B. LES CRÉDITS DÉDIÉS À LA PRIME D'ACTIVITÉ ET L'AAH, QUI REPRÉSENTENT L'ESSENTIEL DES CRÉDITS DE LA MISSION, SONT MARQUÉS PAR UN FORT DYNAMISME EN 2024

À elles seules, la prime d'activité (10,5 milliards d'euros) et l'AAH (13,7 milliards d'euros) représentent à elles seules plus des trois quarts des crédits demandés pour la mission en PLF 2024 (78,6 %).

Part de la prime d'activité et de l'AAH
dans les crédits demandés pour la mission en PLF 2024 (CP)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat

1. Le coût de la prime d'activité, qui permet de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes, dépasse le seuil des 10 milliards d'euros
a) La prime d'activité avait constitué un puissant instrument de pouvoir d'achat pour répondre à diverses urgences sociales

La prime d'activité, créée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, a remplacé au 1er janvier 2016 la part « activité » du revenu de solidarité active (RSA) ainsi que la prime pour l'emploi (PPE). Cette prime est versée aux personnes en activité professionnelle dont les ressources sont inférieures à un certain montant garanti - pour une personne célibataire sans enfant, ce montant est égal à environ 1 885 euros net par mois fin 2022. Son montant est revalorisé automatiquement au 1er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Formule de calcul de la prime d'activité

Le montant de la prime d'activité est calculé sur la base d'un montant forfaitaire variable en fonction de la composition du foyer (dont le nombre d'enfants à charge), auquel s'ajoutent les revenus professionnels pris en compte à hauteur de 61 % afin de favoriser l'activité. Pour mémoire, le montant forfaitaire de la prime d'activité s'élève à 586,23 euros (depuis le 1er juillet 2022) pour un foyer composé d'une personne seule sans enfant.

Le montant forfaitaire de la prime d'activité peut être bonifié selon le salaire mensuel de chaque membre du foyer (moyenne sur les 3 derniers mois), à condition que ces revenus soient supérieurs à 653,13 euros. Le montant de la bonification est croissant à partir de ce montant. Il s'échelonne entre quelques euros, comme 26,30 euros pour un salaire net mensuel de 700 euros, et plus d'une centaine d'euros, comme 170,60 euros pour un salaire moyen supérieur à 1 328,40 euros. Au-delà de ce salaire, le montant de la bonification demeure constant.

La prime d'activité est ouverte aux jeunes actifs dès 18 ans, ainsi qu'aux étudiants et aux apprentis ayant perçu, au cours des trois derniers mois, un salaire mensuel supérieur à 78 % du SMIC. Elle a également été ouverte à compter du 1er juillet 20161(*) aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui travaillent en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou en milieu ordinaire.

Les dépenses liées à la prime d'activité ont fortement augmenté à compter de 2019, le dispositif ayant constitué l'un des principaux vecteurs utilisés par le Gouvernement pour répondre à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». Par ailleurs, la communication qui a entouré la mise en oeuvre de cette réforme a conduit à augmenter le taux de recours de personnes déjà éligibles mais qui n'avaient pas sollicité la prime d'activité. Les effectifs ont connu une croissance très dynamique à partir de janvier 2019 et ce, jusqu'à mars 2020, sous l'effet de la mise en oeuvre de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité en application de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales.

Les revalorisations de prime d'activité décidées en 2018 et 2019

La prime d'activité a été revalorisée afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs modestes et particulièrement ceux rémunérés au Smic :

- le montant forfaitaire de la prime d'activité a été revalorisé de 20 euros à compter du 1er août 2018 ;

- le montant maximal de la composante individuelle de la prime d'activité, le bonus, a été revalorisé de 90 euros à compter du 1er janvier 2019, passant de 70,49 euros à 160,49 euros, en application du décret n° 2018-1197 du 21 décembre 2018 relatif à la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Versé à chaque membre du foyer dont les revenus sont supérieurs à 0,5 Smic, le montant du bonus est croissant jusqu'à 1 Smic où il atteint son point maximal. Il reste stable au-delà ;

Tableau : Impact des mesures réglementaires de revalorisation de la prime d'activité
en masses financières, tous régimes

(en millions d'euros)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

A la fin du troisième trimestre 2022, plus de 4,6 millions de foyers sont bénéficiaires de la prime d'activité, tous régimes confondus. Selon les dernières prévisions de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), les effectifs des bénéficiaires se stabiliseraient à partir de 2022.

Effectifs des bénéficiaires de la prime d'activité depuis 2016

(nombre de bénéficiaires)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Il est à noter, au 1er juillet 2022, une revalorisation anticipée des prestations (dont la prime d'activité) à hauteur de 4 % dans le cadre de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Le montant forfaitaire est passé de 563,68 euros à 586,23 euros. Les premiers travaux engagés entre la direction du budget et la DGCS indiquent une hausse de dépenses de prime d'activité de 190 millions d'euros en 2022 et de 660 millions d'euros en 2023 du fait des mesures de revalorisation à l'inflation.

b) Un montant prévisionnel de 10,5 milliards d'euros en 2024, qui interroge au vu de la prévision d'exécution pour 2023

À sa mise en place en 2016, la prime d'activité présentait un bilan légèrement supérieur à 5 milliards d'euros de dépenses. En 2019, la hausse du nombre d'allocataires liée aux revalorisations du montant forfaitaire de la prime d'activité a conduit à une augmentation de la dépense à près de 9,8 milliards d'euros. Depuis 2019, les dépenses de la prime d'activité ont connu un taux de croissance annuel moyen de 3,6 %. Les masses financières versées au titre de la prime d'activité atteindraient ainsi plus de 10,7 milliards d'euros en 2023, soit une hausse de 4,3 % par rapport à 2022.

En PLF 2024, 10,5 milliards d'euros en AE et CP sont prévus au titre de ce dispositif, soit une hausse de seulement 0,7 % par rapport à la prévision 2023.

Évolution des crédits prévus et consommés au titre de la prime d'activité (CP)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Plus inhabituel, la prévision pour 2024 s'inscrirait en baisse (de 200 millions d'euros, soit - 2,3 %) par rapport à l'exécution attendue en 2023. Une diminution de la prime d'activité apparaît difficilement concevable au regard de la tendance observée lors des exercices antérieurs, a fortiori dans un contexte de revalorisations régulières dues à l'inflation. Cet élément fait planer un doute sur la fiabilité de la budgétisation pour 2024 (cf supra).

2. L'AAH, qui garantit un revenu minimum aux personnes en situation de handicap, connaît une progression soutenue du fait de sa « déconjugalisation »
a) Une dépense structurellement dynamique

L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social versé, sous conditions de ressources, aux personnes handicapées de plus de vingt ans2(*). Elle est subsidiaire par rapport à d'autres prestations, comme les pensions d'invalidité, les rentes d'accident du travail ou les avantages vieillesse.

Elle peut se cumuler avec des ressources personnelles, y compris des revenus d'activité3(*), dans la limite d'un plafond annuel, fixé à 11 480 euros pour une personne seule sans enfant depuis le 1er juillet 20224(*) (soit 956 euros par mois en tenant compte des revalorisations de 2022). Son montant est revalorisé automatiquement au 1er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Afin de bénéficier de cette allocation, la personne handicapée doit être atteinte, soit d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (« AAH- 1 »), soit d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 %, et présenter une restriction substantielle et durable5(*) pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ne pouvant être compensée par des mesures d'aménagement du poste du travail (« AAH- 2 »).

Ces conditions sont appréciées par les commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) après instruction par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Les dépenses d'AAH sont structurellement orientées à la hausse. Depuis 2018, la dépense aurait ainsi connu une progression de 44 % pour s'établir à 12,7 milliards d'euros en 2023 selon les dernières estimations de la CNAF, avec un taux de croissance annuelle moyen de 6,3 %. Cette tendance haussière structurelle résulte principalement :

- des évolutions démographiques, avec le vieillissement de la population. Le risque de survenance d'un handicap et le taux de prévalence de l'AAH augmentent avec l'âge ;

- du faible taux de sortie du dispositif pour l'AAH : seuls 7,7 % des bénéficiaires sont sortis en 2017 ;

- de l'extension du champ et de la reconnaissance du handicap, qui a joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des dépenses d'AAH.

Croissance de la dépense d'AAH depuis 2018

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

S'agissant des bénéficiaires, l'effectif de bénéficiaires de l'AAH est de 1 297 455 personnes au 31 décembre 2022, (France entière, y compris Mayotte, mais hors Saint-Pierre-et-Miquelon), tous régimes confondus. Cet effectif est en hausse de 3,4 % par rapport à fin 2021. Dans le détail, fin décembre 2022, 648 770 bénéficiaires l'étaient au titre de l'AAH- 1 (soit + 1,8 % en un an) et 648 296 au titres de l'AAH- 2 (une progression de 5,0 % sur une année).

Si l'on réalise un suivi de tendance, environ 1,32 million de personnes seraient bénéficiaires de l'AAH à fin 2023 et 1,35 million à fin 2024. Les effectifs de bénéficiaires de l'AAH dépasseraient sans doute les 1,4 million de bénéficiaires en 2027.

Au vu des dépenses déjà constatées par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), une ouverture de crédits à hauteur de 137 millions d'euros est inscrite dans le projet de loi de finance de fin de gestion 2023 au titre de l'AAH. Selon l'administration, l'ouverture de crédits sur l'AAH résulte d'une hausse du nombre de bénéficiaires de l'AAH plus importante qu'initialement prévue. Du fait du calendrier, il est probable que cette hausse supplémentaire soit le fruit de la campagne de communication à destination des allocataires de l'AAH, leur signalant la mise en oeuvre de la déconjugalisation au 1er octobre.

Les crédits inscrits en PLF 2024 au titre de l'AAH s'élèvent à 13,7 milliards d'euros.

b) Un exercice marqué par la mise en oeuvre de la « déconjugalisation » de l'AAH

L'exercice 2023 est effectivement marqué par la mise en oeuvre de la « déconjugalisation » de l'AAH en application de l'article 10 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Cette mesure implique d'exclure les revenus du conjoint des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité et le cas échéant le montant de l'AAH.

Demandée de longue date par les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap - mais également par le Sénat6(*), la mesure est pleinement soutenue par les rapporteurs spéciaux qui relevaient dans leur rapport relatif au PLF pour 2022 qu'elle « témoignerait de la pleine reconnaissance de la spécificité du public ciblé par l'AAH, qui, en raison de son montant et de ses conditions d'accès plus favorables, ne saurait être regardée comme un minimum social comme un autre. Elle permettrait de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. En risquant d'accroître la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint, la conjugalisation constitue en effet un frein à cette logique d'autonomie »7(*).

La longue marche vers la déconjugalisation de l'AAH

L'AAH est une allocation individuelle, toutefois son calcul prenait en compte les éventuels revenus du conjoint du bénéficiaire, une situation que déploraient de nombreuses associations de défense des personnes handicapées.

Depuis le 1er janvier 2022, un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, majoré de 1 400 euros par enfant à charge, s'applique sur les revenus du conjoint du bénéficiaire de l'AAH pris en compte pour le calcul du montant de l'allocation. Cet abattement forfaitaire est venu remplacer l'abattement proportionnel de 20 % qui s'appliquait auparavant, et s'applique sur les mêmes revenus, avec un impact en année pleine de 185 millions d'euros.

Cependant, l'article 10 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est venu modifier en profondeur ce dispositif en prévoyant une mesure de déconjugalisation de l'AAH, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023. La déconjugalisation correspond à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint et à l'application du plafond applicable aux personnes seules pour le calcul de la prestation des bénéficiaires en couple.

Toutefois, le décret n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 prévoit un maintien du calcul conjugalisé de la prestation pour les bénéficiaires qui seraient perdants à la déconjugalisation.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La déconjugalisation devrait permettre à 40 000 bénéficiaires en couple de voir le montant de leur allocation augmenter, pour des montants très variables et en moyenne pour un montant de 320 euros par mois. Elle permet également à 80 000 nouvelles personnes de bénéficier effectivement de l'allocation, alors qu'elles en étaient antérieurement exclues en raison du niveau de ressources trop élevé de leur conjoint, pour des montants également variables, et en moyenne pour un montant de 370 euros par mois.

La réforme est sans impact pour 210 000 bénéficiaires en couples. Le nouveau mode de calcul induirait enfin une baisse du montant de leur allocation pour 30 000 bénéficiaires. Ces personnes bénéficieront d'une mesure de maintien du mode de calcul antérieur, c'est-à-dire prenant en compte les revenus de leur conjoint, tant que le nouveau mode de calcul ne leur sera pas plus favorable financièrement.

Le coût de la mesure a été évalué par la CNAF à 83,3 millions d'euros en 2023, et 500 millions d'euros par an à partir de 2024. Sans le dispositif de maintien du calcul antérieure pour les « perdants » de la réforme, la mesure aurait coûté 410 millions d'euros sur une année pleine. La mesure de déconjugalisation est entrée en vigueur au 1er octobre 2023. Le premier versement d'une AAH déconjugalisée est intervenu début novembre.


* 1 À compter rétroactivement du 1er janvier 2016.

* 2 Ou plus de 16 ans pour un jeune qui n'est plus considéré à la charge des parents pour le bénéfice des prestations familiales.

* 3 Les modalités de cumul de l'allocation avec des revenus d'activité sont précisées par le décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010, et visent à encourager l'accès durable à l'emploi : pendant six mois au maximum à compter de la reprise d'un emploi, puis partiel sans limite dans le temps.

* 4 Ce plafond est multiplié par 1,81 pour un couple et majoré de 50 % par enfant à charge.

* 5 Elle est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à partir du dépôt de la demande.

* 6 La proposition de déconjugalisation de l'AAH avait fait l'objet de la première pétition à recueillir plus de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat en février 2021. L'atteinte de ce seuil avait ainsi entraîné l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale des députés Jeanine Dubié, Charles de Courson, Yannick Favennec et plusieurs de leurs collègues, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture. À cette occasion, le Sénat a adopté une disposition tendant à la déconjugalisation de l'AAH en première lecture le 9 mars 2021.

* 7 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) - 18 novembre 2021.

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