II. LA CONVENTION DU 15 JUIN 2022 REPREND LES DERNIERS STANDARDS DE L'OCDE ET S'INSCRIT EN COHÉRENCE AVEC LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE

À titre liminaire, il importe de préciser qu'en l'absence d'exercice effectif de la souveraineté moldave sur ce territoire, la Transnitrie n'entrera pas dans le champ d'application de la convention du 15 juin 2022. L'article 3 de la convention définit l'expression « République de Moldavie » comme le territoire sur lequel la République de Moldavie exerce sa souveraineté et sa juridiction, en conformité avec sa législation et le droit international.

En cas de rétablissement complet de la souveraineté moldave sur le territoire séparatiste, la convention s'appliquerait alors à la Transnistrie.

A. LE TEXTE DE LA CONVENTION REPREND, POUR UNE TRÈS LARGE PARTIE, LE MODÈLE DE CONVENTION FISCALE DE L'OCDE

La convention signée entre la France et la Moldavie le 15 juin 2022 s'inscrit dans une démarche de modernisation du réseau conventionnel français suite à la ratification par la France de l'instrument multilatéral de l'OCDE en 2018. Par conséquent, la convention franco-moldave intègre les derniers standards établis par l'OCDE tant dans son modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune que dans l'instrument multilatéral.

À l'inverse de conventions fiscales récemment négociées par la France, la convention signée avec la Moldavie vient combler un vide conventionnel et ne s'appuie conséquemment pas sur un texte en vigueur, qu'elle viendrait moderniser. Dans le cas de la Grèce7(*), la convention du 11 mai 2022 avait ainsi intégré certaines stipulations issues de la convention du 21 août 1963.

Il convient également de noter que si la convention du 15 juin 2022 s'aligne majoritairement sur les standards OCDE, la nouvelle convention ne sera pas couverte par l'instrument multilatéral (IM). En effet, la Moldavie figure parmi les États n'ayant pas ratifié cette convention.

L'absence de ratification de l'IM par la Moldavie n'emporte cependant pas de conséquences sur la présente convention, dès lors que cette dernière reprend les standards minimums de l'OCDE.

L'instrument multilatéral de l'OCDE

La convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (dite CML ou BEPS), également désignée comme « instrument multilatéral » (IM), a pour objet de modifier les conventions fiscales bilatérales des États-parties en matière d'impôt sur le revenu et d'élimination des doubles impositions, en application du plan BEPS de l'OCDE.

Il a été ratifié par la France le 26 septembre 2018 après en avoir obtenu l'autorisation par une loi du 12 juillet 2018. Les conventions fiscales bilatérales sont automatiquement modifiées, par le biais de « clauses de compatibilité », une fois que les parties ont notifié leur intention de voir ces conventions couvertes. La France a ainsi déposé une notification complémentaire le 22 septembre 2020 pour l'ensemble de son réseau conventionnel.

Source : commission des finances

1. Une transposition littérale de la notion d'établissement stable et de l'imposition des bénéfices

L'article 5 de la convention du 15 juin 2022 reprend la définition de l'établissement stable issue de l'article 5 du modèle OCDE. L'établissement stable « désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. L'État d'exercice de l'activité ne peut, en effet, imposer les bénéfices d'une entreprise résidente que si cette activité s'exerce par l'intermédiaire d'un établissement stable.

Deux spécificités de rédaction peuvent être notées au sein des stipulations de l'article 5 de la convention.

D'une part, le paragraphe 3 de l'article 5 précise qu'un établissement stable de chantier de construction ou de montage est caractérisé si sa durée excède neuf mois sur une période de douze mois. Cette condition de durée diffère de celle du modèle OCDE qui prévoit une caractérisation au-delà d'une durée de douze mois. La rédaction de la convention résulte d'un compromis entre les deux parties. La Moldavie demandait en effet une application du modèle de convention fiscale de l'ONU qui permet de caractériser l'existence d'un établissement stable de chantier dès que l'activité exercée sur place est supérieure à 6 mois et qui inclut les activités de supervision et d'assemblage.

D'autre part, concernant les exceptions à la caractérisation d'un établissement stable, le paragraphe 4 de l'article 5 retient, conformément à la pratique conventionnelle française, l'option B proposée par le modèle OCDE à son article 13 en ne précisant pas que les activités concernées doivent revêtir un caractère préparatoire ou auxiliaire.

S'agissant de la caractérisation de l'établissement stable, au cours des négociations, la Moldavie avait souhaité intégrer une clause permettant de caractériser les établissements stables de prestations de services pour une durée de plus de six mois dans l'autre État. La France s'est toutefois opposée avec succès à l'intégration d'une clause permettant de caractériser un établissement stable de prestation de services. Une telle clause, prévue dans le modèle de convention fiscale de l'ONU, permet de qualifier d'identifier un établissement stable et, partant, d'imposer l'activité de prestation de services dans l'État d'exercice de cette activité.

L'article 5 intègre également, en complément de la définition de l'établissement stable et conformément au modèle OCDE, les notions d'agent dépendant et d'agent indépendant. En l'absence d'installation fixe d'affaires, une entreprise peut disposer d'un établissement stable dans un autre État, à la condition qu'elle y soit représentée par un agent dépendant.

L'agent dépendant est défini comme une personne physique ou morale qui agit pour le compte d'une entreprise dans un État contractant et « conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l'entreprise » et sont, soit au nom de l'entreprise, soit concernent une prestation de service ou le transfert de la propriété de biens de l'entreprise (article 5 du modèle OCDE).

Toutefois, l'établissement stable n'est pas caractérisé lorsque l'entreprise est représentée par un agent indépendant agissant dans le cadre ordinaire de son activité.

Ce même article comporte, enfin, une clause dite « anti-fragmentation », issue du modèle OCDE, permettant d'éviter qu'une entreprise fragmente ses activités dans un État afin d'éluder la qualification d'établissement stable dans cet État.

L'article 7 de la convention stipule que les bénéfices réalisés par une entreprise sont imposables dans l'État de résidence de l'entreprise qui les réalise, hormis les cas où l'activité est réalisée dans l'autre État contractant au travers d'un établissement stable.

En complément, l'article 9 de la convention prévoit un mécanisme d'ajustement corrélatif des bénéfices, visant à corriger les situations de double imposition des entreprises associées. Cet article reprend ainsi les lignes directrices de l'OCDE en matière de prix de transfert, traduites dans l'article 9 du modèle OCDE et dans l'article 17 de l'instrument multilatéral.

Il permet l'application du principe de pleine concurrence aux entreprises associées. Concrètement, lorsqu'un État contractant décide d'inclure dans les bénéfices d'une entreprise des bénéfices réalisés par une entreprise associée dans l'autre État contractant, ce dernier peut opérer un ajustement approprié du montant de l'impôt qu'il perçoit sur ces bénéfices.

2. L'intégration des standards anti-abus de l'OCDE

En l'état actuel du droit et en l'absence de convention bilatérale, il n'existe pas de procédure de règlement des différends en matière fiscale entre la France et la Moldavie.

À l'inverse du projet de convention de 2006, la convention du 15 juin 2022 intègre les derniers standards de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.

L'article 27 de la convention reprend la clause générale anti-abus (Principal Purpose Test) issue de l'Instrument multilatéral (article 7 de la convention multilatérale et article 29 du modèle OCDE). Cet article permet ainsi, de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsqu'il apparait que celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir.

Si cette clause se rapproche de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, son application est plus large. La procédure d'abus de droit apparaît ainsi plus restrictive, dans la mesure où le motif doit être exclusivement fiscal, et non pas principalement fiscal. Il appartient à l'administration fiscale de concilier ces différents principes.

Contrairement à d'autres conventions conclues ces dernières années par la France, à l'image de la convention bilatérale avec Andorre, la convention du 15 juin 2022 ne comprend pas de clauses anti-abus spécifiques. Il s'agit notamment de stipulations restreignant la notion de résident ou réservant un avantage conventionnel au bénéficiaire effectif des revenus. Ces clauses sont cumulatives avec la clause générale d'abus de droit.

Seul l'article 9, susmentionné, relatif aux prix de transfert peut être assimilé à une clause anti-abus spécifique.


* 7 Convention du 11 mai 2022 entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, ratifiée par la loi n° 2023-1232 du 22 décembre 2023.

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