II. CRÉATION D'UNE COUR UNIQUE

Le protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme modifie très sensiblement la structure institutionnelle et les compétences des différents organes chargés de veiller au respect, par les Etats parties, des dispositions de la convention.

Essentiellement, le protocole procède à la fusion de deux des trois organes en charge du mécanisme de contrôle -Commission, Cour- pour leur substituer un seul organe, la Cour.

1. Une composition rénovée

Si le statut de la Cour unique n'est que légèrement modifié, à ceci près qu'elle devient désormais une instance permanente, sa composition est substantiellement rénovée : ainsi est-il précisé que « la Cour se compose désormais d'un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties contractantes » (article 20) 6 ( * ) . Le nombre de juges sera donc celui des Etats signataires de la Convention et non des Etats membres du Conseil de l'Europe dont certains peuvent n'être pas partie à ladite convention. Le nouvel article supprime la règle exigeant que la Cour ne puisse comprendre plus d'un ressortissant d'un même Etat.

Le mandat des juges -qui demeurent élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe- est réduit de neuf à six ans (article 23), et ce mandat s'achèvera impérativement lorsqu'ils atteindront l'âge de 70 ans (article 23, § 6).

Enfin, une nouvelle disposition est destinée à faciliter le fonctionnement de la Cour : ses membres bénéficieront de l'assistance de référendaires, collaborateurs qui pourront être nommés sur proposition des juges (article 25).

2. Les nouvelles formations contentieuses

Pour l'examen des affaires dont elle sera saisie, la Cour siégera en comités, en chambres et en une grande chambre. Cette différenciation des formations contentieuses a été choisie par les auteurs du protocole pour prendre en compte les tâches spécifiques dévolues actuellement à la Commission et à la Cour.

L'Assemblée plénière, qui devrait réunir une quarantaine de juges, ne disposera guère que de compétences administratives (article 26) : élection pour trois ans de son président et d'un ou deux vice-présidents ; constitution des chambres pour une période déterminée ; élection des présidents des chambres ; adoption du Règlement et élection du greffier et de son ou ses adjoints.

a) Les Comités de trois juges (articles 27 et 28)

Ces comités sont constitués par les chambres de la Cour pour une période déterminée : la compétence d'un comité de trois juges se limite à la déclaration, votée à l'unanimité, de l'irrecevabilité ou la radiation votée du rôle d'une requête individuelle 7 ( * ) qui ne nécessite pas un examen complémentaire. Cette décision est définitive.

b) Les Chambres de sept juges

Celles-ci sont constituées par la Cour pour une période déterminée. C'est elle qui désignera les sept juges, selon des modalités qui seront définies par le Règlement de la Cour. En toute hypothèse, le juge élu au titre d'un Etat partie au litige sera membre de droit de la chambre.

La chambre est la clé de voûte du dispositif nouveau : c'est à elle qu'il reviendra d'examiner le fond et la recevabilité des requêtes étatiques et des requêtes individuelles, si aucune décision d'irrecevabilité ou de radiation du rôle n'a été prise par le Comité de trois juges (voir supra). D'une façon générale, la décision sur la recevabilité sera prise séparément de celle concernant le fond. Il convient de rappeler que les conditions de recevabilité, énumérées à l'article 35 du protocole, sont identiques à celles prévues aux articles 26, 27 et 29 de la convention.

C'est ainsi que la chambre reprendra les compétences exercées dans le présent système de contrôle par la Commission : étude de la recevabilité de la requête, établissement des faits dans le cadre d'un examen contradictoire, mise à la disposition des parties pour parvenir à un règlement amiable (article 38, § a et b). Il reviendra à la chambre, à la différence de la Commission, de statuer au fond de l'affaire (article 41) par une déclaration de la violation de la convention et, éventuellement, une décision pour une satisfaction équitable

c) La Grande Chambre de 17 juges

La Grande Chambre, comme les chambres de 7 juges, sera constituée au cas par cas. Sa composition réunira des membres de droit -le Président de la Cour, les vice-présidents, les présidents de chambres et le juge élu au titre de l'Etat mis en cause dans le litige- et des juges tirés au sort lors de chaque affaire.

La Grande Chambre peut être saisie de deux façons : à la demande d'une chambre -c'est le dessaisissement (article 30), ou à celle de toute partie à l'affaire dans le cadre d'une procédure de renvoi ou de réexamen (article 43).

le dessaisissement

L'article 30 dispose qu'une chambre peut se dessaisir d'une affaire pendante devant elle au profit de la Grande Chambre dans deux hypothèses : si intervient une "question grave relative à l'interprétation de la convention ou de ses protocoles" ou si la solution d'une question risque de conduire à une contradiction de jurisprudence. On notera que ce dessaisissement a un caractère conditionnel puisqu'il est tributaire de l'approbation des parties au litige. Cette conditionnalité est interprétée comme permettant de ne pas priver les parties d'un réexamen éventuel de l'affaire par la Grande Chambre, mais cette fois au titre du renvoi.

le renvoi : l'article 43 prévoit que, dans un délai de trois mois à compte de la date de l'arrêt d'une chambre "toute partie à l'affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre".

La demande de renvoi est alors examinée dans un premier temps par un collège de cinq juges de la Grande Chambre qui accepte la demande "si l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général".

Plusieurs juristes se sont interrogés sur la qualification juridique précise qu'il convenait de conférer à cette modalité de réexamen. Selon certains 8 ( * ) , il ne saurait s'agir d'un "renvoi" au sens traditionnel de ce terme, dans la mesure où en général, "le renvoi organise un transfert de compétence d'une juridiction à une autre, relève de la décision de la juridiction qui renvoie et se situe avant toute décision au fond". En l'occurrence, ces trois caractéristiques ne sont pas réunies : la juridiction est unique, la décision relève des parties et le renvoi intervient après un arrêt rendu par la Chambre.

Il ne s'agirait pas davantage d'une modalité d'appel dans la mesure où le renvoi-réexamen n'est pas automatique, conditionné qu'il est par la décision du collège des cinq juges.

Il semble que cette disposition de réexamen ait davantage comme finalité de ménager à l'Etat partie, lorsqu'est en cause "une question importante d'intérêt politique ou d'intérêt public" une possibilité de réformation du premier arrêt de la Chambre.

Enfin cette procédure qui fait revivre, sous une forme nouvelle, la dualité de juridiction existant dans le système actuel (Commission, Cour), pourrait paradoxalement aboutir, aux dires d'experts, à une "altération de la procédure juridictionnelle". En faveur de cette analyse, on avance la pratique de la Cour qui, dans le passé, avait plus souvent conclu (84% des cas) à une non-violation de la convention que la Commission. On fait valoir aussi que la saisine de la Grande Chambre peut aboutir à remettre en cause le travail réalisé par la Chambre, la Grande Chambre ayant la faculté "à tout stade de la procédure", de considérer une requête comme irrecevable (article 35, § 4).

En réalité, c'est à la Cour elle-même qu'il appartiendra de gérer ce nouveau dispositif de réexamen. Il est alors permis de penser que les juges qui la composent sauront, comme ils l'ont amplement démontré dans le passé, exploiter ces dispositions nouvelles en faveur d'une garantie toujours accrue des droits individuels.

* 6 A ce jour, 31 Etats ont ratifié la convention, sur 36 Etats membres du Conseil de l'Europe.

* 7 La recevabilité des requêtes étatiques est examinée par la Chambre.

* 8 Frédéric Sudre. La Semaine juridique n° 21-22 (1995).

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