B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La complexité de l'organisation des moyens consacrés aux universités

La subvention pour charges de service public (SCSP) des universités se compose pour l'essentiel d'une part « socle », qui est le résultat sédimenté des années précédentes. Celle-ci augmente d'une année sur l'autre pour y intégrer les nouveaux moyens pérennes. La part « socle » s'élève en 2023 à 13 136 millions d'euros, soit une augmentation de 7,7 % par rapport à 2017. Elle est constituée à 90,5 % de dépenses de masse salariale, le reste étant des crédits de fonctionnement.

Depuis 2017, se sont ajoutés à cette part socle les crédits liés à la LPR et à la loi ORE, ainsi qu'à la réforme des études de santé. En outre, la part compensée des mesures de revalorisation des personnels est intégrée à la SCSP.

Les documents budgétaires sont très succincts sur les SCSP des universités et la ventilation des moyens accordés à chaque université, a fortiori sur la consommation des différentes enveloppes. Il est donc nécessaire de détailler, ne serait-ce que dans les rapports annuels de performances, le mode de calcul de la SCSP, recommandation qui a déjà été formulée par le rapporteur spécial dans son rapport de contrôle sur le bilan de la loi ORE7(*).

Au-delà de la SCSP socle, une déconcentration partielle de la gestion des établissements d'enseignement supérieur dans les rectorats a été mise en place à la suite de la loi ORE au travers du déploiement du dialogue stratégique de gestion (DSG). Le rectorat se voit ainsi octroyer la possibilité de répartir une partie des crédits de la SCSP. En 2022, le DSG a permis d'allouer 104 millions d'euros, dont 40 millions d'euros de moyens nouveaux Les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP)8(*) ont vocation à remplacer le DSG.

En outre, chaque année, les enveloppes additionnelles prévues pour couvrir des mesures nouvelles sont réparties selon les établissements et leurs caractéristiques, notamment salariales. Par exemple, une enveloppe prévue pour la compensation de mesures de revalorisations salariales générales concernant l'ensemble des établissements (augmentation du point d'indice, mesures prévues par la LPR, etc.) est ventilée en fonction des effectifs et de la masse salariale des établissements. En 2022, sur 320 millions d'euros de moyens nouveaux, 280,6 millions d'euros, soit près de 88 %, ont été alloués selon ce principe.

Enfin, depuis plusieurs années, des crédits sont alloués à certains établissements sous-dotés afin de rééquilibrer leur dotation. Les moyens dits de rééquilibrage se sont ainsi élevés à 18 millions d'euros en 2021 et 10 millions d'euros en 2022.

2. Une avancée mais sans moyens supplémentaires par rapport à 2024 : la mise en place des COMP

En LFI pour 2023, 35 millions d'euros étaient prévus pour la mise en place expérimentale des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) avec certaines universités. Ces contrats devraient à terme être généralisés en trois vagues, pour se substituer in fine au dialogue stratégique et de gestion, pour un financement total de 300 millions d'euros environ lorsque tous les établissements seront concernés. La ministre de l'enseignement supérieur a présenté les COMP comme la partie du contrat d'établissement sur laquelle s'applique le financement à la performance, sous la supervision du rectorat.

La première vague des COMP a concerné 17 contrats pour 34 établissements, pour une allocation prévisionnelle de plus de 110 millions d'euros sur trois ans. Ce montant correspond à une augmentation de la subvention pour charge de service public comprise entre 0,72 % et 1 % selon les établissements. Cependant, certains aspects des COMP, en particulier s'agissant de l'offre de formation, nécessitent un ajustement des universités sur la part des crédits de la SCSP « socle ». En conséquence, le ministère espère un effet levier supérieur au montant des COMP.

Il est à noter que le PLF pour 2024 ne compte pas de moyens nouveaux dédiés aux COMP, mais pérennise l'enveloppe de 35 millions d'euros accordée l'année précédente. En conséquence, une interrogation demeure sur le montant total de 112,4 millions d'euros : il ne s'agit pas de moyens intégralement nouveaux, mais, sur les trois ans, de 70 millions d'euros déjà intégrés dans les SCSP et de 45 millions d'euros supplémentaires.

Montant total accordé aux universités dans le cadre des COMP signés en 2023

(en millions d'euros)

Établissement

Dotation totale sur 3 ans

Aix-Marseille Université

13,100

Sorbonne Université

12,360

Université de Lille

12,100

Université Paris Saclay

10,784

Université de Bordeaux

9,200

Université de Strasbourg

8,900

Université de Rennes

8,000

Université de Montpellier

7,900

Nantes Université

6,700

Université Clermont Auvergne

6,400

Paris Sciences & Lettres (PSL)

5,774

Université de Poitiers

5,000

Université Gustave Eiffel

2,050

La Rochelle Université

1,540

Université Le Havre Normandie

1,500

Université de Guyane

0,760

INSA Val-de-Loire

0,350

Total

112,418

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Les COMP visent quatre objectifs de politiques publiques (adaptation de l'offre de formation, recherche, transition écologique pour un développement soutenable et bien-être et réussite des étudiants) ainsi que le renforcement des fonctions de pilotage.

Le rapporteur spécial l'a déjà indiqué, l'idée semble être intéressante et va dans le sens d'une meilleure prise en compte de la performance des universités tout en reconnaissant leur autonomie. Les universités en accueillent favorablement le principe.

Cependant, il souligne d'ores et déjà deux potentielles limites du dispositif.

D'une part, si les COMP engagent des montants supérieurs à ceux des derniers dialogues stratégiques de gestion, les sommes concernées demeurent loin d'être substantielles à l'échelle du programme 150.

Les COMP ne concerneront que les moyens nouveaux accordés aux universités, et non pas les sommes accordées au titre du socle de la SCSP. En conséquence, les montants versés les années précédentes sont intégrés dans le socle et ne feront pas l'objet de financement à la performance.

En outre, le rapporteur spécial rappelle la nécessité de définir en amont des indicateurs efficaces. Sans amélioration du suivi et du pilotage et sans système d'information à la hauteur, il est à craindre que ce dispositif ne puisse réellement être utile et ne reproduise les lacunes des années passées. D'après le ministère, certains indicateurs nationaux ont déjà été définis (formation de tous les étudiants de premier cycle à la transition écologique et au développement soutenable, dépôt et taux de succès à l'European Research Council - ERC). Les COMP devraient également contenir des indicateurs proposés par les établissements qui les suivent au niveau local.

Le rapporteur spécial, dans son rapport de contrôle sur le bilan de la loi ORE précité, a mis en avant le besoin d'un déploiement d'un système informatique interopérable entre les rectorats, l'administration centrale et les établissements, qui fait encore défaut. Ce grand chantier informatique, toujours repoussé et qui sera de grande ampleur, tant financière que par sa durée et les changements induits pour l'ensemble des établissements, devient néanmoins incontournable.

La remise en place d'un système d'allocation des ressources aux universités, s'inspirant du modèle SYMPA, permettant de réintroduire une logique de performance est une recommandation formulée à plusieurs reprises, notamment par le rapport de la commission des finances de 2019 précédemment mentionné. Il s'agit également d'une demande formulée par France universités : « l'absence d'un système d'allocation des moyens, répartissant les moyens sur la base d'indicateurs pondérés, connus de tous, nuit à la fluidité des relations entre les différents acteurs »9(*).

3. Faire face à deux enjeux de long terme : le développement de l'enseignement privé et de l'apprentissage

Le nombre d'étudiants dans l'enseignement public au cours des dernières années, et par conséquent l'évolution des moyens des universités par étudiant, doivent être appréhendés au prisme de deux évolutions, outre les conséquences des changements démographiques : d'une part, le développement très rapide dans certaines filières d'une offre d'enseignement privé venant parfois concurrencer l'enseignement public ; et d'autre part une massification rapide de l'apprentissage.

Concernant le second facteur, le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur a cru de 140 % en six ans.

Évolution de la part des apprentis dans les grandes filières
de l'enseignement supérieur

(en %)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

En deux ans, le nombre d'apprentis a plus que doublé dans certaines filières, notamment les écoles de commerce. Plus surprenant, il a également quasiment doublé dans les licences générales. Pour l'ensemble des filières, le nombre d'étudiants en apprentissage a augmenté de 78 % entre 2020 et 2022.

Évolution du nombre d'étudiants en apprentissage
selon le type de diplôme préparé

(en %)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

L'apprentissage constitue le plus souvent un atout pour les étudiants, ainsi qu'une solution sur le plan économique à la poursuite de leurs études. Cependant, le développement de l'apprentissage constitue en quelque sorte une forme d'externalisation du financement de l'enseignement supérieur hors de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Concernant l'enseignement privé, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR) soutient financièrement les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG), mais le financement des EESPIG repose à titre principal sur leurs ressources propres et, notamment, sur les droits d'inscription dont le montant ne leur est pas imposé par l'État, contrairement à ceux des établissements d'enseignement supérieur public.

En 2023, 64 associations de gestion des établissements d'enseignement supérieurs privés bénéficient d'une subvention du ministère, pour la scolarisation de 158 496 étudiants, apprentis et alternants.

Entre 2018 et 2024, les subventions versées au profit de ces établissements sont passées de 79,7 millions d'euros à 94,9 millions d'euros, soit une augmentation de 15,2 millions d'euros (+ 19,07 %). Il est vrai que le nombre d'étudiants dans l'enseignement supérieur privé a très fortement augmenté au cours des dernières années (+ 68 % entre 2014 et 2023). Ainsi, si les effectifs des EEPSIG ont connu une croissance de 4 % entre 2022 et 2023, les crédits ont été stabilisés entre 2023 et 2024. Le montant des crédits accordés aux établissements ne constitue qu'une part extrêmement minoritaire des ressources de ces établissements (environ 5 %).

Évolution du nombre d'étudiants dans l'enseignement supérieur privé

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cette tendance, nourrie notamment par les difficultés ressenties ou anticipées sur Parcoursup, est également une conséquence de l'élévation globale du nombre de diplômés du baccalauréat, qui n'a pas été intégralement absorbée par l'offre publique.

Ainsi, dans certaines filières, le secteur privé représente désormais une part importante d'étudiants : 40 % en écoles d'ingénieurs et, en amont, 16 % des étudiants en classes préparatoires.

Part de l'enseignement supérieur privé à la rentrée 2022-2023

(en milliers et en %)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Sans s'opposer à cette offre privée, il est crucial de veiller au contenu global des formations délivrées bénéficiant d'un agrément du ministère, l'enseignement privé offrant une qualité très variable à ce titre. En outre, le rapporteur spécial considère que le développement très rapide dans certaines filières doit constituer un signal pour l'enseignement public, pour lequel l'enjeu est d'éviter qu'il ne perde en attractivité.


* 7 Bilan du financement de la loi orientation et réussite des étudiants (ORE), rapport d'information n° 790 (2022-2023), juin 2023.

* 8 Cf. infra.

* 9 Réponses de France universités au questionnaire du rapporteur spécial.

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