N° 522

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 avril 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique,

Par Mme Dominique ESTROSI SASSONE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Sénat :

170 rect. et 523 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

M. Rémi Cardon1(*) et plusieurs membres de son groupe ont déposé, fin 2022, la proposition de loi n° 170 visant à résorber la précarité énergétique.

Sur la proposition de son rapporteur, Mme Dominique Estrosi Sassone2(*), la commission a décidé le rejet du texte.

La commission partage le constat d'un besoin d'accélération de la rénovation énergétique des logements et de la lutte contre les passoires thermiques pour permettre la sortie de la précarité énergétique, mais estime devoir approfondir les solutions proposées par la PPL d'ici à la remise des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation des bâtiments3(*), et à l'examen de la loi de programmation quinquennale sur l'énergie, tous deux attendus pour juillet 2023, pour légiférer.

 
 
 
 

11,9 % des Français souffrent de précarité énergétique

Le bâtiment est
la source de 18 %
des émissions françaises de CO2

65 239 rénovations globales en 2022

2 254 conseillers France Rénov' en 2022

I. UN CONSTAT PARTAGÉ : UNE ACCÉLÉRATION ATTENDUE POUR SORTIR DE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE

Le dernier rapport de l'Observatoire national de la précarité énergétique4(*), l'ONPE, publié le 16 mars 2023, dresse un bilan alarmant. En 2021, 11,9 % des Français ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement et sont donc considérés comme souffrant de précarité énergétique. En 2022, 863 000 ménages ont subi une intervention d'un fournisseur d'énergie en raison d'impayés, chiffres en hausse de 28 % par rapport à 2019. 27 % déclarent avoir des difficultés à payer leurs factures, c'était 18 % en 2020, selon les données publiées le 30 mars 2023 par le médiateur national de l'énergie5(*).

La France s'était pourtant engagée à travers la loi pour la transition énergétique et la croissance verte de 20156(*) (dite « Transition énergétique ») à rénover 500 000 logements par an, dont la moitié occupée par des ménages modestes, pour disposer d'un parc basse consommation d'énergie en 2050 et réduire de 15 % la précarité énergétique à l'horizon 2020. Cet engagement a été réitéré à l'occasion de la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « Climat et résilience »), qui fixe l'objectif de disposer d'un parc de bâtiments sobres en énergie et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre (GES) à l'horizon 2050. Selon le rapport de juin 2022 du Haut conseil pour le climat7(*) (HCC), les émissions du bâtiment représentent 18 % des émissions nationales de CO2. Elles sont en baisse de 0,2 million de tonnes sur 2019-2021 alors qu'elles devraient baisser de 3 à 4 Mt, selon la Stratégie nationale bas carbone8(*) (SNBC), dans la période 2022-2030. Cela devrait se traduire par 370 000 rénovations globales et performantes, puis 700 000 par an à partir de 2030.

Or, selon le rapport de février 2023 de l'Observatoire de la rénovation énergétique9(*) des logements, l'ONRE, en 2019, 2,4 millions de logements ont bénéficié d'une aide pour des travaux qui ont permis 8,6 térawattheures (TWh) / an d'économie d'énergie. Mais il s'agit pour l'essentiel d'une rénovation partielle contenant un seul geste. Selon l'Agence nationale de l'habitat, l'Anah10(*), 66 000 rénovations globales ont été réalisées en 2022, en progression mais loin de l'objectif visé. Au total, 3,4 milliards d'euros ont été distribués par l'Anah, mais l'essentiel a conduit à changer le mode de chauffage.

« Si la massification des aides et des gestes de rénovation a été réussie, celle des rénovations globales reste à entreprendre. »

Cependant, les mesures les plus contraignantes contre les passoires thermiques de la loi « Climat et résilience » commencent juste à entrer en vigueur et à produire leurs effets. Les biens classés G+ sont interdits à la location depuis le 1er janvier, avant les G en 2025, les F en 2028 et les E en 2034. De même, l'obligation de réaliser un audit énergétique pour les biens classés G et F est entrée en vigueur au 1er avril. Il s'appliquera aux biens E en 2025 et aux D en 2034. Les conséquences de ce calendrier exigeant, qui avait suscité l'inquiétude du rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat dès l'examen de ce texte, sont d'ailleurs particulièrement lourdes et complexes pour les propriétaires bailleurs, les vendeurs et l'ensemble du marché immobilier.

II. LE NÉCESSAIRE APPROFONDISSEMENT DES SOLUTIONS PROPOSÉES

Si le rapporteur partage donc largement les constats des auteurs de la PPL, il estime que les solutions proposées doivent faire l'objet d'un approfondissement.

En effet, l'examen de la PPL devance plusieurs échéances importantes. À la demande du groupe écologiste solidarité et territoire (GEST), le Sénat a lancé en janvier 2023 une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Les sujets évoqués, dont la précarité énergétique, font actuellement l'objet d'un examen renforcé. Les conclusions et les propositions de cette commission devraient être publiées fin juin ou début juillet 2023.

« Une PPL qui devance plusieurs échéances importantes »

Par ailleurs, le Gouvernement doit présenter au Parlement, normalement pour le 1er juillet 2023, la nouvelle loi de programmation quinquennale sur l'énergie, qui permettra de fixer dans la loi les objectifs de la politique énergétique, dont ceux afférents à la précarité énergétique ; s'en suivra l'actualisation de la SNBC et de la Programmation pluriannuelle de l'énergie11(*) (PPE) en découlant, tandis que la restitution des travaux du Conseil national de la refondation sur le logement12(*) est prévue fin avril début mai.

Sur le fond, le rapporteur émet des réserves sur la pertinence des mesures proposées.

L'article 1er conduirait à conditionner l'accès aux aides à la réalisation d'une rénovation performante et globale, et donnerait comme objectif un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires. Il prévoirait également d'identifier, dans la loi de programmation quinquennale sur l'énergie, les moyens et les actions nécessaires à la résorption prioritaire des passoires thermiques. Or, s'il est nécessaire d'accélérer les rénovations globales, ce que prévoit déjà la loi à travers « une incitation financière accrue », la condition ne peut être que souple et l'évolution ne peut être que progressive afin de ne pas déstabiliser le secteur et préserver le succès obtenu par Ma Prime Rénov' (MPR), de même que la possibilité d'un parcours de rénovation par étapes. De plus, les autres types d'aides à la rénovation énergétique (gestes de travaux, bouquets de travaux), s'ils peuvent paraître moins efficients sur le plan climatique, sont importants d'un point de vue socioéconomique.

Quant au reste à charge, il est actuellement trop élevé. L'I4CE l'a démontré dans une récente étude économique sur les aides à la rénovation des logements13(*). Un ménage très modeste peut avoir un reste à charge d'environ 35 000 euros pour la rénovation d'un pavillon. Pour autant, la loi prévoit d'ores et déjà, à l'initiative du Sénat dans le cadre de la loi  « Climat et résilience », un « reste à charge minimal » qui n'est, pour le moment, malheureusement pas appliqué. Le reste à charge nul présente une difficulté philosophique, chacun devant contribuer, même de façon minime, selon ses moyens, et un risque de renouvellement des dérives telles que lors des opérations d'isolation ou de changement de chaudière à 1 €. Au reste, en visant les ménages précaires plutôt que modestes, l'article proposé aurait un lourd effet de bord, puisqu'il ne prendrait plus en compte le niveau de ressources, comme critère d'attribution des aides, mais la situation de précarité. S'agissant enfin de la priorisation des rénovations énergétiques sur les passoires thermiques, une telle précision est, tout à la fois, superflue par rapport à la loi « Climat et résilience » qui a permis la prise en compte, ici aussi à l'initiative du Sénat, des « typologies d'habitation », et contradictoire par rapport à l'objectif de massification des rénovations énergétiques.

L'article 2 propose de garantir l'égalité d'accès aux guichets du service public de la performance énergétique de l'habitat, le SPPEH, quelle que soit la densité de population. Mais la loi « Climat et résilience » a déjà prévu un service harmonisé, avec des compétences équivalentes, au besoin par des guichets physiques itinérants, sur l'ensemble du territoire. L'État et l'Anah ont d'ailleurs été chargés de l'animation nationale de ce service harmonisé, tandis que les collectivités territoriales doivent réaliser son bilan. L'imperfection du dispositif actuel est largement partagée, mais il est en cours de déploiement. Il y a actuellement 551 espaces conseils France Rénov' avec 2 254 conseillers. 771 000 ménages ont été accueillis en 2022. La plateforme internet a reçu 6,8 millions de visites. Par ailleurs, à compter d'avril 2023, le Gouvernement va ouvrir l'agrément à d'autres acteurs pour être « Accompagnateur Rénov' », afin d'accroître la capillarité du réseau. Il paraît donc prématuré d'aller plus loin à ce stade et vraisemblablement peu productif d'ouvrir des espaces France Rénov' sans prendre en compte l'intensité de la demande potentielle. De plus, cela serait contraire à l'esprit de la décentralisation, car les guichets peuvent être créés par les collectivités territoriales et doivent couvrir l'échelon des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), depuis la loi « Climat et résilience ».

L'article 2 prévoit également de demander à ces guichets, en lien avec l'ONPE, d'identifier les ménages en situation de précarité énergétique. Là aussi, à la demande du Sénat dans la loi « Climat et résilience » ( article L. 126-32 du code de la construction et de l'habitation14(*)), les données des audits et des diagnostics de performance énergétique (DPE) sont transmis à l'Anah, aux associations, aux collectivités, à la caisse d'allocation familiale (CAF) et à la mutualité sociale agricole (MSA) qui versent les aides personnelles au logement (APL). Par ailleurs, l'ONPE a d'ores et déjà créé, début 2021, un outil de géolocalisation des zones de précarité énergétique15(*). La mission de l'ONPE est d'ailleurs plus celle de la production statistique que du guichet opérationnel. De surcroît, rien n'interdit aux guichets du SPEEH de nouer des liens avec les acteurs institutionnels nécessaires, les conseils d'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les associations d'information sur le logement (ADIL), de même que les réseaux professionnels et les acteurs locaux, étant ainsi explicitement prévus par la loi.

L'article 3 voudrait étendre jusqu'à six ans le délai pour réaliser une rénovation performante et globale dès lors qu'ils sont réalisés par le propriétaire occupant, accompagnés et planifiés dès le départ. Toutefois, la plupart des acteurs considèrent qu'une rénovation globale doit idéalement être réalisée en une seule étape, et au maximum deux ou trois, sur un délai limité. Le règlement prévoit d'ailleurs entre 18 mois et trois ans selon la situation du logement, de la maison individuelle à la grande copropriété. L'article proposé ajouterait donc de la complexité au dispositif et limiterait son efficacité. De plus, les délais, prévus à l'article R. 112-19 du CCH, sont essentiellement règlementaires. Il ne paraît pas pertinent de revenir sur ce point, il faut plutôt travailler sur les modalités de financement par subvention, prêt ou portage selon la situation du ménage, le type de rénovation et les économies attendues.

Enfin, l'article 4 suggère de compléter les compétences du Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB, pour promouvoir les matériaux adaptés aux spécificités locales et proposer sur cette base des normes adaptées outre-mer. Ces missions figurent déjà dans leur principe à l'article R. 121-1 du CCH16(*). Le CSTB procède déjà à des études de matériaux en coopération avec l'Ademe pour fiabiliser le DPE et évaluer les rénovations sur les matériaux anciens et biosourcés. Il est, en autres, à l'origine d'une labellisation de l'écoconception des produits de construction17(*). Outre-mer, le CSTB mène, par exemple, un programme de recherche dénommé ECCO DOM18(*) pour réaliser des économies d'énergie dans les logements sociaux. Il a également été saisi pour faire face aux risques climatiques et environnementaux propres à ces régions.


* 1 https://www.senat.fr/senateur/cardon_remi20060x.html

* 2 https://www.senat.fr/senateur/estrosi_sassone_dominique14187a.html

* 3 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-sur-lefficacite-des-politiques-publiques-en-matiere-de-renovation-energetique.html

* 4 https://onpe.org/sites/default/files/onpe_tableau_de_bord_2022_s2-vf-vf_compressed_1.pdf

* 5 https://www.energie-mediateur.fr/hausse-de-10-des-interventions-pour-impayes-des-factures-denergie-en-2022-2/

* 6 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/L16240_collectionTE_Mesures-Batiments_BATweb.pdf

* 7 https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2022/06/Rapport-annuel-Haut-conseil-pour-le-climat-29062022.pdf

* 8 https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

* 9 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/rapport_onre_aides_renovation_energetique_logements_2016_2020_fevrier2023_0.pdf

* 10 https://www.calameo.com/read/003588254aafab41ff9a7

* 11 https://www.ecologie.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-lenergie-ppe

* 12 https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-national-refondation-logement

* 13 https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/I4CE-renovation_energetique_HD_WEB.pdf

* 14 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041565289/2023-04-05/

* 15 https://onpe.org/outil_de_cartographie_geodip/categories

* 16 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000043818361/2023-03-30/#LEGIARTI000043818361

* 17 https://www.cstb.fr/fr/actualites/detail/eco-conception-des-produits-d-un-simple-coup-d-oeil-rapport-rse-activite-2021-2022-11/

* 18 http://www.cstb.fr/fr/actualites/detail/ecco-dom-consommation-energie-confort-thermique-et-ecogestes-en-logement-social-dans-les-drom-03-2023/