B. LES INTERVENTIONS EN COMPLEMENT DE PLANS SOCIAUX

La plus conséquente sur la période, en termes de consommation de crédits du chapitre 64-96, a concerné les établissements Chausson de Creil ; 14,45 M€ de fonds publics, dont 10,37 M€ de CPI, ont été consacrés à partir de 1996 au financement du plan social de 1995 (le total des dépenses afférentes à ce plan s'élevant à 59,77 M€). Cette opération présente la caractéristique originale, déjà mentionnée, d'avoir fait l'objet d'une évaluation. Celle-ci a comparé les deux plans sociaux successifs de 1993 et 1995, faisant apparaître :

- des résultats très différents en termes de reclassement : 92,7 % de salariés reclassés (salariés concernés par les mesures d'âge non pris en compte) au bout des trois ans pour le plan de 1995, contre 42,5 % seulement au terme des dix mois du plan de 1993 et 61 % au bout de trois ans ;

- un coût global par salarié plus élevé pour le plan de 1995 que pour celui de 1993, mais pas à cause des dispositifs de reconversion :

COUT PAR SALARIE CONCERNE DES DEUX PLANS SOCIAUX « CHAUSSON »

En K€

Plan 1993

Plan 1995

Coût des indemnités et préavis

12,5

30,4

Coût des mesures d'âge

58,3

107,6

Coût des dispositifs de reconversion

22,1

20,6

Le coût très élevé des « mesures d'âge » est visible, tandis que les mesures de reconversion ressortent à un coût modéré, comparativement ; au demeurant, 85 % des CPI débloqués ont été utilisés à couvrir des mesures d'âge dérogatoires, en l'espèce des préretraites anticipées à 49 ans et trois mois.

Il est significatif que le coût des mesures de reconversion (couvrant le fonctionnement des antennes de reconversion, les coûts de formation, les allocations aux personnels en formation) soit à peu près le même dans les deux plans, qui ont cependant débouché sur des résultats très différents en termes de reclassement.

Le rapport d'évaluation s'efforce d'expliquer l'efficacité particulière du plan de 1995 en termes de reclassements. L'innovation de ce plan aurait été de placer en tête l'objectif de reconversion et d'intégrer dans la durée (trois ans) les trois parties prenantes, entreprise, salariés et Etat, dans un dispositif piloté par ce dernier et conduit par une commission de suivi appuyée sur une cellule de reclassement constituée de professionnels ; les salariés ont été placés en congé de conversion.

L'évaluation de la mission d'industrialisation menée par la SODIE, à l'aide d'une enveloppe de prêts bonifiés de 7,62 M€, souligne l'intérêt de personnaliser et coordonner l'intervention publique à travers la nomination d'un délégué à la réindustrialisation, comme la cohérence résultant de l'intervention de la SODIE sur les trois volets (plan social, aménagement du site et réindustrialisation du bassin).

Ces résultats ont été repris dans diverses notes internes et auraient inspiré des dispositions de la loi de « modernisation sociale » 46 ( * ) , qui généralise les « congés de reclassement » en les rendant obligatoires pour les entreprises de plus de mille salariés, qu'elle oblige également à financer des mesures de réindustrialisation en cas de cessation totale ou partielle d'activité sur un site.

* * *

L'examen des autres dossiers de plans sociaux financés conduit aux mêmes constats :

- Il existe des niveaux d'intervention très hétérogènes, qui posent une question d'égalité, l'Etat acceptant ou non, selon les cas, de prendre en charge des mesures dérogatoires très coûteuses telles que des primes de départ et des préretraites plus ou moins anticipées.

- Les résultats obtenus dans certains dossiers, tels que Chausson et, apparemment 47 ( * ) , ACH (Ateliers et chantiers navals du Havre), tendraient néanmoins à montrer que l'intervention des pouvoirs publics a son utilité quand elle conduit à mettre en place un véritable pilotage dans la durée (plusieurs années) des suites d'accidents industriels, avec deux volets d'action gérés en lien : reclassement des salariés et réindustrialisation. Et ce pour des coûts, notamment publics, certes plus élevés que dans le cas de plans sociaux a minima, mais qui peuvent apparaître « raisonnables » en comparaison du coût parfois exorbitant des dispositifs cités au paragraphe précédent...

Plusieurs observations doivent cependant être faites :

- Compte tenu de leur logique territoriale (bassins d'emploi), il n'est pas certain que les opérations d'accompagnement de plans sociaux (financement de mesures sociales et/ou réindustrialisation) doivent être du ressort des administrations centrales, ni qu'elles aient vocation à être imputées sur des crédits « MINEFI », du moins en ce qui concerne les mesures strictement sociales, alors qu'il existe sur les crédits du ministère des Affaires sociales des lignes budgétaires qui paraissent « ad hoc » (le chapitre 44-79 de ce budget comporte divers articles consacrés à des actions d'« accompagnement des restructurations »).

- Ce type d'interventions devrait être encadré par des textes d'emploi plus précis, qui excluraient la prise en charge publique de certains types de mesure, comme les primes au départ (« primes valise »).

- Une recommandation déjà exprimée dans de précédents travaux de la Cour n'a pas été mise en oeuvre et reste d'actualité : l'« intéressement » des cocontractants de l'Etat (mandataires ad hoc, cabinets chargés de gérer les antennes ou cellules emploi mise en place, etc.), par une modulation de leurs honoraires, aux résultats des plans sociaux, en particulier en matière de reclassement.

- Puisqu'il faut toujours préférer la prévention au traitement à chaud, il semblerait qu'une politique économique locale pertinente devrait se donner pour objectif d'éviter la trop grande dépendance d'un bassin d'emploi vis-à-vis d'un employeur et/ou d'une activité. Si les moyens de cette politique sont encore à inventer, du moins le développement d'outils de connaissance de la situation des bassins d'emploi serait-il utile pour préciser les objectifs de l'intervention publique quand elle est confrontée à des catastrophes économiques locales.

* 46 Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002.

* 47 Ce dossier concernant un chantier naval n'a pas été examiné par la Cour, mais l'excellent taux de reclassement des salariés obtenu est mentionné par des articles de presse.

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