficace.

On peut naturellement considérer que les autres pays membres de la zone euro n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes et faire, eux aussi, de la productivité et de l'externalisation, sauf qu'à ce jeu là c'est la demande intérieure de l'ensemble de la zone euro qui serait déprimée, avec une croissance qui serait deux fois moindre que son taux actuel qui est déjà anémique ».

Vos rapporteurs partagent cette analyse 24 ( * ) . Dans l'hypothèse où chacun conduirait une politique de désinflation compétitive les gains obtenus aux dépens des partenaires, qui sont, en effet, les gains recherchés , s'annuleraient.

Ne resteraient que les gains sur le reste du Monde, faibles par hypothèse, compte tenu des écarts de coûts, et susceptibles d'être rayés d'un trait de plume par une dépréciation des devises étrangères.

2. L'incoordination contre les ambitions de l'Union européenne

L'incoordination des politiques économiques en Europe, rupture d'un engagement politique fondamental, conduit au sacrifice des ambitions les plus élevées de l'Union européenne .

Selon l'article 2 du Traité : « La Communauté a pour mission , par établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en oeuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 4, de promouvoir dans l'ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, l'égalité entre les hommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres . »

Par ailleurs, la Stratégie de Lisbonne fixe à l'Europe pour objectif de « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale, dans le respect de l'environnement. »

L'absence de coordination des politiques économiques représente donc la violation d'un engagement fort dont le sens politique a été exposé dans l'avant-propos du présent rapport.

Les conditions dans lesquelles cet engagement est contourné ajoutent à l'erreur commise pour en faire une faute historique.

A titre d'exemple, le retour des stratégies en tout point analogues à des dévaluations compétitives laisse sans voix au vu des engagements des Etats, de l'adoption d'une monnaie unique... et de leur incapacité à conduire une politique de change adaptée à l'échelle de la zone euro.

Le coût en croissance économique, l'anémie des moyens des Etats qu'elle provoque et dont la concurrence fiscale augmente directement la gravité rendent illusoires la préparation de l'avenir 25 ( * ) , c'est-à-dire les étapes à franchir pour augmenter le rythme de la croissance potentielle en Europe

De même, l'ambition de la protection sociale élevée paraît compromise puisqu'aussi bien elle dépend de la croissance actuelle et future de l'Union européenne.

Ainsi, la non-coordination des politiques économiques, par les coûts élevés qu'elle entraîne, coûts effectifs mesurables, coûts d'opportunité évaluables aussi et coûts potentiels considérables si elle devait dégénérer encore davantage, mine toutes les réalisations, toutes les ambitions aussi de la construction européenne.

CHAPITRE VI - POUR NE PAS CONCLURE

Dans la présente étude, vos rapporteurs ont été conduits à dresser un bilan sans concessions de la coordination des politiques économiques en Europe.

Le passif l'emporte, de très loin.

Les enjeux d'un redressement de la situation sont considérables. Il s'agit de rien moins que de la survie même de la construction européenne.

Que l'Europe n'atteigne pas ses objectifs ce serait un échec historique. Qu'il échoue parce que ses partenaires, au lieu de coopérer, se livrent une guerre économique ce serait une faute.

L'Europe est un patrimoine désormais commun mais c'est un patrimoine en péril.

Cette menace de dislocation est d'autant plus frustrante que l'Europe dispose d'atouts considérables. Elle est aussi d'autant plus alarmante que la mondialisation s'intensifie.

I. LE RECUL DE L'EUROPE APPELLE UNE PRISE DE CONSCIENCE

A. LE RECUL DE L'EUROPE

L'Europe est la deuxième « économie » au Monde.

LA PUISSANCE DE L'EUROPE

États-Unis

UE (25)

Zone euro (12)

Population

298 m

464 m

315 m

PIB

12,410 bn

12,540 bn

9,039 bn

Croissance du PIB
(1996-2005)

3,8 %

3,0 %

2,1 %

PIB par tête

42,000

27,240

29,040

Chômage (1996-2005)

5,0

7,9

8,6

Sources : Eurostat, OCDE

Mais, elle semble gaspiller ses atouts, ses acquis.

La croissance économique de la zone euro est languissante. Sans doute, les écarts figurés dans le graphique ci-dessus s'expliquent-ils largement par un potentiel de croissance inférieur à ceux des autres zones. Mais, outre que la croissance effective peine à atteindre le potentiel en Europe, c'est bien un objectif d'élévation du rythme de sa croissance potentielle que l'Europe s'est fixé, sans l'atteindre jusque là.

En conséquence, le PIB par habitant décline dans de nombreux pays européens relativement à celui des Etats-Unis.

Cette dégradation, qui se prolonge dans les évolutions comparées du pouvoir d'achat, intervient malgré une inflation relative plus basse qu'outre-Atlantique .

On peut se féliciter de cet avantage relatif . Il témoigne d'un certain équilibre de la croissance européenne, témoignage qu'il faut toutefois relativiser compte tenu de la faiblesse de cette croissance et de l'importance du chômage européen, qui nourrit les pressions désinflationnistes.

Toutefois, vis-à-vis du monde extérieur, cette performance relative n'apporte guère à la compétitivité de la zone euro. Elle est plus que compensée par l'appréciation de l'euro .

Certes, l'Europe, à l'inverse des Etats-Unis, ne subit pas de contraintes extérieures. Elle finance plutôt le reste du Monde qu'elle ne lui emprunte .

Mais, quels avantages en tire-t-elle vraiment ?

Procède-t-elle pour cela à des investissements sur son propre territoire ? Se manifeste-t-elle par une place de champion de l'innovation ?

Les réponses sont connues et l'Europe peine, par exemple, à hausser d'un dixième de point de PIB son effort de recherche et accumule année après année du retard sur ses concurrents.

B. UNE NÉCESSAIRE PRISE DE CONSCIENCE

L'Europe pourrait au moins prendre conscience de trois réalités :


elle n'a pas de problème de disponibilité d'épargne ;


• les politiques d'hyper-compétitivité-coûts conduites en son sein ne sont pas gagnantes. Sur son territoire, elles entretiennent l'inertie économique ; en dehors de son espace économique, elles sont inutiles compte tenu des écarts de coûts ou tenues en échec par l'appréciation de l'euro ;


elle a une monnaie .

Cette prise de conscience n'est pas intervenue :


• l'Europe « sangle » l'instrument budgétaire, qui est le seul instrument immédiatement maniable par les gouvernements ;


• elle redouble de politiques de compétitivité sociale et fiscale au risque d'anémier sa croissance à court terme et de priver de toute perspective l'objectif qu'elle s'est fixée d'améliorer structurellement son potentiel de croissance ;


• elle n'a pas de politique de change et laisse toute liberté à la Banque centrale européenne (BCE) de déterminer la politique monétaire.

*

* *

Ces constats, vos rapporteurs en ont conscience, pourront être contestés. C'est aussi pour cela que le présent rapport vaut. Mais les signaux s'accumulent ces derniers temps, que certaines voies sont des impasses. Tel pays, à l'encontre de ses objectifs, connaît une poussée inflationniste sans précédent depuis des années. Tel ministre, après avoir exprimé une profonde satisfaction devant l'appréciation de l'euro nuance ses propos, s'il ne les retire pas. Telle institution renonce finalement à serrer les freins à la croissance économique. Tels partenaires sociaux semblent convenir que la rigueur salariale a atteint ses limites.

Le présent rapport s'inscrit dans le temps de l'évaluation. La coordination des politiques économiques, pilier fondamental de l'Union européenne est brisée, à l'abandon.

Avant que la France n'exerce la présidence de l'Union européenne, environ un semestre s'écoulera. Il devra être mis à profit pour formuler des propositions propres à sortir l'Europe de la concurrence des politiques économiques à laquelle elle se livre sans profit pour elle, et au détriment de ses projets. Votre Délégation entend poursuivre la réflexion , dans le champ qui est le sien, et contribuer utilement à la recherche de solutions , en formulant les propositions concrètes qu'implique le travail d'évaluation qu'elle présente ici .

D'ores et déjà, certains chantiers ressortent de cette évaluation comme devant être ouverts prioritairement.

II. CHANTIERS OUVERTS

La coordination des politiques économiques en Europe est un substitut à une intégration politique plus poussée. Celle-ci bute sur la résistance du principe de l'Etat national. Ce principe n'a toutefois pas fait obstacle à l'engagement politique de coordination des politiques économiques en Europe.

La question a été posée de savoir si l'échec rencontré en ce domaine n'a pas les mêmes causes que celles qui s'opposent à la construction d'une Europe plus fédérale.

Cette question est légitime mais elle ne doit pas conduire au renoncement à une coordination enfin sérieuse des politiques économiques. La subtilité du processus de construction européenne s'accommode de voies certes étroites mais fructueuses par les résultats qu'elles produisent. Surtout, l'échec de la coordination s'explique probablement principalement par des facteurs autonomes, l'insuffisance des mécanismes à l'oeuvre.

Le problème politique essentiel que pose cette situation est de savoir si les pays européens seront capables d'accepter de refonder la coordination des politiques économiques. Ce problème est difficile, mais, reconnaissons-le, beaucoup moins que celui que poserait le passage à une Europe fédérale.

A cet effet, plusieurs chantiers doivent être ouverts.

A. UN CHANTIER ESSENTIEL : REFONDER L'EUROPE DE LA CROISSANCE

La stratégie de Lisbonne est un échec. Le rapport Koch et la reformulation de la stratégie par la commission européenne en 2005, qui aurait dû être une grande cause politique (elle a été éclipsée par les débats sur la « Constitution européenne ») ne doivent pas être tenus pour des solutions ultimes.

La définition de politiques efficaces de croissance doit être considérée comme un processus continu.

A cet égard, plusieurs écueils doivent être évités :


• l'adoption du faux consensus, une fois pour toutes (ou presque) comme dans le cas de la stratégie de Lisbonne, ou tous les ans (comme pour les grandes orientations de politiques économiques - les GOPE) ;


• et l'inconsistance des moyens mis au service des objectifs.

- Sur le plan institutionnel, des réformes doivent intervenir pour que l'objectif de croissance économique et ses conditions soient au coeur d'un espace européen de démocratie qui reste à inventer.

- Sur le plan des moyens, il faut que toutes les politiques économiques en Europe soient envisagées à l'aune de leur contribution au modèle européen de croissance durable.


• Dans cette perspective
, une attention particulière doit être portée d'abord aux cadres de raisonnement économique et aux outils qui les accompagnent (notamment les modèles macroéconomiques), au terme desquels sont définies les orientations des politiques économiques en Europe .

La singularité de notre continent sous cet angle théorique devrait conduire à un travail systématique d'évaluation esquissé dans le présent rapport.


• De même, l'inertie des politiques macroéconomiques dans la zone euro doit trouver des solutions . A cet égard, ni la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, ni le statu quo dans le domaine monétaire et de la politique de changes n'offrent des garanties nécessaires.

Vos rapporteurs s'associent à ces extraits du résumé introductif d'un récent rapport 26 ( * ) du Conseil d'analyse économique (CAE) de M. Christian de Boissieu, Président délégué du CAE :

« ... Il apparaît, en particulier, que prétendre aborder, séparément les politiques macroéconomiques et les réformes structurelles ne tient pas la route. (...) La réhabilitation de politiques macroéconomiques contra-cycliques en Europe passe par une politique monétaire plus réactive, une gouvernance plus ferme de la nouvelle mouture du Pacte de stabilité et de croissance et des redéploiements à l'intérieur des dépenses publiques. Enfin, il faut tirer toutes les conséquences de la non-séparabilité entre politiques macroéconomiques et réformes structurelles et, du point de vue institutionnel, renforcer la capacité propre d'intervention de la zone euro ».

B. SUR CE PILIER DE CROISSANCE, CONSTRUIRE UNE COORDINATION RÉELLE DES POLITIQUES ECONOMIQUES EN EUROPE

L'Union européenne est un espace de solidarité économique par force et par ambition. C'est un espace de concurrence . Ces deux traits essentiels doivent être mieux conciliés qu'aujourd'hui .

Un rééquilibrage doit intervenir pour que le premier ne soit pas systématiquement sacrifié au second .

1. Faire de la coordination des politiques économiques un projet positif concret


• Pour que la coordination des politiques économiques soit un engagement suivi d'effets il faut d'abord réunir un accord sur les gains apportés par la coordination.

Les enjeux de cette phase de gestation ne sont pas suffisamment pris en compte dans les processus politiques à l'oeuvre en Europe.


• Cet accord doit déboucher sur des politiques dotées de moyens que ceux-ci soient communautaires ou qu'ils restent du ressort des Etats. Dans ce dernier cas, les Etats doivent être réellement responsables des engagements pris, ce qui suppose d'accroître les mutations au respect de ces engagements.

A cet égard, le tableau ci-après montre à la fois les risques que la situation actuelle de la stratégie de Lisbonne font courir au regard de sa mise en oeuvre et l'importance d'une mise en responsabilité des Etats.

NOUVELLE STRATÉGIE DE LISBONNE : OBJECTIFS ET INSTRUMENTS

Source : Conseil d'analyse économique (CAE)

Vos rapporteurs souhaitent également rappeler ici, incidemment, que la seule politique européenne intégrée réellement efficace, malgré ses lacune, est la politique agricole commune et que celle-ci s'articule sur des objectifs précis, des instruments définis et des moyens unifiés.

2. Mettre en place une surveillance efficace des politiques économiques

Le cadre actuel de la surveillance des politiques économiques conduit une polarisation excessive sur des objectifs budgétaires, dont l'implication est discutable et discutée comme telle dans le présent rapport.


• Le contenu de la surveillance budgétaire doit être renouvelé pour fournir le socle d'une politique budgétaire orientée vers les objectifs de croissance économique de la zone et respectueuse de la contrainte de soutenabilité.

Ce renversement de perspectives suppose de tenir pleinement compte des interactions entre finances publiques et croissance, tant conjoncturelles que structurelles.

Il doit pouvoir déboucher plus qu'aujourd'hui sur des appréciations qualitatives mettant en évidence les synergies possibles entre pays européens.


• La surveillance des politiques économiques doit être élargie à l' ensemble des politiques économiques et comporter une attention particulière au critère de coordination de ces politiques. La politique monétaire, la politique de change, la politique de partage de la valeur ajoutée doivent être incluses dans ce processus.


• Les Etats doivent être dissuadés d'entreprendre des politiques économiques non coopératives . Ce point qui est probablement le plus difficile, suppose de distinguer ce qui relève du choix légitime des Etats de ce qui n'en relève pas.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation a procédé à l' examen du rapport d'information de MM. Joël Bourdin, président, rapporteur, et Yvon Collin, rapporteur, sur la coordination des politiques économiques en Europe .

M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a d'abord précisé que le problème de la coordination des politiques économiques en Europe faisait chaque année, dans le cadre de l'exploration des perspectives économiques française à moyen terme, l'objet d'une attention particulière pour ses liens avec notre croissance économique et notre stratégie de finances publiques.

Le rapport est donc un exercice d'évaluation conduit autour de deux questions : la coordination des politiques économiques en Europe est-elle nécessaire ? Fonctionne-t-elle correctement ?

Relevant l'opportunité de cette réflexion, alors que la France va assurer la présidence de l'Union européenne, à partir du 1er juillet prochain, il a formulé le voeu que ce rapport puisse contribuer à préparer cette présidence, indiquant qu'après le temps de l'évaluation viendrait celui des propositions et que la délégation s'attacherait à participer à cette seconde étape.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors présenté les conclusions du rapport relatives à la première question, celle de l'utilité de la coordination des politiques économiques en Europe.

Cette question peut apparaître un peu étonnante puisque les Traités européens stipulent sans ambiguïté que les Etats doivent coordonner leurs politiques économiques qu'ils sont appelés à considérer comme des questions d'intérêt commun.

Pourtant, la question de l'utilité de la coordination est soulevée dans le cadre de différentes approches économiques qui, s'efforçant de démontrer qu'il est non seulement inutile, mais encore nocif, de faire des efforts dans ce sens, excepté dans le domaine très particulier de l'orientation des finances publiques, paraissent paradoxalement inspirer la conception sur laquelle l'Europe fonde concrètement le fonctionnement de la coordination des politiques économiques.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors indiqué les résultats de l'examen détaillé, auquel procède le rapport, des présupposés théoriques et des instruments, principalement des modèles économétriques, dont celui de la Commission européenne, le modèle QUEST, qui débouchent, de fait, sur une coordination a minima des politiques économiques en Europe.

Cet appareil doctrinal repose fondamentalement sur l'idée que les politiques de demande, dont la politique budgétaire au premier chef, sont inefficaces et nuisibles, ce qui suppose de reconnaître la validité systématique des raisonnements économiques néo-classiques et de considérer comme radicalement inadapté tout enchaînement plus keynésien. Selon les raisonnements en cause, il existerait un sentier de croissance équilibré et toute relance de la demande entraînerait de l'inflation, une tension sur les taux d'intérêt, une baisse de l'investissement et, finalement, moins de croissance économique.

Dans ce cadre, on montre également que, si les effets externes des politiques de demande sont plutôt négatifs pour les partenaires, ces effets ne sont pas très importants, si bien qu'au fond il ne serait pas nécessaire de coordonner des politiques économiques nationales.

Ces approches doctrinales réservent toutefois une exception à cette conclusion générale, celle des politiques budgétaires de relance. En effet, les Etats sont en mesure de mettre en oeuvre des politiques de relance massive, qui sont susceptibles de déstabiliser l'ensemble des partenaires. Cette menace est d'autant plus aiguë que ceux-ci sont liés entre eux dans le cadre d'une union monétaire, avec la même monnaie et les mêmes taux de change et d'intérêt. Comme les seuls effets des politiques de soutien de la demande passent par une augmentation des prix et des tensions monétaires, il faut interdire aux Etats tout déficit excessif et toute dette publique trop importante.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors observé qu'avec ces raisonnements, et leurs conclusions logiques, on pouvait reconnaître les contours de l'organisation concrète de la coordination des politiques économiques dans la zone euro.

Hormis la politique monétaire qui est unique par construction, on retrouve la logique de la pyramide de la coordination : un fort encadrement des politiques budgétaires conjoncturelles via le Pacte de stabilité et de croissance ; une faible coordination du reste des politiques économiques où prévalent les règles de vote à l'unanimité, le principe de subsidiarité et l'absence de réelle coercition.

Or, le rapport estime que cette pyramide est assise sur des bases fragiles et que les gains de la coordination sont négligés dans ce cadre.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors mentionné les raisons principales préconisées dans le rapport qui conduisent à contredire les présupposés théoriques et les instruments économétriques qui fondent les modalités « a minima » de la coordination des politiques économiques en Europe. Il a estimé que leur validité était soumise à des conditions particulières qui caractérisent une situation où l'intervention publique est déjà optimale, les Etats ne pouvant rien faire de mieux pour hausser le niveau de la croissance effective ou potentielle, et où on ne peut relever la demande sans augmenter l'inflation, conditions que la réalité européenne ne permet pas de vérifier.

Il a, au contraire, souligné les gains que crée la coordination des politiques économiques. Il a notamment mentionné en exemple qu'une relance de la demande dans un pays isolé apparaissait près de moitié moins efficace que lorsqu'elle est conduite à l'unisson et que son efficacité est réduite des trois quarts quand, en plus, les autorités monétaires prennent des mesures pour la contrecarrer.

Il a jugé que l'absence de coordination des politiques économiques avait une conséquence bien plus importante encore, celle d'inhiber toute politique économique expansionniste autonome, ou collective, et qu'elle constituait une puissante incitation à des politiques économiques qui, loin d'être coordonnées, sont antagoniques.

M. Yvon Collin, rapporteur , a alors exposé les réflexions développées dans le rapport en réponse à la seconde question, celle du bon fonctionnement de la coordination des politiques économiques en Europe.

Il a d'emblée indiqué que le cadre institutionnel de la coordination des politiques économiques en Europe, étroitement inspiré par des visions débouchant sur une coordination des politiques économiques a minima, était insatisfaisant en soi, mais aussi comme source d'incitation à adopter des politiques économiques solitaires et délibérément non coopératives.

Il a expliqué que le rapport expirait le constat de l'échec de la coordination pour la politique budgétaire et pour les autres instruments de la politique économique aux mains des Etats nationaux. Il a précisé que si, dans le rapport, la politique monétaire, qui est de la responsabilité de la Banque centrale européenne, n'avait volontairement pas été traitée systématiquement, pour se centrer sur ce qui relève de la responsabilité des Etats, la considération de cette politique lorsqu'elle intervenait, renforçait le diagnostic de péril dans lequel se trouve la coordination des politiques économiques en Europe.

En ce qui concerne la politique budgétaire, il faut distinguer la coordination dans l'utilisation des politiques budgétaires pour piloter la croissance économique à court terme de la coordination plus structurelle des politiques budgétaires.

Le constat est clair : la première est sans réalité ; la seconde est inexistante et dégénère trop souvent en concurrence entre les Etats.

La politique budgétaire de pilotage de la croissance à court terme est régie par le Pacte de stabilité et de croissance. Celui-ci institue un cadre qui n'est nullement un cadre de coordination, mais un simple corps de règles plus ou moins contraignantes. Il est inefficace dans les situations où la croissance économique est forte. Il est dangereux quand elle est faible. En tout cas, il ne débouche pas sur une coordination des politiques budgétaires conjoncturelles en Europe. Une étude réalisée spécialement pour le présent rapport par le CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) le montre pour la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Les politiques budgétaires dans ces pays suivent des fonctions de réaction différentes face à des situations identiques.

Sur un plan plus structurel, l'incoordination des politiques budgétaires se manifeste par deux constats : l'existence d'une forte concurrence fiscale en Europe, le défaut d'optimisation des efforts budgétaires.

Illustrant à l'aide de plusieurs graphiques les phénomènes de concurrence fiscale, M. Yvon Collin, rapporteur , a indiqué qu'elle se traduisait d'abord par le fait que la zone euro était la zone qui, dans la Triade (Etats-Unis, Japon, Europe), avait le taux le plus faible d'imposition du capital, et que celui-ci baissait continûment. Elle se traduit aussi par la diversité des taux d'imposition constatés dans la zone. Il est d'ailleurs frappant d'observer que les pays qui ont le taux le plus bas, qui sont souvent de « petits pays », sont aussi ceux qui ont les recettes les plus élevées. La concurrence fiscale est donc une arme efficace pour ces petits pays, mais, pour l'ensemble de la zone, c'est un grave problème.

Quant au manque d'optimisation des efforts budgétaires en Europe, la taille très modeste du budget européen et l'absence de politiques communes - excepté la politique agricole commune - résument la situation.

M. Yvon Collin, rapporteur , a alors jugé qu'on pouvait étendre le diagnostic d'incoordination aux autres volets des politiques économiques. Il a précisé que le rapport développait tout particulièrement le problème du réglage des salaires, question majeure de politique économique. L'Europe voit coexister en ce domaine trois modèles différents : certains pays (Espagne, Italie) connaissent une forte augmentation des coûts salariaux unitaires ; certains autres (l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande) connaissent une baisse très nette de ces coûts ; en France, il y a une baisse mais moins forte.

Ce patchwork est révélateur de l'existence de politiques économiques divergentes, divergence qui pose des problèmes d'une très grande acuité et qu'une meilleure coordination pourrait éviter.

L'augmentation excessive des coûts salariaux unitaires exerce des pressions inflationnistes qui contribuent à tendre les conditions monétaires dans l'ensemble de la zone. Inversement, les politiques de compétitivité, passant par les stratégies de désinflation compétitive, avec une baisse drastique des coûts salariaux unitaires, pèsent doublement sur la croissance économique des partenaires : par les parts de marché que les pays qui les pratiquent captent à leurs dépens ; par les conséquences de la langueur de la demande domestique sur leurs exportations.

On a ainsi pu montrer que la désinflation compétitive allemande avait coûté 0,4 point de PIB à la France entre 2001 et 2005.

Ces politiques non coopératives ne sont pas seulement des politiques « gagnant-perdant », ce qui suffirait à les condamner dans le cadre d'une union politique qui inscrit dans ses principes une idée de communauté d'intérêts et de solidarité de destin, ce sont des politiques perdantes tout court.

Elles le sont évidemment par leur logique même qui invite à l'imitation. Si tous les pays européens se calaient sur les modèles les plus divergents, la croissance économique européenne, déjà languissante, s'effondrerait.

M. Yvon Collin, rapporteur , a alors insisté sur l'extrême gravité que présente la situation actuelle, en dehors même de la considération d'une telle contagion. Exposant le creusement des déséquilibres commerciaux dans les différents pays européens, il a estimé que ceux-ci engendraient des tensions si graves que, par exemple, un débat avait pu prendre de l'ampleur en Italie sur l'opportunité de sortir de l'euro.

M. Yvon Collin, rapporteur , a alors insisté sur les dommages engendrés par les politiques économiques non coopératives en Europe. Tournant le dos à tout objectif de croissance économique équilibrée, elles ne peuvent être considérées comme durables même pour les pays qui les conduisent et, en outre, conduisent à l'anémie de l'Europe.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a alors conclu en soulignant que l'Europe s'était donnée des objectifs économiques ambitieux. La stratégie de Lisbonne, qui vise rien moins qu'à faire de l'Europe la zone économique la plus prospère du Monde, en est une des expressions, à côté de celles, plus solennelles encore, qui figurent dans les Traités. Les Etats européens qui, en unissant leur destin, ont souhaité tourner le dos à la guerre militaire et politique ont voulu conserver leur indépendance, mais sont convenus d'avoir égard les uns aux autres, pour le profit de tous. En somme, la guerre économique a aussi en principe été proscrite en Europe.

Constatant le maintien de leurs souverainetés politiques, les Etats ont, à cet effet, inventé la coordination des politiques économiques qui est, ainsi, un principe politique fort allant bien au-delà d'un pilier technique indispensable à la réussite économique du projet européen.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, déplorant qu'aujourd'hui ce pilier paraisse brisé, a estimé que les mauvaises performances économiques de l'Europe, dont témoigne le décrochage européen de la richesse par habitant par rapport aux Etats-Unis, reflétaient cette situation de péril.

L'incoordination des politiques économiques rend, de plus, illusoires les ambitions européennes pour l'avenir. Il existe, en effet, du fait de l'organisation et de la réalité de la coordination des politiques économiques, toutes chances pour que le seul objectif économique qui vaille en Europe, le développement économique, soit sacrifié. M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a conclu en qualifiant ce sacrifice de ruineux quand la mondialisation commande à l'Europe de s'affirmer comme puissance.

M. Yves Fréville , ayant déclaré partager les conclusions du rapport, a souligné que l'Europe se trouvait handicapée par l'absence d'un budget européen susceptible par ses réactions au cycle économique de jouer un rôle fortement contracyclique, comme aux Etats-Unis.

Il a estimé que l'impôt sur les sociétés pourrait, après harmonisation, être utilement affecté, en tout ou partie, au financement d'un budget européen plus développé.

Il a enfin jugé nécessaire que les pays européens définissent une politique de change adaptée, rappelant toutefois que celle-ci serait susceptible de se heurter aux objectifs de maîtrise de l'inflation de la Banque centrale européenne.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur, a souhaité mettre en relief les enjeux d'une maîtrise des phénomènes les plus excessifs de concurrence fiscale en soulignant la discordance entre la répartition territoriale de l'imposition du capital et de la production en Europe. Il a rappelé que les Traités offraient toute latitude aux Etats pour définir une politique de change, du moins formellement.

M. Yvon Collin, rapporteur, a remarqué qu'il faillait compléter les justes observations de l'intervenant pour tenir compte de la réactivité beaucoup plus forte qu'en zone euro de la politique budgétaire aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il a estimé que les écarts observables sur ce front témoignaient plus de différences de volonté politique que de simples mécanismes techniques.

La délégation a alors adopté le rapport sur la coordination des politiques économiques en Europe, de MM. Joël Bourdin et Yvon Collin .

ANNEXES
ANNEXE 1 - PERSONNES AUDITIONNÉES

- Mme Agnès Benassy-Quéré, directrice du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) ;

- M. Benjamin Carton, économiste au CEPII ;

- M. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

*

* *

ANNEXE 2 - LES MODÈLES MACROÉCONOMIQUES UTILISÉS POUR MESURER LES EFFETS EXTERNES DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES NATIONALES EN EUROPE

L'étude de D. Gros et A. Hobza, qui conclut à la relative inutilité de la coordination des politiques budgétaires en Europe, est fondée sur les résultats de simulations réalisées au moyen de quatre modèles macroéconomiques , dont trois sont d'une large utilisation, notamment par les institutions internationales (Quest, NiGEM et Multimod).

Il est donc particulièrement important de connaître les principales propriétés de ces modèles puisqu'ils fondent largement les analyses et recommandations de politique économique desdites institutions.


• Le modèle Quest est le modèle de la Commission européenne . Présenté par les auteurs comme issu d'une synthèse néoclassique et keynésienne ( sic ), il apparaît, en fait, essentiellement néoclassique puisque, d'une part, les comportements du modèle sont corrigés de la prise en compte d'un sentier d'équilibre à long terme et, d'autre part, les comportements des agents (ménages et entreprises) sont basés sur des variables microéconomiques à dominante néoclassique : les ménages sont en mesure d'optimiser leur consommation de façon intertemporelle ; la fonction de production des entreprises est marginaliste.

Finalement, la seule propriété « keynésienne » du modèle réside dans la rigidité des prix, à court terme seulement.

Mais, elle n'a que peu d'intérêt puisque, du fait des autres propriétés du modèle, les chocs de demande n'ont que peu d'impact dans celui-ci.


• Marmotte
, modèle développé par le CEPII et n'étant plus utilisé, on se bornera à souligner qu'il s'agissait d'un modèle multinational à anticipations rationnelles, à flexibilité parfaite des prix et équilibrage instantané sur le marché des biens et services. Autrement dit, aucun enchaînement « keynésien » n'était susceptible d'intervenir dans le modèle. Tout choc de demande, dans un sens ou dans l'autre, s'y traduisait par une flexion des prix, avec pour conséquence d'en contrecarrer les effets sur le niveau de la production.


• NiGEM
, est le modèle macroéconomique du NIESR (National Institute of Economic and Social Research) britannique . D'inspiration néo-keynésienne 27 ( * ) , il en reprend les principales intuitions : anticipations rationnelles mais rigidités nominales, qui ralentissent le retour à l'équilibre classique, sans toutefois le contrarier durablement.


• Multimod
, est le modèle du fonds monétaire international (FMI). Il retient des mécanismes keynésiens à court terme en raison de l'hypothèse de rigidités des prix, mais il est calé sur des mécanismes d'anticipations rationnelles parfaites sur le marché financier et semi parfaites sur le marché des biens.

Autrement dit, les effets keynésiens de court terme sont limités tandis qu'à long terme, ils s'évanouissent.

*

* *

La totalité des modèles de référence de l'étude de Gros et Hobza incluent donc des mécanismes limitant les effets des chocs de demande budgétaire. Plus généralement, tout choc de demande est absorbé plus (Quest, Marmotte) ou moins (NiGEM, Multimod) par ces modèles pour lesquels ils sont comme attirés dans une sorte de trou noir par la « vertu » combinée :


• des anticipations rationnelles ;


• et de la capacité des agents à lisser leur comportement (leur demande) en fonction de leur revenu permanent ou, plus globalement, d'un état d'état d'équilibre « ne varietur » de l'économie
.

ANNEXE 3 - ÉTUDE RÉALISÉE PAR LE CEPII (CENTRE D'ÉTUDES PROSPECTIVES ET D'INFORMATIONS INTERNATIONALES)

COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES DANS LA ZONE EURO

LEÇONS DE L'EXPERIENCE FRANCO-ALLEMANDE

Agnès Bénassy-Quéré, Nicolas Châtelais, Jacopo Cimadomo,
Julien Garnier et Christophe Schalck ( ( * )*)

(1) Rapport pour le Sénat

Version finale, Juin 2007

INTRODUCTION

La coordination des politiques économiques, a de longue date, constitué un problème majeur pour les pays présentant un haut niveau d'intégration réelle et financière, ce qui est le cas en Europe. Les années 1980-1990 ont plusieurs fois illustré les difficultés posées par les politiques monétaires non coopératives : en cas de ralentissement de la conjoncture, il est tentant pour un pays d'abaisser son taux d'intérêt de manière à soutenir sa demande interne par un effet direct (relance de l'investissement) et indirect (à travers la dépréciation de la monnaie nationale) ; ce faisant, les pays partenaires subissent une appréciation de leurs monnaies, alors qu'ils ont peut-être aussi besoin de soutenir leur demande. L'instauration d'une monnaie unique a, en 1999, mis un terme aux politiques monétaires non coopératives au sein des onze pays membres de la zone euro. L'attention s'est alors reportée sur le dernier instrument de régulation de la demande : la politique budgétaire. En cas de ralentissement de l'activité, chaque gouvernement va être tenté de soutenir la demande interne par une relance budgétaire, et ce d'autant plus qu'il ne craint plus une réaction à la hausse du taux d'intérêt national, l'impact des politiques budgétaires sur les taux d'intérêt étant désormais dilué au niveau de la zone euro.

En théorie, un gouvernement n'a pas de raison de réagir à une dégradation générale de la conjoncture dans l'ensemble de la zone euro : si un ralentissement de l'activité provient d'un affaiblissement de la demande, alors l'inflation fléchit avec l'activité et la Banque centrale européenne assouplit normalement sa politique monétaire. Néanmoins, la politique budgétaire a une action plus directe et plus rapide sur la demande que ne l'a la politique monétaire qui repose sur des canaux de transmission longs et incertains. C'est pourquoi une politique budgétaire peut se justifier même lorsque les chocs de demande sont partagés par l'ensemble des partenaires de la zone euro. Son efficacité sera alors plus grande si l'ensemble des partenaires suivent des politiques similaires de stabilisation de la demande. La question de la coordination se pose donc à nouveau face aux chocs dits « symétriques » (touchant tous les pays de la zone), mais cette fois le risque est double, puisque la coordination doit se faire à la fois entre les gouvernements et avec la banque centrale qui est indépendante :

• coordination entre les gouvernements : le risque est que certains pays ne participent pas à l'effort de stabilisation conjoncturelle, ou bien au contraire qu'ils pratiquent des politiques exagérément expansives puisqu'ils n'ont pas de sanction directe des marchés ou de la banque centrale ;

• coordination avec la banque centrale : le risque est que la banque centrale annule les efforts des gouvernements pour stabiliser la conjoncture en relevant (ou en n'abaissant pas) les taux d'intérêt lorsque la demande ralentit sous prétexte que les déficits augmentent.

Ces deux risques ont été très présents dans les débats de politique économique depuis 1999. Certains économistes ont pointé du doigt les dérapages budgétaires en Allemagne et en France ; d'autres ont, au contraire, mis en avant l'impact positif que ces dérapages pouvaient avoir sur d'autres économies restées vertueuses. Les décisions du Conseil européen relatives à l'application du pacte de stabilité et de croissance (PSC) aux deux plus grands pays de la zone euro ont, de ce point de vue, bien reflété l'ambivalence des arguments.

Une vision optimiste du PSC est de considérer ce dernier comme une règle de coordination entre les politiques budgétaires et la politique monétaire : en limitant les déficits budgétaires, le PSC offre une assurance à la BCE contre les dérapages budgétaires, ce qui devrait l'inciter à baisser ses taux en période de ralentissement de l'activité, à les relever en période d'accélération de la conjoncture. Par ailleurs, l'obligation faite aux Etats membres de ramener leurs finances publiques « à l'équilibre ou proche de l'équilibre » à moyen terme peut être vue comme l'assurance que tous disposeront des marges de manoeuvre nécessaires le moment venu.

Cette vision est cependant trop optimiste pour deux raisons :

• La BCE n'a pas pour mission de pratiquer une politique de stabilisation conjoncturelle, même si son objectif de stabilité des prix s'en rapproche de facto 28 ( * ) .

• Le caractère peu contraignant du PSC en phase haute du cycle a rendu plus difficile que prévu le retour des finances publiques à l'équilibre à moyen terme.

En pratique, la coordination des politiques économiques ne semble avoir fonctionné ni entre les gouvernements, ni avec la BCE, certains Etats membres ayant respecté le PSC, d'autres non. Le PSC s'est alors transformé en une règle de conduite de la politique budgétaire consistant à n'utiliser que les stabilisateurs automatiques, les objectifs budgétaires étant désormais exprimés en termes de déficit structurel (corrigé du cycle).

Toutefois, il faut se garder d'idéaliser la période antérieure au PSC et la période « pré-Maastrichtienne » correspondant à la course à la qualification pour l'euro. La réalité est qu'il n'y a jamais véritablement eu de coordination des politiques budgétaires en Europe. Tout au plus pourrait-on parler de conception partagée de la politique budgétaire, chacun réagissant de son côté mais de la même manière aux mêmes chocs.

L'objectif de la présente étude est de faire le point sur la coordination des politiques économiques, et plus particulièrement des politiques budgétaires, au sein de la zone euro, en se concentrant sur le couple franco-allemand. Les arguments pour et contre la coordination sont rappelés dans la section 2 du rapport. La section 3 détaille comment l'Union européenne et la zone euro ont cherché à mettre en pratique cette coordination. La section 4 examine l'évolution des politiques économiques en France et en Allemagne et met en évidence leurs principales divergences. La section 5 va plus loin en estimant empiriquement le comportement des deux pays en matière de politique budgétaire, en comparant ces comportements et en examinant comment ils ont évolué au cours du temps. La section 6 conclut.

COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES : LA THÉORIE

2.1. POURQUOI COORDONNER LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES ?

La coordination des politiques économiques, et particulièrement des politiques budgétaires, n'apparaît pas comme une évidence dans la théorie économique, et de nombreux économistes pensent que la coordination est inutile, voire nuisible. Nous détaillons ci-dessous les arguments en faveur et en défaveur de la coordination, en nous concentrant sur la coordination des politiques budgétaires dans une union monétaire.

LES ARGUMENTS CONTRE LA COORDINATION

Le passage à la monnaie unique a entraîné, pour chaque Etat-membre, la perte d'un instrument de politique économique indépendant : la politique monétaire.

Cette perte serait sans conséquence si les cycles d'activité des différents Etats-membres de la zone euro étaient parallèles : tous auraient les mêmes besoins en même temps en matière de politique monétaire, et la gestion par la BCE satisferait chacun. Ceci n'est évidemment pas le cas dans la réalité. Lorsqu'un Etat-membre est touché par un choc macroéconomique spécifique, seule la politique budgétaire peut être utilisée pour tenter d'amortir le choc. Il est donc important que chaque Etat-membre conserve la pleine liberté d'utiliser la politique budgétaire pour ses besoins propres, dans les limites de soutenabilité fixées par le Pacte de stabilité et de croissance.

Ce premier argument en défaveur de la coordination des politiques budgétaires est renforcé par le principe de subsidiarité, qui fait porter la charge de la preuve aux partisans de la coordination et non à ses contradicteurs.

Le second argument contre la coordination des politiques budgétaires vient des coûts de coordination. Alors que l'unification monétaire peut s'interpréter comme une coordination institutionnalisée des politiques monétaires, la coordination des politiques budgétaires repose sur des procédures inter-gouvernementales au sein de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin. Cette coordination fait donc intervenir autant d'acteurs que d'Etats membres de la zone euro. Elle se surajoute à une coordination budgétaire interne entre le gouvernement central et les assemblées parlementaires, mais aussi, dans les Etats fédéraux notamment, avec les gouvernements locaux. L'engagement des Etats membres au niveau européen ne peut donc être que conditionnel aux procédures budgétaires internes. En outre, il est limité dans le temps en raison du cycle électoral. Au total, la coordination des politiques budgétaires est très coûteuse en énergie pour un résultat nécessairement fragile.

Le troisième argument en défaveur de la coordination est la nécessité de mettre les gouvernements devant leurs responsabilités. L'idée est de laisser jouer une concurrence par comparaison entre les gouvernements des différents Etats afin que les électeurs sanctionnent les gouvernements inefficaces, ou bien ceux qui ne poursuivent pas la maximisation du bien-être social (Etats dits « léviathans »).

- LES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA COORDINATION

Il existe principalement deux arguments en faveur de la coordination des politiques économiques :

• permettre la production de biens publics qu'une action décentralisée serait souvent incapable de fournir ;

• internaliser les externalités des politiques économiques et notamment celles des politiques budgétaires nationales.

1. La fourniture de biens publics

Les Etats-membres se doivent de préserver collectivement les biens publics tels que le bon fonctionnement du marché unique, et notamment du marché financier unique. Ainsi, la stabilité financière fait partie des biens publics à préserver, ce qui justifie, sinon la coordination des politiques budgétaires, du moins leur surveillance et la lutte contre l'indiscipline budgétaire. En effet, l'hypothèse d'un défaut souverain de la part d'un Etat-membre de la zone euro fait planer un risque systémique sur l'ensemble du système bancaire de la zone, étant donnée la place occupée par les titres de dette publique dans les bilans bancaires.

L'argument de la préservation des biens publics peut cependant aller plus loin. Ainsi, selon Jacquet et Pisani-Ferry (2000), « La mise en oeuvre de l'euro peut s'interpréter à la fois comme résultant d'une coordination forte entre les pays membres pour conforter le Marché unique en éliminant le risque politique lié aux pressions protectionnistes inspirées par l'instabilité des taux de change, et comme un processus donnant naissance à de nouveaux biens publics à l'échelle de la zone monétaire : l'euro renforce la dynamique d'intégration financière et de modernisation des marchés financiers et accroît la mobilité des capitaux entre pays européens. Il rend de ce fait encore plus coûteuses des distorsions dans l'allocation des ressources qui peuvent résulter de la concurrence fiscale entre Etats. La stabilité de la monnaie unique, son caractère attractif pour les investisseurs internationaux, prennent le caractère d'un bien public. D'une manière plus générale, il en va de même de tout ce qui a trait à la qualité des politiques économiques, qu'il s'agisse de supervision prudentielle ou de bon fonctionnement du policy mix » , Jacquet et Pisani-Ferry (2000), p. 17.

Pour Jacquet et Pisani-Ferry, la fourniture du bien public « policy mix » justifie donc non seulement la surveillance budgétaire, mais aussi la coordination. Cependant, le principal argument en faveur de la coordination repose sur l'existence d'externalités budgétaires.

2. Les externalités de politique budgétaire

La politique budgétaire d'un Etat membre, lorsque celui-ci est de grande taille, ou une même stratégie budgétaire appliquée par plusieurs petits pays, peuvent avoir un impact significatif non seulement sur l'économie de ce, ou ces pays, mais également sur l'ensemble de la zone. C'est ce que l'on appelle les externalités budgétaires , ou effets de débordement . Ces externalités passent essentiellement par quatre canaux.

Le commerce extérieur : la hausse du déficit public dans un pays stimule la demande dans ce pays, donc ses importations et par conséquent les exportations des autres pays. Cet effet est d'autant plus fort que les pays commercent beaucoup entre eux au départ. Etant donné l'impact de la distance géographique sur l'intensité des échanges, on s'attend à ce que ce premier canal soit particulièrement fort pour les pays voisins, par exemple entre l'Allemagne et la France. Mais l'impact d'une politique budgétaire en Allemagne sera encore plus fort sur un pays proche mais plus petit et plus ouvert - l'Autriche, la Belgique par exemple.

Le taux d'intérêt : un déficit budgétaire dans un pays conduit normalement à une hausse des taux d'intérêt, soit par réaction de la banque centrale, soit par réaction des marchés financiers à la hausse de l'endettement public. En union monétaire, la banque centrale réagit uniquement aux agrégats de la zone - inflation, écart de production, dette publique agrégée. Une relance budgétaire dans un grand pays peut donc conduire à une hausse des taux d'intérêt directeurs de l'ensemble de la zone. Dans la mesure où les marchés discriminent peu les emprunteurs souverains, la hausse éventuelle des taux longs est également partagée par l'ensemble de la zone. Ceci peut également entraîner une appréciation du taux de change commun à la zone. Au total, les pays partenaires de celui où a lieu la relance peuvent souffrir d'une hausse des taux d'intérêt et d'une éventuelle appréciation du taux de change, lesquelles ralentissent la demande et élèvent le service de la dette. Lorsque le pays qui relance est de petite taille, l'effet sur les taux d'intérêt de la zone est limité, voire nul. Ceci crée une incitation pour chacun à pratiquer des politiques de relance (puisque le taux d'intérêt n'augmente pas) et une désincitation à assainir les finances publiques (car il n'y a pas de gain en termes de baisse du taux d'intérêt). Ce canal du taux d'intérêt crée donc des externalités budgétaires entre pays ainsi que de mauvaises incitations que la coordination peut aider à corriger.

La concurrence fiscale : une baisse des impôts dans un pays peut avoir pour conséquence d'attirer des entreprises dans ce pays au détriment des autres pays. Une même relance budgétaire peut donc avoir des implications différentes pour les pays partenaires selon qu'elle résulte d'une stimulation de la demande ou d'une baisse de la fiscalité. Dans le second cas, la demande et l'offre sont simultanément encouragées, et il n'est pas certain que le pays qui relance accroisse ses importations. Par ailleurs, une politique fiscale agressive en faveur des entreprises (par exemple, une baisse rapide de l'impôt sur le bénéfice des sociétés) peut obliger les pays partenaires à réagir, soit en rationalisant ses dépenses publiques, soit en participant à son tour à la course au moins-disant fiscal.

Les effets d'offre : en modifiant sa fiscalité, un Etat membre modifie les conditions de l'offre de biens et services et/ou de l'offre de travail. Ceci peut avoir une influence sur l'indice de prix agrégé de la zone soit directement (ex. hausse de la TVA en Allemagne), soit indirectement (ex. baisse de cotisations sociales conduisant à une hausse du taux d'emploi allemand, donc à une réduction des pressions inflationnistes). L'importance de ces effets d'offre par rapport aux effets de demande dépend de la position de l'économie dans le cycle. Par exemple, une hausse de TVA mise en oeuvre en haut de cycle a davantage d'impact sur les prix que la même mesure prise en bas de cycle.

On le voit, ces différentes externalités de politique budgétaire agissent dans des sens différents. Par exemple, une relance budgétaire en Allemagne a un effet positif sur l'activité en France par le canal du commerce (les exportations françaises vers l'Allemagne augmentent), un effet négatif par le canal du taux d'intérêt (les taux d'intérêt de la zone euro augmentent), un effet négatif par le canal de la concurrence fiscale (une baisse des impôts attire les entreprises et les travailleurs qualifiés en Allemagne) et un effet ambigu par le canal de l'offre (en fonction du type de mesure utilisée et de la position de l'économie allemande dans le cycle). L'effet net est incertain.

Les travaux empiriques montrent en général que les externalités budgétaires sont faibles, voire non significatives (voir Gros et Hobza, 2001). Beetsma et al (2001) mettent en évidence des externalités positives, mais en se limitant au canal du commerce extérieur. Dans un travail prenant en compte tous les canaux de transmission, Bénassy-Quéré et Cimadomo (2006) montrent que lorsqu'elles existent, les externalités budgétaires sont positives, mais qu'elles tendent à diminuer au cours du temps. Plus précisément, une relance budgétaire par la consommation publique ou l'investissement public en Allemagne n'a pas d'effet significatif sur la production des autres pays européens. En revanche, une relance par baisse des impôts ou hausse des transferts publics affecte positivement les pays voisins de l'Allemagne, mais cet effet tend à s'évanouir dans les années récentes. Au total, il n'est pas sûr que les externalités budgétaires soient importantes, mais si elles existent, elles sont vraisemblablement positives au sens où une hausse du déficit budgétaire dans un pays élève la demande dans les pays voisins.

3. Chocs symétriques et asymétriques

Les arguments en faveur de la coordination des politiques budgétaires diffèrent selon que les économies sont touchées par des chocs symétriques ou asymétriques.

On appelle choc symétrique un événement exogène ayant un impact similaire sur la demande agrégée et/ou l'offre agrégée des différents pays de la zone. Les variations du prix du pétrole constituent des chocs d'offre symétriques pour les pays de la zone euro ; les fluctuations de l'activité aux Etats-Unis constituent des chocs de demande presque symétriques. Prenons l'exemple d'un choc de demande négatif (par exemple, une remontée du taux d'épargne aux Etats-Unis). En l'absence de coordination des politiques budgétaires, et si les externalités budgétaires sont positives, chaque pays est incité à ne pas tenter de stabiliser son activité, mais à attendre que ses partenaires le fassent. Ainsi, les politiques budgétaires sont insuffisamment actives. La coordination des politiques budgétaires permettrait alors d'internaliser l'externalité et de placer le déficit agrégé de la zone euro au niveau optimal, compte tenu de la réaction endogène du taux d'intérêt. Ce type de coordination se justifie aussi d'un point de vue d'économie politique. En effet, elle pourrait aider à créer le sentiment pour les populations et les décideurs politiques des différents pays membres d'appartenir à un même ensemble économique et social.

Parallèlement, une telle coordination éloignerait l'idée selon laquelle la BCE, dont le contrôle démocratique est relativement faible, apparaît seule responsable de la politique macroéconomique d'ensemble de la zone euro.

On appelle choc asymétrique , ou choc spécifique , un événement ayant un impact macroéconomique seulement dans un pays, ou avec une intensité différente selon les pays. Une variation de la demande dans un secteur de spécialisation, un événement politique ou social, peuvent constituer des chocs asymétriques. Prenons le cas d'une baisse de la demande dans un pays particulier. Si les externalités budgétaires sont positives, ce pays hésitera à stabiliser son activité de peur que cela ne profite essentiellement aux pays voisins, lesquels en profiteront pour contracter leur déficit budgétaire. S'il y a coordination budgétaire, au contraire, on peut imaginer que les pays partenaires s'engagent à ne pas pratiquer une contraction budgétaire juste au moment où le pays touché par le choc négatif doit relancer son économie.

2.2. LE POLICY MIX

Nous avons jusqu'ici discuté de l'opportunité d'une coordination des politiques budgétaires entre elles. Cependant, la question se pose aussi de la coordination entre les politiques budgétaires d'une part, la politique monétaire de l'autre. En effet, la coordination des politiques budgétaires peut être néfaste si elle n'est pas elle-même coordonnée avec la politique monétaire, car cela revient à coordonner un sous-ensemble de joueurs (les gouvernements) qui ne poursuit pas nécessairement le même objectif que le joueur resté à l'écart de la coordination (la banque centrale). Prenons le cas d'un choc de demande négatif symétrique. Les gouvernements se coordonnent pour soutenir l'activité par une politique budgétaire expansive. Mais la banque centrale, qui se préoccupe moins de la chute de l'activité que de la hausse des déficits publics, relève son taux d'intérêt. Cette hausse du taux d'intérêt élève le service de la dette et accroît donc le déficit, tout en réduisant l'efficacité des politiques budgétaires pour stabiliser l'activité. Cet équilibre semi-coordonné paraît donc moins bon qu'un équilibre non coordonné où les gouvernements s'abstiennent de stabiliser l'activité mais où la banque centrale abaisse le taux d'intérêt au lieu de le relever.

Un argument en faveur d'une coordination entre politiques budgétaires et politique monétaire est l'existence d'incertitudes sur les politiques à venir. Par exemple, un choc de demande négatif (un ralentissement de la croissance mondiale) peut appeler soit à un assouplissement de la politique monétaire, soit à un soutien budgétaire de l'activité. Or pour faire leurs choix budgétaires, les Etats doivent anticiper l'action de la BCE ; symétriquement, la BCE doit pouvoir anticiper l'action des gouvernements. Dans cet esprit, Jacquet et Pisani-Ferry (2000) ont proposé un « code de bonne conduite » afin d'établir des règles de comportement budgétaire face à des chocs prédéfinis.

A l'inverse, Alesina et al. (2001) affirment qu'il est trop difficile pour la BCE d'instaurer un dialogue avec tous les gouvernements de l'Union sans risquer de perdre son indépendance, que les coûts engendrés par la coordination sont peut être trop élevés en comparaison des bénéfices attendus et que celle-ci peut même dissuader les Etats de contrôler leurs dépenses publiques. Ils concluent qu'il suffirait, en fin de compte, que chaque Etat membre « balaie devant sa porte » pour créer un environnement économique stable et optimal.

COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES : TRANSPOSITION À L'UNION EUROPÉENNE

La coordination des politiques économiques est inscrite dans le Traité d'Amsterdam. L'article 99 du Traité stipule en effet que « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ». Cette coordination doit s'effectuer dans le respect du principe de subsidiarité. En pratique, les Etats membres disposent de deux outils pour coordonner leurs politiques budgétaires : les Grandes orientations des politiques économiques (GOPE), et le Pacte de stabilité et de croissance (SGP). Ces deux outils sont complétés par une enceinte informelle de discussion entre les ministres des finances de la zone euro - l'Eurogroupe. La coordination entre les politiques budgétaires et la politique monétaire est, quant à elle, presque inexistante. Elle se limite à la possibilité, pour le ministre qui préside le conseil Ecofin, d'assister sans voix délibérative au Conseil des gouverneurs de la BCE.

3.1. LES GRANDES ORIENTATIONS DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES (GOPE)

Le principal instrument de coordination entre les Etats membres est le document qui fixe, pour les trois prochaines années, les GOPE, adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée, sur recommandation de la Commission. Les GOPE ne concernent pas uniquement les orientations de la politique budgétaire de chaque pays mais aussi d'autres champs tels que les réformes structurelles, les négociations salariales, les politiques de développement durable... Ainsi, la dernière recommandation datant du 12 juillet 2005 insiste sur la promotion des politiques macroéconomiques en faveur d'une croissance durable et des réformes microéconomiques visant à accroître le potentiel de croissance. Le Conseil surveille la conformité des politiques nationales avec les GOPE et il peut, lorsque cette conformité n'est pas établie et sur recommandation de la Commission, adresser des recommandations à l'Etat membre concerné et éventuellement, décider de rendre publiques ses recommandations. Ceci s'est produit en 2000 au sujet de l'Irlande. Le Conseil a considéré que, malgré un excédent budgétaire de 4% du PIB, la politique budgétaire irlandaise n'était pas suffisamment restrictive au regard de la surchauffe observée dans l'économie (inflation supérieure à 5%, chômage à 4%). Cette décision a été critiquée par le gouvernement irlandais, mais aussi par un certain nombre d'économistes qui n'ont pas manqué de noter que l'Irlande représente moins de 2% du PIB communautaire, et qu'un excès d'inflation de 3 points de pourcentage dans ce pays ne fait donc déraper l'indice des prix agrégé de la zone que de 0,06 point de pourcentage au plus.

Le respect des GOPE est limité par l'absence de sanction, mais aussi par le fait que les institutions qui discutent des GOPE - les ministres des finances - peuvent difficilement prendre des engagements au nom, par exemple, des partenaires sociaux dans les Etats membres (voir von Hagen et Mundschenk, 2001).

3.2. LE PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE (PSC)

Le PSC se compose d'une Résolution du Conseil Européen (à Amsterdam le 17 juin 1997) et de deux Règlements du Conseil relatifs respectivement au renforcement de la surveillance des positions budgétaires et à l'accélération et la clarification de la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs. Le PSC durcit les critères de Maastricht sur les finances publiques qui stipulent d'une part que les Etats membres évitent les déficits excessifs, et que d'autre part la dette publique doit être inférieure à 60% du PIB. A court terme, le budget peut être déficitaire, mais ce déficit ne doit pas dépasser 3% du PIB sous peine d'amende, sauf en cas de « circonstance exceptionnelle et temporaire ». Si un pays a un déficit supérieur à 3%, la Commission instruit la procédure et le Conseil adresse des recommandations à l'Etat concerné. Ce dernier doit prendre des « actions suivies d'effets » pour mettre fin à ce déficit sous peine de devoir effectuer un dépôt non rémunéré égal à une partie fixe de 0,2% du PIB et une partie variable égale à 10% du dépassement, le tout plafonné à 0,5% du PIB. Outre cet aspect correctif, le PSC comprend également un volet préventif par l'intermédiaire de programmes annuels de stabilité et de convergence. Chaque pays doit présenter, à la fin de chaque année N, un plan de programme budgétaire à 4 ans (le budget est voté pour l'année N+1 et une projection pour les années N+2 à N+4). Ce programme doit comporter une projection macroéconomique et l'ensemble des mesures prévues dans l'optique de viser une position budgétaire « proche de l'équilibre ou en léger surplus » sur le moyen terme.

L'objectif du PSC est la discipline plutôt que la coordination. Cependant, le PSC contient l'idée selon laquelle un déficit proche de zéro en moyenne donne des marges de manoeuvres aux gouvernements pour réagir aux chocs. Selon Buti et Sapir (1998), un ralentissement de la croissance d'un point de pourcentage creuse le déficit public de 0,5 % du PIB dans un Etat-membre tel que l'Allemagne ou la France, par le jeu des stabilisateurs automatiques. En partant d'un solde équilibré, il est donc possible de faire face à un ralentissement de la croissance de six points de pourcentage avant de buter sur la contrainte des 3%. Dans les faits, cependant, certains gouvernements ne sont pas parvenus à utiliser les années de forte croissance de 1999-2000 pour ramener le déficit structurel au voisinage de l'équilibre, de sorte que le ralentissement de 2001-2002 les a placés face à un dilemme : enfreindre le PSC, ou s'abstenir de soutenir l'activité.

La difficulté pratique des pays à respecter le critère de déficit et leurs programmes de stabilité a incité la Commission à modifier certains aspects du Pacte. La première évolution fut celle de 2002 (adopté par le Conseil en mars 2003) où la Commission a présenté un ensemble de propositions pour renforcer la coordination des politiques budgétaires : l'exigence de « positions proches de l'équilibre ou excédentaires » s'interprète désormais en termes structurels, et les pays ayant un déficit structurel devront réduire ce dernier d'au moins 0,5 point de PIB par an. La seconde évolution notable du Pacte fut celle de mars 2005 où des propositions ont été faites en vue de « renforcer la gouvernance économique et clarifier la mise en oeuvre du Pacte ». Cette évolution constitue une réforme portant à la fois sur le volet préventif (programmes de stabilité) et sur le volet correctif (procédure pour déficit excessif) :

Volet préventif : les objectifs budgétaires de moyen terme sont désormais différenciés selon les Etats membres pour tenir compte du niveau d'endettement et de la croissance de chacun 29 ( * ) ; la trajectoire d'ajustement doit être symétrique sur l'ensemble du cycle par le biais d'une discipline budgétaire renforcée en période de reprise économique ; l'évaluation du rythme de résorption des déficits tient maintenant compte des réformes structurelles éventuellement entreprises.

Volet correctif : les « circonstances exceptionnelles » qui président au classement comme « excessif » ou non d'un déficit dépassant 3% prennent en compte un ensemble de facteurs et pas seulement le chiffre de la croissance (évaluation conjoncturelle, investissements publics, politiques d'incitation à la R&D et l'innovation); les délais fixés pour corriger le déficit excessif sont allongés afin de laisser le temps de prendre des mesures aux effets plus durables.

3.3. L'EUROGROUPE

Une enceinte de discussion spécifique, l'Eurogroupe, a été créée au Conseil européen d'Amsterdam (juin 1997), et décrite dans les conclusions du Conseil européen de Luxembourg, 12-13 décembre 1997 : " (...) Les Ministres des États participant à la zone euro peuvent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu'ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission, ainsi que, le cas échéant, la Banque Centrale Européenne, sont invitées à participer aux réunions. Chaque fois que des questions d'intérêt commun sont concernées, elles sont discutées par les Ministres de tous les États membres. (...)". L'Eurogroupe, dont le nom apparaît officiellement dans les conclusions de la Présidence du Conseil de Nice (7-9 décembre 2000), répond au besoin accru de coordination entre les ministres de l'économie et des finances des pays membres de l'Union monétaire. Ses missions sont essentiellement la concertation entre les États membres en matière de conjoncture, le dialogue avec la BCE et la préparation des positions de la zone euro sur la scène extérieure. Elles ont été élargies depuis la présidence française (Conseil européen de Nice) à l'emploi et aux questions structurelles.

L'Eurogroupe n'est pas une instance de décision. Dans tous les cas où une décision doit être prise, c'est le Conseil ECOFIN qui s'en charge, selon les procédures fixées par le traité, même si, parmi ces procédures, figure l'absence de droit de vote pour les pays n'ayant pas adopté l'euro (lorsque le Conseil examine les dossiers relatifs à l'euro). L'Eurogroupe joue un rôle important, notamment dans la coordination des politiques budgétaires, comme l'avait souligné la Présidence belge de l'Eurogroupe dans une note d'orientation générale publiée le 10 janvier 2001.

Jusqu'en 2005, l'Eurogroupe était présidé par le ministre des finances dont l'Etat membre présidait l'Union Européenne (UE). Lorsque l'État membre présidant l'UE ne faisait pas partie de la zone euro, la Présidence de cette instance était assurée par le représentant de l'État membre assurant la Présidence suivante du Conseil européen. Le traité constitutionnel a renforcé la visibilité de l'Eurogroupe et l'a doté d'une présidence stable : les membres de l'Eurogroupe pourront élire leur président pour 2 ans et demi, secondé par un vice-président qui sera également le président en fonction du Conseil ECOFIN à condition que son pays soit membre de la zone euro. Au Conseil ECOFIN informel de Scheveningen du 11 septembre 2004, les ministres des finances ont décidé d'introduire d'ores et déjà, avant même la ratification du Traité constitutionnel, le principe d'une présidence stable de l'Eurogroupe pour une période de 2 ans. Jean-Claude Juncker, Premier ministre et ministre des finances du Luxembourg, a été choisi comme premier président de l'Eurogroupe, pour une période de 2 ans, du 1 janvier 2005 jusqu'au 31 décembre 2006 et renouvelé pour deux ans en décembre 2006.

3.4. LE CONTENU DE LA COORDINATION

En février 2001, la Commission européenne a adopté une communication 30 ( * ) pour clarifier les trois éléments principaux sur lesquels la coordination des politiques budgétaires devrait se fonder :

(i) l'établissement d'un diagnostic commun sur la situation économique ;

(ii) un accord sur les réponses appropriées de politique économique ;

(iii) l'acceptation de la « pression des pairs » et, en cas de besoin, de l'ajustement des politiques.

En mars 2002, le Conseil européen de Barcelone a conclu que la zone euro avait des progrès à faire en matière de coordination des politiques et a invité la Commission à présenter des propositions pour renforcer cette coordination.

Cette proposition 31 ( * ) suggère que les Etats membres adhèrent à des normes communes pour la conduite de la politique économique, dans trois domaines principaux :

(i) la préservation de la stabilité macro-économique ;

(ii) l'augmentation de la croissance potentielle ;

(iii) la réponse aux chocs économiques.

Le Conseil européen de mars 2003 a approuvé ces propositions de la Commission sur le renforcement de la coordination. Ainsi, les Etats membres sont tenus de communiquer chaque année des informations détaillées sur leur politique budgétaire et leurs orientations économiques pour les trois années à venir. Après examen de ces informations, le Commission établit, pour chaque Etat membre, des recommandations à l'intention du conseil Ecofin.

Ces mesures marquent une volonté croissante de coordonner les politiques économiques, notamment budgétaires, au sein de la zone euro. Cependant, même si des améliorations sensibles ont été entrevues sur la clarification du cadre de la coordination budgétaire et le renforcement de l'Eurogroupe, on ne peut pas dire que les politiques budgétaires soient véritablement coordonnées dans la zone euro. La Commission exerce un rôle de surveillance des politiques économiques des Etats membres mais ne dispose d'aucun pouvoir exécutif. Ce rôle de surveillance est partagé avec le Conseil, qui dispose du pouvoir de décision pour les recommandations (art. 99-4, 104-6) et les sanctions (104-11), et se trouve donc à la fois juge et partie.

3.5. LES DIFFICULTÉS PRATIQUES DE LA COORDINATION

La coordination des politiques économiques, et plus particulièrement des politiques budgétaires, rencontre quatre types de difficultés en Europe.

Difficultés politiques : la politique budgétaire est une fonction régalienne, contrôlée par les Etats membres, avec un fort contenu social et politique. Or, pour être effective, la coordination requiert que chacun adapte sa politique budgétaire à l'intérêt collectif, faisant à l'occasion, passer au second rang l'intérêt national. Il semble illusoire de penser qu'un gouvernement acceptera une telle contrainte formulée à la demande de « Bruxelles ». Cette difficulté fondamentale est renforcée par le caractère asynchrone des décisions budgétaires dans les différents Etats membres et par le fait que le processus de coordination (au sein de l'Eurogroupe et de l'Ecofin) n'associe pas les assemblées parlementaires, pourtant décisionnelles en matière budgétaire.

Absence de consensus sur les effets de la politique budgétaire : la capacité de la politique budgétaire à stabiliser l'activité a été remise en cause par l'école des anticipations rationnelles. Lorsque le déficit budgétaire se creuse, les ménages tendent à épargner davantage en prévision du supplément d'impôts qu'eux-mêmes ou leurs descendants devront supporter pour rembourser la dette publique. Même si elle repose sur des hypothèses peu réalistes (anticipations rationnelles, marché financier sans imperfections, altruisme intergénérationnel), cette théorie a eu un fort impact dans les années 1980 et 1990. Certains pays comme le Danemark (1982-1986) ou l'Irlande (1986-1989) ont connu une reprise de l'activité suite à d'ambitieux ajustements budgétaires. Plus généralement, les économètres ont eu de plus en plus de difficultés à mettre en évidence les effets multiplicateurs de la politique budgétaire. Ces doutes sur l'efficacité de la politique budgétaire contrastent avec l'utilisation active qui en est faite outre-Atlantique.

Hétérogénéité des Etats membres : l'Union européenne est une mosaïque d'Etats membres qui diffèrent par leur taille, par leur mode d'administration (plus ou moins centralisée) et par leurs préférences en termes de place du secteur public ou d'inclination aux déficits budgétaires. Par construction, une relance budgétaire dans une petite économie ouverte a peu d'impact sur l'économie de ce pays (car l'augmentation de la demande se transmet aux importations) et sur celle de ses partenaires (car la demande de ce pays représente peu dans la demande des partenaires). Les petits pays européens ont donc davantage intérêt à la coordination s'ils veulent mener des politiques budgétaires actives (afin que les politiques des partenaires renforcent leurs propres orientations budgétaires) ; mais à l'inverse, il leur est plus facile de se disculper de politiques déviantes puisque ces déviances n'ont que peu d'impact sur l'économie de leurs partenaires.

Coordination de facto : la coordination des politiques économiques est coûteuse en temps et en capital politique. Or, depuis 1999, les politiques budgétaires des trois plus grands pays de la zone euro ont suivi des évolutions similaires face à des évolutions cycliques similaires, si l'on excepte le cas de l'Italie en 2005 et 2006 ( graphiques 1 et 2 ). Dès lors, la nécessité d'une coordination active des politiques économiques a pu apparaître moins nettement aux yeux des décideurs politiques. Dans ce rapport, nous nous concentrons sur cette dernière explication en examinant plus attentivement le cas franco-allemand.

LE POLICY-MIX FRANCO-ALLEMAND

4.1. POLITIQUES BUDGÉTAIRES, 1990-2006

L'Allemagne a connu, au début des années 1990, une dégradation de ses finances publiques, en lien avec la réunification allemande. De 1990 à 1993, toutefois, le déficit budgétaire s'est davantage creusé en France qu'en Allemagne : 4 points de PIB, contre seulement un point en Allemagne. La France a donc dû réaliser un ajustement particulièrement brutal pour ramener son déficit budgétaire de près de 6% du PIB en 1995 à 3% en 1997. Après l'examen de passage à l'euro de 1997, l'Allemagne et la France ont continué à réduire leurs déficits budgétaires jusqu'en 2000. En Allemagne, l'amélioration a été particulièrement marquée puisque le solde est devenu positif en 2000, pour la première fois depuis 1973 ( graphique 3 ).

Ces évolutions des finances publiques dans les deux pays ont été marquées par les inflexions de la croissance, et en particulier par la croissance négative de 1993 et le pic de croissance de 2000. Depuis 1992, les deux pays ont connu des cycles d'activité similaires, la France ayant bénéficié d'une croissance plus élevée de 0,8 point de pourcentage en moyenne par rapport à l'Allemagne à partir de 1996 ( graphique 4 ). Si l'on corrige les soldes budgétaires du cycle d'activité ( graphique 5 ), on se rend compte que les deux pays ont suivi la même politique de redressement du solde structurel de 1996 à 1999. Le relâchement de la politique budgétaire a commencé en 2000 dans les deux pays mais il s'est accentué davantage en Allemagne qu'en France en 2001. La France a « rattrapé » le solde structurel allemand en 2002 et a continué de creuser le déficit structurel en 2003, alors que l'Allemagne commençait à redresser son solde. De 2004 à 2006, les deux pays ont poursuivi parallèlement leurs efforts d'assainissement budgétaire.

Une mesure synthétique des divergences de politique budgétaire entre les deux pays peut alors être donnée par la variation, d'une année sur l'autre, de la différence entre le solde structurel allemand et le solde structurel français. Lorsque cette mesure de divergence est positive, c'est que la politique budgétaire a été relativement plus restrictive (ou moins expansive) en Allemagne qu'en France. Lorsque l'indicateur est négatif, c'est que la France est devenue relativement plus restrictive. Lorsque l'indicateur est nul, c'est que les deux soldes structurels ont évolué dans le même sens.

Le graphique 6 met en évidence deux périodes de convergence entre les deux pays : 1997-2000, et 2004-2006. Dans les deux cas, il s'agit de périodes de consolidation budgétaire. L'Allemagne s'est distinguée par une politique plus restrictive que la France en 1992-1993 et en 2002-2003. La France s'est distinguée de la même manière en 1995-1996 et en 2001. Ces différents épisodes peuvent être précisés en distinguant l'évolution des recettes et des dépenses ( graphiques 7 et 8 ). En 1992-1993, la France a procédé isolément à une relance budgétaire par les dépenses, alors qu'en Allemagne, recettes et dépenses évoluaient de conserve. En 1995-1996, c'est en Allemagne que le solde s'est dégradé (par hausse des dépenses et baisse des recettes), alors que la France stabilisait ses dépenses et relevait ses recettes. En 2000, l'Allemagne a fortement réduit son ratio des dépenses publiques au PIB, mais sans toutefois que cela ne traduise une véritable inflexion structurelle. A partir de 2001, les prélèvements obligatoires ont continûment diminué en Allemagne alors qu'ils restaient stables en pourcentage du PIB en France. En Allemagne, la baisse des recettes n'a pas été compensée par une baisse des dépenses avant 2004. La politique budgétaire a donc été expansive sur la période 2001-2003. Elle a ensuite été restrictive grâce à une baisse des dépenses plus rapide que la baisse des recettes. En France, la baisse limitée des prélèvements obligatoires s'est accompagnée d'une hausse des dépenses de 2001 à 2003, d'où une politique expansive sur cette période. Mais l'expansion budgétaire a été moins marquée qu'en Allemagne en 2001, davantage en 2002-2003. La France a donc réagi avec un an de retard au ralentissement de l'activité entamé en 2001. Elle a aussi agi de manière différente, en utilisant les dépenses publiques alors que l'Allemagne réduisait fortement les impôts.

Les graphiques 9a,b et 10a,b précisent les divergences de politique budgétaire entre les deux pays depuis 1990. En Allemagne, les cotisations sociales ont fortement augmenté de 1990 à 1997. Elles ont ensuite diminué. La baisse des prélèvements obligatoires s'est accentuée à partir de 2001 avec la baisse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et des sociétés (voir l' encadré 1 sur la réforme fiscale de 1998) 32 ( * ) . En France, les critères de Maastricht ont été atteints en 1997 grâce à une hausse de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, alors que les cotisations sociales étaient sur une pente déclinante. En 1998, un transfert de charge s'est opéré entre cotisations sociales et CSG. Presque tous les prélèvements ont ensuite augmenté progressivement, malgré la baisse du taux de TVA intervenue en 2000.

Du côté des dépenses, on ne distingue pas d'effort notable au moment de l'examen de passage à l'euro (1997). Les prestations sociales ont augmenté très rapidement en Allemagne jusqu'en 1996, pour se stabiliser ensuite. En France, les prestations sociales sont demeurées contenues jusqu'en 2001, puis elles ont augmenté rapidement, de même que les consommations hors salaires.

Les dépenses de salaires ont connu des évolutions contraires dans les deux pays : baisse tendancielle en Allemagne, hausse tendancielle en France. L'investissement public a diminué tendanciellement en Allemagne (de 2,5% du PIB en 1990 à 1,3% en 2006) alors qu'il est resté stable en France (autour de 2,5% du PIB). Enfin, les paiements d'intérêt sur la dette ont évolué de la même manière dans les deux pays : hausse de 1990 à 1996, baisse ensuite ( graphique 11 ).

Encadré 1 : la réforme fiscale allemande de 1998

Impôts sur le revenu des ménages

Le taux inférieur réduit de 25,9% en 1998 à 15% en 2005.
Le taux supérieur réduit de 53% en 1998 à 42% en 2005.
Relèvement du seuil d'imposition.

Impôts sur les sociétés

Réduction du taux nominal (hors Gewerbesteuer ) de 40% à 25%. Elargissement de l'assiette.

Taxes écologiques

Nouvelles taxes sur la consommation énergétique pour financer une réduction des cotisations pour la retraite.
Hausse d'un point du taux normal de TVA (de 15% à 16%).

Source: OECD Economic Survey, Germany May 2001.

Ainsi, la similarité des politiques budgétaires suivies en Allemagne et en France depuis 2004, en termes d'évolution des soldes structurels, cache en fait des stratégies très différentes :

• baisse des dépenses plus rapide que celle des recettes en Allemagne ; stabilisation des dépenses en France ;

• baisse de la fiscalité directe plus marquée en Allemagne qu'en France ;

• hausse de la TVA en Allemagne au 1 er janvier 2007 ; projet de baisse de la TVA sur la restauration en France.

Le poids du secteur public dans l'économie tend donc à diminuer en Allemagne où il est déjà plus faible, alors qu'il reste stable en France. Cependant, l'évolution des taux de TVA et d'impôt sur le revenu correspondent à une convergence des deux pays, puisque l'Allemagne partait d'une situation où les taux de TVA étaient plus faibles qu'en France mais l'impôt sur les sociétés plus élevé ( graphiques 12a,b ).

Encadré 2 : Principaux éléments de la réforme fiscale française de 2000

Réduction dégressive des taux marginaux d'imposition sur le revenu des ménages

Taux inférieur abaissé de 10,5 à 7%.
Taux supérieur abaissé de 54 à 52,5%.

Réduction du taux d'impôt sur les sociétés

Réduction progressive du taux nominal de 36,67 en 2001 à 33,33% en 2003, 15% pour les PME.

Baisse de la TVA

Le taux normal de la TVA est réduit d'un point de pourcentage de 20,6 à 19,6%. Les travaux dans les logements sont imposés au taux inférieur de 5,5% au lieu de 20,6%.

Source : OCDE Etude économique : France 2001 .

La question qui se pose alors est celle de l'impact macroéconomique de la politique fiscale menée en Allemagne (baisse de la fiscalité directe, hausse de la fiscalité indirecte) et de la baisse des dépenses (salaires, investissement) menée dans ce pays.

4.2. IMPACT MACROÉCONOMIQUE DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE ALLEMANDE

L'impact macroéconomique de la politique budgétaire est un sujet très controversé. La libéralisation financière a en particulier accrédité l'idée selon laquelle les multiplicateurs keynésiens sont faibles car les ménages anticipent les conséquences futures des déficits d'aujourd'hui et parce qu'ils ont la possibilité d'emprunter pour lisser leur consommation au cours du temps. Les travaux empiriques sur le sujet, dans l'ensemble, continuent cependant à confirmer l'idée selon laquelle une restriction budgétaire a un impact négatif sur l'activité à court terme (voir Hemming et al. 2002). Deux voies sont suivies dans la littérature pour évaluer l'impact de la politique budgétaire. La première utilise les modèles macroéconométriques multinationaux tels que le modèle QUEST de la Commission européenne, le modèle Multimod du FMI, le modèle NIGEM du National Institute of Economic and Social Research de Londres, ou encore le modèle INTERLINK de l'OCDE.

Le tableau 1 ci-dessous résume les multiplicateurs obtenus par ces modèles sous différentes hypothèses concernant la politique monétaire. Les multiplicateurs sont évidemment plus faibles si l'on suppose que la politique monétaire réagit à une expansion budgétaire en relevant son taux d'intérêt. Cependant, même lorsque le taux d'intérêt est supposé constant, le multiplicateur est relativement faible - autour de 1 pour les dépenses de consommation publique, ce qui signifie qu'une hausse de 1% des dépenses élève le PIB d'environ 1% à court terme. Quant à l'impact de la politique budgétaire sur les autres pays européens, la revue de littérature réalisée par Gros et Hobza (2001) conclut qu'il n'y a pas de consensus parmi les modèles.

Tableau 1 : Effet, sur le PIB, d'une hausse pendant une année de la consommation publique (1% du PIB)

Modèle

Hypothèses Monétaires

A court terme (= 1 an)

A long terme (> 1 an)

QUEST

(Commission européenne)

Allemagne

France

Etats-Unis

Allemagne

France

Etats-Unis

1. Pas de réponse des taux d'intérêt

0.9

0.9

0.0

0.0

2. Cible du niveau des prix

0.6

0.8

0.0

0.0

NIGEM (NIESR)

Taux d'intérêt nominaux fixés pendant 1 an, après cible d'inflation

1.0

0.8

0.0

0.0

MULTIMOD (FMI)

Taux d'intérêt nominaux fixés pendant 1 an, après cible d'inflation

1.3

1.3

1.1

-0.2

-0.2

-0.6

INTERLINK (OCDE)

Taux de change nominal fixe, taux d'intérêt fixe

1.5

0.8

1.1

-0.3

0.2

0.1

Source: Hemming, Kell et Mahfouz (2002)

La seconde approche consiste à estimer un modèle dynamique de taille réduite, en introduisant le moins d'hypothèses possibles sur les relations économiques sous-jacentes. Selon cette approche, Perotti (2002) met en évidence un multiplicateur keynésien de 0,8 pour les dépenses mais seulement 0,2 pour la fiscalité à court terme dans le cas de l'Allemagne ( tableau 2 ).

Tableau 2 : multiplicateurs keynésiens en Allemagne de l'ouest,
approche VAR

Effet sur le PIB en %

1 trim

4 trim

12 trim

20 trim

Multiplicateur des dépenses (hausse des dépenses publiques de 1% du PIB)

1961:1-1989:4

1.30*

0.96*

-0.02

0.94*

1961:1-1979:4

1.65*

1.24*

0.21

1.06*

1980:1-1989:4

0.80*

-0.72*

-0.86

-0.71

Multiplicateur des impôts (baisse des impôts de 1% du PIB)

1961:1-1989:4

0.27*

-0.46*

-0.51*

0.05

1961:1-1979:4

0.29*

-0.60*

-0.46*

-0.10

1980:1-1989:4

0.24*

-0.49*

-0.21

-0.32

Source: Perotti (2002). * significatif à 90%.

Bénassy-Quéré et al (2006) reprennent la méthode de Perotti (2002) combinée avec une approche FAVAR (« factor augmented VAR ») en l'appliquant à l'Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Sur l'ensemble de la période d'estimation (1971-2004), une baisse de 1% du PIB des impôts nets des transferts en Allemagne a en moyenne pour effet d'augmenter le PIB d'environ 1%, même à un horizon de deux ans ( Tableau 3 ). Dans le cas des dépenses, le multiplicateur n'est par contre pas significatif. Aux Etats-Unis, le multiplicateur des dépenses est positif et significatif dans le court terme (premier trimestre) mais il est non significatif à deux ans. Au Royaume-Uni, aucun multiplicateur n'apparaît significatif.

Tableau 3 : Le multiplicateur des impôts et des dépenses : Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis. Approche FAVAR

Allemagne

Royaume-Uni

Etats-Unis

a) Choc

1trim

8trim

1trim

8trim

1trim

8trim

Impôts

1.17*

1.08*

0.23

0.07

-0.07

0.53

Dépenses

0.23

-0.23

0.12

-0.30

1.07*

0.26

(i) Source: Bénassy-Quéré et Cimadomo (2006), échantillon : 1971-2004. * significatif à 90%.

L'estimation des multiplicateurs sur des fenêtres glissantes de 17 ans montre alors que le multiplicateur fiscal allemand a tendu à diminuer depuis 1990 et qu'il est devenu non significatif sur la période récente. Une baisse des impôts en Allemagne tend à augmenter le PIB allemand à court terme, mais cet effet diminue à la fin des années 1990 et au début des années 1980.

Certains pays limitrophes de l'Allemagne (notamment France et Belgique) bénéficient, à court terme, de l'effet de relance. En effet, sur la période plus récente, les années depuis le début de l'Union Monétaire (1988-2004), la transmission de l'impulsion budgétaire par le commerce (hausse des importations allemandes) semble l'emporter sur la transmission par la politique monétaire commune (hausse des taux d'intérêt courts de la zone euro) et sur la transmission par l'offre (hausse de la compétitivité des produits allemands), comme le résume le tableau 4 . Une hausse des dépenses publiques (consommation et investissement) en Allemagne n'a pas d'impact notable sur le PIB des autres pays européens, sauf pour deux économies voisines de petite taille : la Belgique et l'Autriche. .

Tableau 4 : Les multiplicateurs transnationaux. Effets des chocs des impôts et des dépenses publiques allemandes sur le PIB de sept pays européens. Approche FAVAR

Allemagne

Choc

Impôts

Dépenses

1 trim

8 trim

1 trim

8 trim

France

0.27*

-0.02

0.16

-0.14

Royaume-Uni

0.10

-0.44

0.41

0.65

Italie

0.25

-0.10

-0.17

0.02

Espagne

-0.41

-0.58

0.40

-0.61

Pays-Bas

0.23

-0.18

0.45

-0.70

Belgique

0.32*

-0.13

0.76*

-0.07

Autriche

-0.17

-0.62

1.04*

-0.30

(ii) Source: Bénassy-Quéré et Cimadomo (2006), échantillon : 1988-2004. * significatif à 90%.

De ce travail, on peut conclure que la politique suivie par l'Allemagne entre 2001 et 2006, ayant consisté à réduire à la fois les impôts et les dépenses publiques, a eu un effet soit positif, soit nul, mais sans doute pas négatif sur les économies voisines. En effet, la baisse des prélèvements ne peut, selon notre analyse, avoir eu d'effet que positif, tandis que la baisse des dépenses n'a vraisemblablement pas eu d'effet négatif.

4.3. LES POLITIQUES D'OFFRE

Les réformes du marché du travail en Allemagne

En 2002, le gouvernement allemand a confié à une commission présidée par Peter Hartz, directeur des ressources humaines chez Volkswagen, une mission consistant à faire des propositions pour réformer le marché du travail. La commission Hartz a alors proposé une série de quatre grandes réformes, lesquelles furent mises en oeuvre entre janvier 2003 et janvier 2005. En janvier 2003 furent introduites les deux premières réformes, Hartz I et II.

La réforme Hartz I portait sur les agences de placement :

• Création d'agences de services personnels ( Personal Service Agenturen ). Ces agences sont destinées à embaucher des chômeurs pour produire des services à destination des entreprises, le but étant in fine de placer ces chômeurs dans les entreprises en question.

• Extension des subventions à la formation professionnelle, payées par les agences de placement ( Arbeitsagentur ).

La réforme Hartz II portait sur les nouvelles formes de travail.

• Création d'un nouveau contrat, les minijobs , ciblé sur les emplois à bas revenus, assortis de réductions de cotisations sociales.

• Subventions nouvelles pour les chômeurs fondant une entreprise personnelle.

• Développement des agences pour l'emploi ( Job-Centern ).

La réforme Hartz III est entrée en vigueur en janvier 2004 :

• Réforme des instituts fédéraux pour l'emploi ( Bundesanstalt für Arbeit ), transformés en agences fédérales pour l'emploi ( Bundesagentur für Arbeit ), plus autonomes en matière budgétaire et en gestion.

Le dernier paquet, Hartz IV, a été introduit en janvier 2005. Il portait sur le système d'allocations chômage. Les allocations chômage ( Arbeitslosenhilfe ) furent fusionnées avec les allocations sociales ( Sozialhilfe ) pour former les allocations chômage II ( Arbeitslosengeld II ).

La réception des pleines allocations ( Arbeitslosengeld I ) - entre 60 et 67% du salaire net antérieur - est limitée à 12 mois (18 mois pour les plus de 55 ans). Après cette période de 12 ou 18 mois, le chômeur touche les allocations chômage II, plus faibles. Le montant de cette seconde allocation est fondé sur les besoins de consommation moyens. Elle est versée uniquement si les réserves comme l'épargne, l'assurance-vie et le revenu du conjoint sont épuisées.

L'objectif de ces réformes était de s'attaquer au chômage allemand en encourageant financièrement la reprise d'emploi (par la diminution des allocations chômage) et en introduisant plus de flexibilité pour les entreprises. A court terme, les effets n'ont pas été positifs. Au début de l'année 2005, le nombre officiel de chômeurs a dépassé 5 millions. Cette augmentation était partiellement due à des changements statistiques, mais le peuple allemand a critiqué également les réformes Hartz. La confiance des consommateurs a diminué car les chômeurs de longue durée étaient touchés par une réduction de leurs revenus tandis que les autres craignaient d'être moins bien indemnisés s'ils venaient à perdre leur emploi. Ensuite le chômage a baissé ( graphique 13 ).

Graphique 13

Les réformes se sont cependant avérées décevantes en matière budgétaire. Les dépenses d'allocations chômage ont augmenté de 38,6 milliards d'euros en 2004 à 44,4 milliards en 2005. Face à ces problèmes budgétaires, le débat a été relancé sur une révision des réformes.

Les réformes structurelles et leurs résultats encore peu spectaculaires sur le chômage expliquent sans doute en partie pourquoi la croissance des salaires réels a été remarquablement faible en Allemagne. En France, au contraire, des pressions plus fortes se sont manifestées au niveau des demandes salariales, encouragées par la baisse du chômage. Le coût du travail a alors diminué en Allemagne par rapport à la France ( graphique 14 ), ce qui explique en partie la forte progression des exportations allemande et, en contrepartie, la dégradation de la compétitivité des entreprises françaises. Certains économistes ont alors parlé de déflation compétitive en Allemagne. Cependant ce pays était entré en 1999 dans la zone euro avec un taux de change généralement considéré comme surévalué, et une telle évolution des prix relatifs était à attendre. En tout état de cause, la reprise récente de l'activité économique en Allemagne ne peut qu'être favorable pour ses partenaires, surtout si elle s'étend à toutes les composantes de la demande, notamment la consommation.

5. MESURE ET CARACTÉRISATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES

On cherche ici à aller plus loin dans la caractérisation des politiques budgétaires face aux évolutions de la dette et du cycle économique en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Il s'agit de déterminer ce qui, dans les politiques budgétaires suivies, provient (1) de réactions différentes à une même évolution de l'activité ou de la dette publique et (2) de chocs budgétaires non systématiques liés, par exemple, à des revirements politiques.

Le choix de ces trois pays se justifie à deux niveaux :

1. Leur poids économique (au sens de la part dans le PIB européen) est important : le couple franco-allemand représente 50% de la zone euro, et le Royaume-Uni est le grand pays européen non membre de l'UEM ;

2. les évolutions conjoncturelles et budgétaires récentes sont proches même si, contrairement à l'Allemagne et à la France, le Royaume-Uni a réussi à éviter un alourdissement tendanciel de sa dette, notamment grâce à une croissance plus vive ( graphiques 15a,b,c ).

Graphique 15c

Sources : Perspectives Economiques de l'OCDE, n°78 (Décembre 2005)

5.1. SOLDE BUDGÉTAIRE, CYCLE ÉCONOMIQUE ET DETTE PUBLIQUE

L'étude part du constat simple selon lequel les déficits budgétaires sont le résultat à la fois d'une volonté politique et de la situation économique. Les liens qui unissent les soldes budgétaires et l'activité économique peuvent être synthétisés par deux soldes : le solde structurel et le solde conjoncturel, qui reflètent respectivement les composantes discrétionnaire et automatique du solde budgétaire.

Le solde conjoncturel traduit la flexibilité interne du budget, suite à l'évolution spontanée des recettes et des dépenses en fonction de la conjoncture économique. Par exemple, dans les périodes de récession ou de ralentissement, les recettes diminuent en raison du rétrécissement des assiettes d'imposition (revenus, profits, ventes), alors que certaines dépenses publiques auraient plutôt tendance à augmenter notamment en raison de la hausse du chômage et des prestations sociales. L'évolution différenciée des composantes du budget le conduit donc à jouer un rôle de stabilisateur automatique : une conjoncture dynamique conduit à une réduction automatique du déficit budgétaire qui ralentit la demande agrégée, alors qu'un ralentissement creuse ce déficit et soutient ainsi la demande. Le solde conjoncturel se définit comme la part du solde budgétaire résultant d'un écart de production (écart du PIB par rapport à son niveau potentiel) à la hausse ou à la baisse. Il se calcule à l'aide d'élasticités des différentes composantes du budget à la conjoncture. Par construction, le solde conjoncturel est équilibré en moyenne sur le cycle d'activité.

A l'inverse, le solde structurel est la part du solde budgétaire non imputable à la conjoncture. Il traduit l'action volontariste de la puissance publique. Il se définit comme le solde budgétaire correspondant à un écart de production nul (production égale à son niveau potentiel) et se calcule par différence entre le solde budgétaire total et le solde conjoncturel. On raisonne en général sur le solde budgétaire primaire, c'est-à-dire hors intérêts de la dette ( encadré 3 ).

Encadré 3 : la décomposition du solde budgétaire

Le solde budgétaire à la date t ( solde t ) se compose du solde structurel primaire ( s t ), du solde conjoncturel primaire ( sc t ) et des charges d'intérêt ( i t ) :

solde t = s t + sc t - i t (A1)

Le solde conjoncturel représente la réaction automatique selon une élasticité à l'écart de production y, et les charges d'intérêt représentent le paiement des intérêts de la dette publique ( d ) héritée de la période précédente à un taux r . Le solde budgétaire peut ainsi s'écrire de la manière suivante :

solde t = s t +y t - rd t-1 (A2)

Cette relation permet de calculer le solde primaire structurel : s t = solde t -y t + rd t-1 (A3)

Les graphiques 16a,b illustrent les deux concepts de solde budgétaire dans le cas de la zone euro et des Etats-Unis. Le graphique 16a représente la variation du solde conjoncturel primaire en fonction de la position de l'économie dans le cycle d'activité. Un écart de production positif signifie que la demande agrégée est au-dessus de la production potentielle. Les rentrées fiscales sont alors supérieures à la normale et le solde conjoncturel en principe s'améliore. A l'inverse, un écart de production négatif entraîne une dégradation du solde conjoncturel. Le graphique montre que c'est bien ce qui s'est produit depuis 1999 en zone euro et aux Etats-Unis. Parce que la part du secteur public dans l'économie est plus importante en zone euro, cet effet stabilisateur automatique y a été plus important, ce qui est reflété dans le graphique par une courbe verte plus pentue que la courbe noire.

Le graphique 16b représente la variation du solde primaire structurel en fonction de la position de l'économie dans le cycle. Le solde structurel évolue bien de manière contra-cyclique aux Etats-Unis (il augmente en période de bonne conjoncture et diminue en période de ralentissement). Par contre, la politique discrétionnaire de la zone euro apparaît pro-cyclique : l'évolution du solde contribue à accentuer les fluctuations de l'activité au lieu de les atténuer. Toutefois, il se peut que les autorités budgétaires réalisent en permanence un arbitrage entre leur volonté de stabiliser l'activité et le besoin de stabiliser la dette publique. L'évolution apparemment pro-cyclique des politiques budgétaires européennes serait alors due à ce second objectif de la politique budgétaire. Seule une analyse économétrique permet alors de confirmer ou non cette interprétation.

C'est pourquoi la littérature économique s'est attachée à estimer des règles budgétaires, c'est-à-dire, des régularités dans l'évolution du solde budgétaire en réaction au cycle d'activité et à la dette publique. Ces règles ont été initialement estimées pour expliquer le solde primaire. Au niveau européen, le solde primaire s'avère contra-cyclique et sensible aux variations de la dette (Debrun et Wyplosz, 1999 ; Creel et al., 2002 ; Pommier, 2004) : une baisse de l'activité (mesurée par le PIB ou par l'écart de production) ou une réduction du ratio d'endettement entraînent en moyenne une hausse du déficit primaire. Pommier (2004) souligne que ce comportement du solde primaire envers la dette s'est accentué depuis 1992. Au niveau d'une comparaison France-Allemagne, les résultats sont plus constrastés. Alors que Pommier (2004) estime que ces pays ont des comportements similaires au panel européen, d'autres études montrent que le solde primaire est acyclique (Ballabriga et Martinez-Mongay, 2002 ; Creel et al., 2002 ; Wyplosz, 2002). Wyplosz (2002) souligne l'existence d'une asymétrie conjoncturelle dans le comportement des soldes primaires, notamment dans le cas de l'Allemagne où le solde est pro-cyclique dans les phases de récession ou de ralentissement. Toutefois, ces différentes études portent sur le solde primaire non corrigé du cycle. Elles mélangent donc les réactions automatiques et les actions discrétionnaires à l'écart de production. Pour remédier à ce défaut, un nouveau champ de recherche s'est concentré sur les déterminants du solde primaire structurel (politiques discrétionnaires).

Les résultats des études indiquent que le solde primaire structurel est sensible aux variations de la dette, ce qui montre que les efforts entrepris pour la maîtrise des finances publiques proviennent de choix discrétionnaires des autorités (Galí et Perotti, 2003 ; Pommier, 2004 ; Cimadomo, 2005). Par contre, les résultats divergent pour ce qui concerne la réaction du solde structurel primaire au cycle d'activité. Ainsi, Ballabriga et Martinez-Mongay (2002) et Pommier (2004) estiment que la politique discrétionnaire européenne est pro-cyclique notamment à cause des efforts pour corriger les évolutions de la dette publique. Ce résultat n'est pas validé par Cimadomo (2005) pour qui le caractère pro-cyclique n'apparaît que pour un écart de production supérieur à 3 points de pourcentage du PIB, ni par Gali et Perotti (2003) pour qui la politique discrétionnaire est passée d'une politique pro-cyclique avant le Traité de Maastricht à une politique a-cyclique. Les différences de résultats entre ces études peuvent s'expliquer par des différences d'échantillons. Depuis le début des années 1980 , la doctrine budgétaire a sensiblement évolué en Europe : le bien-fondé des politiques keynésiennes contra-cycliques s'est trouvé contesté ; le régime monétaire a évolué, modifiant les effets attendus des politiques budgétaires ; enfin, les gouvernements ont progressivement pris conscience de la nécessité de ralentir la hausse de la dette. Ainsi, les comportements budgétaires ont probablement peu à voir aujourd'hui avec les pratiques des années 1980. C'est pourquoi nous estimons ici des règles budgétaires avec coefficients dynamiques, susceptibles de nous renseigner sur l'évolution des comportements.

5.2. LES DONNÉES

Les données utilisées ici sont issues des Perspectives Economiques de l'OCDE n°78 (décembre 2005). Les données trimestrielles d'origine ont été agrégées de manières a obtenir une fréquence semestrielle. Les séries utilisées sont celles du solde primaire structurel, de l'écart de production et de l'endettement brut du secteur public en part de PIB calculées par l'OCDE. L'échantillon pour l'Allemagne et le Royaume-Uni court du premier semestre 1971 au second semestre 2005, et celui de la France du premier semestre 1974 au second semestre 2005 en raison de la disponibilité des données.

5.3. LA RÈGLE BUDGÉTAIRE

On cherche à estimer une règle budgétaire pour chaque pays. Le but est d'évaluer comment les décideurs politiques adaptent les soldes budgétaires aux variations de la dette et aux cycles économiques. On suppose qu'ils prennent en compte la situation présente (année t ) pour décider du solde à l'année à venir, étant entendu que les lois de finances sont préparées et votées en cours d'année pour l'année suivante.

La variable expliquée est le solde primaire structurel (SPS) de manière à couvrir la partie discrétionnaire de la politique budgétaire. Plus le SPS augmente et plus la politique budgétaire est considérée comme restrictive. A priori , une saine gestion des finances publiques implique de mener une politique :

1) contra-cyclique : en augmentant le SPS en période de forte croissance et en le réduisant en période de récession.

2) de soutenabilité : en redressant le SPS lorsque la dette publique augmente.

On devrait donc observer une relation positive entre le SPS et le cycle économique ainsi qu'avec la variation de la dette. On estime successivement la règle budgétaire avec des coefficients constants et avec des coefficients variables dans le temps, de manière à prendre en compte un éventuel changement de comportement au cours du temps.

A. RÈGLE BUDGÉTAIRE À COEFFICIENTS CONSTANTS

Dans un premier temps, on estime une règle budgétaire, en différences, et à coefficients constants telle qu'elle est présentée dans la littérature existante :

s t = as t-1 + as t-2 + y t-1 + d t-1 + t

s t désigne le solde primaire structurel à la date t, y t l'écart de production et d t la dette publique brute en pourcentage du PIB. Le modèle estimé sur le données allemandes inclut aussi une variable muette pour tenir compte des effets liés à l'unification. t désigne le résidu statistique. Le choix d'imposer deux retards est dicté par le fait que les données sont semi-annuelles. Il paraît raisonnable de penser que les autorités prennent en compte le solde primaire de l'année présente pour déterminer celui de l'année à venir. Les résultats sont présentés dans le tableau 5 .

Tableau 5. Estimation de la règle à coefficients constants, 1971 (1973)-2005

Allemagne

France

Royaume-Uni

Réaction à l'écart de production ()

0.21**

(0.10)

0.09*

(0.11)

0.09

(0.10)

Réaction à la variation de la dette ()

0.05

(0.08)

0.06*

(0.04)

-0.02

(0.06)

R-squared

0.15

0.30

0.14

entre parenthèses : écart-type **: significatif à 95%, **: significatif à 68%

Source : CEPII.

L'Allemagne montre une sensibilité au cycle économique assez forte : un coefficient positif, et très significatif, implique que le solde structurel augmente de 0,2 point de PIB quand la production augmente d'un pour cent par rapport à la production potentielle. Pour la France et le Royaume-Uni, ce coefficient est aussi positif, traduisant des comportements contra-cycliques, mais il est plus faible et moins significatif.

Par ailleurs, le paramètre est positif et significatif (à 68%) seulement pour la France. Ce résultat indique que la politique budgétaire a généralement réagi d'une façon stabilisatrice à l'évolution de la dette publique. Toutefois, le coefficient est faible en France : une hausse de la dette publique d'un point de PIB entraîne une hausse du solde primaire structurel de seulement 0,06 point de PIB. Pour les deux autres pays, on ne peut pas observer une réaction significative. Néanmoins, ces résultats peuvent cacher des ruptures structurelles dans l'échantillon et des changements d'orientation de la politique discrétionnaire. Cela justifie une approche de la règle budgétaire qui prenne en compte une évolution des coefficients indiquant des comportements budgétaires.

B. RÈGLE BUDGÉTAIRE À COEFFICIENTS VARIABLES

Dans un modèle à coefficients variables, l'équation que l'on estime est de la forme :

s t = a 1 s t-1 + a 2 s t-2 + t-1 y t-1 + t-1 d t-1 + t

Le paramètre traduit toujours la réaction du solde primaire structurel au cycle économique et le paramètre sa réaction à la variation de la dette. On suppose cependant que á et â sont dynamiques et c'est leur évolution au cours du temps qui va nous intéresser. Ces paramètres vont être traités comme des variables « non observées » et estimés par le filtre de Kalman. Ce type d'estimation nécessite de poser des hypothèses sur la dynamique de ces variables. Le filtre de Kalman donne alors l'estimation optimale de ces éléments non observés en fonction de l'hypothèse initiale (voir l'encadré 4 ).

Le signe de ces paramètres dynamiques et le fait qu'ils soient ou non significativement différents de zéro va nous permettre d'évaluer dans quelle mesure :

1) les politiques budgétaires ont été pro ou contra-cyclique (selon que á t est respectivement négatif ou positif) ;

2) les politiques ont été soutenables ou non (elles sont soutenables si â t est positif : une augmentation de la dette en t est associée à une hausse du SPS en t+1 ).

Encadré 4 : estimation dynamique de la règle budgétaire

L'équation du modèle est la suivante :

s t = a 1 s t-1 + a 2 s t-2 + t-1 y t-1 + t-1 d t-1 + t (B1)

t= 1,...,T est l'indice temporel, s t représente la variation du solde primaire structurel, y t la variation de l'écart du PIB à la tendance de long terme et d t la variation du taux d'endettement. Toutes les variables sont rapportées au PIB. On suppose d'abord que et suivent une marche aléatoire, ce qui est commun dans ce type de littérature (Primiceri, 2005 ; Boone et al. 2001). Cependant, les estimations du modèle de base suggèrent que á t suit une tendance. Par ailleurs, la série est estimée avec une marge d'erreur importante suggérant que le modèle est mal spécifié 33 ( * ) . L'introduction d'un taux de croissance aléatoire corrige ce problème 34 ( * ) . La structure finale des coefficients variables nous est donnée par :

t = t-1 + t-1 + u t t (B2)

avec :

t = t-1 + w t t

t = t-1 + v t

Les résultats de l'estimation sont présentés sur les graphiques 17 (coefficient représentant la réaction au cycle) et 18 (coefficient représentant la réaction à l'endettement). La valeur du coefficient est chaque fois encadrée par un intervalle de confiance à 68% (traits pointillés) et à 95% (traits pleins). Ceci signifie que le coefficient étudié a 68% (ou 95%) de chances de se trouver dans l'intervalle représenté sur le graphique. Lorsque la ligne « zéro » est comprise dans l'intervalle de confiance, alors on peut conclure que le coefficient n'est pas « significativement différent de zéro ».

Réaction au cycle

Durant la période d'étude, la politique budgétaire allemande s'avère a-cyclique ou contra-cyclique (le coefficient est généralement positif mais pas toujours significatif) ; la politique française devient progressivement contra-cyclique à partir du 2000, et la politique britannique est caractérisée par une orientation contra-cyclique a partir du début des années 1990 ( graphique 17 ).

Suites aux dégradations des comptes publics consécutifs à la récession de 1979 et à la politique de désinflation du gouvernement Thatcher, le Royaume-Uni réalise une phase de consolidation budgétaire en 1981 à l'aide d'une baisse notable des dépenses publiques (dépenses de consommation et de transferts), un vaste programme de privatisation et une réforme fiscale. Ce comportement explique pourquoi la politique budgétaire britannique est a-cyclique dans la première partie de échantillon considéré. Une forte croissance durant la période 1986-1990 a permis au gouvernement de mener une politique contra-cyclique. L'évolution récente de la politique budgétaire au Royaume-Uni peut s'expliquer par la mise en place d'une règle d'or de finances publiques en 1998. Cette règle stipule que, hors de toute considération de régulation conjoncturelle, le budget de l'Etat doit être divisé en un budget courant en équilibre, et un budget d'investissement qui peut être financé par emprunt. La mise en place de cette règle semble avoir réduit la possibilité pour le gouvernement de pratiquer des politiques contra-cycliques.

En Allemagne et surtout en France, on constate une tendance à la hausse de á t conduisant à des politiques budgétaires de plus en plus contra-cycliques avec le temps. En Allemagne, on observe ce phénomène surtout vers la fin des années 1990, en France depuis 2000. Ceci contraste avec un certain nombre de travaux (par exemple Bayoumi et Eichengreen, 1995) montrant que la réponse cyclique des budgets d'Etat est sensiblement affectée par les contraintes budgétaires liées au Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). Selon ces travaux, le risque est que les pays, voulant respecter le PSC, soient forcés d'adopter des mesures davantage pro-cycliques. Toutefois, notre estimation montre que les efforts pour respecter le PSC n'ont pas empêché de poursuivre des politiques contra-cycliques, après la phase d'ajustement des années 1990 (cf politique nettement pro-cyclique en France). En Allemagne, toutefois, la politique budgétaire devient acyclique en fin de période.

La réforme de mars 2005 du PSC limite en principe le risque d'appliquer une politique pro-cyclique en période de ralentissement puisque l'examen des politiques budgétaires tient dorénavant compte de « tous les facteurs pertinents », c'est-à-dire des conditions conjoncturelles et de la mise en place de politiques dans le cadre du programme de Lisbonne. Il est bien sûr trop tôt pour évaluer l'impact de cette réforme sur la conduite des politiques budgétaires.

Réaction à l'évolution de la dette

Les réactions des déficits structurels primaires aux variations de la dette publique sont très différentes selon les pays. Le coefficient sur la dette est non significatif dans le cas allemand sur toute la période, ce qui peut en partie s'expliquer par la réunification allemande. En France, il est positif en début et en fin de période, mais négatif en milieu de période. Au Royaume-Uni, il passe de négatif en début de période à positif en fin de période ( Graphique 18 ).

Un coefficient positif indique que le SPS augmente lorsque la dette s'alourdit, ce qui est signe d'une politique soutenable ou du moins stabilisatrice. Lorsque la dette diminue, le coefficient positif signifie que le SPS diminue : les autorités budgétaires utilisent les marges de manoeuvre offertes par la baisse de l'endettement.

Ainsi, d'après nos résultats, les autorités budgétaires françaises ont eu un comportement prudent en début et en fin de période : elles ont relevé le SPS lorsque la dette s'alourdissait. Du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, toutefois, les autorités ont laissé diminuer le SPS alors que la dette augmentait (coefficient négatif).

Au Royaume-Uni, le coefficient sur la dette passe de négatif avant 1990 à positif ensuite. L'ajustement budgétaire ayant eu lieu principalement durant la première moitié de l'échantillon, ceci signifie que les autorités ont augmenté le SPS lorsque la dette diminuait. Elles n'ont donc pas utilisé les marges de manoeuvre mais au contraire cherché à renforcer l'ajustement budgétaire. A partir de 1990, les autorités ont eu un comportement prudent mais moins volontariste consistant à relever le SPS lorsque la dette augmentait et à l'abaisser lorsque la dette fléchissait.

Finalement, les résultats de notre étude semblent indiquer que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont suivi des règles budgétaires allant dans le même sens au cours de la dernière décennie, tant du point de vue de la réaction au cycle économique que de la réaction à la dette publique. Après avoir respecté les critères du PSC en termes de déficits publics, les soldes structurels primaires sont devenus contra-cycliques et sont, sauf en Allemagne, sensibles aux évolutions de la dette. Ceci contraste avec la période précédant 1995 où les règles de politique budgétaire estimées traduisent de profondes divergences. En fin de période, la politique budgétaire semble toutefois être devenue acyclique.

5.5. SIMULATIONS

Les estimations ci-dessus mettent en évidence des différences de comportement budgétaire en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Afin d'illustrer les conséquences pratiques de ces différences de comportements, nous effectuons pour finir deux séries de simulations contre-factuelles détaillées dans l' encadré 5 .

a. La première série de simulations est destinée à mesurer le degré de divergence des politiques budgétaires allemande et française depuis 1970. Pour cela, on compare l'évolution théorique du SPS selon que l'on applique aux données françaises la règle budgétaire française et la règle allemande. Symétriquement, on compare l'évolution théorique du SPS selon qu'on applique aux données allemandes la règle allemande et la règle française. Dans les deux cas, les simulations sont effectuées en utilisant les règles estimées avec des coefficients constants (cf tableau 5 ) et en excluant les chocs de SPS ne correspondant pas à la règle (les résidus et des estimations). Ces simulations permettent donc de comparer des régularités de comportement face au cycle et à la dette, non les politiques discrétionnaires elles-mêmes. On a vu précédemment que, sur l'ensemble de la période, la France apparaît moins réagir au cycle que l'Allemagne, alors que les coefficients sur la variation de la dette sont similaires. On s'attend donc à ce que la règle allemande produise une politique budgétaire davantage contra-cyclique, c'est-à-dire une hausse du SPS plus marquée en période de forte croissance et une chute plus brutale en période de ralentissement.

Cette comparaison est complétée par la simulation des SPS français et allemand à l'aide d'une règle estimée sur les Etats-Unis pour la même période. Le coefficient de réaction au cycle d'activité est alors plus élevé (0,26) que dans le cas allemand (0,21) et surtout français, alors que le coefficient sur la dette (0,05) est comparable. On s'attend donc à une politique davantage contra-cyclique avec la règle américaine qu'avec la règle allemande et surtout française.

Encadré 5 : Simulations numériques

Simulations 1 : Les soldes structurels sont reconstitués à partir des estimations de leurs évolutions données par les équations suivantes :

- France (Graphique 19a)

s t fra = s t-1 fra + a j 1 s fra t-1 + a j 2 s fra t-2 + j t-1 y fra t-1 + j t-1 d fra t-1 ;

j = fra, ger, us.

- Allemagne (Graphique 19b)

s t ger = s t-1 ger + a j 1 s ger t-1 + a j 2 s ger t-2 + j t-1 y ger t-1 + j t-1 d ger t-1 ;

j = ger, fra, us .

Simulations 2 : Estimation de l'écart de production selon les politiques budgétaires (graphique 20)

y t * =y t + (sps t * - sps t )

y t * est l'écart de production simulé, est le multiplicateur budgétaire, et sps t * est la politique budgétaire retenue.

- scénario A : solde budgétaire primaire structurel constant, égal à la moyenne du solde sur la période, sps t *=-0,06% du PIB;

- scénario B : politique budgétaire allemande, sps t *= sps ger t

Les résultats de cette première série de simulations sont présentés sur le graphique 19 . De manière frappante, tous les soldes simulés sont croissants à partir du milieu des années 1980, alors que les soldes observés fluctuent autour de zéro. Ceci signifie que la seule application de la règle budgétaire française, allemande ou américaine aurait produit une amélioration progressive des finances publiques de 1985 à 2005. Dès lors, l'absence de tendance haussière du SPS dans les faits est attribuable à des décisions budgétaires discrétionnaires, sans régularité par rapport au cycle et à la dette.

Le second enseignement de ces simulations est que l'élévation progressive du SPS est plus marquée avec la règle française qu'avec les deux autres règles, en raison d'une moindre réaction aux ralentissements économiques de 1993 et 2001-2003. Les divergences entre les différentes règles sont croissantes par construction car le SPS d'une année dépend du SPS (simulé) de l'année passée. En fin de période, le SPS français se trouve alors près de deux points de PIB plus haut avec la règle française qu'avec la règle allemande. Le SPS allemand finit quant à lui trois points plus haut avec la règle française. La règle américaine produit des résultats très proches de la règle allemande.

Si la coordination des politiques économiques consiste à s'entendre sur les principes de gestion budgétaire, comme cela a été suggéré par Jacquet et Pisani-Ferry (2000), alors les simulations suggèrent que l'absence de coordination produit en effet de fortes divergences de politique budgétaire entre la France et l'Allemagne, dans le sens d'une politique moins réactive au cycle, donc de facto plus prudente en France depuis le milieu des années 1980. Il faut toutefois rappeler que ces simulations sont réalisées à l'aide de coefficients estimés sur longue période. Or il a été montré dans la section précédente que la réaction au cycle a diminué en Allemagne tandis qu'elle a augmenté en France. En retenant des coefficients de fin de période, les conclusions seraient inversées avec une politique plus prudente selon la règle allemande qu'avec la règle française.

b. Le second exercice de simulation vise à mesurer l'impact de différentes politiques budgétaires discrétionnaires sur le cycle économique. En posant l'hypothèse d'un multiplicateur budgétaire élevé (égal à 1), nous comparons l'écart de production français historique avec celui qui aurait été observé si la France avait appliqué une politique budgétaire neutre (SPS constant, scénario A) ou la politique budgétaire allemande (scénario B).

Les résultats sont représentés sur les graphiques 18. Même si elle n'a pas beaucoup réagi au cycle, la France a eu une politique contra-cyclique en moyenne sur la période, ce qui se traduit par des fluctuations de l'écart de production moins marquées qu'avec une politique neutre, particulièrement à partir de 1985 (scénario A). Bien qu'elle soit davantage contra-cyclique, la politique allemande appliquée à la France ne permet pas de stabiliser l'activité française (scénario B), en raison des décalages de conjoncture entre les deux pays. Par exemple, la France a connu un pic d'activité plus marqué que l'Allemagne en 2000 ; l'application cette année-là de la politique budgétaire allemande n'aurait fait que renforcer l'écart de production positif en France.

Ces différentes simulations ont bien sûr un caractère uniquement illustratif. Elles montrent cependant que des divergences relativement modestes dans les règles implicites de politique budgétaire peuvent entraîner des évolutions de soldes assez différentes entre pays. Ces simulations plaident pour une convergence sur les principes de gestion budgétaire (se traduisant ici par davantage de proximité des coefficients de réaction au cycle et à la dette). A l'inverse, les simulations montrent qu'une convergence des soldes structurels ne constitue pas un bon moyen de coordonner les politiques.

6. CONCLUSION

Malgré un certain nombre d'outils et d'avancées (grandes orientations de la politique économique, Eurogroupe, communications de la Commission européenne), il n'existe pas aujourd'hui en zone euro de véritable coordination des politiques budgétaires. Tout au plus peut-on parler de surveillance, dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance.

Une interprétation possible de ce manque de volonté pour coordonner les politiques économiques serait que, de facto , les grands pays de la zone euro, et plus particulièrement l'Allemagne et la France, ont suivi peu ou prou les mêmes stratégies budgétaires face à des évolutions conjoncturelles similaires depuis 1999. Cette coordination de facto se serait substituée à une coordination de jure .

Nous montrons qu'en dépit d'évolutions similaires des soldes budgétaires structurels dans les deux pays, l'Allemagne et la France ont suivi des stratégies budgétaires fort différentes depuis 1999.

D'une part, la composition des ajustements budgétaires a été très différente en Allemagne et en France : depuis le pic des années 1999-2000, l'Allemagne a réduit sa pression fiscale globale beaucoup plus nettement que la France ; les dépenses publiques ont aussi diminué en Allemagne alors qu'elles ont augmenté en France. Or, les travaux économétriques tendent à montrer qu'une inflexion de politique budgétaire n'a pas le même effet selon qu'elle passe par les impôts (nets des transferts) ou par les dépenses publiques de consommation et d'investissement.

D'autre part, la politique budgétaire allemande s'est avérée davantage réactive au cycle d'activité que la politique française sur longue période, mais moins réactive dans la période récente. Par ailleurs, la politique allemande ne semble pas avoir réagi aux variations de la dette publique, contrairement à la France. Ces différences de comportements ont été gommées depuis 1999 par des mesures budgétaires non systématiques dans les deux pays, c'est-à-dire par des décisions budgétaires ne correspondant pas à leurs comportements habituels de réaction au cycle et à la dette. Ces mesures ponctuelles ont amené les soldes structurels à évoluer de manière similaire sans que cela corresponde à une convergence des principes d'action face à la conjoncture et à la dette.

On peut conclure que la question de la coordination des politiques budgétaires entre l'Allemagne et la France reste posée malgré une certaine similarité dans l'évolution des soldes budgétaires. Elle fait référence à des principes d'action face au cycle et à l'endettement, mais aussi à l'évolution des prélèvements obligatoires. Dans ce cadre, même une foi partagée dans les vertus de la stabilisation keynésienne ne suffirait pas à dynamiser la coordination des politiques budgétaires qui ne peut éluder des sujets difficiles comme la structure des prélèvements dans les différents Etats membres.

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Wyplosz C. (2002), « Fiscal Policy : Rules vs Institutions », HEI Working Paper , n°3/2002.

* 1 Les passages en gras sont soulignés par vos rapporteurs.

* 2 « Les externalités de la politique budgétaire dans la zone euro : où sont-elles ? ». D. Gros et A. Hobza. Centre for European policy Studies. 2001.

* 3 « Short-term fiscal spillovers in a monetary Union », par Agnès Benassy-Queré (CEPII). 13 juillet 2006.

* 4 Les effets d'offre recouvrent la réaction des différents pays quant aux déterminants de leur compétitivité.

* 5 Une baisse des impôts est censée améliorer la compétitivité du pays qui l'entreprend. Les pays étrangers peuvent en bénéficier à travers le prix des produits importés ou imiter le pays en cause.

* 6 Ces deux risques sont de sens contraire ce qui peut apparaître étonnant puisqu'ils sont ici associés à des configurations de politique économique identiques. Mais, les données empiriques démontrent amplement qu'il est justifié de les envisager alternativement.

* 7 Au demeurant, les approches théoriques critiquées dans la section précédente ne se voient affublées de pouvoirs normatifs généraux qu'au prix de simplifications coupables.

* 8 Contrairement aux théories classiques ou à celles empruntées à l'Ecole de Chicago (du « Public Choice ») qui condamnent, systématiquement, les politiques de relance, les théories qui en défendent l'utilité ne prétendent pas que celle-ci est par principe vérifiée. Elles sont fondées sur une « casuistique » économique qui ne doit pas être caricaturée.

* 9 L'expression « solde budgétaire » est une commodité. Elle désigne ici, non pas le seul solde du budget de l'Etat, mais la capacité (ou le besoin) de financement de l'ensemble des administrations publiques : l'Etat mais aussi les collectivités locales, les administrations de sécurité sociale et les divers organismes relevant du secteur des administrations publiques.

* 10 Cela signifie qu'une hausse nominale de 1 % de l'activité se traduit par une hausse de 1 % des recettes publiques.

* 11 Lorsque cette différence est positive, c'est que la politique budgétaire a été relativement plus restrictive (ou moins expansive) en Allemagne qu'en France. Lorsque l'indicateur est négatif, c'est que la France est devenue relativement plus restrictive. Lorsque l'indicateur est nul, c'est que les deux soldes structurels ont évolué dans le même sens.

* 12 La politique budgétaire peut, bien entendu, poursuivre d'autres objectifs. Ainsi, dans la vision traditionnelle qu'en donne l'économiste Richard Musgrave, elle exerce trois fonctions : celle de stabilisation conjoncturelle, celle d'allocation de moyens financiers et celle de répartition du revenu.

* 13 La notion d'endettement public excessif n'est simple qu'en apparence et mériterait à elle seule des développements approfondis qui ne sont pas l'objet du présent rapport. Dans ce dernier, on se contente d'estimer si la politique budgétaire est sensible à la dette publique.

* 14 Que cette tendance soit pertinente est une autre question à laquelle votre Délégation a consacré de nombreux développements. La réduction du niveau relatif de la dette publique peut emprunter des chemins budgétaires contraires. Certains estiment qu'une politique budgétaire restrictive, passant par une augmentation de l'épargne publique, en est le chemin le plus sûr. D'autres, considérant l'impact économique très aléatoire d'une telle option ainsi que l'effet d'une politique budgétaire efficace sur la croissance potentielle, sont plus attentifs à la soutenabilité d'un désendettement public et craignent les incidences de politiques qui reposeraient sur une orientation budgétaire trop malthusienne.

* 15 Ces réformes ont pour résultat de réduire le niveau de l'intervention publique principalement dans les domaines des transferts économiques et sociaux.

* 16 Sous la réserve essentielle que ce qui est « gagné » sur le front des prélèvements obligatoires ne soit pas « perdu » sur celui des salaires directs.

* 17 Toutefois, comme la baisse des cotisations sociales est d'une ampleur moindre que la hausse de la TVA, l'avantage compétitif n'est pas à la hauteur de celle-ci.

* 18 A travers un code de conduite a minima, contre la « concurrence fiscale dommageable », et certaines règles (plafond de TVA, directive épargne et accord de Feira) relevant d'une harmonisation partielle.

* 19 La BCE réagit, théoriquement, aux données agrégées et non aux situations particulières.

* 20 Voir, en particulier, la deuxième partie « Refonder la coordination budgétaire en Europe », du rapport n° 66 du 20 novembre 2002 : « Les perspectives macroéconomiques à moyen terme 2002-2007 » de la délégation pour la Planification, de M. Joël Bourdin et le rapport n° 369 du 25 juin 2003 : « Le pacte de stabilité et de croissance, un débat au Sénat », de la Délégation pour la Planification, de M. Joël Bourdin.

* 21 Aux différences d'efficacité de la transmission de la politique monétaire près.

* 22 Ceci vient rappeler combien sont peu satisfaisantes les comparaisons internationales reposant sur la seule considération du solde public nominal.

* 23 « Comment améliorer la gouvernance économique européenne », de Christian Saint-Etienne. Revue française d'économie. Avril 2007.

* 24 En revanche, ils ne s'associent nullement à ses conclusions (citées ci-dessus), qui sont étonnantes par l'évidence des contradictions qu'elles manifestent avec les prémisses du raisonnement : « La solution à ce problème c'est de comprendre que les points positifs de l'approche allemande doivent être mis en oeuvre au niveau de l'ensemble de la zone euro. C'est l'ensemble des pays de la zone, et particulièrement le trinôme Allemagne-France-Italie, qui doit mettre en oeuvre la TVA sociale et réduire le taux de l'impôt sur les sociétés pour faire face à la concurrence du reste du monde... ». En effet, le remède préconisé est, en tout point, équivalent au mal conjuré, soit l'imitation d'une politique sans issue.

* 25 Comment dans ces conditions financer les biens publics - recherche, enseignement, formation, infrastructures...) dont elle dépend ?

* 26 Rapport de MM. Philipe Aghien, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry.

* 27 Les néo-keynésiens ne sont souvent considérés comme keynésiens que parce qu'ils admettent l'existence de chômage involontaire (à l'inverse des classiques). Mais, cette concession au keynésianisme ne provient pas des mêmes origines (elle est fondée sur des imperfections du marché du travail qui le « rigidifient » et elle est la seule. Les autres volets de leur théorie sont classiques.

* (*) Avec la participation de Dries Janssens (Université Paris X) et Béatrice Postec (CEPII).

* 28 Les estimations de règles de Taylor pour la BCE montrent que cette dernière réagit à l'écart de production agrégé de la zone.

* 29 Les objectifs à moyen terme spécifiques aux différents pays de la zone euro se situeraient, en données corrigées des variations conjoncturelles et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires, entre -1% du PIB pour les pays à faible dette et à potentiel de croissance élevé et l'équilibre ou l'excédent budgétaire pour les pays à forte dette et à potentiel de croissance réduit.

* 30 Communication de la Commission sur le renforcement de la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro, 7.2.2001.

* 31 Communication de la Commission sur le renforcement de la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro, 14.11.2002.

* 32 La hausse des recettes au titre des impôts directs payés par les entreprises s'explique en partie par l'augmentation de la part des entreprises dites « incorporées » dans ce pays.

* 33 Des tests révèlent en effet que la série des erreurs de á t suit elle-même une marche aléatoire, d'où la spécification finale.

* 3 Les tests révèlent que cette introduction d'un taux de croissance aléatoire n'est pas nécessaire pour le Royaume-Uni.

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