2. Un impératif de « remontée d'informations » des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation

a) Disposer d'un panorama fiable des aides locales en faveur des personnes en difficulté sociale

Même si ses résultats méritent d'être nuancés, l'unique étude actuellement disponible en matière d'impact des aides locales sur le niveau de vie des bénéficiaires de minima sociaux montre l'importance d'un recensement des transferts sociaux locaux et de leur prise en compte pour déterminer l'existence d'effets de seuil ou de désincitation financière à la reprise d'activité.

Il est évident qu'un tel recensement ne saurait être exhaustif, compte tenu notamment de la place de l'action sociale communale dans le domaine de l'aide aux ménages les plus pauvres. L'analyse de ces transferts locaux ne peut donc reposer que sur un échantillonnage des aides. Il est dès lors indispensable de travailler sur la représentativité de cet échantillon, afin de tenir compte de la multiplicité des collectivités concernées et de la diversité des politiques menées 33 ( * ) .

Une meilleure analyse des transferts locaux nécessite également un travail de méthode sur la valorisation des aides, notamment quand celles-ci sont en nature ou ne reposent pas sur un barème explicite.

Votre rapporteur estime qu'il revient à la DREES de développer ce type d'études, avec l'appui des enquêtes de l'INSEE. Un partenariat pourrait également être noué avec l'observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) qui suit déjà annuellement les dépenses d'action sociale départementales.

Il convient d'ailleurs de souligner que ce champ d'étude n'est pas entièrement neuf pour la DREES : en témoignent les études réalisées ces dernières années sur l'aide sociale extralégale des départements et des communes. Il serait simplement nécessaire d'affiner les enquêtes existantes, en les complétant par un volet consacré aux règles d'attribution des différentes aides, aux possibilités de cumul de celles-ci et aux sommes versées en moyenne à chaque bénéficiaire.

b) Un préalable : la constitution d'un véritable système d'information partagé entre l'État et les collectivités locales

Dans le contexte de la relance de la décentralisation, qui consacre notamment - à travers la responsabilité qui leur est confiée au titre du RMI - le rôle des départements en matière d'aide sociale, la mise en place des outils de suivi et de diagnostic partagés entre l'État et les collectivités locales s'avère de plus en plus indispensable. Il devient en effet impératif pour le législateur, au moment d'aborder toute réforme touchant au domaine de l'aide sociale, de pouvoir tenir compte de l'impact de ses décisions sur des politiques locales nécessairement diverses.

Si la mise en place du RMI n'avait pas conduit, à l'origine, à la création d'un dispositif statistique spécifique, la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de RMI et créant un revenu minimum d'activité (RMA) a, semble-t-il, réparé cette omission :

- les présidents de conseils généraux doivent désormais transmettre aux préfets des informations statistiques agrégées, dans les domaines comptables mais aussi sur les caractéristiques des demandeurs et les entrées et sorties du dispositif ;

- de la même manière, la CNAF et la MSA sont tenues de transmettre les informations de même nature à leur disposition au ministre chargé des affaires sociales ;

- la transmission aux services statistiques du ministère des affaires sociales de données rendues anonymes relatives aux personnes physiques bénéficiaires du RMI est également prévue, afin de constituer - dans le respect des règles relatives à la vie privée - des échantillons statistiques permettant des analyses plus fines et des études sur les trajectoires des allocataires ;

- en contrepartie de ces contraintes d'information imposées aux départements, l'État a désormais l'obligation de diffuser en retour les analyses et les études réalisées sur la base des données statistiques collectées.

Il reste que le dispositif ainsi prévu n'est applicable qu'au RMI qui relève de l'aide sociale légale. Il paraît donc indispensable de mettre en place un système d'information partagé plus large, incluant notamment les transferts sociaux facultatifs. Il pourrait revenir aux départements d'assurer la collecte des informations nécessaires auprès des communes et des intercommunalités et d'assurer la transmission de celles-ci au niveau national.

A ce titre, votre rapporteur considère que la France gagnerait à s'inspirer du dispositif statistique mis en place aux États-unis à l'occasion du transfert de l'aide sociale aux états fédérés.


L'obligation de « reporting » des états fédérés
dans le cadre de la loi PRWORA aux États-unis

La loi du 22 août 1996, intitulée « Personal Responsability and Work Opportunity Reconciliation Act » (PRWORA), qui transfère aux états américains fédérés la responsabilité de l'ensemble de l'aide sociale, établit à leur égard une obligation de « reporting » très forte avec des sanctions financières.

Parallèlement, la loi définit un budget pour le développement d'études d'évaluation menées, à la fois au niveau fédéral et au niveau des états, sur des aspects très détaillés concernant les impacts de la réforme. Certains de ces rapports d'évaluation sont obligatoires et peuvent conduire à ce que les états soient amenés à modifier leurs programmes (par exemple si le taux de pauvreté des enfants s'accroît).

Par ailleurs, la loi PRWORA prévoit une obligation pour l'institut fédéral de statistiques, le Census Bureau , de développer un dispositif d'enquête permettant de suivre le devenir des allocataires et détermine son financement.

La loi elle-même détermine les différents types d'information nécessaires aux évaluations. Elle prévoit ainsi :

- une information descriptive sur les programmes locaux d'aide, issue du reporting par les états : pour l'exploitation de ces données, deux projets importants ont été mis en place, avec des financements mixtes provenant du département d'État à la santé et de fondations privées ;

- la constitution de panels longitudinaux, les survey of income and program participation, permettant de suivre les personnes sur deux ans et demi à quatre ans, et les survey of program dynamics , d'une durée plus longue.

La grande majorité des données d'enquêtes est mise à la disposition de l'ensemble des utilisateurs - le plus souvent gratuitement - et en ligne, qu'il s'agisse d'enquêtes instantanées ou de panels longitudinaux et qu'ils soient réalisés par des organismes publics ou privés.

Source : « Processus de développement de politiques publiques : les enseignements de la réforme du Welfare américain », Michel Dollé, Les Papiers du CERC, n° 2002-2.

* 33 A ce titre, il convient de rappeler que l'étude de D. Anne et Y. L'Horty précitée sur les transferts sociaux locaux reposait sur une enquête menée dans dix villes seulement.

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