EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 7 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Christian Klinger, rapporteur spécial, sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural »

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Il faut bien reconnaître que les enjeux couverts par la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », et par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Développement agricole et rural » (DAR), qui y est rattaché, sont particulièrement transversaux.

Entre la concurrence économique, les conséquences de la situation géopolitique mondiale, le réchauffement climatique, le manque d'attractivité d'une partie des professions agricoles, les crises sanitaires successives, les handicaps propres à la ruralité, le recul de notre souveraineté alimentaire, la nécessité de mettre la recherche au service de l'innovation agricole et j'en passe, c'est peu dire que presque toutes les politiques publiques sont concernées par cette mission. Dès lors, seul un volontarisme politique fort peut contribuer au renouvellement de l'agriculture française.

Or, ces dernières années, ce volontarisme politique a fait défaut sur le plan budgétaire. Alors que, régulièrement, notre assemblée tirait la sonnette d'alarme sur la situation du monde agricole, les gouvernements successifs se sont entêtés à sous-dimensionner le budget de l'agriculture, ce qui avait probablement conduit à rejeter, l'an dernier, les crédits de la mission.

Il faut croire que nous avons davantage été entendus cette année, puisque le total des concours publics consacrés à l'agriculture, l'alimentation et la forêt atteindra 25,5 milliards d'euros en 2024.

J'inclus dans ce montant 9,4 milliards d'euros de cofinancements européens, 8,5 milliards d'euros de dispositifs fiscaux et sociaux, ainsi que les crédits de la présente mission, revalorisés de 38 % par rapport à l'an dernier, pour atteindre 5,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement.

Présenté ainsi, vous pourriez avoir le sentiment d'un « quoiqu'il en coûte agricole », mais je tiens à rassurer la commission des finances : en dehors de nouvelles actions supplémentaires destinées à verdir le budget, et si l'on fait abstraction des quelques compétences transférées aux régions, le Gouvernement présente finalement un projet de budget proche de l'exécution moyenne des derniers exercices.

Le budget 2024 apparaît plus près des besoins réels que par le passé, en tenant compte notamment des aléas, qui n'ont paradoxalement plus rien d'aléatoire. Il faut y voir un rattrapage du sous-dimensionnement antérieur, ainsi que l'occasion, peut-être, de porter de nouvelles ambitions.

L'effort budgétaire est donc important concernant la question du verdissement et sur les moyens de contrôler, à l'avenir, les nouvelles règles en place. En revanche, il est plus inégal sur d'autres grands postes de dépenses.

D'abord, on constate que, en matière agricole comme ailleurs, l'État a tendance à transférer aux collectivités des compétences qui ne sont pas durablement assorties de moyens correspondants. Je fais confiance aux régions pour gérer les aides à l'installation si on leur en donne les moyens. En revanche, je constate que l'État se désengage rapidement de politiques jusqu'alors nationales, puisque l'action qui portait la dotation jeunes agriculteurs (DJA) ainsi que diverses aides à l'installation sera dotée de 123 millions d'euros, contre 172 millions d'euros jusqu'alors.

Sur le premier exercice budgétaire, cela devrait être neutre. En revanche, sur les suivants, nous serons très attentifs, en tant que rapporteurs spéciaux, à la question des moyens conférés aux régions et, plus généralement, au contenu du pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, pour lequel les attentes sont fortes pour rendre au secteur son attractivité. Nous avons d'ailleurs eu récemment l'occasion d'aborder l'une des composantes de cette attractivité, à savoir l'accès au foncier.

Lors des auditions que nous avons organisées, en commun avec nos trois collègues de la commission des affaires économiques, nous avons eu le sentiment que les attentes du secteur agricole tournaient davantage autour de questions qui ne relèvent finalement qu'indirectement de la mission, que ce soit la lutte contre la concurrence déloyale, l'adéquation entre la fiscalité d'entreprises et les objectifs poursuivis, ou encore la question des revenus agricoles.

En revanche, l'objectivité commande de reconnaître un réel effort budgétaire, consenti ou maintenu, sur d'autres dispositifs, en particulier ceux qui sont consacrés aux travailleurs agricoles - c'est l'un des points qu'abordera Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». -, Mes chers collègues je me satisfais partiellement des nouvelles orientations de cette mission. Dans le rapport, nous mettons en avant, entre autres, deux aspects positifs de ce budget 2024. Premièrement, les moyens en personnel sont consolidés, sans toutefois exploser, afin que le ministère puisse assumer ses nombreuses missions de contrôle - écologique, sanitaire, alimentaire, préventif... La liste est longue. Les dépenses en personnel sont ainsi en augmentation de 4,5 %. Au regard des missions et compte tenu des critères exogènes qui conduisent à la hausse des frais de personnel, il s'agit d'une augmentation nécessaire, mais finalement mesurée.

Deuxièmement, certains dispositifs favorables aux travailleurs sont consolidés. L'agriculture est un secteur très concurrentiel et, si l'on n'adapte pas nos règles, on favorisera une certaine précarisation. L'exonération de certaines charges ou cotisations dont bénéficient 71 000 entreprises - soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié - assure le maintien de 31 % du volume global des heures salariées dans le secteur agricole, tout en donnant lieu à compensation à la Mutualité sociale agricole (MSA). C'est l'un des moyens de lutter contre le travail illégal et les conséquences qu'il entraîne, en particulier pour les emplois à faible valeur ajoutée. C'est également un point auquel je prête évidemment une attention particulière dans les outre-mer, car le salariat agricole y joue un rôle central.

Notre proposition finale consistera en l'adoption des crédits, sans amendement à ce stade, du fait d'un bilan coût-avantages positif résultant des nouveaux moyens. Cela ne nous empêchera pas, ensuite, de soutenir des amendements.

Vous noterez, à la lecture du rapport, que nous précisons le fonctionnement de certains dispositifs, comme le régime spécifique d'approvisionnement, l'aide à la transformation du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi), ou encore les soutiens à des filières comme la canne à sucre ou la banane. Ce n'est sans doute pas étranger à des positions que mon groupe politique pourra porter.

Reste à souligner deux caractéristiques du budget. La première, que précisera Christian Klinger, porte sur le verdissement. Quelle que soit notre position politique, il nous semble aujourd'hui impossible de rejeter les moyens supplémentaires consacrés à la transition écologique du secteur agricole.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - La mission « Agriculture » du PLF 2024 contribue particulièrement au verdissement du budget. Certes, toute l'agriculture ne peut pas s'organiser en fonction de la transition écologique, mais nous ne pouvons plus faire l'économie de politiques adaptées et soutenues par l'État. Deux des programmes de la mission comprendront désormais une action « Planification écologique ».

Sans être exhaustif, je note que des sous-actions sont consacrées au soutien au renouvellement forestier, pour 250 millions d'euros, au dynamisme du lien bois-matériaux, à hauteur de 200 millions d'euros, mais également que 15 millions d'euros sont alloués à la préservation de la forêt en Guyane, 110 millions d'euros au financement d'un « plan haies », 80 millions d'euros à la stratégie de décarbonation, tandis que 65 millions d'euros porteront un « plan protéine » visant à structurer davantage les recherches sur les protéines végétales. En outre, 20 millions d'euros seront consacrés à la réalisation d'un bilan carbone au moment de la transmission des exploitations. Enfin, la nouvelle action dédiée à la planification écologique du programme 206 permettra de consacrer 250 millions d'euros à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires.

En tout, 1,25 milliard d'euros supplémentaires sont donc inscrits dans le programme pour verdir l'agriculture, ce qui me semble, tout comme le renouvellement des générations, la possibilité de vivre dignement des métiers agricoles ou l'adéquation de la fiscalité aux objectifs poursuivis, un objectif louable.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Nous développons, dans le rapport, le rôle crucial des dix opérateurs rattachés à la mission. La plupart d'entre eux voient leurs moyens consolidés, car ils jouent un rôle en matière de développement durable. Je ne citerai que l'Office national des forêts (ONF), dont je ne me satisfait pas des moyens que je juge encore insuffisants, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ou encore l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom).

La dernière caractéristique des crédits que nous avons examinés porte sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ». Dès lors que l'on parle de « compte d'affectation spéciale », le débat pourrait apparaître comme celui de techniciens, mais nous souhaitons, comme nos prédécesseurs, vous soumettre cette question de principe.

Précisons d'abord que les objectifs visés par les deux programmes de ce compte ne souffrent d'aucune remise en cause. Qu'il s'agisse de concevoir des systèmes agricoles plus innovants et performants ou de favoriser l'émergence de projets contribuant à des diffusions de compétences en matière agricole, les ambitions portées relèvent sans nul doute de la politique publique que nous détaillons. En revanche, le fait de porter ces crédits sur un compte d'affectation spéciale plutôt que sur le budget général nous semble critiquable. D'abord, en raison de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), tous les types de comptes spéciaux doivent présenter un lien direct entre les recettes et les dépenses. Or, la Cour des comptes souligne que ce lien s'est progressivement étiolé dans le CAS DAR.

Par ailleurs, le différentiel entre les recettes et les dépenses se creuse année après année. Le plafond de dépenses du CAS a, certes, été rehaussé de 15 millions d'euros en 2024, pour atteindre 141 millions d'euros, mais c'est un montant qui devrait, malgré tout, rester inférieur aux recettes, générées uniquement par la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Ce différentiel a conduit le compte à présenter un solde comptable positif, en cumulé, de 121,09 millions d'euros fin 2022, et ce solde représentera bientôt l'équivalent d'une année de dépenses.

De plus, comme le souligne régulièrement la Cour des comptes, le CAS DAR déroge en tous points aux principes d'annualité et d'universalité budgétaires auxquels il est en théorie soumis, par la pratique systématique et massive des reports de crédits, et parce que des politiques qui devraient en relever sont isolées du budget général. Nous notons, avec un étonnement relatif, la contradiction qui consiste à conférer au programme 776 une mission d'appui à la « souveraineté alimentaire », alors même que c'est une politique publique d'autant plus générale qu'elle figure depuis 2022 dans l'intitulé même du ministère. Nous préconisons donc une réflexion sur la rebudgétisation du compte.

Si nous avons insisté sur les facteurs d'amélioration, le nouveau dimensionnement des crédits et la tentative, même timide, de réorienter budgétairement la politique agricole française, nous incitent à préconiser l'adoption des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.|

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Une fois n'est pas coutume, nous souscrivons à ce budget - comment ne pas être d'accord avec l'augmentation de plus de 1,3 milliard d'euros en 2024, et 750 millions d'euros en crédits de paiement (CP) sur la même année ? Cependant, nous avons plusieurs réserves marquées, que je développerai en quatre grands points.

Avant cela, j'apprécie que, pour une fois, nous n'ayons pas à nous battre pour conserver certaines lignes, habituellement critiquées. Je pense, par exemple, aux travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) ou encore au CAS DAR lui-même, dont la suppression a maintes fois été évoquée par le passé. Une alerte importante a toutefois été faite sur la hausse du taux d'accis sur le gazole non routier (GNR), compensé pour partie par des mesures fiscales en faveur de l'agriculture, qui, je le rappelle au passage, ont été reprises de la proposition de loi Compétitivité, - elles avaient été diminuées par la commission des finances, pour finalement être reprises par le Gouvernement dans leur version initiale.

J'en reviens aux quatre réserves que j'évoquais, qui correspondent malheureusement à la politique du Gouvernement, c'est-à-dire à beaucoup de communication et à une dépense excessive.

Premièrement, nos réserves concernent le plan France 2030, qui, certes, est en dehors du périmètre de la mission, mais qu'il importe de mentionner puisqu'il consacre 2,9 milliards d'euros à l'agriculture et à la forêt sur cinq ans. Notre étonnement est lié à l'utilisation de cette somme, puisque seulement 17 % de son montant ont été engagés à mi-parcours. Il va falloir aller très vite sur la fin, sans quoi nous risquons une déconvenue sur la consommation des crédits.

Deuxièmement, je veux évoquer le fonds « entrepreneurs du vivant », annoncé à grand renfort de communications par le ministre de l'agriculture et le Président de la République, doté de 400 millions d'euros, dont à peu près 15 % seraient consacrés au foncier, sans que l'on comprenne très bien à quoi cette somme servira, si ce n'est à un fonds de portage foncier ou à une aide au groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE) - en tout état de cause rien de très précis ni de très correct pour appuyer la transmission et l'installation des jeunes agriculteurs ou du moins favoriser les entrepreneurs du vivant.

Troisièmement, l'augmentation du budget s'explique en totalité par « la planification écologique », soit plus de 1,3 milliard d'euros, qu'il serait bien d'expliquer plus dans le détail pour les représentants du peuple... Par exemple, on nous explique que l'on consacre 150 millions d'euros aux haies pour planter 50 000 kilomètres de haies. En clair, nous ne disposons que de trop peu d'explications et, surtout, de très peu d'éléments d'appréciation, et d'aucun élément de mesure permettant de vérifier si l'utilisation des moyens correspond bien aux objectifs fixés - de fait, nous ne pouvons même pas réellement connaître les objectifs de départ. Au final, nous sommes amenés à voter un budget totalement à l'aveugle et, comme la majorité l'approuve, nous devons la suivre.

Enfin, ma quatrième réserve concerne le plan Écophyto, qui, selon moi, se trompe d'objectif. Celui-ci s'appuie, au départ, sur un principe simple : réduire le volume des produits phytosanitaires. Or, aujourd'hui, nous tentons, de façon dogmatique, de réduire, non pas les volumes, mais le nombre de molécules phytosanitaires. Si l'on peut se féliciter, dans ce domaine, de la réussite depuis 2008 des fermes Dephy, nous peinons malheureusement à les vulgariser auprès des agriculteurs. Je pense à l'augmentation de 37 millions d'euros cette année de la redevance pour pollution diffuse - elle atteindra 217 millions d'euros -, alors que l'on demande aux agriculteurs d'être plus compétitifs, mais aussi à la hausse de 10 millions d'euros de la redevance eau, en décalage avec les évolutions du climat. Si l'on voulait réorienter correctement les 250 millions d'euros destinés à la réduction des phytos, il faudrait inciter les agriculteurs à investir dans du matériel innovant capable de diminuer drastiquement les volumes. Des techniques basées sur l'intelligence artificielle existent déjà et permettent, dans certaines cultures, de diminuer jusqu'à 80 % les volumes de phytos, mais, comme ce n'est pas l'objectif que nous visons, bien que ce soit celui qui est affiché, les chemins que nous prenons ne sont, par définition, pas les bons.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - La forêt n'est pas en reste et figure au coeur du budget de cette mission, puisqu'elle bénéficie de 509 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 359 millions d'euros en CP de la planification écologique, pérennisant ainsi, en particulier, le soutien au renouvellement forestier, engagé dans le plan de relance et relayé par France 2030.

C'est un effort financier important, nécessaire, qui doit être salué, mais, assurément, il n'est pas de trop, tant la forêt française souffre et a souffert, ces dernières années, notamment en raison des dépérissements liés aux scolytes et à la crise sanitaire. À titre d'exemple, l'ONF a évoqué, lors des auditions, une division par deux du puits de carbone en dix ans, à cause des sécheresses à répétition et alors même que la forêt progresse.

Afin de ne pas être redondants avec le travail des rapporteurs spéciaux, nous avons souhaité réaliser deux focus sur ce thème de la forêt. Le premier porte sur un inventaire forestier outre-mer, le second sur les moyens de l'ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour la bonne application de la loi du 10 juillet 2023 sur les feux de forêt.

S'agissant de l'inventaire forestier outre-mer, force est de reconnaître que le Gouvernement a enfin pris la mesure de l'enjeu, car il en finance l'amorçage parmi 15 millions d'euros de la planification écologique dédiés à la forêt outre-mer. Il était temps : rappelons que cette mesure a été votée dès 2014 dans la loi d'avenir et précisée à nouveau à travers les travaux du Sénat dans la loi Climat et résilience en 2021. Cependant, la réalisation d'un tel inventaire forestier prendra au minimum quatre ou cinq années, d'après l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'ONF, qui en seront les maîtres d'oeuvre. Or aucun des 24 équivalents temps plein (ETP) associés à cette hausse ne figure précisément dans le budget. Nous craignons que cela ne renvoie cet inventaire à l'horizon 2030, alors que nous en aurions un besoin crucial au plus vite, surtout quand on sait que la forêt guyanaise stocke, à elle seule, autant de carbone que la forêt hexagonale. Nous appelons le Gouvernement à accélérer la cadence et à clarifier les ambitions affichées en termes de moyens humains.

Pour ce qui concerne les moyens des deux établissements publics chargés de la forêt, dans la lignée des travaux de nos collègues Anne-Catherine Loisier, Olivier Rietmann, Jean Bacci et Pascal Martin sur les feux de forêt, notre diagnostic, encore en cours d'affinage, est qu'il faudrait 15 ETP de plus pour le CNPF en 2024, quand le budget n'en prévoit que 5, et au moins une stabilisation durable des effectifs pour l'ONF jusqu'en 2025.

Nous proposerons donc un amendement en ce sens pour le CNPF, afin qu'il soit au niveau des nouvelles missions de la défense des forêts contre l'incendie (DFCI), mais également pour assurer le flux supplémentaire de documents de gestion durable de la forêt, puisque le seuil de 25 hectares a été ramené à 20 hectares.

Pour l'ONF, la suspension du schéma d'emplois a été une bouffée d'air frais, après des années de diminution des moyens. L'ONF comptait, voilà plus d'une dizaine d'années, plus de 12 500 employés ; ils ne sont aujourd'hui plus que 7 500. Plutôt que demander de nouveaux ETP, la priorité nous semble d'abord de garantir cette stabilisation durablement dans le temps, même si nous sentons aujourd'hui, au regard des moyens redéployés dans l'ONF, de véritables tensions sur les territoires. Il convient donc, parallèlement à ce budget, de veiller à la dynamique et à l'attractivité des entreprises de travaux forestiers, qui, aujourd'hui, rencontrent de grandes difficultés pour répondre aux besoins croissants des forêts, publiques comme privées.

M. Claude Raynal, président. - Merci, messieurs les rapporteurs pour avis, pour vos remarques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je constate que le budget de l'agriculture suscite plus d'apaisement cette année.

Néanmoins, on ne peut rattraper le retard aussi vite qu'on le souhaiterait. Concernant la performance de la ferme France, nous sommes, en effet, encore loin de redonner à l'agriculture française toute son attractivité. Il faudrait continuer à travailler de la manière la plus harmonieuse possible, sans privilégier l'une ou l'autre des pratiques ou des productions agricoles.

J'entends, à ce propos, les remarques de M. Duplomb au sujet des produits phytosanitaires. Si l'on prend l'exemple de la jaunisse de la betterave, il est possible que les travaux de recherche phytosanitaire sur cette maladie ne soient pas au rendez-vous à l'horizon 2026. Prenons garde à ne pas handicaper nos agriculteurs et nos producteurs par rapport à leurs concurrents exerçant chez un certain nombre de nos partenaires et qui sont moins précautionneux.

Enfin, si le CAS DAR n'est pas un sujet de tension cette année, je note tout de même qu'une question reste en suspens sur sa compatibilité avec la Lolf. Pourrait-on formuler nous-mêmes des propositions sur cette question?

Sur tous ces sujets, nos deux commissions pourraient unir leurs efforts pour redonner de la vigueur, du dynamisme et de la performance à ce secteur, qui a longtemps fait la fierté de la France, y compris dans sa capacité exportatrice au niveau européen. Ce serait, il me semble, une bonne initiative, que je laisse le soin à nos rapporteurs respectifs d'étudier.

M. Stéphane Sautarel. -Votre rapport mentionne que l'État renforce les effectifs de certains de ses services, ce qui se traduit par une hausse des dépenses du titre 2. Quels seront l'impact de ce renforcement et son poids financier ?

Je veux également évoquer la gestion de l'ONF. Pour avoir participé dernièrement à une assemblée générale des communes forestières de mon département, de nombreuses insatisfactions nous sont remontées, sur le service lui-même, sur sa contractualisation, sur les prix et sur les conditions d'exploitation mises en place. Par-delà le renforcement du service, dont on peut se satisfaire, je voudrais m'assurer que ses moyens permettent bien d'accompagner nos territoires sur le terrain et de répondre aux enjeux de la forêt française et des communes forestières.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je salue les moyens consacrés à la planification écologique. Les enjeux d'adaptation, mais aussi d'atténuation du réchauffement climatique sont essentiels pour l'agriculture.

Comme M. Menonville l'a rappelé, la forêt est en grande difficulté et ne satisfait plus à sa mission de puits de carbone. Je souscris, bien sûr, au budget supplémentaire dont bénéficient la gestion forestière et le renouvellement forestier. Toutefois, je tiens à souligner que, dans certaines régions, la gestion forestière est rendue difficile par un important morcellement forestier, lié à de multiples successions de parcelles, dont on ne sait plus très bien qui en sont les propriétaires - eux-mêmes, parfois, ne savent pas qu'ils le sont. Des crédits sont-ils prévus pour accompagner les collectivités dans une forme de remembrement forestier ?

Par ailleurs, si l'on peut se satisfaire de la fin de la décrue des postes à l'ONF, j'observe une hausse de 7 millions d'euros de son budget cette année. Peut-on savoir comment celle-ci sera ventilée concrètement ?

Je souscris aux propositions d'amendement sur le renforcement des moyens du CNPF et de l'ONF.

Mme Christine Lavarde. - Je m'interroge sur le milliard d'euros supplémentaire compris dans les 7 milliards d'euros de communication qui figurent au budget « Écologie » du PLF 2024 : quelle va être son opérationnalité immédiate ? Ce n'est pas demain que les haies produiront les services agrosystémiques espérés... On note un décalage entre la communication et l'argent mis à disposition, mais c'est bien normal lorsque l'on agit sur le vivant.

Je comprends toutes les raisons pour lesquelles il serait pertinent de rebudgétiser le CAS DAR, mais n'y a-t-il pas un risque de reproduire les ratés du fonds Barnier ? Lui aussi avait été rebudgétisé. Or, aujourd'hui, on constate que les recettes collectées sont inférieures au plafond de dépenses. Au regard de ce que fournit le CAS, de nombreuses dépenses entrent en interaction, y compris avec d'autres missions que la mission « Agriculture ». Il faudrait au moins s'assurer que tout ce que les agriculteurs versent pour la politique agricole leur revient bien in fine.

M. Bernard Delcros. -Je partage l'avis de mes collègues sur les enjeux liés à la forêt, qui doit se renouveler pour tenir compte de la nouvelle donne climatique.

Je note que 110 millions d'euros seront affectés au « plan haies ». Avez-vous des précisions sur la déclinaison concrète de ce plan sur le terrain ? Qui en aura la charge ? J'observe que nous n'avons pas attendu ces financements pour réimplanter des haies dans les territoires et réparer ainsi les dégâts causés dans les années 70 - toutes les haies, sans distinction, avaient alors été supprimées.

De même, concernant les 80 millions d'euros consacrés à la stratégie de décarbonation, connaissez-vous les déclinaisons concrètes de ce plan ? Les haies peuvent mettre effectivement un peu de temps à pousser, mais, plus tôt on commence, mieux c'est.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Nous avons rencontré quelques difficultés pour obtenir certaines précisions, notamment sur les moyens décentralisés dans les territoires.

Je note, comme M. Duplomb et M. le rapporteur général, que les débats sont plus apaisés cette année, y compris dans les auditions que nous avons menées. L'augmentation des crédits et la mise en place d'une planification écologique y sont peut-être pour quelque chose.

Ensuite, certaines mesures ont été bien acceptées, comme la pérennisation du TO-DE, qui contribue à la compétitivité et à l'amélioration des conditions de travail.

S'agissant du CAS DAR, nous avons nous-mêmes été dubitatifs sur le plan juridique. Comme Mme Lavarde nous l'a fait remarquer, le fonds Barnier est un précédent qui s'est avéré décevant. Nous devons donc être prudents et nous poser la question de l'efficacité des moyens mis à la disposition de nos agriculteurs, afin que le financement qu'ils fournissent leur revienne.

La question relative au GNR concerne la partie fiscale du PLF, dont le rapporteur général a la charge. C'est une question importante, qu'il faudra approfondir.

La communication est la marque de fabrique des gouvernements du président Macron. Dans le cadre de France 2030, le programme 362, « Écologie » de la mission « Plan de relance » prévoit bien des sommes importantes, malgré des crédits de paiement dégressifs.

Concernant le plan Entrepreneurs du Vivant, des crédits sont bien évidemment prévus dans le cadre de France 2030 pour le financement des écosystèmes - pas seulement agricoles, d'ailleurs. Il y a effectivement une relation entre ce plan de relance et la mission « Agriculture ». Dans le plan, 15 % des crédits seraient consacrés au foncier, mais je ne saurais vous dire s'il s'agit d'un portage selon des vecteurs à trouver, ou bien d'un financement par les groupements forestiers d'investissement (GFI).

Mon collègue Christian Klinger développera les objectifs de départ de la planification écologique, ils sont expliqués dans le projet annuel de performances, même si je conviens qu'ils ne sont pas très complets. Ce que je peux dire, c'est que les objectifs sont clairs, même s'ils sont généraux : il s'agit d'assurer la transition écologique et de se donner les moyens budgétaires de verdir le budget. Un effort budgétaire important est fait en ce sens ; il faudra en observer l'exécution. Le programme 149 compte 1,04 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 250 millions d'euros du programme 206, ce qui fait bien 1,3 milliard d'euros consacrés à la planification écologique. Celle-ci se décline en dix sous actions, qui décrivent les objectifs recherchés.

Mon collègue reviendra sur le plan Écophyto, mais l'objectif est bien de réduire le volume, et non les molécules ! Il y aura un nouveau vote sur le glyphosate le 16 novembre prochain au Parlement européen, pour savoir quelle attitude il convient d'adopter vis-à-vis de cet herbicide.

Oui, monsieur Menonville, j'ai changé d'opinion sur la Guyane : c'est un puits de carbone qu'il nous faut préserver d'urgence. Aurons-nous le temps de dépenser 15 millions d'euros en CP pour réaliser la cartographie ? Avec les drones et autres nouvelles technologies de type radar, par exemple, nous pourrons peut-être aller très vite. J'accueille donc les crédits favorablement.

Au sujet du CNPF, nous nous félicitons d'avoir renversé la dynamique de suppression de postes. 5 ETP sont créés. C'est mieux que rien, même s'il est vrai que c'est insuffisant, d'autant plus que l'on ne sait toujours pas comment ce sera délégué au niveau des centres régionaux de la propriété forestière (CRPF).

Pour ce qui concerne l'ONF, je suis d'accord : il faut faire plus. Voilà des années qu'il y a trop de suppressions de postes - je le sais d'expérience.

Vous nous avez fait remarquer, monsieur le rapporteur général, que l'on ne rattrapait pas le retard accumulé. Si 1,3 milliard d'euros sont générés par la création de la nouvelle action, il est vrai que les autres programmes sont tout au plus stabilisés par rapport aux dépenses exécutées auparavant, et donc - soyons honnêtes - que, compte tenu de l'inflation, on fait plutôt face à une diminution.

Ensuite, je partage l'interrogation de notre collègue Christine Lavarde sur la manière d'anticiper ce qui relève de l'agrosystémique. Cela s'appelait auparavant « la vulgarisation agricole », et il y avait alors un vrai lien entre la recherche appliquée et ce qui était diffusé par les chambres d'agriculture, les organisations de producteurs et les interprofessions auprès des agriculteurs. Aujourd'hui, on a l'impression que le lien est plus lâche. À cet égard, l'action de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) peut sembler décevante.

Oui, il faut être prudent sur le changement qui va affecter le CAS DAR.

Mme Blatrix Contat nous demande comment lutter contre le morcellement forestier ou l'indivision forestière. C'est un problème de droit civil et d'économie. Je n'ai pas de réponse spécifique sur la transmission des propriétés foncières. Peut-être faut-il voir cela plutôt avec le CNPF et les CRPF.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Concernant, monsieur Sautarel, l'augmentation des dépenses de personnel, l'évolution est de +4,5 % et se traduit par le recours à des personnels supplémentaires pour assurer des opérations de contrôle dans des missions budgétaires, comme le contrôle de la sécurité alimentaire ou le contrôle des cosmétiques et tatouages, ainsi que du personnel supplémentaire qui vient renforcer les missions de contrôle existantes mais ayant vocation à être accentuées, comme le respect de la législation sur les pesticides.

La fiscalité agricole du GNR ne relève pas directement de notre mission, mais nous avons tout de même eu quelques réponses lors de nos auditions. La hausse sur le gazole non routier serait compensée par une augmentation du plafond du microbénéfice agricole, mais aussi par une dotation d'épargne de précaution ainsi que par une modification des règles d'imposition des plus-values agricoles.

Pour ce qui concerne le 1,3 milliard d'euros avancé pour la planification écologique, ce montant ne sera évidemment pas décaissé en totalité en 2024. Si l'on prend le « plan haies », par exemple, les 110 millions d'euros prévus, auxquels il faut ajouter des crédits provenant de la politique agricole commune (PAC), de l'agence de l'eau et de l'Office français de la biodiversité, vont, bien sûr, s'étaler au fur et à mesure. L'objectif est d'implanter 7 000 à 8 000 kilomètres par an, soit 50 000 kilomètres de haies d'ici à 2030. Plusieurs actions doivent être menées, dont le premier axe consiste à faire l'inventaire des dégâts opérés. Nous ne connaissons pas la répartition géographique à ce jour, n'ayant pas de définition juridique d'une haie - quelles doivent être sa largeur, sa hauteur ? Un travail de concertation doit donc être mené avant d'implanter les premiers kilomètres de haies.

La philosophie est la même pour la décarbonation, avec trois composantes : la réduction d'épandage des déjections d'élevage, celle des engrais azotés et celle des émissions liées aux énergies fossiles. Les 80 millions d'euros budgétés seront décaissés au fur et à mesure de l'avancement de ces projets.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » tels que modifiés par l'Assemblée nationale et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Partager cette page