EXAMEN
DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

I. LE REPORT DES ÉLECTIONS PROVINCIALES ET DU CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE AU PLUS TARD AU 15 DÉCEMBRE 2024

A. UN REPORT DES ÉLECTIONS AU PLUS TARD LE 15 DÉCEMBRE 2024 INITIALEMENT JUSTIFIÉ PAR LE DÉGEL DU CORPS ÉLECTORAL

1. Un constat partagé : l'absence d'accord sur les conditions d'organisation au terme des mandats actuels, prévu en mai 2024

L'achèvement des consultations prévues par l'accord de Nouméa a ouvert une nouvelle page de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, qui demeure à écrire.

Si la reprise des négociations, sur la base des préconisations développées en juillet 2022 puis en juin 2023 par la commission des lois, doit être saluée, force est de constater que les actions, certes volontaristes, du Gouvernement n'ont pas encore produit les effets escomptés. Elles n'ont ni permis de renouer un dialogue direct entre les trois parties ni jeté les bases d'un accord quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, alors que l'échéance des élections provinciales approche. En l'espèce, celles-ci, sans report, devraient se dérouler au plus tard le 12 mai 2024.

Toutefois, les auditions conduites par le rapporteur ont été unanimes sur un point : des discussions entre les acteurs calédoniens locaux sont en cours et commencent à porter les fruits. Elles ambitionnent, par la réunion d'acteurs indépendantistes et non-indépendantistes, de traiter l'ensemble des sujets intéressants l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et d'aboutir à un accord global entre les parties. Celui-ci pourrait alors servir de base de discussion avec le troisième acteur de cette négociation qu'est l'État.

L'ensemble des acteurs politiques locaux se sont montrés optimistes quant à la capacité des élus locaux à trouver ensemble en Nouvelle-Calédonie et en responsabilité les équilibres d'un accord global respectueux des attentes de chacun et au bénéfice de tous les Calédoniens. Néanmoins, en l'état des discussions, les positions des principaux responsables calédoniens indépendantistes et non-indépendantistes demeurent sur certains points très éloignés dans leurs demandes et aspirations, au premier titre duquel la tenue sur la base du corps électoral existant de nouvelles élections.

Les auditions du rapporteur ont démontré qu'il n'existait pas de consensus local quant à l'organisation et aux modalités de participation des électeurs à un renouvellement général des assemblées des provinces et du congrès de Nouvelle-Calédonie.

De surcroît, il ressort des auditions du rapporteur qu'aucune des formations politiques calédoniennes n'a initié le commencement d'un processus de campagne électorale : il semble qu'aucun acte concret et opérationnel visant à préparer ou entrer dans une campagne électorale n'ait eu lieu, et ce, quels que soient les bords politiques. Ainsi, aucun travail programmatique, aucune tentative d'organiser une liste électorale, aucune nomination de mandataire financier n'a été porté à la connaissance du rapporteur.

Dès lors, le rapporteur ne peut que prendre acte de l'impossibilité de tenir des élections consensuelles au terme des mandats actuels, prévu en mai 2024.

2. Le projet de loi organique : un report au plus tard le 15 décembre 2024 des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie

Comportant un article unique, non codifié, le projet de loi organique présenté par le Gouvernement vise, par dérogation à l'article 187 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, à reporter les prochaines élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Ces élections auraient lieu au plus tard le 15 décembre 2024.

Il prolonge, en conséquence, les mandats en cours des membres des assemblées de province et du congrès élus lors du dernier renouvellement général, le 12 mai 2019. Ces mandats, en application du deuxième alinéa de l'article unique du projet de loi organique prendraient fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues, afin d'éviter tout vide juridique.

Enfin, il est proposé, sur recommandation du Conseil d'État, que la liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la même loi soient mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Selon les termes de l'étude d'impact, le report des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie prévu par le projet de loi organique se rattache, dans son principe, à l'objectif de mise en oeuvre de la réforme du corps électoral pour les prochaines élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, il est précisé que « le présent projet de loi organique est étroitement lié à la réforme du corps électoral spécial pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie. Le report envisagé permet de mettre en cohérence le calendrier de la réforme et celui des opérations nécessaires à la tenue des élections provinciales de 2024. »

B. EN DÉPIT DE DÉSACCORDS SUR LES MOTIVATIONS INITIALEMENT AVANCÉES PAR LE GOUVERNEMENT, LE REPORT DES ÉLECTIONS

1. Des désaccords sur les motifs avancés par le Gouvernement ayant ravivé le débat autour du corps électoral restreint pour les élections provinciales

L'examen du présent projet de loi organique a mis en lumière un sujet de division récurrent et qui a cristallisé les antagonismes politiques entre les partis indépendantistes et non indépendantistes. Ces antagonismes se sont notamment exprimés lors de l'examen pour avis par le congrès de la Nouvelle-Calédonie d'un avant-projet de celui-ci et plus encore à l'issue de sa présentation conjointe à un projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral calédonien en conseil des ministres le 29 janvier 2024.

Le principe de la restriction du droit de vote et la portée de cette restriction font l'objet d'une vive controverse2(*), qu'il s'agisse de la participation aux élections provinciales ou de la participation aux consultations d'autodétermination.

En effet, le corps électoral appelé à participer à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté comme celui appelé à participer à l'élection du congrès et des assemblées provinciales ne comprennent pas l'ensemble des électeurs inscrits sur les listes électorales de Nouvelle-Calédonie.

Trois listes électorales pour un archipel :
le système électoral dérogatoire calédonien résultant de l'accord de Nouméa

Il existe trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie :

- la liste électorale générale, établie suivant les règles de droit commun pour les élections nationales, européennes et municipales, ainsi que pour les référendums nationaux ;

- la liste électorale spéciale pour l'élection du congrès et des assemblées de province, qui définit les contours de la citoyenneté calédonienne, définie par l'article 4 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précité ;

- la liste électorale spéciale pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, où étaient susceptibles d'être inscrites l'ensemble des « populations intéressées » à l'avenir du territoire, au sens de l'accord de Nouméa et de l'article 77, et non 53, de la Constitution. Elle est définie à l'article 218 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, conformément au point 2.2.1 du document d'orientation de l'accord de Nouméa.

Comme l'a rappelé le ministre Gérald Darmanin dans un courrier adressé aux parties locales en juin 2023, « ni le Gouvernement, ni aucune formation politique calédonienne ne sollicite le retour à la liste électorale générale pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le maintien ou non d'une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française n'est donc pas en question : il s'agit d'une évolution irréversible ».

Il n'en demeure pas moins que de fortes revendications pour l'ouverture de ce corps électoral persistent et font face à des revendications contraires des partis indépendantistes, attachés au maintien du principe d'un corps électoral restreint considéré comme un acquis irréversible et protégé constitutionnellement de l'accord de Nouméa.

Cette ouverture du corps électoral provincial reste en effet au centre des revendications des partis non-indépendantistes depuis plusieurs années et a été réaffirmée par l'ensemble des représentants rencontrés par le rapporteur au cours de ses travaux.

Si le principe d'un corps électoral plus restreint que le corps électoral de droit commun pour les consultations référendaires ne semble pas, comme pour l'ensemble des consultations d'autodétermination de collectivités d'outre-mer, poser de difficultés, la situation est éminemment différente s'agissant du corps électoral convoqué lors des élections du congrès et des assemblées de province, considérées par les responsables politiques non-indépendantistes comme des élections locales intéressant le quotidien des Calédoniens, qu'ils bénéficient ou non du statut de citoyens calédoniens.

Ces derniers s'appuient, en particulier, sur le fait que le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le tableau ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

Nombre d'inscrits sur les listes électorales
en Nouvelle-Calédonie, au 1er juillet 2023

Liste électorale

Nombre d'inscrits

Liste électorale générale

219 154

Liste électorale provinciale

178 374

Liste électorale spéciale à la consultation

185 004

Source : commission des lois d'après les données
du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie

Sont ainsi en débat : d'une part, la résolution de difficultés identifiées résultant d'incohérences dans les règles actuelles - sur lesquelles un consensus semble se nouer - et, d'autre part, l'introduction du principe d'un corps électoral restreint « glissant » en particulier pour les élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, conditionnant l'inscription sur la liste électorale à une durée de résidence minimale sur le territoire calédonien.

Trois incohérences identifiées de longue date quant aux règles d'inscription
sur les listes électorales spéciales calédoniennes

Des travaux menés par le rapporteur, il apparaît que trois difficultés identifiées, résultant d'effets de bord et d'incohérences induits par les règles aujourd'hui en vigueur, quant à l'inscription sur les listes électorales spéciales calédoniennes sont en voie de résolution.

D'un constat partagé entre l'ensemble des acteurs calédoniens, des ajustements paramétriques pourraient faire l'objet d'un consensus politique s'agissant :

- de l'écart entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffré par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

- du vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue ;

- de la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales.

En sus de ces évolutions paramétriques, des ajustements plus importants relatifs à la réouverture du corps électoral restreint aux personnes installées en Nouvelle-Calédonie, sans faire l'objet d'un consensus local entre les parties, sont appelés de ses voeux par l'État qui a pris à plusieurs reprises l'engagement de procéder au dégel partiel du corps électoral calédonien.

En ce sens, il a proposé, dans un premier temps, par la voix du ministre de l'intérieur et des outre-mer, l'instauration d'une condition de durée de résidence fixée à sept ans. Cette solution a été rejetée par les partis indépendantistes comme les partis non-indépendantistes - ces derniers plaidant pour une durée de résidence minimale de trois années - aucun consensus n'a, à ce jour, été conclu sur ce point.

C'est pourquoi, afin de traduire cet engagement, le Gouvernement a souhaité, conjointement à ce projet de loi organique, présenter un projet de loi de révision constitutionnelle « dont il entend qu'elle puisse s'appliquer aux prochaines élections pour le renouvellement général des assemblées de province et du congrès ». Comme l'expose l'étude d'impact sur le projet de loi organique, il « a souhaité engager un projet de réforme, en vue de corriger les distorsions qui sont nées des évolutions démographiques intervenues depuis 1998 ».

Ainsi, le Gouvernement a fait initialement le choix de lier les débats entourant la réforme du corps électoral spécial pour l'élection des membres du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie et le report de ces mêmes élections. Ce choix a suscité au sein de la classe politique calédonienne de vifs débats mettant ainsi en lumière un sujet de dissensus récurrent depuis plusieurs mois dans les discussions relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ; cette question étant également débattue non seulement à l'approche de chaque échéance électorale locale mais aussi lors de chaque révision annuelle de la liste électorale spéciale.

Un tel projet n'ayant pas été, à ce jour, inscrit à l'ordre du jour de l'une des deux chambres du Parlement, il ne revient pas, dans le cadre du présent rapport de se prononcer sur le fond de ce projet de révision constitutionnelle.

2. Un avis favorable exprimé par une large majorité transpartisane du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur le projet de loi organique, malgré les réserves méthodologiques et inquiétudes exprimées par les partis indépendantistes

En dépit du choix gouvernemental de lier les sujets, lors de la consultation pour avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur le projet de loi organique, obligatoire aux termes des articles 89 et 90 de la loi organique de 1999, une large majorité transpartisane s'est réunie pour émettre un avis favorable au texte.

Plus précisément, 38 membres du congrès ont exprimé un avis « favorable » au texte, quant 16 membres, tous issus du groupe UC-FLNKS et Nationalistes, ont émis un avis « défavorable ».

Votes exprimés par le congrès de Nouvelle-Calédonie
lors de la séance du 17 janvier 2024

Source : commission des lois d'après les données transmises
par le congrès de la Nouvelle-Calédonie

Lors des auditions des présidents et représentants des groupes politiques du congrès de la Nouvelle-Calédonie, le rapporteur n'a pu que constater l'accord unanime de l'ensemble des groupes quant au contenu des dispositions du projet de loi organique, indépendamment de l'exposé des motifs et des justifications énoncées par le Gouvernement.

Les deux groupes politiques indépendantistes ont néanmoins fait état, indépendamment du vote exprimé lors de la consultation du congrès sur ce texte, de réserves méthodologiques et d'inquiétudes quant à l'approche gouvernementale.

Ainsi, si l'Union nationale pour l'indépendance a, à l'unanimité des membres de son groupe, voté favorablement sur ce projet de loi organique, elle a, par la voix de son président Jean-Pierre Djaïwé émis des réserves de trois ordres. Ainsi, il a déploré que la position gouvernementale souffre « d'incohérences et d'une certaine légèreté dans le portage du dossier calédonien ». En outre, il a souligné avec insistance que cette position se cantonnait au contenu du projet de loi organique et ne saurait valoir satisfecit sur l'exposé des motifs du projet de loi qu'il juge « ambigu et décalé », et moins encore, sur le projet de loi constitutionnel « sur le dégel du corps électoral qui fait encore l'objet de discussions entre acteurs locaux calédoniens ». Enfin, il a rappelé que le vote unanime de son groupe au congrès de la Nouvelle-Calédonie avait pour seule motivation de « résolument créer les conditions pour que les discussions en cours aboutissent à un consensus nécessaire pour un accord global ».

De façon analogue, auditionné par le rapporteur, le président de l'Éveil Océanien, Milakulo Tukumuli, a rappelé la position pragmatique qui avait été celle des élus non-inscrits du congrès qui ont émis un avis favorable sur ce texte, et alerté sur les difficultés que le Gouvernement rencontrerait s'il soumettait, selon une procédure identique, le projet de loi constitutionnelle au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

À l'inverse, le groupe Union Calédonienne-FLNKS et Nationalistes, seul groupe politique à avoir voté défavorablement sur le texte, a exprimé « ses inquiétudes et questionnements quant à la motivation de ce texte, à la démarche engagée et à la méthode utilisée ». La justification de l'exposé des motifs selon lequel « le projet de loi constitutionnelle propose de corriger les distorsions croissantes entre le corps électoral pour l'élection des représentants de ces assemblées et le corps électoral général qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques intervenues depuis plus de deux décennies » a cristallisé les inquiétudes des partis indépendantistes qui y ont vu une volonté du Gouvernement de remettre en cause le principe acquis et irréversible depuis l'accord de Nouméa d'un corps électoral restreint, y compris pour la participation aux élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Auditionné par le rapporteur, Pierre-Chanel Tutugouro, président du groupe Union Calédonienne-FLNKS et Nationalistes au congrès, a confirmé la position de son groupe tout en rappelant que l'opposition portait principalement sur le contenu de l'exposé des motifs du projet de loi organique et non sur le strict principe du report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

En outre, les formations politiques non-indépendantistes - Les Républicains, les Loyalistes et Calédonie ensemble - ont salué le projet de report des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie. Ainsi, si certains à l'image de Sonia Backès appellent l'Etat à poursuivre l'engagement de la procédure permettant le dégel du corps électoral ou, comme Virginie Ruffenach, mettent en avant la tenue par l'Etat de ses engagements sur le dossier calédonien, Calédonie Ensemble a exprimé, par la voix de Philippe Michel, l'importance du report des élections afin de décentrer les acteurs locaux d'une éventuelle campagne électorale pour leur permettre « d'être au rendez-vous de l'histoire calédonienne ».

Enfin, les quatre parlementaires de la Nouvelle-Calédonie auditionnés par le rapporteur - Philippe Dunnoyer, Nicolas Metzdorf, Georges Naturel et Robert Wienie Xowie -, ont unanimement fait état de leur souhait que ce projet de loi organique puisse par le report d'une échéance électorale faciliter l'avancée des négociations et permettre la conclusion d'un accord global consensuel, susceptible d'être par la suite traduit dans les véhicules constitutionnels, organiques et législatifs nécessaires à leur adoption par le Parlement.

Le rapporteur se félicite de cette approche pragmatique, en particulier des représentants politiques indépendantistes, qui a permis d'apaiser le débat local et qui pose les bases d'un large consensus quant au report d'une échéance démocratique locale nécessaire pour fonder l'adoption par le Parlement d'un texte dérogeant ainsi aux dispositions organiques et ordinaires en vigueur.

II. ACCEPTER LE REPORT DES ÉLECTIONS PROVINCIALES ET DU CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, À LA SEULE FIN DE PERMETTRE LA CONCLUSION D'UN ACCORD GLOBAL TRIPARTITE RELATIF À L'AVENIR INSTITUTIONNEL

Suivant l'avis du rapporteur, la commission des lois a accepté le report de sept mois au plus tard des prochaines élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie proposé par le Gouvernement.

Plus précisément, elle a jugé que l'article unique du projet de loi organique remplissait trois critères justifiant son adoption :

- son caractère limité et justifié ;

- son caractère nécessaire afin de se prémunir de risques politiques et juridiques obérant la possibilité de conclure un accord tripartite global consensuel quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ;

- son caractère urgent, compte tenu des délais dérogatoires enserrant la tenue des prochaines élections provinciales et du congrès.

A. UN REPORT LIMITÉ ET JUSTIFIÉ PAR DES MOTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL, QUI RESPECTE LES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES

Conformément à l'article 34 de la Constitution, le législateur est compétent pour fixer la durée du mandat des élus locaux et donc la date des élections.

Il doit toutefois se conformer aux principes constitutionnels qui garantissent, sur le fondement de l'article 3 de la Constitution3(*), l'expression du suffrage des électeurs selon une périodicité raisonnable, la sincérité du scrutin et l'égalité entre les candidats4(*).

Comme l'avait souligné le président Jean-Louis Debré à l'occasion de sa mission sur les conditions d'organisation ou de report des élections régionales et départementales de mars 2021 lors de la crise sanitaire, « la démocratie repose sur le respect des échéances électorales déterminées par la loi et leur tenue dans les conditions les plus parfaites de liberté, d'équité et de sincérité »5(*).

Dès lors, il avait considéré que le report d'une échéance démocratique « ne peut être décidé que d'une main tremblante, en s'assurant que les motifs qui le justifient sont impérieux, non partisans, et font l'objet d'un diagnostic partagé »6(*).

Ainsi, si des dérogations à certains principes constitutionnels tels que l'égalité devant le suffrage ont été admises pour certaines élections locales en Nouvelle-Calédonie au titre XII de la Constitution, le constituant n'a jamais prévu, pour autant, de déroger à cette occasion aux principes d'une périodicité raisonnable ou de sincérité du scrutin. L'ensemble de ces principes constitutionnels doivent trouver à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie et ne sauraient, en conséquence, connaitre de dérogation que dûment justifiée et conforme aux exigences constitutionnelles.

Selon une jurisprudence constitutionnelle constante, le report d'une élection doit respecter deux conditions.

D'une part, le législateur doit définir avec suffisamment de précision le calendrier électoral et ainsi éviter tout risque d'incompétence négative. « En raison des garanties d'objectivité qui doivent présider à toute consultation électorale, le délai susceptible d'être retenu [pour l'organisation des élections] ne doit pas ouvrir à l'autorité administrative une possibilité de choix telle qu'elle puisse engendrer l'arbitraire »7(*).

En l'espèce, le projet de loi précise clairement que les prochaines élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie auront lieu au plus tard le 15 décembre 2024, date qui, si elle est contestée eu égard à son choix en ce qu'elle se tient au début des vacances scolaires estivales calédoniennes, n'en demeure pas moins claire et univoque.

Comme l'indique le Conseil d'État dans son avis, « la date du 15 décembre 2024, qui borne dans le temps la dérogation organisée par le projet de loi organique, résulte, selon les indications données par le Gouvernement, de la prise en compte de plusieurs exigences tenant au respect de la jurisprudence constitutionnelle applicable au report d'élections, aux attentes des partis néo-calédoniens, majoritaires au congrès, favorables à la révision constitutionnelle du corps électoral pour les élections provinciales qui ont indiqué ne pas souhaiter de report au-delà de cette date, au délai nécessaire, selon lui, à la mise en oeuvre de la réforme et enfin, au bon déroulement de la campagne électorale »8(*).

Plus précisément, ainsi que le rappelle l'étude d'impact du projet de loi organique, « la date précise sera déterminée par le décret de convocation des électeurs en fonction de la date de publication de la loi constitutionnelle et du délai nécessaire pour procéder à la révision complémentaire dans des conditions satisfaisantes »9(*).

Aussi, le Conseil constitutionnel a admis qu'il était également loisible au législateur de déroger à la règle, fixée par l'article L. 567-1 A du code électoral, selon laquelle il ne peut être procédé à une modification du régime électoral dans l'année qui précède le premier tour d'un scrutin, à condition d'y procéder en laissant un délai suffisant avant la date du scrutin, de façon à ne pas porter atteinte à sa sincérité10(*).

Dès lors, le rapporteur considère que la modification du terme des mandats précédents des élus des provinces et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, si elle constitue effectivement une modification du régime électoral l'année précédant le premier tour du scrutin, s'accompagne d'un délai de report suffisant pour ne pas entacher d'insincérité le prochain scrutin.

D'autre part, le report d'une élection doit être exceptionnel et transitoire mais également proportionné à l'objectif d'intérêt général poursuivi. Un scrutin ne peut, dès lors, être reporté que dans la limite du nécessaire.

En l'espèce, le report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie resterait limité, au plus, à sept mois et est justifié par le Gouvernement par un double motif.

S'agissant de la durée du report, dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d'État a estimé qu'un report « pour une durée de l'ordre de douze à dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel »11(*). Dès lors, un report limité, au maximum, à sept mois, n'apparait pas, aux yeux du rapporteur, susceptible de poser une quelconque difficulté constitutionnelle.

S'agissant du motif d'intérêt général justifiant un tel report, dans un premier temps, la dérogation ainsi prévue s'attachait à l'objectif de mise en oeuvre de la réforme du corps électoral pour les prochaines élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, matérialisé par la présentation en conseil des ministres par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, le 29 janvier 2024, d'un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie12(*).

Dans un second temps, comme l'a rappelé Stanislas Alfonsi, secrétaire général du Haut-Commissaire de la République française en Nouvelle-Calédonie devant le congrès saisi pour avis sur le projet de loi organique, « la volonté d'assurer la respiration démocratique nécessaire tout en laissant le temps au dialogue de se nouer, se densifier et éventuellement se conclure [constitue] la principale des raisons pour lesquelles il est proposé de reporter les élections »13(*). Sur ce point, « il a été estimé que nouer un dialogue et le conclure dans des conditions harmonieuses juste avant les élections qui devraient se tenir le 12 mai 2024, s'annonçait difficilement réalisable, (...) il est en effet apparu que les conditions pour trouver un accord global ne pourraient être réunies s'il fallait agir sous la pression d'une échéance électorale qui se produirait dans un délai trop bref, c'est-à-dire au mois de mai 2024 ».

Comme l'indique le Conseil d'État, le report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, « est justifié par un motif d'intérêt général tiré de de la mise en oeuvre d'une révision constitutionnelle prévoyant la réforme du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales »14(*).

De façon analogue, le rapporteur estime qu'un tel motif d'intérêt général est également constitué par les besoins inhérents à la conclusion d'un accord tripartite global consensuel quant à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, dont les prémices sont aujourd'hui suffisamment robustes et objectivables par le législateur organique comme le juge constitutionnel pour fonder une telle prolongation des mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Ainsi, eu égard au fait qu'il est limité à sept mois et qu'il poursuit des motifs d'intérêt général, ce report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie n'a paru à la commission contraire à aucune exigence constitutionnelle.

Le contrôle du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle restreint sur le calendrier électoral, rappelant qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ».

« Il ne lui appartient pas de rechercher si le but que s'est assigné le législateur pouvait être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif »15(*).

En pratique, le Conseil constitutionnel procède à une « pesée des avantages et des inconvénients »16(*) pour vérifier que le législateur n'a pas choisi une solution manifestement inappropriée.

Consultés par le rapporteur, les groupes politiques représentés au congrès de la Nouvelle-Calédonie ainsi que les élus du congrès non-inscrits - indépendantistes et non indépendantistes - se sont montrés en accord avec le calendrier proposé par le Gouvernement, bien que certaines formations politiques locales regrettent la méthode employée et contestent certaines justifications avancées par le Gouvernement.

En conséquence, suivant la position du rapporteur, la commission des lois a considéré que le report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard en décembre 2024, au lieu du mois de mai, tel que proposé par le Gouvernement respecte les exigences constitutionnelles et fait globalement consensus au sein de la classe politique calédonienne.

B. UN REPORT NÉCESSAIRE POUR SE PRÉMUNIR DES RISQUES POLITIQUES ET JURIDIQUES QUE LA TENUE D'UN TEL SCRUTIN SERAIT SUSCEPTIBLE D'EMPORTER, AU DÉTRIMENT D'UNE SOLUTION CONSENSUELLE GLOBALE TRIPARTITE

La commission des lois s'est d'ores et déjà prononcée en faveur d'un report, sous conditions, des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie prévues pour le mois de mai 2024.

En effet, de longue date, elle a, grâce aux travaux menés par François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille dans le cadre de leur mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie depuis mars 2022, estimé que si « l'horizon des élections provinciales doit constituer un butoir autant qu'un aiguillon pour l'aboutissement aussi rapide que possible des négociations en vue d'un accord (...), il ne serait pas réaliste de considérer cet horizon comme indépassable ». Dans le cadre du rapport final de la mission d'information, les rapporteurs avaient ainsi préconisé qu'« au regard de l'enjeu que représente l'aboutissement des discussions, on ne saurait exclure un éventuel report des élections s'il s'avérait impossible de procéder autrement, pour une durée nécessairement limitée par les impératifs de conformité à la Constitution ».

Cette recommandation semble avoir trouvé une traduction concrète dans le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie examiné et inscrit à l'ordre du jour du Sénat par le Gouvernement.

Aussi ne peut-elle qu'être favorable, dans son principe, au dispositif de l'article unique du projet de loi organique, et ce d'autant qu'il reprend les conditions qui avaient fait l'objet de sa recommandation. Elle avait, en effet, estimé qu'« il n'est en effet envisageable de reporter ces élections que pour une courte durée et seulement si un tel report devait finalement constituer une condition sine qua non de la réussite des négociations. Ce report exigerait alors l'adoption d'une loi et impliquerait que le Sénat et l'Assemblée nationale se prononcent par un mandat clair sur la conduite des négociations à l'occasion de l'examen de ce texte ».

Ainsi, les conditions qu'elle avait posées comme nécessaires à l'acceptation d'un report de ces élections sont aujourd'hui remplies, aux yeux du rapporteur. Il ne peut donc être accepté, qu'à ce seul motif lié à la réussite des négociations locales permettant d'aboutir à un accord tripartite global quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

De façon analogue et comme le rappelle le Gouvernement dans l'étude d'impact du projet de loi organique, « cette option n'exclut pas, évidemment, qu'un accord portant sur l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie soit conclu entre les partenaires politiques de l'accord de Nouméa au cours des prochains mois, et en tout état de cause avant les prochaines élections, ce qui rendrait nécessaire une révision constitutionnelle de plus grande ampleur et pourrait justifier un report des élections à une date ultérieure ».

Toutefois, le rapporteur tient à souligner que, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi, fût-il organique, il est loisible au Parlement d'adopter des dispositions proposées par le Gouvernement sans pour autant faire siennes les motivations avancées par ce dernier - celui-ci étant libre d'invalider, d'approfondir, de substituer ou d'accepter tout ou partie de celles-ci.

En ce sens, la commission des lois a considéré qu'un tel report des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie se justifiait, en sus de permettre la conclusion d'un accord tripartite consensuel global comme évoqué par le Gouvernement dans un second temps, eu égard aux risques politiques et juridiques que la tenue d'élections provinciales et au congrès sur la base des dispositions en vigueur résultant de l'accord de Nouméa serait susceptible d'emporter sur l'issue des négociations.

Ces risques, préalablement identifiés par la mission d'information précitée sont de deux ordres principaux.

Sur le plan juridique, le caractère transitoire de l'accord de Nouméa a seul permis de justifier les dispositions constitutionnelles innovantes fondant le régime temporaire de la citoyenneté calédonienne dont elles ont autorisé la création et les dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage qu'il comporte. Dès lors, compte tenu de l'achèvement du processus de Nouméa, l'organisation de nouvelles élections provinciales, prévues pour mai 2024 selon les principes définis par l'accord de Nouméa, soulèverait de sérieuses difficultés sur le plan constitutionnel que les rapporteurs de la mission avaient détaillées.

Des incertitudes quant au statut juridique actuel de l'accord de Nouméa
dont le caractère transitoire avait permis de justifier
des dérogations aux exigences constitutionnelles

Initialement prévu pour une durée de vingt ans et susceptible de se terminer après trois consultations relatives à l'autodétermination, l'accord de Nouméa continue aujourd'hui à s'appliquer.

Ainsi qu'énoncé dans son préambule, « cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation ». Dès lors, l'application de l'accord de Nouméa, signé en 1998, a déjà dépassé de plus de quatre ans la durée initialement envisagée par ses signataires.

Pour autant, l'accord de Nouméa ne prévoit pas de limite formelle à la durée de son application s'agissant des institutions dont il a prévu la mise en place et des compétences dont il a convenu du transfert.

Au contraire, il comporte des garanties destinées à éviter tout risque de vide juridique quant à la situation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, sources d'incertitudes juridiques supplémentaires. En effet, comme le stipule son point 5, « si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Et, soucieux de ne pas créer de vide juridique, les signataires de l'accord ont assorti cette affirmation d'une garantie ainsi rédigée « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Il est vrai cependant que le caractère purement transitoire des dispositifs prévus par l'accord a été consacré dans l'intitulé du titre XIII de la Constitution, introduit en 1998 dans le but d'assurer la conformité à la Constitution des mesures prévues par l'accord et d'en organiser les modalités d'approbation.17(*) On relèvera néanmoins que ce caractère « transitoire » renvoie à une période de transition dont les bornes n'ont été fixées par aucun texte.

Par ailleurs, si l'application prolongée dans le temps de ce texte semblait se justifier aux fins d'organiser les trois consultations prévues par ledit accord à son point 5, cette prolongation n'est pas sans conséquence.

L'accord de Nouméa ainsi que la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie contiennent nombre d'innovations juridiques qui constituent autant de dérogations à des principes constitutionnellement protégés, qui ont justifié la révision constitutionnelle de 1998.

À titre d'exemple, la création d'une citoyenneté calédonienne ouvrant des droits en matière électorale et instituant une préférence pour l'accès à l'emploi et au foncier à ses seuls détenteurs déroge aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage, de droit à la propriété privée et d'égal accès au travail.

Ces dérogations aux principes constitutionnels n'ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel qu'en raison de leur caractère « limité et temporaire »18(*).

De la même manière, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé conformes au protocole n° 1 de la Convention européenne les « restrictions mises pour pouvoir participer aux élections du Congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie » en raison notamment du caractère « inachevé et transitoire » du statut de la Nouvelle-Calédonie19(*).

En conséquence, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Alain Christnacht émettent des réserves quant à la possibilité d'organiser les prochaines élections provinciales en 2024 selon les modalités dérogatoires mais transitoires ainsi prévues par l'accord de Nouméa. Pour le premier, « les élections provinciales de 2024 constitueront à mon sens un moment de vérité. (...) Tout cela n'en reste pas moins fragile et repose sur une forme de fiction »20(*).

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les rapporteurs estiment que tant le caractère transitoire de l'accord que les dispositions constitutionnelles relatives à la Nouvelle-Calédonie rendent souhaitables des évolutions constitutionnelles et législatives mettant en place à un nouveau cadre constitutionnel pour l'archipel.

En raison de ce même caractère transitoire, l'organisation de nouvelles élections provinciales selon les principes définis par l'accord de Nouméa et la loi organique précitée pourrait soulever de sérieuses difficultés sur le plan constitutionnel.

Source : extraits du rapport d'étape de la mission, p. 18-22

Consulté le 7 décembre 2023 sur ce point, le Conseil d'État a, dans son avis, confirmé cette analyse.

En premier lieu, il a considéré que « le cadre juridique applicable à la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi organique du 19 mars 1999 demeure applicable après la troisième consultation, qui est intervenue le 12 décembre 2021 et a donné lieu à une réponse négative, aussi longtemps qu'une révision de la Constitution ne sera pas intervenue ».

En second lieu, constatant qu' « à défaut de modification des règles applicables [concernant le régime électoral des assemblées de province et du congrès], l'ampleur de ces dérogations ne pourrait en outre que s'accroître avec l'écoulement du temps », il a estimé que « si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l'existence d'un corps électoral spécifique, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l'accord de Nouméa est achevé ». Il a, de surcroît, précisé que « l'ampleur des dérogations aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage, auront, avec l'écoulement du temps, des effets excédant ce qui était nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa ».

Or, comme l'a déjà formulé à deux reprises la commission des lois, il convient à l'évidence d'organiser les prochaines élections provinciales sur des fondements juridiques incontestables.

Sur le plan politique, les auditions menées par les rapporteurs ont révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa. Sans s'accorder sur les modalités de résolution des difficultés résultant du statut actuel de la Nouvelle-Calédonie, les acteurs calédoniens rencontrés ont en partage leur insatisfaction à son endroit, confirmant la nécessité d'une réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie.

L'ensemble de ces éléments conduit les partis non-indépendantistes à menacer d'introduire des recours administratifs à l'encontre des actes pris pour organiser les élections provinciales y compris devant les juridictions européennes. Toutefois, comme évoqué précédemment, la compatibilité juridique des règles spécifiques à la Nouvelle-Calédonie en vigueur avec les engagements internationaux de la France, voire avec ses principes constitutionnels, est particulièrement incertaine.

De surcroit, indépendamment des actions pouvant émaner des partis politiques, il n'est pas souhaitable, aux yeux du rapporteur, de risquer qu'une érosion de l'adhésion aux échéances démocratiques locales ou qu'un boycott de celles-ci, comme cela a pu être constaté par le passé, soient observés, faute de report des élections dans l'attente de conclure un accord tripartite consensuel global.

Enfin, il va sans dire et d'un constat partagé avec le Gouvernement, que la tenue d'élections locales n'est pas de nature à faciliter la conclusion d'un tel accord entre formations politiques calédoniennes, indépendamment de leur proximité quant à la question de l'indépendance du territoire, qui seraient ainsi d'un côté mises en compétition face aux électeurs calédoniens et de l'autre réunies par un objectif partagé d'aboutir à un accord négocié entre elles.

Pour l'ensemble de ces raisons et aux seules fins de permettre la conclusion rapide d'un accord tripartite consensuel global et de se prémunir de tout risque politique ou juridique susceptible de porter atteinte au bon déroulement de telles négociations, la commission des lois, suivant l'analyse du rapporteur, a conclu à la nécessité d'un tel report des élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

C. UN REPORT URGENT COMPTE TENU DES DÉLAIS ENSERRANT SON ADOPTION ET SA MISE EN OEUVRE EFFECTIVE

a) La nécessité d'une entrée en vigueur avant le 13 avril 2024 des dispositions organiques reportant les élections provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie pour éviter l'édiction d'un décret de convocation des élections inapplicable

Par dérogation aux dispositions du code électoral régissant la convocation des électeurs, l'article 187 de la loi organique du 19 mars 1999, dispose que les élections provinciales calédoniennes doivent se dérouler dans le mois précédant l'expiration du mandat des membres sortants, en l'espèce le 12 mai 2024.

En outre, conformément à ce même article, le Gouvernement est tenu de convoquer les électeurs quatre semaines au moins avant la date du scrutin, soit selon le calendrier résultant des dispositions en vigueur, au plus tard le 14 avril 2024.

Il convient donc que la loi organique reportant les élections provinciales soit adoptée, examine par le Conseil constitutionnel - qui est obligatoirement saisi des lois organiques -, promulguée par le Président de la République et publiée au Journal officiel de la République française pour assurer son entrée en vigueur sur le territoire calédonien avant cette date, faute de quoi le Gouvernement devrait prendre un décret de convocation des élections, alors même qu'une loi organique de report des élections aurait été adoptée par les deux chambres.

Toutefois, une telle situation apparait difficilement conciliable avec les principes de sincérité du scrutin et risquerait de troubler les électeurs calédoniens dans un contexte politique déjà marqué par les difficultés entourant les négociations relatives à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Or, par dérogation au principe énoncé à l'article 1 er du code civil, l'article 6-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée dispose que « les lois (...) entrent en vigueur en Nouvelle-Calédonie à la date qu'[elles] fixent ou, à défaut, le dixième jour qui suit leur publication au Journal officiel de la République française ». Autrement dit, si le texte est adopté par le Sénat le 27 février comme il est prévu, il peut, d'après les analyses du rapporteur, espéré être inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en commission des lois la semaine du 4 mars puis en séance la semaine du 11 mars ou la semaine du 18 mars.

Il faudrait ensuite compter a minima huit jours pour que le Conseil constitutionnel statue - selon la procédure d'urgence - puis encore au moins une journée pour que le texte soit promulgué et publié au JORF, soit fin mars dans le meilleur des cas. Eu égard aux jours fériés en avril et en l'état du texte et faute de disposition expresse fixant la date d'entrée en vigueur de la loi organique, celle-ci devrait être publiée au JORF au plus tard le 4 avril

En conséquence, la commission a jugé, à l'initiative du rapporteur, particulièrement urgent de voter les dispositions de report des élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie compte tenu de ces difficultés et appelle le Gouvernement ainsi que l'Assemblée nationale à faciliter l'adoption rapide du texte afin de permettre son entrée en vigueur en temps utiles.

Les délais étant extrêmement contraints, il apparait donc particulièrement étonnant que le Gouvernement n'ait pas prévu de dispositions prévoyant l'entrée en vigueur de la loi organique le lendemain de sa publication au JORF. Un tel choix avait pourtant été retenu lors des deux précédentes lois organiques de 2015 et de 2018 relatives à l'organisation des consultations référendaires calédoniennes21(*).

En conséquence, la commission a adopté, à l'initiative du rapporteur, un amendement prévoyant l'entrée en vigueur au lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française de la présente loi organique afin de garantir son application en temps utile, compte tenu du calendrier législatif particulièrement contraint de ce texte et des dispositions particulières applicables à la convocation d'élections en Nouvelle-Calédonie. Une telle disposition expresse réduirait ainsi de dix à un jour le délai d'entrée en vigueur.

b) Un délai contraint de mise en oeuvre justifiant l'adoption rapide des dispositions reportant les élections provinciales et du congrès de Nouvelle-Calédonie

Si des interrogations subsistent sur la date effective du prochain renouvellement général des membres des provinces et du congrès de Nouvelle-Calédonie, des sujets très concrets doivent être traités avec anticipation pour s'assurer du bon déroulement du scrutin, d'autant plus compte tenu du système électoral calédonien.

En effet, la date du 15 décembre 2024 au plus tard, apparaît rapprochée au regard du calendrier de mise en oeuvre envisagé de la réforme qui nécessite, d'un constat partagé avec le Conseil d'État, « en sus des démarches habituelles, l'adoption d'un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres précisant les mesures nécessaires à l'organisation de ces prochaines élections et l'ouverture d'une période de révision complémentaire de la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province, par dérogation aux dispositions de l'article 189 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie »22(*).

Ainsi, comme le précise l'étude d'impact du projet de loi organique, « en amont du scrutin, les communes devront prévoir, outre la révision annuelle prévue du 1er mars au 30 avril 2024, une révision complémentaire de la liste électorale spéciale, étant précisé que les maires sont membres des commissions administratives spéciales qui révisent cette liste électorale spéciale conformément à l'article 189 de la loi organique du 19 mars 1999 »23(*). À titre d'illustration et d'après les informations transmises au rapporteur, pour la seule révision annuelle de 2023, 111 commissions se sont réunies en un mois dans les 33 communes calédoniennes afin de procéder à l'inscription et au retrait d'électeurs sur la liste électorale spéciale pour participer aux scrutins provinciaux et du congrès de Nouvelle-Calédonie.

En outre, ces travaux, conformément à la pratique éprouvée depuis la signature de l'accord de Nouméa, impliqueront la participation de magistrats de la Cour de cassation ainsi que d'observateurs de l'Organisation des Nations Unies.

Interrogé sur la faisabilité technique d'un tel calendrier, Louis Le Franc, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a indiqué que l'ensemble des mesures préparatoires à l'organisation de ce scrutin avait été identifié et planifié et que les services de l'Etat étaient pleinement mobilisés pour assurer la tenue régulière du scrutin lorsqu'il serait convoqué.

Dès lors, la commission a estimé, suivant l'avis du rapporteur, que le délai prévu, bien que limité, n'en demeurait pas moins suffisant pour permettre la bonne tenue du scrutin et a jugé indispensable que cette disposition soit rapidement adoptée par les deux assemblées, pour en garantir sa mise en oeuvre effective.


* 2 L'on pense en particulier à l'affrontement des différentes acceptions du corps électoral « gelé » ou « glissant ».

* 3 L'article 3 de la Constitution dispose notamment que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».

* 4 Conseil constitutionnel, décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.

* 5 « Quelle date et quelle organisation pour les élections régionales et départementales ? », rapport remis au Premier ministre le 13 novembre 2020, p. 4.

* 6 Ibidem.

* 7 Conseil constitutionnel, décision n° 87-233 DC du 5 janvier 1988, Loi relative aux élections cantonales.

* 8 Avis n° 407931 du Conseil d'État sur le projet de loi organique, 25 janvier 2024.

* 9 Étude d'impact du projet de loi organique, p. 3.

* 10 Conseil constitutionnel, décision n° 2008-563 DC du 21 février 2008, Loi facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général.

* 11 Avis n° 407713 du Conseil d'État relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, 7 décembre 2023.

* 12 Compte-rendu du Conseil des ministres du 29 janvier 2024.

* 13 Rapport n°14 du 11 janvier 2024 de la commission de la législation et de la réglementation générales du congrès de la Nouvelle-Calédonie relatif à l'examen du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie, p. 3.

* 14 Avis du Conseil d'État précité.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, Loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.

* 16 Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat.

* 17 Lequel s'intitule : « Dispositions transitoires à la Nouvelle-Calédonie ».

* 18 Conseil constitutionnel, décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 sur la loi organique du 19 mars 1999.

* 19 Cour EDH, 11 janvier 2005, Py c. France, req. n° 66289/01.

* 20 Audition par la commission des lois dont le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220606/lois.html.

* 21 Voir articles 8 et 10 des lois organiques n° 2015-987 du 5 août 2015 relative à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

* 22 Avis du Conseil d'État précité, p. 2.

* 23 Étude d'impact du projet de loi, p.6.

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