B. LE PROGRAMME 110 : UNE BAISSE CONJONCTURELLE DES CRÉDITS QUI SUIT LE RYTHME DE RECONSTITUTION DES GRANDS FONDS MULTILATÉRAUX

Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » retrace les crédits confiés au ministère de l'économie et des finances et, plus particulièrement, à la direction générale du Trésor, pour la mise en oeuvre des actions relevant de l'aide publique au développement.

Les montants de crédits demandés diminuent de 1,1 milliard d'euros en AE, soit une baisse de 29 % par rapport à 2023, mais restent stables en CP. La baisse des crédits en AE s'explique essentiellement par les cycles de refinancement des fonds internationaux. En effet, l'exercice 2023 avait été marqué par la reconstitution du Fonds vert pour le climat (960 millions d'euros ouverts en AE) et du Fonds africain de développement (FAD, 580 millions d'euros ouverts en AE).

Évolution des crédits du programme 110 - Aide économique
et financière au développement

(en millions d'euros - en pourcentage)

 

LFI 2023

PLF 2024

Évolution
en valeur

Variation en pourcentage

Variation corrigée de l'inflation*

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

110 - Aide économique et financière au développement

3 836,9

2 337,9

2 727,1

2 337,9

- 1 109,8

0

- 28,9

-

- 30,7

-

Aide économique et financière multilatérale

2 012,3

1 672,7

681,8

1 490,3

- 1 330,5

- 182,4

- 66,1

- 10,9

- 66,9

- 13,1

Aide économique et financière bilatérale

1 723,3

549,2

2 045,3

734

322,1

184,9

18,7

33,7

15,8

30,4

Traitement de la dette des pays pauvres

101,3

116

0

113,6

- 101,3

- 2,5

-

- 2,2

-

- 4,5

Note : la prévision d'inflation retenue correspond à la variation de l'indice des prix à la consommation hors tabac figurant au rapport social, économique et financier annexé au PLF pour 2024.

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

1. Des aides multilatérales en baisse qui suivent le rythme de reconstitution des grands fonds internationaux

À de nombreux égards, la dynamique budgétaire de l'action Aide économique et financière multilatérale entre 2023 et 2024 constitue une illustration des effets financiers, sur l'ensemble de la mission, des successions des cycles de reconstitution des grands fonds internationaux.

Pour rappel, ces reconstitutions font l'objet d'un engagement unique en autorisations d'engagement, avec un échéancier pluriannuel de versement en crédits de paiement.

Les dépenses de l'action « Aide économique et financière multilatérale » se caractérisent par une cyclicité et une pluriannualité certaines. Or cette action représente près d'un quart des crédits de la mission, ce qui rend complexe son pilotage budgétaire.

L'exercice 2023 avait été marqué par une augmentation de 7,8 % des autorisations d'engagement et de 32,7 % des crédits de paiement. Cette progression visait à répondre aux engagements de la France pour la reconstitution de grands fonds multilatéraux. Environ 960 millions d'euros avaient été ouverts en AE pour financer les engagements de la France au titre du Fonds vert pour le climat. De même, la reconstitution du Fonds africain de développement a conduit à l'ouverture de 580 millions d'euros en AE.

Pour 2024, les crédits demandés pour l'aide multilatérale du programme 110 baisse de près de 70 % en autorisations d'engagements et de 13 % en crédits de paiement. Malgré cette baisse globale des crédits au niveau de l'action, plusieurs dépenses nouvelles peuvent être signalées.

Premièrement, 75 millions d'euros sont ouverts en AE et en CP au titre de contributions aux fonds fiduciaires de la Banque mondiale. Ces contributions viennent répondre à une recommandation de la Cour des comptes dans son rapport comparatif sur les politiques d'aide au développement du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne13(*), rendu public en avril 2023. La Cour soulignait qu'à la différence de ses voisins allemands et britanniques, la France n'avait recours que de manière exceptionnelle aux fonds fiduciaires. Or ces dispositifs permettent aux contributeurs de spécifier l'usage des fonds qu'ils apportent. Les contributions financées sur les crédits ouverts en 2024 devraient correspondre aux priorités stratégiques françaises.

Deuxièmement, 120 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement sont proposés par le projet de loi de finances au titre de la participation française à l'Assistance macro-financière plus (AMF+ ) en faveur de l'Ukraine. Ce mécanisme, créé par le règlement (UE) 2022/2463 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022, vise à combler le déficit de financement de l'Ukraine. Il repose sur des prêts, assortis de conditions très favorables, pour un montant maximal de 18 milliards d'euros. La contribution française à l'AMF+ est évaluée à 120 millions d'euros par an sur 2024-2027, pour un total de 480 millions d'euros. Cependant, plutôt que d'engager directement 480 millions d'euros en AE, le projet de loi de finances pour 2024 retient une présentation en AE=CP, moins en phase avec le principe de sincérité budgétaire.

Troisièmement, ce sont 137,8 millions d'euros en AE et 28,8 millions en CP qui seront ouverts en 2024 pour financer la contribution de la France au Fonds international de développement agricole (FIDA). Le montant des CP proposés correspond au paiement de la dernière tranche de la contribution française au FIDA pour 2022-2024. Les AE ouvertes en 2024 représentent le total de la contribution française au titre de la reconstitution du fonds pour la période 2025-2027. Cette contribution est en nette hausse pour la nouvelle reconstitution (+ 30 % en dollars), en cohérence avec la priorité donnée par la France à la sécurité alimentaire mondiale.

2. Une aide bilatérale en augmentation, conséquence du renchérissement des opérations de bonifications des prêts concessionnels de l'AFD et de dépenses nouvelles

Concernant le volet bilatéral du programme 110, les crédits demandés pour 2024 augmentent de 322,1 millions d'euros en AE (+ 15,7 %) et de 184,9 millions en CP (+ 30,4 %).

Cette hausse des crédits demandés s'explique essentiellement par le renchérissement des opérations de bonification des prêts accordés par l'Agence française de développement. En effet, afin de permettre à l'AFD de prêter à des taux concessionnels aux bénéficiaires de l'aide au développement, l'État assume, par le versement de crédits de bonification, la différence entre le coût de financement de l'AFD et le taux auquel elle prête.

Or, dans le contexte de remontée des taux d'intérêts au niveau mondial, les coûts de financement de l'AFD ont augmenté alors même que, pour être regardés comme concessionnels, les taux qu'elle propose doivent rester inférieurs à un seuil fixé par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. L'écart entre le taux servi par le préteur et le taux de référence fixé par le CAD constitue la référence pour déterminer le montant de l'élément-don du prêt comptabilisé en aide publique au développement au sens des statistiques internationales.

Pour maintenir à niveau constant l'aide générée par les prêts de l'AFD, il a été décidé d'accroitre significativement le montant des crédits destinés à la bonification de ces prêts à hauteur de 322,1 millions d'euros. En l'absence d'une telle bonification, l'AFD aurait pu augmenter son volume d'activité au-delà des 12 milliards d'euros actuels. Cette solution aurait toutefois conduit à renchérir le coût des activités de l'agence par d'autres canaux, en particulier via une hausse des fonds propres de l'AFD en application de ses obligations réglementaires et prudentielles.

Évolution du coût des opérations de bonifications
des prêts concessionnels de l'AFD

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Outre l'augmentation du coût des opérations de bonifications des prêts concessionnels de l'AFD, plusieurs augmentations de crédits et dispositifs nouveaux peuvent être signalées.

Tout d'abord, le projet de loi de finances propose le doublement des aides budgétaires globales (ABG) qui passeraient de 60 à 120 millions d'euros en AE=CP. Les aides budgétaires globales sont accordées à des pays en situation de vulnérabilité afin de leur permettre de faire face aux déséquilibres de leurs finances publiques et d'engager des réformes structurelles. Ces aides peuvent être bilatérales, afin de permettre à l'État bénéficiaire de faire face à un choc sécuritaire, climatique ou économique, ou destinées aux organisations régionales. Elles bénéficient essentiellement aux pays et organisations régionales d'Afrique subsaharienne.

Ce doublement des aides budgétaires globales correspond aux orientations décidées par le CICID de juillet 2023.

Ensuite, le Fonds d'innovation et d'expérimentation en matière de développement (FID) voit également ses crédits doubler et passer de 10 à 20 millions d'euros en AE et de 12 à 22 millions d'euros en CP. Créé en 2021, le fonds est hébergé par l'AFD et dirigé par Esther Duflo. Il soutient la recherche fondée sur des démarches expérimentales d'évaluation d'impact en matière de développement.

La hausse des crédits du FID vise à accompagner sa montée en puissance et à financer une équipe d'appui au processus de sélection des projets.

Enfin, des nouveaux crédits sont ouverts pour financer l'initiative « Food and Agriculture Resilience Mission » (FARM). Lancé par la France en septembre 2022 pour renforcer la sécurité alimentaire mondiale, ce projet renforce l'accès aux financements des petits entrepreneurs agroalimentaires. Il serait doté de 40 millions d'euros en AE et de 32 millions d'euros en CP.

Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2024 introduit un nouveau dispositif de prêts concessionnels aux pays les moins avancés (PMA). Actuellement, les prêts concessionnels sont inaccessibles aux PMA qui ne bénéficient que de prêts directs du Trésor. Afin de pallier cette difficulté et de soutenir l'investissement dans ces pays, une enveloppe de 50 millions d'euros en AE et de 10 millions d'euros en CP serait ouverte en 2024.

3. La France continue d'assumer une part du coût de l'annulation de la dette détenue par des grands bailleurs internationaux sur des pays très pauvres

L'action « Traitement de la dette des pays pauvres » du programme 110 retrace les versements effectués au profit de l'AFD ou d'institutions multilatérales en contrepartie du coût de l'annulation des créances qu'elles détiennent sur des pays en développement.

Pour mémoire, la France préside et assure le secrétariat du Club de Paris qui réunit 22 pays créanciers afin d'apporter des solutions coordonnées et durables aux problématiques soulevées par l'endettement des pays en voie de développement.

En outre, elle est partie à plusieurs accords bilatéraux ou multilatéraux visant l'annulation de l'endettement concessionnel, c'est-à-dire relatif à des emprunts contractés à des conditions préférentielles dans le cadre de la politique d'aide au développement, notamment :

- les accords de Dakar de 1989 et 1994 ainsi que l'accord faisant suite à la Conférence de Paris de 1990 prévoyant l'annulation de créances de l'AFD sur plusieurs pays d'Afrique subsaharienne ;

- les conclusions du sommet du G8 de Gleneagles de 2005 prévoyant l'annulation de certaines créances de l'Association internationale de développement (AID) envers des pays pauvres et très endettés.

Pour 2024, 113,5 millions d'euros sont demandés en crédits de paiement. Aucune nouvelle autorisation d'engagement n'est demandée. Les crédits de paiement se répartiraient entre :

- 83,13 millions d'euros afin d'honorer la part de la France dans le financement de l'opération d'annulation d'une partie des créances détenues par l'Association internationale de développement sur les pays très pauvres et très endettés (PPTE) envers la Banque mondiale ;

- 30,41 millions d'euros afin d'honorer la part de la France dans le financement de l'opération d'annulation d'une partie des créances détenues par l'Association internationale de développement sur les pays très pauvres et très endettés (PPTE) envers le Fonds africain de développement.

Le Fonds de solidarité pour le développement

Le fonds de solidarité pour le développement (FSD) est un fonds sans personnalité juridique créé par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2005 et géré par l'AFD. Il finance des dépenses d'aide au développement, principalement multilatérales, en matière de santé et de climat.

Les principaux bénéficiaires des versements du FSD en 2023 sont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la facilité d'achat de médicaments, la facilité de financement internationale pour la vaccination et le Fonds vert pour le climat.

Le FSD est financé via l'affectation de deux taxes :

- la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA), créée en 2006, pour un montant plafond de 210 millions d'euros ;

- la taxe sur les transactions financières (TTF), créée en 2013, pour un montant plafond de 528 millions d'euros.

Pour 2024, comme en 2023, le plafond du FSD est fixé à 738 millions d'euros.

La Cour des comptes propose, depuis sa note d'exécution budgétaire pour la mission « Aide publique au développement » sur l'exercice 2021, de rebudgétiser l'intégralité des ressources du FSD au nom des principes d'unité et de transparence budgétaire. La forte diminution du rendement de la TSBA lors de la crise sanitaire a démontré la fragilité du financement du dispositif. Toutefois, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères défend le maintien d'un dispositif auquel la société civile est attachée.


* 13 Cour des comptes, « Comparaison des politiques française, allemande et britannique d'aide publique au développement », avril 2023.

Partager cette page