B. LES ORGANISMES DE RECHERCHE BÉNÉFICIENT DE DOTATIONS CROISSANTES EN APPLICATION DE LA LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE

Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaire » est le plus important, en termes de ressources publiques, des programmes « recherche » de la MIRES. Il représente, en 2024, en crédits de paiement (CP) proposés, 8,2 milliards d'euros soit 62 % de l'ensemble des crédits des programmes « recherche » de la MIRES.

Ce programme est également important par le nombre de structures qu'il subventionne, étant donné que 15 opérateurs lui sont budgétairement rattachés. Le montant total des crédits du programme versés aux opérateurs représente, en 2024, en CP proposés, 7,4 milliards d'euros soit 90 % des crédits du programme. Le reste des crédits permet notamment de financer l'action de pilotage menée par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR).

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement propose, pour le programme 172, d'ouvrir 8,623 milliards d'euros d'autorisation d'engagements (AE), soit une progression annuelle de 6,8 %, et 8,181 milliards d'euros de CP, soit une progression annuelle de 4,4 %.

Trajectoire budgétaire du programme 172 entre 2022 et 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La loi de programmation pour la recherche a fixé une trajectoire pluriannuelle pour les dotations budgétaires du programme 172, qui prévoit une hausse chaque année des crédits du programme comprise entre 226 millions d'euros et 377 millions d'euros.

Trajectoire budgétaire pluriannuelle du programme 172
entre 2021 et 2030 (LPR)

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après l'article 2 de la LPR

La trajectoire pluriannuelle du programme est respectée par le projet de loi de finances qui prévoit une hausse annuelle de plus de 324 millions d'euros de crédits.

Le schéma d'emplois prévu représente + 198 ETPT pour le programme, sans incidence sur le plafond d'emplois étant donné que ce schéma peut être réalisé en mobilisant des vacances sous plafond.

1. Le redressement de la trajectoire financière de l'Agence nationale de la recherche (ANR) se poursuit, sous l'effet de la LPR

L'Agence nationale de la recherche (ANR) est une agence créée en 2005 dont la mission principale est de mettre en oeuvre la programmation de financement de la recherche sur projet piloté par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR).

À partir du début des années 2010, l'ANR a connu une nette décroissance de ses moyens qui sont passés de 828 millions d'euros à 489 millions d'euros entre 2010 et 2015, soit une baisse de 41 %. Cette dégradation du budget global de l'ANR est intervenue concomitamment à une hausse sensible du nombre de projets présentés à l'ANR, liée notamment à la réforme de la procédure d'évaluation en 2014. Par conséquent, le taux de succès des appels à projets, c'est-à-dire la part des projets financés parmi les projets présentés éligibles, a été réduite de moitié entre 2012 et 2014 en passant de 20,1 % à 10,6 %.

La LPR a consacré l'objectif de consolider les ressources publiques dont dispose l'ANR et elle prévoit une trajectoire de redressement financier de l'agence qui se traduit par une hausse globale d'un milliard d'euros sur sept ans au bénéfice des crédits de financement sur projets de recherche.

Ce redressement des moyens de l'ANR, qui doivent atteindre 1,766 milliards d'euros en 2027, doit permettre d'atteindre trois cibles d'amélioration de l'efficacité de l'action de l'agence :

- le doublement du taux de succès à horizon 2027 pour atteindre 30 % ;

- le doublement de la part de financement des coûts indirects (« préciput ») pour atteindre 40 % ;

- l'accroissement de la durée des financements et donc de leur montant médian.

En 2024, le projet de loi de finances propose d'augmenter les moyens globaux de l'ANR à hauteur de 124 millions d'euros en AE, soit une hausse de 10 %, et de 125 millions d'euros en CP, soit une hausse de 13 %.

La hausse proposée est donc conforme à la trajectoire inscrite à l'article 2 de la LPR qui prévoit pour l'année 2024 une hausse de 106 millions d'euros pour les crédits de financement de recherche sur projets de l'ANR. Le taux de sélection devrait se stabiliser en 2023 pour atteindre un niveau proche de celui de 2022, à savoir 24 %.

Le rapporteur spécial, qui défend depuis plusieurs années la mise à disposition d'une enveloppe d'un montant de l'ordre d'un milliard d'euros pour l'ANR salue le fait que le projet de budget 2024 permettra d'atteindre cette objectif symbolique. Il relève également que cette masse critique devrait permettre de se rapprocher d'un taux de sélection de 25 %, qui constitue un jalon important avant d'atteindre le taux-cible de 30 % en 2027.

Le rapporteur spécial souligne également l'enjeu essentiel que représente pour l'ANR de coordonner de manière efficace sa programmation et sa mise en oeuvre des financements sur projets avec le programme budgétaire « Horizon Europe », qui permet de financer des projets de recherche à l'échelle de l'Union européenne. La complémentarité de la programmation de l'ANR avec celle de la Commission européenne et la qualité de l'accompagnement proposé aux équipes de recherche situées en France, qui constitue l'une des missions de l'ANR, doit permettre d'atteindre un taux de succès de 30 % à 40 % pour les projets accompagnés afin de répondre à des appels à projets de l'Union européenne.

Enfin, le rapporteur spécial se félicite de la poursuite de la trajectoire d'augmentation du taux de préciput, c'est-à-dire de la part des financements sur projet dédiée aux établissements gestionnaires et hébergeurs des projets sélectionnés. La fixation à 30 % du taux de préciput en 2023 permet d'envisager d'atteindre rapidement la cible de 40 % que le rapporteur spécial soutient et qui a été inscrite dans la LPR.

Le préciput, un instrument de financement utile qui reste trop faible par rapport aux besoins de financement des établissements

Le préciput consiste à réserver systématiquement une partie des crédits obtenus par une équipe de chercheurs au financement des frais de fonctionnement de l'organisme qui abritera leurs recherches, afin d'encourager les organismes de recherche à se porter candidat.

Sur le plan budgétaire et conformément à ce qui avait été annoncé lors des débats parlementaires sur la LPR et dans sa programmation budgétaire, le taux du préciput est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021 et 28,5 % en 2022. En 2023, la part du préciput a été portée à 30 %.

Le préciput est composé de 4 parts : une part dite « gestionnaire « ; une part dite « laboratoire « ; une part dite « hébergeur « et enfin une part dite « site «.

La part dédiée aux établissements gestionnaires des projets a été relevée de 8 % en 2020 à 10 % en 2021 et 10,5 % en 2022, celle des établissements hébergeurs des projets a été relevée de 11 % en 2020 à 13 % en 2021 et 13,5 % en 2022. Une part dédiée aux laboratoires et égale à 2 % a été introduite en 2021, puis relevée à 2,5 % en 2022. En 2022, une part dédiée au site a été créée avec un taux initial de 2 %.

Pour 2023, la part gestionnaire est de 10,5 %, la part hébergeur est de 13,5 %, la part laboratoire est de 3 % et la part dédiée au site est de 3 %.

Source : commission des finances, d'après le site de l'ANR

2. La hausse des dotations aux organismes de recherche est en partie contrebalancée par la hausse de leurs frais de fonctionnement
a) Les organismes de recherche bénéficient de dotations budgétaires croissantes en application de la LPR

Comme indiqué précédemment, e application de la trajectoire de hausse des crédits prévue par la LPR, les organismes de recherche subventionnés par le programme 172 bénéficient d'une augmentation de leurs dotations. Le montant total de subvention pour charge de service public (SCSP) versé par le programme atteint 6 051 millions d'euros, soit une hausse de 130 millions d'euros, c'est-à-dire de 2,2 %, par rapport au budget 2023.

Cette hausse a pour objet de couvrir les hausses de coûts des opérateurs liée à la fois aux mesures prévues par la LPR et à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique à hauteur de 1,5 % à partir du 1er juillet 202313(*).

Crédits alloués aux opérateurs par le programme 172 (hors ANR)

(en CP et en millions d'euros)

Opérateur

LFI 2023

PLF 2024

variation (absolue)

variation (relative)

IRD

222,7

228,1

+ 5,4

+2,4%

INSERM

710,4

726,9

+ 16,5

+2,3%

INRAE

840

858,8

+ 18,8

+2,2%

CNRS

3 049

3 123

+ 74

+2,4%

CEA

746,2

743

- 3,2

-0,4%

Autres opérateurs

624,5

632,5

+ 8

+1,3%

Total

6 192,8

6 312,3

+ 119,5

+1,9%

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La trajectoire de hausse des subventions aux opérateurs publics de recherche confirme le rebond observé depuis 2021 après que ces opérateurs ont connu une période de lente érosion de leurs moyens.

Le rapporteur spécial salue à ce titre que l'exécution de la trajectoire législative adoptée par le Parlement en décembre 2020 se traduise par un redressement financier des organismes de recherche.

Ce redressement se traduit parallèlement par le recrutement de nouveaux personnels. Dans le périmètre du programme 172, le projet de loi de finances propose à ce titre un schéma d'emplois positif à hauteur de + 198 ETPT en 2024. Le rapporteur spécial relève cependant qu'il est important que cette consolidation financière ne soit pas remise en cause par la hausse des coûts des opérateurs.

b) La hausse durable des coûts de l'énergie et des rémunérations publiques absorbe une partie des marges de manoeuvre des organismes de recherche

Alors que la trajectoire de hausse des subventions publiques aux opérateurs de recherche prévue par la LPR a pour objectif de redonner aux organismes publics de recherche des marges de manoeuvre pour leur permettre d'investir au bénéfice du renforcement de la recherche française, la reconstitution de ces marges de manoeuvre est menacée par deux phénomènes concomitants.

En premier lieu, la hausse des coûts de l'énergie, qui ont augmenté de 24,8 % entre décembre 2021 et septembre 2023 selon l'estimation de l'INSEE, représente un défi d'une acuité particulière pour les opérateurs nationaux de la recherche qui sont nombreux à utiliser des infrastructures particulièrement consommatrice d'énergie, à l'image par exemple des supercalculateurs ou des électroaimants utilisés par le CNRS.

En second lieu, les mesures transversales de hausse des rémunérations publiques, qui résulte de décision prise par l'État, pèsent sur les budgets des organismes. En particulier, les deux hausses successives du point d'indice de la fonction publique, à hauteur de 3,5 % en juillet 2022 puis de 1,5 % en juillet 2023, constituent des décisions unilatérales de l'État sur lesquels les opérateurs ne disposent d'aucune marge de manoeuvre. Si le Gouvernement insiste sur le fait que la hausse des dotations des opérateurs a notamment pour objet de couvrir ces hausses de rémunération, les montants inscrits dans le projet de loi de finances ne permettent pas de couvrir toutes les conséquences financières qui découlent de ces revalorisations.

Les surcoûts induits par la seule revalorisation du point d'indice en 2023 sont estimés pour les établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST)14(*) à 76 millions d'euros, dont 25,3 millions d'euros en 2023 et 50,7 millions d'euros en année pleine. L'enveloppe incluse dans le budget 2024 de 45 millions d'euros pour compenser les mesures transversales d'augmentation des rémunérations publique ne couvre par conséquent que 59 % de la hausse du point d'indice.

En ajoutant la hausse générale de cinq points des indices majorés en faveur des titulaires et des agents publics contractuels à partir du 1er janvier 2024, les surcoûts globaux atteignent 102 millions d'euros par an, compensés à hauteur de seulement 44 % par la hausse des dotations.

Prise en charge des surcoûts induits par la revalorisation
des rémunérations publiques pour les EPST (P172)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Par conséquent, la fraction de la hausse des coûts induite par la majoration du point d'indice qui n'est pas prise en charge vient mécaniquement en déduction de la hausse programmée par la LPR des dotations aux opérateurs.

Ce mécanisme, auquel s'ajoute la dynamique des frais de fonctionnement induite par la hausse soutenue des prix de l'énergie, créé un risque que l'exécution de la LPR ne se traduise par un rétablissement de façade des moyens des opérateurs de recherche, alors même que l'ambition inscrite dans la LPR était de renforcer dans la durée les ressources de ces opérateurs dédiés à la recherche.

Ces deux éléments conjoncturels, la hausse simultanée des prix de l'énergie et des rémunérations publiques, n'avaient pas pu être pris en compte pendant l'élaboration de la LPR. Ce qui justifie une nouvelle fois d'actionner la « clause de revoyure de la LPR (cf supra).


* 13 v. décret n° 2030-519 du 28 juin 2023.

* 14 Les opérateurs entrant dans ce périmètre sont le CNRS, l'INED, l'INRAE, l'INRIA, l'Inserm et l'IRD.

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