C. LA SOLIDARITÉ INTERMINISTÉRIELLE NE SUFFIT PAS À BOUCLER LE SCHÉMA DE FIN DE GESTION

1. Sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » : une compensation imparfaite des surcoûts opérationnels

Dans sa version initiale, le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) pour 2023 en cours d'examen au Parlement prévoit des ouvertures nettes de crédits sur la mission « Défense » à hauteur de 2,4 milliards d'euros en AE et 2,1 milliards d'euros en CP.

Les ouvertures nettes de crédits demandées en PLFFG sur le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » s'élèvent à 1,56 milliard d'euros en AE et 1,54 milliard d'euros en CP.

L'ouverture en CP permet de financer l'intégralité de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM et du soutien à l'Ukraine (692 millions d'euros)

Ainsi, seuls 850 millions d'euros resteraient disponibles pour financer la compensation des surcoûts, ce qui permet concrètement de couvrir ceux liés à la hausse du coût des carburants extérieurs et aux déploiements opérationnels sur le flanc Est de l'Otan, mais pas ceux liés aux opérations extérieures et missions intérieures, dans la lignée des exercices précédents.

Évolution des surcoûts liés aux opérations extérieures
et aux missions intérieures

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le rapporteur spécial ne peut à cet égard que réitérer sa critique, déjà formulée, lors des exercices précédents, du financement des surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures par redéploiement des crédits au sein de de la mission « Défense » et non par des crédits additionnels, à rebours des dispositions de l'article 4 de la LPM 2019-2025.

Pour assurer le financement du surcoût sur ce programme, le ministère des Armées compte sur :

- l'annulation de crédits mis en réserve, dont une partie a déjà été dégelée de façon anticipée début novembre (180 millions d'euros) ;

- le décalage en 2024 de paiements au titre de certaines opérations d'infrastructures ou de certains marchés de maintien en condition opérationnelle. Il est précisé que des décalages ne concerneraient ni la dissuasion, ni l'activité opérationnelle, ni le soutien aux bases de défense.

2. Sur le programme n° 146 « Équipement des forces » : une part importante de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM n'est pas financée par des crédits frais, mais serait rendue possible par un dégel des crédits mis en réserve

Les ouvertures nettes de crédits demandées en PLFFG sur le programme n° 146 « Équipement des forces » s'élèvent à 949,2 millions d'euros en AE et 571 millions d'euros en CP.

L'ouverture en CP est loin de permettre d'assurer à elle seule le financement des ouvertures brutes requises au titre de l'enveloppe exceptionnelle d'entrée dans la LPM et du soutien à l'Ukraine, qui s'élève à 1,1 milliard d'euros.

Le financement de l'excédent (505 millions d'euros) doit être financé grâce au dégel de crédits mis en réserve. Début novembre, 230,7 millions d'euros déjà été dégelés. D'après les informations transmises au rapporteur spécial par le ministère des Armées, un dégel intégral de la réserve de précaution est attendu d'ici la fin de l'année, soit au total 922,9 millions d'euros. Ce dégel s'établirait ainsi à un niveau nettement supérieur à celui qui avait été atteint en fin de gestion 2022 (488 millions d'euros).

Les annulations brutes qui résulteront de ce dégel pour assurer le financement du surcoût seraient rendues possibles par le décalage en début de gestion 2024 d'une série de paiements relatifs à certains programmes d'armement avec, selon le ministère, « un impact maîtrisé sur le déroulement de ces programmes ».

Il n'en reste pas moins que, contrairement à ce qui semblait avoir été annoncé, l'enveloppe « pré-LPM » n'est pas intégralement financée par crédits frais et implique la mise en oeuvre de décalages de programmes (notamment les programmes d'armement relatifs aux hélicoptères de transport NH90 et aux avions ravitailleurs MRTT).

Il est enfin à noter que, lors de l'examen du PLFFG en première lecture à l'Assemblée nationale, le Fonds spécial Ukraine a été ré-abondé de 200 millions d'euros sur le programme n° 146 « Équipement des forces », soit une reconduction du dispositif institué dans le cadre de la fin de gestion 2022 (voir encadré).

Le fonds spécial pour l'Ukraine

Le fonds spécial pour l'Ukraine s'articule autour de deux mécanismes distincts :

1° un « fonds AIG », soutenu par un accord inter-gouvernemental (AIG) signé par le ministre français des Armées et le ministre ukrainien de la Défense le 13 octobre 2022 et entré en vigueur le 4 janvier 2023. L'AIG est valable pour une durée d'un an et prévoit, sous couvert d'éligibilité, des dons en remboursement des acquisitions réalisées par l'Ukraine auprès de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française ;

Les contrats signés et déclarés éligibles au remboursement au titre du fonds AIG portent sur :

- des canons Caesar ;

- des munitions pour canons Caesar ;

- des pièces de rechanges et outillages spécifiques pour canons Caesar ;

- un système de radar « Control Master 200 » ;

- des ponts flottants motorisés.

2° un « fonds d'acquisition national », qui est destiné à couvrir les achats d'équipements ou de prestations par l'État au profit de l'Ukraine.

Les acquisitions réalisées par la France portent sur la mise en configuration ou la remise en état de matériels avant cession gratuite, l'acheminement vers l'Ukraine d'équipements cédés, des formations, la traduction de documentation technique, voire exceptionnellement l'acquisition d'équipements en vue de cessions.

Une enveloppe globale de 200 millions d'euros au titre de ce fonds en loi a été prévue par la loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022. À date, 196,7 millions d'euros ont été engagés et 107,1 millions d'euros ont été décaissés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

3. En synthèse, près du quart des surcoûts totaux est laissée à la charge du ministère des Armées

Ainsi, au bilan, les besoins à financer pour le ministère des Armées au titre de l'amélioration des conditions d'entrée dans la LPM, du soutien à l'Ukraine et des surcoûts opérationnels s'élèvent à 2,9 milliards d'euros en CP.

Ces besoins ne sont couverts qu'à hauteur de 2,2 milliards d'euros d'ouvertures nettes de crédits en CP (hors Fonds spécial pour l'Ukraine), laissant un peu plus du quart du surcoût global à la charge du ministère des Armées. Pour les financer, celui-ci a dû procéder à des annulations brutes de crédits, rendues possibles grâce à des décisions de dégel de la réserve de précaution, qui ont entraîné certains décalages de programmes sur 2024.

Ces décalages, qui s'ajoutent à un report de charges maintenu à un niveau important, font entrer le ministère des Armées « à crédit » dans la nouvelle LPM.

Synthèse du schéma de fin de gestion (CP)

(en millions d'euros)

Besoins à financer

Schéma de fin de gestion

Programme n° 146 « Équipement des forces »

Soutien à l'Ukraine

176

Ouvertures nettes (PLFFG)

571

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - réduction du report de charges

200

Enveloppe exceptionnelle pré -LPM - anticipation de commandes

700

Annulations

505

Total

1 076

Programme n° 178 « Préparation et emploi des forces »

Soutien à l'Ukraine

192

Ouvertures nettes (PLFFG)

544

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - réduction du report de charges

100

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM - anticipation de commandes

400

Surcoûts opérationnels

1 000

Annulations

148

Total

1 692

Programme n° 212 « Soutien de la politique de la défense »

Enveloppe exceptionnelle - réduction du report de charges

100

Ouvertures nettes en (PLFFG)

60

Annulations

40

Total

Soutien à l'Ukraine

368

Ouvertures nettes en (PLFFG)

2 175

Enveloppe exceptionnelle pré-LPM

1 500

Surcoûts opérationnels

1 000

Annulations

693

Total

2 868

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère des Armées

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