Rapport général n° 115 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022

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N° 115

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 9
DÉFENSE

Rapporteur spécial : M. Dominique de LEGGE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean- Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

I. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONFORME À LA TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

En projet de loi de finances pour 2023, les crédits demandés au titre de la mission « Défense » s'élèvent à 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 53,1 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) .

Hors pensions et à périmètre courant, les CP progresseraient de 3 milliards d'euros pour s'établir à 44 milliards d'euros, soit un strict respect de la marche prévue par la loi de programmation militaire 2019-2025 . Ainsi, les crédits de la mission seraient en 2023 supérieurs de 8 milliards d'euros à ceux de 2019.

Le respect de la trajectoire de crédits prévue par la LPM depuis 2019

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Cette hausse de crédits doit notamment permettre de financer une hausse des effectifs de 1 500 équivalents temps plein (ETP) , et un effort particulier en faveur du maintien en condition opérationnelle (MCO) (+ 500 millions d'euros), de la modernisation des équipements (+ 500 millions d'euros), de la dissuasion nucléaire (+ 300 millions d'euros).

Progression des crédits entre la LFI 2022 et le PLF 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

II. LE BOULEVERSEMENT DE LA GUERRE EN UKRAINE ET SES CONSÉQUENCES POUR LES ARMÉES

A. LA GUERRE EN UKRAINE CONTINUERA D'AFFECTER LA MISSION EN 2023

L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors constituent un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe, qui affectera nécessairement le budget de défense de la France dans la période qui s'ouvre. La guerre en Ukraine marque d'abord le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe , avec un emploi désinhibé de la force. Elle se caractérise également par un changement d'échelle de la conflictualité , qui se déploie sur tous les champs, aussi bien sur les trois champs historiques (terre, mer, airs) que dans les champs cyber et informationnels.

Bien que la France ne soit pas belligérante, la guerre en Ukraine affecte le budget de la mission « Défense » à deux titres :

- premièrement, du fait du soutien de la France à la résistance ukrainienne , ce qui se traduit par la cession de matériels aux Forces armées ukrainiennes ainsi que, suite à une annonce du président de la République du 7 octobre 2022, le financement d'un fonds de soutien de 100 millions d'euros pour permettre aux forces armées ukrainiennes d'acheter directement du matériel militaire auprès des industriels français ;

- deuxièmement, au titre du renforcement de la posture de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) sur le flanc oriental de l'Europe et à sa participation aux missions de réassurance menées dans les pays frontaliers (mission AIGLE en Roumanie, mission LYNX en Estonie).

D'après les informations communiquées au rapporteur spécial, ces engagements ont représenté un surcoût estimé à 660 millions d'euros en 2022 . Au titre de l'année 2023, des besoins de l'ordre d'environ 255 millions d'euros sont d'ores et déjà estimés pour renforcer les capacités de projection militaire sur ces théâtres.

B. L'INFLATION PÈSE LOURDEMENT SUR LE BUDGET DES ARMÉES

Le surcoût lié à l'inflation sur les carburants, pour partie imputable aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, est estimé à 200 millions d'euros en 2022 . En 2023, l'impact global de l'inflation sur le budget de la mission est estimé à 1 milliard d'euros.

Afin que l'impact de l'inflation ne conduise pas à absorber le tiers de la hausse des crédits, le Gouvernement a fait le choix de le financer par reports de charge sur l'année 2024. Le report de charges représenterait ainsi 15 % des crédits de la mission (hors dépenses de personnel) en 2023, soit 3 points de plus que la cible fixée par la LPM.

Le rapporteur spécial émet de vives réserves quant à la méthode retenue . Plutôt que d'assumer la nécessité de rehausser les crédits inscrits sur la mission compte tenu du contexte inflationniste, le ministère - soucieux d'afficher un respect strict de la trajectoire de crédits prévue par la LPM - a fait le choix d'en faire supporter cette charge à la trésorerie des industriels. Certes, les reports de charges devraient être ciblés sur les plus grands groupes, qui disposent d'une trésorerie suffisante pour les absorber . Il n'en demeure pas moins que cette solution doit être considérée comme un « fusil à un coup » si le ministère entend préserver sa crédibilité vis-à-vis de ses fournisseurs, à plus forte raison dans la perspective de l'édification d'une d' « économie de guerre » où il serait attendu d'eux une réactivité accrue.

III. DES INCERTITUDES PÈSENT SUR LA CAPACITÉ DES ARMÉES À RELEVER LE DÉFI DE LA HAUTE INTENSITÉ

A. LA PROGRESSION DES DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT NE SAURAIT MASQUER D'IMPORTANTES REMISES EN CAUSE CAPACITAIRES

L'année 2023 se traduirait par une poursuite de la trajectoire de hausse des dépenses d'équipement, qui s'établiraient à 25,6 milliards d'euros en CP (+ 8 %).

Plusieurs ajustements prévus par le Gouvernement par rapport aux jalons capacitaires de la LPM ont été compensés par des décalages de programmes . À titre d'exemple, la décision de pérennisation du char Leclerc a été compensée par le rabaissement de la cible à 45 % de l'ensemble des livraisons du programme SCORPION (prévu en 2030) en 2025 au lieu des 50 % initialement prévus.

Surtout, le prélèvement de 24 avions Rafale d'occasion sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace, soit plus de 20 % de la flotte, pour les besoins d'un export au profit de la Grèce (12 appareils) puis de la Croatie (12 appareils), constitue une profonde remise en cause de l'objectif fixé par la LPM à horizon 2025 (171 appareils). Si le recomplètement de la flotte a été acté , avec la commande de 24 appareils neufs, le jalon 2025 ne pourra être atteint qu'avec deux ans de retard. Ces commandes représentent un coût de l'ordre de 2,5 milliards d'euros pour la mission « Défense ».

Bien que l'enjeu ne soit pas de même nature, l'exercice 2022 a ensuite été marqué par la cession de 18 canons Caesar aux Forces armées ukrainiennes. Cette livraison représente près du quart du parc de l'armée de terre (76 pièces), ce qui témoigne de l'ampleur du soutien apporté par la France à la résistance ukrainienne face à l'invasion russe. Une commande a été passée en urgence par les armées, visant à permettre un recomplètement total (18 pièces) d'ici 2024 , ce qui constituerait une prouesse inédite de la part de l'industriel. Cette commande représente un coût d'environ 80 millions d'euros .

B. LA CAPACITÉ DES ARMÉES À ASSURER LEURS CONTRATS OPÉRATIONNELS, EN PARTICULIER SOUS HYPOTHÈSE D'ENGAGEMENT MAJEUR, EST ENCORE IMPARFAITE ET INÉGALE

La LPM fixe aux armées l'objectif d'être en capacité d'être engagées, pour une durée limitée, dans une opération de coercition majeure tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur les théâtres d'opération déjà ouverts .

Si les indicateurs de performance de la mission indiquent une bonne capacité de l'armée de terre à réaliser son contrat opérationnel, la situation est plus préoccupante pour la marine et surtout pour l'armée de l'air et de l'espace, dont les capacités ont été affectées par le prélèvement de 24 Rafale (voir supra ). La cession de Rafale, cumulée à une disponibilité technique opérationnelle (DTO) des Rafale qui reste inférieure aux objectifs, pèse fortement sur la préparation opérationnelle des aviateurs , qui reste loin des objectifs fixés par la LPM et les normes de l'Otan en termes d'heures de vol.

Préparation opérationnelle des pilotes de l'armée de l'air
et de l'espace

(en heures de vol)

2019
(réalisé)

2020
(réalisé)

2021
(réalisé)

2022
(prévision)

2023
(prévision)

Norme LPM

Norme OTAN

Chasse

159

152

161

162

147

180

180

Transport

185

176

192

208

189

320

400

Hélicoptère

161

155

163

183

181

200

200

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

La DTO des aéronefs est également insuffisante dans les autres armées, avec notamment une disponibilité des hélicoptères de l'armée de terre inférieure à 50 % s'agissant des hélicoptères de manoeuvre.

Dans une perspective d'amélioration de la DTO, il convient de relever que l'effort en faveur du maintien en condition opérationnelle continuerait de se poursuivre en 2023 (+ 550 millions d'euros), et aurait ainsi connu un taux de croissance annuel moyen de 7 % depuis 2020.

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

IV. LES RETARDS PRIS SUR LE PROJET SCAF COMPROMETTENT LA PRÉPARATION DES ARMÉES À LA GUERRE AÉRIENNE DU FUTUR

Les industriels français, allemands et espagnols poursuivent les travaux préparatoires du système de combat aérien du futur (SCAF). Ce projet ambitieux concentre de nombreux risques qui devront être pleinement maîtrisés dans les années à venir.

Le SCAF devra rassembler, autour d'un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes de 2040 et exploitant le potentiel de l'intelligence artificielle, des moyens de combat travaillant en réseau, dont des drones de différents types .

Bien que le projet ait fait l'objet d'un accord entre les états-majors des armées français, allemand et espagnol le 30 août 2021 relatif à l'expression du besoin opérationnel, des risques continuent de peser sur sa réalisation. La signature du contrat principal (impliquant notamment Dassault Aviation et Airbus) ayant été reportée à la suite de désaccords entre les industriels (relatifs aux sous-traitants). Ce contrat - dit Statement of Work (SOW) - doit fixer le cahier des charges techniques pour le passage à la phase de démonstration, devant être lancée en 2023. Alors que le premier vol du démonstrateur était prévu fin 2026, ce dernier devrait en réalité avoir lieu un an plus tard du fait des difficultés de la coopération franco-allemande, alors que le SOW n'est toujours pas signé.

Chaque jour de retard supplémentaire dans les négociations est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur. Compte tenu du fait que le besoin opérationnel en faveur d'un chasseur de nouvelle génération a été exprimé avec la plus grande clarté par les états-majors, des exigences techniques particulières tenant à l'inscription de ce nouveau chasseur dans la stratégie globale de défense française (ce qui implique notamment une capacité à assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et une possibilité de navalisation sur un porte-avion), et enfin de la difficulté manifeste à poursuivre les négociations avec nos partenaires, on ne peut plus exclure de devoir envisager la possibilité d'une alternative « nationale » au SCAF. C'est la raison pour laquelle, tout en considérant que le « plan A » demeure celui de la poursuite de la coopération engagée, le rapporteur spécial propose un amendement destiné à financer des études supplémentaires permettant d'explorer la faisabilité d'un tel « plan B national » afin d'anticiper une éventuelle impasse des négociations.

V. LA PROCHAINE LPM : UN CHANGEMENT DE MÉTHODE ATTENDU

La LPM 2019-2025 devait faire l'objet d'une actualisation en 2021. Son article 7 prévoyait ainsi que « la présente programmation fera l'objet d'actualisations , dont l'une sera mise en oeuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025 ». Le Premier ministre Jean Castex a pourtant finalement décidé de prononcer une déclaration devant chacune des chambres du Parlement les 22 et 23 juin 2021 au titre de l'article 50-1 de la Constitution, utilisé pour l'informer des actualisations prévues, ce qui était loin de constituer une modalité d' « association » suffisante du Parlement.

Alors que l'examen de la prochaine LPM pour la période 2024-2030 est prévu pour le premier trimestre 2023, un changement de méthode a été annoncé par le ministre des armées, avec une association étroite des parlementaires à son élaboration .

Sans préjuger des travaux qui devront être conduits pour l'élaboration de la prochaine LPM, quelques pistes peuvent d'ores et déjà être relevées pour amener les armées françaises au niveau requis par la haute intensité , demeurer parmi les deux ou trois nations forces d'entraînement au sein de l'Otan et être ainsi en mesure de peser au sien d'une coalition dans le cadre d'une opération de coercition majeure :

- en premier lieu, les contrats opérationnels et le format des armées, qui n'ont pas connu d'évolution substantielle sous l'actuelle LPM, devront être réinterrogés , en particulier la flotte d'aviation de chasse, à la lumière des nouvelles menaces ;

- en termes d'équipement, la programmation devra trouver un juste équilibre entre la technologie - les équipements de pointe étant ceux qui permettent de prendre l'ascendant dans un conflit - et la rusticité - les équipements moins coûteux et plus massifs permettant de tenir dans la durée ;

- le principe selon lequel la politique de soutien des armées à l'export ne doit pas se faire au préjudice de leurs capacités opérationnelles devra clairement être affirmé , à plus forte raison dans un contexte où des conflits, tels que la guerre en Ukraine, pourraient de nouveau justifier la livraison de capacités militaires prélevées sur les dotations des armées ;

- il conviendra enfin de veiller à la cohérence des capacités recherchées . C'est uniquement par la cohérence des moyens mobilisés qu'on peut transformer un équipement en capacité militaire. En particulier, un effort accru devra être porté sur l'approvisionnement des armées en munitions pour s'assurer de leur capacité à tenir dans la durée sous hypothèse d'engagement majeur, chaque munition doit être pensée comme l'une des parties d'un triptyque « soldat correctement formé - arme en condition opérationnelle - munitions en quantité suffisante ».

La prochaine LPM devra en outre redimensionner la provision aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT) à partir du coût réel de ces opérations (autour de 1,6 milliard d'euros en 2022 et 2023, dans un contexte marqué par la ré-articulation du dispositif Barkhane). À nouveau en 2022 en effet, comme les années précédentes, les surcoûts par rapport à la provision doivent être absorbés par le seul ministère des armées, à rebours des dispositions prévues par l'article 4 de la LPM 2019-2025.

Réunie le mardi 8 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission tels que modifiés par son amendement. Elle a également proposé d'adopter l'article 42 sans modification.

Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé ses décisions.

Au 10 octobre 2022, date limite, en application de l'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 97 % des réponses portant sur la mission « Défense » étaient parvenues au rapporteur spécial.

PREMIÈRE PARTIE :
LA MISSION « DÉFENSE » À L'HEURE DE LA GUERRE EN UKRAINE

I. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2023 CONFORME À TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

A. LES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2023 AU TITRE DE LA MISSION « DÉFENSE » S'ÉLÈVENT À 53 MILLIARDS D'EUROS

La mission « Défense » porte le budget du ministère des armées pour assurer la politique de défense de la France .

Les autorisations d'engagement (AE) demandées s'élèvent à 62 milliards d'euros en projet de loi de finances (PLF) pour 2023 contre 59,6 milliards d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2022 soit une hausse de 4 % .

Les crédits de paiement (CP) demandés s'élèvent quant à eux à 53,1 milliards d'euros en PLF 2023 contre 49,6 milliards d'euros en LFI 2022, soit une hausse de 7,2 % .

Pour mémoire, la mission se décompose en quatre programmes :

- le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des armées sur l'environnement stratégique présent et futur ainsi que sur la stratégie internationale du ministère des armées, par le renseignement, la recherche stratégique et industrielle, et la diplomatie de défense. Les crédits demandés s'élèvent à 2 milliards d'euros en AE, soit une baisse de 7 % par rapport à la LFI 2022 et à 1,9 milliard d'euros CP, soit une hausse de 7 % ;

- le programme 178 « Préparation et emploi des forces » , placé sous la responsabilité du chef d'état-major des armées, vise à satisfaire aux exigences définies par les contrats opérationnels des armées. Il constitue ainsi le coeur de la mission « Défense ». Les crédits demandés pour 2023 s'élèvent à 12,6 milliards d'euros en AE , soit une baisse de 15,9 % par rapport à la LFI 2022 et à 12 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 11,4 % ;

- le programme 212 « Soutien de la politique de défense » , rassemble les crédits destinés aux fonctions supports du ministère des armées, hors achat d'armement. Il comprend en particulier l'intégralité des crédits de titre 2 (T2) dédiés aux dépenses de personnel. Les crédits demandés pour 2023 s'élèvent à environ 24 milliards d'euros en AE et en CP, soit une hausse de 6 % par rapport à la LFI 2022 ;

- le programme 146 « Équipement des forces » , co-piloté par le chef d'état-major des armées et par le délégué général pour l'armement (DGE), vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions et concourt au développement et au maintien de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. Les crédits demandés pour 2023 s'élèvent à 23,6 milliards d'euros AE , soit une hausse de 38 % par rapport à la LFI 2022 et à 15 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 6,2 %.

Les crédits des programmes de
la mission « Défense » en LFI 2022 et en PLF 2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

Programme

LFI 2022

PLF 2023

Variation 2022/2021

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 144 « Environnement et prospective de la défense »

2 146,4

1 778,4

1 989,8

1 906,2

- 7,30 %

+ 7,18 %

Programme 178 « Préparation et emploi des forces »

14 892,9

10 798,6

12 528,7

12 032,2

- 15,87 %

+ 11,42 %

Programme 212 « Soutien de la politique de défense »

25 459,2

22 479,5

23 898,0

23 773,9

- 6,13 %

+ 5,76 %

Programme 146 « Équipement des forces »

17 087,5

14 503,6

23 588,8

15 404,1

+ 38,05 %

+ 6,21 %

TOTAL

59 586,0

49 560,1

62 005,3

53 116,5

+ 4,06 %

+ 7,18 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le ministère des armées a développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), transversales aux différents programmes. Les trois principales OS concernent :

- les rémunérations, pensions comprises, qui représentent une dépense de 22,3 milliards d'euros, soit 41 % des CP de la mission (fonds de concours et attributions de produits compris) ;

- les programmes à effet majeur (PEM), qui regroupent les activités associées aux opérations d'armement les plus structurantes, et représentent une dépense de 8,6 milliards d'euros, soit 16 % des CP de la mission ;

- la dissuasion nucléaire , qui représente une dépense de 5,6 milliards d'euros, soit 10 % des CP de la mission.

Répartition des crédits de la mission « Défense » par opération stratégique
(y. c. FDC et ADP)

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2021, le budget de défense de la France représentait 1,9 % de son produit intérieur brut (PIB) , ce qui le classe devant celui de l'Allemagne mais derrière celui du Royaume-Uni et à plus forte raison des principales puissances militaires mondiales (États-Unis, Chine, Russie).

Les principaux budgets de défense dans le monde

(en pourcentage du PIB, prix et taux de change constants 2020)

B. LES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2023 PROGRESSERAIENT DE 3 MILLIARDS D'EUROS EN 2023, SOIT UN STRICT RESPECT DE LA MARCHE PRÉVUE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

L'article 3 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM) prévoit une trajectoire d'évolution des CP de la mission « Défense », hors pensions et à périmètre courant pour les années 2019 à 2023. Il était prévu de porter les ressources totales à 2 % du PIB en 2025, soit environ 50 milliards d'euros.

Sur le périmètre de la LPM, les CP connaîtraient une hausse de 3 milliards d'euros en 2023 pour atteindre 44 milliards d'euros, soit un strict respect de la marche prévue, au même titre que les années précédentes. Ainsi, les crédits de la mission, seraient en 2023 supérieurs de 8 milliards d'euros à ceux de 2019, avec un le taux de croissance annuel moyen de 5 %.

Le respect de la trajectoire de crédits prévue par la LPM depuis 2019

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

L'augmentation des crédits permettrait notamment une augmentation des effectifs de 1 500 équivalents temps plein soit, là encore, un strict respect des cibles fixées à l'article 6 de la LPM, permettant une hausse de 3 000 ETP sur 2019-2023 . Il est à noter qu'en 2023, 28 % des recrutements concerneraient le domaine du renseignement et 20 % les domaines de la cyberdéfense et de l'intelligence artificielle.

Le respect de la trajectoire d'effectifs prévue par la LPM depuis 2019

(en ETP)

Source : réponse au questionnaire budgétaire

L'augmentation totale des dépenses de masse salariale serait de 686 millions d'euros. Outre ces dépenses de personnel, les principaux postes en hausse concerneraient :

- le renforcement des moyens concourant à la dissuasion : + 300 millions d'euros ;

- l'effort en faveur du renseignement : + 68 millions d'euros ;

- la modernisation des équipements , notamment dans le cadre des programmes à effet majeur (PEM) : + 500 millions d'euros ;

- le maintien en condition opérationnelle (MCO) : + 550 millions d'euros ;

- les infrastructures : + 400 millions d'euros ;

- les dépenses de fonctionnement , y compris pour l'activité opérationnelle, incluant la hausse des dépenses de carburants : + 400 millions d'euros.

Progression des crédits entre la LFI 2020 et le PLF 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

II. LE BOULEVERSEMENT DE LA GUERRE EN UKRAINE ET SES CONSÉQUENCES POUR LES ARMÉES

A. LE GUERRE EN UKRAINE CONTINUERA D'AFFECTER LE BUDGET DES ARMÉES EN 2023

1. La guerre en Ukraine : un tournant stratégique

L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors constituent un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe, qui affectera nécessairement le budget de défense de la France dans la période qui s'ouvre.

La guerre en Ukraine marque d'abord le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe , avec un emploi désinhibé de la force.

Elle se caractérise également par un changement d'échelle de la conflictualité , qui se déploie sur tous les champs, aussi bien sur les trois champs historiques (terre, mer, airs) que dans les champs cyber et informationnels. Le volume des unités de combat engagées est en effet sans commune mesure avec les combats des dernières décennies, avec près de 150 000 combattants mobilisés de part et d'autre sur le front ukrainien. À titre de comparaison, l'opération Barkhane au Sahel, principale opération extérieure menée par la France, mobilise moins de 5 000 militaires.

Ces évolutions s'inscrivent dans le prolongement des tendances géopolitiques identifiées depuis plusieurs années par les principaux documents stratégiques publiés par les armées françaises.

Dès 2017, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale faisait état d'un « durcissement des menaces » - en soulignant notamment les problématiques du « renouveau de la puissance russe » - dont il résulte « un risque accru d'escalade et de montée aux extrêmes entre États, potentiellement jusqu'au franchissement du seuil nucléaire » .

Si les enseignements stratégiques tirés de cette guerre ne sauraient être établis définitivement à ce stade, les retours d'expérience (Retex) mettent en avant plusieurs éléments structurants , avec le constat de la transparence des champs de bataille compte tenu des moyens technologiques déployés (cyber, drones, radars...), de l'importance du champ informationnel, et de la préparation opérationnelle la haute intensité.

Plus largement, cette guerre a témoigné du rôle décisif des forces morales dans un conflit majeur et rappelé l'importance, par-delà les armées, de préparer la Nation à une posture de guerre dès le temps de paix, ce qui implique nécessairement d'en tirer les conséquences quant à l'effort à fournir en faveur de sa défense.

2. Bien que la France ne soit pas belligérante, la guerre en Ukraine affecte le budget des armées françaises en 2022 et 2023

Bien que la France ne soit pas belligérante, la guerre en Ukraine affecte le budget de la mission « Défense » à deux titres.

Premièrement, du fait du soutien de la France à la résistance ukrainienne.

Ce soutien se traduit en particulier par la cession de matériels aux forces armées ukrainiennes :

- en premier lieu, des matériels visant à leur permettre de réagir en urgence face à l'invasion russe entre février et avril 2022, tels que des équipements de protection individuelle, armements individuels, systèmes de missiles anti-char et anti-aérien ;

- dans un second temps, avec la fourniture de pièces d'artillerie au premier rang desquelles la livraison de 18 canons Caesar et des véhicules blindés, notamment de transport de troupes ;

- en parallèle, avec la réponse à certaines demandes précises des forces ukrainiennes en matière de carburant - l'accès à celui-ci étant décisif -, de maintenance, de pièces détachés, de munitions et de formation.

La mission « Défense » financera également, suite aux annonces du président de la République lors de sa conférence de presse donnée le 7 octobre 2022 à l'issue du Sommet informel des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne de Prague, un fonds de soutien d'un montant initialement prévu de 100 millions d'euros et qui devrait être porté à 200 millions d'euros, pour permettre aux forces armées ukrainiennes d'acheter directement du matériel militaire auprès des industriels français.

Deuxièmement, au titre du renforcement de la posture de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) sur le flanc oriental de l'Europe , afin d'éviter que le conflit puisse s'étendre au-delà des frontières de l'Ukraine, dans les pays membres de l'Otan, les armées françaises participent notamment :

- à la mission AIGLE, lancée dès le 28 février 2022 en Roumanie. En tant que nation-cadre, la France y assure depuis le 1 er mai le commandement d'un bataillon multinational de présence avancée - Battle group forward presence - BGFP ) ;

- à la mission LYNX en Estonie, au titre de la contribution française à la présence avancée renforcée de l'Otan ( enhanced Forward presence -eFP ) ;

- à des missions de surveillance et de défense aérienne renforcées dans le ciel polonais ( enhanced Vigilance activity - eVA ).

D'après les informations communiquées au rapporteur spécial, ces engagements ont représenté un surcoût estimé à près de 700 millions d'euros en 2022 . Au titre de l'année 2023, des besoins de l'ordre d'environ 255 millions d'euros sont d'ores et déjà estimés pour renforcer les capacités de projection militaire sur ces théâtres.

B. L'INFLATION PÈSE LOURDEMENT SUR LE BUDGET DES ARMÉES

Le budget de la mission « Défense » se trouve fortement affecté par la poussée inflationniste actuelle, elle-même pour partie imputable aux conséquences économiques du conflit en Ukraine et particulièrement prononcée sur les produits énergétiques et les matières premières.

En 2022 , le surcoût lié à l'inflation sur les carburants est estimé à 200 millions d'euros . En 2023, l'impact global de l'inflation sur le budget de la mission est estimé à 1 milliard d'euros. Afin que l'impact de l'inflation ne conduise pas à absorber le tiers de la hausse des crédits, le Gouvernement a fait le choix de le financer par reports de charge sur l'année 2024.

Le report de charges

Le report de charges est une notion budgétaire utilisée par le ministère des armées regroupant les dépenses qui auraient dû être réglées en année N-1 et constituant des dettes certaines et exigibles par les tiers. Il peut s'agir :

- de charges à payer, soit les charges au titre d'engagements juridiques consommés et pour lesquels le service fait a été constaté en N-1 mais le paiement n'a pas été effectué (du fait notamment du temps de traitement des factures)

- de dettes fournisseurs, qui n'avaient pas pu être liquidées en année N faute de crédits de paiement disponibles et qui constituent des dépenses obligatoires : elles sont liquidées en début d'année n+1, dès la mise à disposition des crédits de l'exercice suivant.

Le rapport annexé à la LPM a entendu, dans le but, fixer une trajectoire de diminution du report de charge afin de garantir la soutenabilité de la programmation, dans la mesure où le financement de tels reports vient mécaniquement grever les crédits de la mission dès le début de l'année N+1,

Évolution du report de charges prévue par le rapport annexé à la LPM
en pourcentage des CP hors masse salariale de la mission « Défense »

(en %)

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Report de charges

16

15

14

12

12

11

10

Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025

Alors que la cible de la LPM a été atteinte chaque année depuis 2019, le financement de l'impact de l'inflation par le report de charges en 2023 conduirait à porter celui-ci à près de 4,7 milliards d'euros, soit 15 % des CP de la mission hors masse salariale et par conséquent 3 points de plus que la cible . Le ministère a cependant indiqué au rapporteur que l'objectif de 10 % de report de charges à horizon 2025 était maintenu.

Le rapporteur spécial émet de vives réserves quant à la méthode retenue . Plutôt que d'assumer la nécessité de rehausser les crédits inscrits sur la mission compte tenu du contexte inflationniste, le ministère - soucieux d'afficher un respect strict de la trajectoire de crédits prévue par la LPM - a fait le choix d'en faire supporter cette charge à la trésorerie des industriels. Certes, comme cela a été indiqué au rapporteur spécial, les reports de charges devraient être ciblés sur les plus grands groupes, qui disposent d'une trésorerie suffisante pour l'absorber . Il n'en demeure pas moins que cette solution doit être considérée comme un « fusil à un coup » si le ministère entend préserver sa crédibilité vis-à-vis de ses fournisseurs, à plus forte raison dans la perspective de l'édification d'une d' « économie de guerre » où il serait attendu d'eux une réactivité accrue (voir infra ).

Enfin, le relèvement du point d'indice de la fonction publique , conséquence indirecte des tensions inflationnistes, pèsera également sur le budget de la mission en 2023, à hauteur de 356 millions d'euros , et devra être absorbé à enveloppe LPM constante.

C. UN SCHÉMA DE FIN DE GESTION 2022 REFLÉTANT LE CARACTÈRE EXCEPTIONNEL DE LA SITUATION MAIS QUI CONTINUE DE FAIRE L'IMPASSE SUR LE FINANCEMENT DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES ET DES MISSIONS INTÉRIEURES

Le second projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022 en cours d'examen au Parlement prévoit une ouverture nette de crédits de 1,3 milliard d'euros en AE et près de 1,2 milliard d'euros en CP , soit un montant près de 10 fois supérieur aux ouvertures réalisées dans le cadre du schéma de fin de gestion pour l'année 2021, traduisant le caractère exceptionnel de l'exercice 2022.

Les ouvertures brutes à hauteur de 1,7 milliard euros en AE et 1,6 milliard d'euros en CP permettent de financer des besoins constatés en 2022 ainsi que des moyens à reporter sur 2023 .

Au titre des besoins constatés en 2022, le PLFR prévoit d'ouvrir :

- près de 400 millions d'euros en AE et en CP de surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT) par rapport à la provision prévue en LFI 2022 (1,2 milliard d'euros) ;

- près de 700 millions d'euros en AE et 600 millions d'euros en CP au titre de la participation de la France aux opérations de réassurance sur le flanc oriental de l'Otan ;

- près de 200 millions en AE et en CP au titre de la hausse des coûts liés aux carburants opérationnels.

Au titre des moyens à reporter sur 2023, le PLFR prévoit d'ouvrir :

- près de 255 millions d'euros en AE et en CP pour tirer les premiers enseignements de la guerre en Ukraine et financer la mise en cohérence des moyens des forces (activité, matériels de déploiement...), incluant notamment 29 millions d'euros pour des munitions ;

- 100 millions d'euros en AE et en CP au titre du fonds de soutien à l'Ukraine. En première lecture à l'Assemblée nationale, son montant a été portée à 200 millions d'euros par un amendement du Gouvernement.

En parallèle, le PLFR porte des annulations à hauteur de 400 millions d'euros en en AE et en CP.

Le rapporteur spécial ne peut qu'approuver l'apport de crédits frais pour le financement des opérations menées en Roumanie et en Estonie ainsi que l'activation de la « clause de sauvegarde carburants » prévue par l'article 5 de la LPM 2019-2025 (voir encadré) .

Les clauses de sauvegardes prévues par les articles 4 et 5 de la loi de programmation militaire 2019-2025

« Article 4 - (...) En gestion, les surcoûts nets, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. Hors circonstances exceptionnelles, la participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État. Si le montant des surcoûts nets ainsi défini est inférieur à la provision, l'excédent constaté est maintenu au profit du budget des armées (...)

« Article 5 - En cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces. »

En revanche, comme l'illustre le tableau ci-dessous et compte tenu des reports prévus, le montant des annulations correspond exactement aux surcoûts des OPEX et MISSINT en 2023, qui ont donc été financés par redéploiements internes à la mission « Défense », à rebours des dispositions prévues par l'article 4 de la LPM (voir encadré).

Synthèse du schéma de fin de gestion 2022 de la mission « Défense »

(en millions d'euros)

Besoin à financer

Coût

Financement PLFR de fin de gestion

Exercice 2022

Surcoût OPEX/MISSINT

400

Annulations

400

Surcoût réassurance flanc oriental OTAN

600

Ouvertures nettes (consommation en fin de gestion)

800

Surcoût carburants

200

Exercice 2023

Renforcement des capacités de projection sur le flanc oriental OTAN

255

Ouvertures nettes
(à reporter)

455

Fonds de soutien à l'Ukraine

200

Total

1 655

1 655

Note : montants arrondis

Source : commission des finances du Sénat

Le rapporteur réitère donc ses critiques déjà formulées lors des exercices précédents concernant :

- le caractère chroniquement insuffisant de la provision OPEX/MISSINT de la LFI , même si son relèvement à 1,2 milliard d'euros depuis 2020 a permis de réduire le surcoût annuel ;

- surtout, le financement des surcoûts par redéploiement des crédits au sein de de la mission « Défense » et non par des crédits frais, à rebours des dispositions de l'article 4 de la LPM 2019-2025. Ainsi, pour faire face aux dépassements de la provision fixée par la LPM, la mission « Défense » devrait financer un surcoût de près de 2 milliards d'euros sur la période 2018-2022.

Évolution des surcoûts liés aux opérations extérieures
et aux missions intérieures (« hors Ukraine »)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

L'activation de la « clause de sauvegarde OPEX/MISSINT » prévue à l'article 4 de la LPM 2019-2025 aurait pourtant été d'autant plus nécessaire que les exercices 2022 et 2023 sont et seront marqués par la ré-articulation du dispositif Barkhane au Sahel depuis l'été 2021 (voir encadré), qui se traduit par une augmentation des surcoûts par rapport à la provision.

L'opération Barkhane dans la bande sahélo-sahélienne

Née de la fusion en 2014 des deux opérations Epervier (établie depuis 1986 sur le territoire du Tchad) et Serval (lancée en 2013 au Mali), l'opération Barkhane repose sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) et les autres acteurs de la stabilisation de la région (MINUSMa, EUTM Mali, Force conjointe du G5 Sahel). Elle a pour but de lutter contre les groupes armés terroristes (GAT) qui sévissent dans la région tout en aidant les forces armées des pays du Sahel à acquérir l'autonomie nécessaire au traitement des menaces.

Opération d'envergure régionale avec 4 900 militaires engagés en moyenne en 2021, Barkhane représente toujours le plus important des déploiements des forces françaises en opérations extérieures. Elle est aujourd'hui engagée dans une profonde réorganisation.

Jusqu'à l'été 2021, Barkhane a orienté son effort tactique sur l'attrition des GAT dans le Gourma et dans le Liptako au Mali tout en se concentrant sur le partenariat de combat avec les forces armées maliennes (FAMa). Le sommet de N'Djamena en février 2021 a consacré cet effort et le renforcement du dispositif français jusqu'à l'été permettant notamment le maintien du tempo opérationnel en zone des 3 Frontières et le ciblage des hauts cadres des groupes terroristes.

Cette phase cinétique, décidée par le Président de la République et marquée par un renforcement des effectifs de Barkhane, a précédé le désengagement progressif de l'opération annoncé à l'été 2021 dans le contexte d'un deuxième coup d'état au Mali le 24 mai et du rapprochement opéré par la junte malienne avec la Russie et la société militaire privée Wagner.

La première phase de la transformation de notre dispositif militaire au Sahel s'est achevée le 14 décembre 2021 par la rétrocession de l'emprise de Tombouctou aux autorités maliennes. Cette première phase, conduite en coordination avec les Maliens, a d'ailleurs coïncidé avec le déploiement fin décembre des premiers personnels russes à Tombouctou. Depuis la fermeture des emprises du nord du Mali fin 2021 (Kidal, Tessalit, Tombouctou), la Force est engagée dans la phase 2 de la ré-articulation du dispositif français en BSS qui doit se traduire par le retrait de Barkhane du Mali ( Task Force Takuba incluse) en sécurité, en bon ordre et dans les délais impartis, tout en poursuivant les actions de partenariat avec les Forces armées nigériennes, en favorisant l'appui aux opérations des Forces armées burkinabè et de la force conjointe G5 Sahel et en poursuivant les opérations de réassurance au profit de la MINUSMa et d'EUTM-Mali.

Source : Rapport du Gouvernement au Parlement sur les opérations extérieures et missions intérieures de la France, juin 2022

S'agissant enfin des financements prévus au titre du renforcement des capacités de projection (255 millions d'euros), il est permis de s'interroger sur le choix d'ouvrir ces crédits en PLFR de fin de gestion 2022 alors même que les besoins avaient déjà pu être identifiés au moment de la budgétisation. À l'instar du choix de financer l'impact de l'inflation par le report de charges, le Gouvernement semble là encore avoir fait primer, en PLF 2023, l'affichage d'un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées en 2023.

DEUXIÈME PARTIE :
ENTRE RETOUR DE LA HAUTE INTENSITÉ ET PRÉPARATION DE L'AVENIR : QUELLES CAPACITÉS POUR LES ARMÉES FRANÇAISES ?

I. LA PROGRESSION DES DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT NE SAURAIT MASQUER D'IMPORTANTES REMISES EN CAUSE CAPACITAIRES

A. UNE POURSUITE DE L'EFFORT D'ÉQUIPEMENT

La LPM 2019-2025 a prévu une trajectoire d'évolution de l'agrégat « équipement », qui regroupe les différentes opérations stratégiques concourant à cette fonction, avec l'objectif de porter celui-ci à 31,5 milliards d'euros à l'horizon 2025, soit 63 % des ressources de la mission (hors pensions).

L'année 2023 se traduirait par une poursuite de la trajectoire de hausse des dépenses d'équipement , qui s'établiraient à 25,6 milliards d'euros en CP, soit 59,4 % des crédits de la mission (hors pensions) et un total supérieur de 8 % à celui de la LFI 2022. Les crédits de cet agrégat auraient progressé de près de 6 milliards d'euros depuis 2019 .

Évolution des crédits de paiement de l'agrégat « équipement »

(en milliards d'euros)

2019

2020

2021

2022

2023

Variation LFI 2022 / PLF 2023

LFI/PLF

19,6

20,9

22,3

23,7

25,6

+ 8,0 %

Dont Dissuasion

4,5

4,7

5

5,3

5,6

+ 5,7 %

Dont Infrastuctures

1,4

1,3

1,5

1,4

1,9

+ 35,7 %

Dont Programmes à effet majeur

5,8

6,9

7,6

8,1

8,5

+ 4,9 %

Dont Entretien programmé du matériel

4,2

4

4,1

4,5

5

+ 11,1 %

Entretien programmé du personnel

0,3

0,3

0,3

0,3

0,4

+ 33,3 %

Exécution

19,7

21,3

22,7

-

-

-

Cible LPM

19,5

20,8

22,3

23,7

26,1

-

Écart à la cible

0,1

0,5

0,4

0

- 0,5

-

Note : de 2019 à 2021, les écarts à la cible sont mesurés par rapport à l'exécution, en 2022 par rapport à la LFI et en 2023 par rapport au PLF.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

La non-atteinte de la cible LPM en 2023 (- 0,5 milliard d'euros) s'explique par l'effet du report de charges sur l'année suivante de paiements aux grands groupes industriels (voir supra ).

Le tableau suivant récapitule, par systèmes de forces (hors dissuasion), les dépenses d'équipements du programme 146 et les principales commandes et livraisons attendues pour 2023.

Principales commandes et livraisons par systèmes de forces prévues
sur le programme 146 en PLF 2023

(en milliards d'euros)

Système de forces

PLF 2023

Principales commandes
2023

Principales livraisons
2023

AE

CP

Commandement et maîtrise de l'information

3,0

2,6

- renouvellement du Système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA)

- renouvellement des stations satellitaires SYRACUSE IV

- capacités de traitement de données ARTEMIS IA

- systèmes de géolocalisation (récepteurs P3TS GALILEO et GPS)

- lutte informatique défensive et chiffrement

- deux systèmes de simulation d'entraînement CERBERE

- la poursuite de l'intégration de moyens de communication dans les véhicules terrestres

- la poursuite de la mise à niveau du réseau intranet des forces aéronavales (RIFAN) sur les bâtiments de la Marine,

- 1 305 postes radio CONTACT

- renouvellement d'une partie de SCCOA

- poursuite des livraisons des stations Syracuse IV

Projection-mobilité-soutien

2,0

1,8

- infrastructures aéroportuaires des hélicoptères HNG et des avions de transport A 400M.

- premier bâtiment ravitailleur de forces (FLOTLOG)

- 3 avions MRTT

- 2 A400M et les aires aéronautiques associées,

- 5 hélicoptères H-160

- 5 hélicoptères CAIMAN TTH

- 180 véhicules tactiques VT4

Protection-Sauvegarde

3,1

0,9

- 100 missiles ASTER 30 destinés aux frégates de défense et d'intervention (FDI)

- un lot de masques de protection nucléaire-bactériologique-chimique (NBC)

- le premier patrouilleur outre-mer (POM)

- 100 fusils brouilleurs pour la lutte anti drone

- 30 missiles d'interception à domaine élargi MIDE METEOR

- 77 remotorisation missiles d'interception, de combat et d'autodéfense de nouvelle génération (MICA NG)

- un lot de masques de protection NBC

Engagement et combat

11,1

5,2

- 420 véhicules blindés légers Serval

- 22 véhicules des forces spéciales (VFS) poids lourds

- 8 000 armes individuelles du futur (AIF), successeurs du Famas

- 42 Rafale

- 200 missiles antichars de moyenne portée (MMP), successeur du Milan

- 20 missiles antinavires EXOCET

- poursuite du programme SCORPION avec : 22 engins blindés Jaguar, 123 véhicules blindés multi-rôles Griffon et 119 Serval ainsi que les infrastructures d'accueil

- 18 chars Leclerc rénovés

- 104 VFS (dont 5 poids lourds)

- 5 véhicules légers

- 60 véhicules Fardier et 34 remorques associées

- 38 postes de tir

- 200 MMP

- 8660 AIF

- un module de lutte contre les mines constitué de drones

- le deuxième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) BARRACUDA

- la troisième rénovation Frégates type La Fayette

- 20 torpilles lourdes ARTEMIS

- 31 missiles EXOCET MM40 Block 3c et 3 rénovations ATL2

- 13 Rafale

- 13 Mirage 2000 D rénovés

- 9 pods de désignation laser

- 37 missiles de croisière SCALP rénovés

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Concernant la dissuasion nucléaire, clé de voûte de la stratégie de défense de la France, 4,6 milliards d'euros en CP sont inscrits sur le programme 146 en PLF 2023, soit une hausse de 300 millions d'euros , traduisant la poursuite de la modernisation de ce système de forces.

B. D'IMPORTANTES REMISES EN CAUSE CAPACITAIRES

1. Un périmètre d'actualisation de la LPM très large en 2021, dont au moins 3 milliards d'euros « assumés » par le ministère des armées

L'actualisation de la LPM désigne les choix de redéploiements de moyens internes à l'enveloppe prévue par rapport à la programmation initiale. Ces redéploiements peuvent, selon les cas, financer des surcoûts constatés sur certains postes ou bien permettre des réorientations de priorités. Ils peuvent donc entraîner soit des renoncements, soit des décalages dans le calendrier de certains projets.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a identifié un périmètre d'actualisation de la LPM de 8,6 milliards d'euros , répartis entre 7,4 milliards d'euros de surcoûts non prévus en LPM (dont 3,1 milliards d'euros d'ajustements opérés en LPM 2019, 2020 et 2021 en faveur de programmes prioritaires) et plus de 1,2 milliard d'euros de surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation des forces 1 ( * ) .

Certaines composantes de ce périmètre constituent des surcoûts nets (comme l'absence de financement interministériel du surcoût Opex détaillé supra ), d'autres constituent des redéploiements (Covid-19) ou des décalages temporaires (accélération du calendrier de commandes d'une frégate de défense et d'intervention). En tout état de cause, même si ce montant ne représente aucunement un surcoût net et demeure approximatif, il porte sur une enveloppe proche des 3 % de l'ensemble de la LPM (295 milliards d'euros). Cette proportion, qui ne saurait être considérée comme une simple « épaisseur du trait », aurait justifié une actualisation législative de la LPM en bonne et due forme (voir infra ).

Tableau estimatif global du périmètre budgétaire de l'actualisation

(en millions d'euros)

Les surcoûts constatés non prévus par la LPM

Chiffrages EMA* (A2PM 2019, 2020 et 2021)

Total des ajustements sur les PEM

3 140

Estimations CAED**

OPEX

1 000

Covid (dépenses différées)

1 100

Cession Rafale (Grèce et Croatie)

960

Frégate FDI

750

Soutien et imprévus

450

Sous-total 1

7 400

Les surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs de la LPM

Estimations CAED**

Entretien programmé des matériels

1 200

Préparation opérationnelle

?

Haute intensité

?

Sous-total 2

1 200

TOTAL Général

8 600

Source : commission des affaires étrangères et de la défense d'après l'analyse des chiffrages de l'État-major des armées(*) et les estimations des rapporteurs pour avis budgétaires de la commission des affaires étrangères et de la défense (**)

Les ajustements « assumés » par le ministère des armées reposent, à hauteur de 2,1 milliards d'euros sur les ajustements annuels de la programmation 2019 et 2020 et se décomposent en une augmentation dans le cadre du « Plan Famille » (0,2 milliard d'euros), l'accélération de deux ans des études et du lancement en réalisation du porte-avions de nouvelle génération succédant au Charles de Gaulle (0,8 milliard d'euros), et un effort sur l'espace et le numérique (1,1 milliard d'euros). Le ministère des armées indique que ces priorités ont été en partie financées par le redéploiement de crédits de masse salariale du ministère postérieurement au constat d'un sous-emploi de ces crédits en fin de gestion 2018 2 ( * ) .

Le milliard d'euros chiffré pour les travaux d'ajustement 2021 représente la prise en compte de la variante selon les axes « Mieux détecter et contrer » et « Mieux se protéger » (0,5 milliard d'euros), de l'impact du plan de soutien aéronautique (0,3 milliard d'euros) et la pérennisation du char Leclerc (0,2 milliard d'euros). Pourrait être ajouté à ces surcoûts le relèvement du point d'indice de la fonction publique (environ 0,4 milliard d'euros en année pleine)

Tous ces ajustements ont été compensés par des décalages de programmes comme le système de lutte anti-mines futur (SLAM-F), les futurs bâtiments hydrographiques (CHOF) ou le système de drones tactiques. La décision de pérennisation du char Leclerc est compensée par le rabaissement de la cible à 45 % de l'ensemble des livraisons de blindés SCORPION (prévu en 2030) en 2025 au lieu des 50 % initialement prévus 3 ( * ) . Auditionné par le rapporteur spécial, le délégué général pour l'armement (DGA) a indiqué que 25 % des livraisons SCORPION auront été réalisées en 2023.

Ces décalages sont présentés dans le tableau ci-dessous, qui est toutefois loin d'être exhaustif puisqu'il ne prend en compte que les « renoncements » assumés par le ministère des armées. Il ne prend par exemple pas en compte la rupture capacitaire pourtant majeure en matière d'avions de combat liée aux deux contrats d'exportation de Rafale d'occasion prélevés sur le parc de l'armée de l'air et de l'espace (voir infra ).

Programmes voyant leur jalon 2025 affecté
par les travaux d'ajustement réalisés en 2021

SCORPION

Actualisation de la cible LPM à 45 % au lieu de 50 %, de la cible totale à fin 2025.

Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F)

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 des livraisons de l'étape 2 avec maintien du lancement en réalisation en 2023.

CHOF

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 de la phase de réalisation, laquelle sera lancée en 2025.

FTLT

(VL 4-6 t)

Décalage de 2 ans par rapport au PLF 2021, commande en 2024, premières livraisons en 2027.

Système de drones tactiques (SDT)

Décalage de l'étape 2 de 2024 à 2025.

Avion de patrouille maritime PATMAR Futur

Décalage de 1 an de de la commande précédemment prévue en 2025.

Missile moyenne portée (MMP)

Étalement des livraisons prévues en 2024 - 2025 sur 2024, 2025, 2026 avec maintien de productions de 200 missiles par an.

Camion équipé d'un système d'artillerie (CAESAR)

Décalage de 1 an par rapport au PLF 2021 de la commande et de la livraison des 32 derniers CAESAR et de la rénovation de 77 CAESAR.

Avion léger de surveillance et de renseignement (ALSR)

La commande d'un ALSR décidée dans le cadre du plan de soutien aéronautique amène à dépasser le jalon 2025 : 3 ALSR auront été livrés en 2025 au lieu de 2.

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

2. La cession de 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie

Le 25 janvier 2021, un contrat a été signé entre la France et la Grèce pour la vente de 18 avions Rafale, dont 12 d'occasion prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace, faisant de la Grèce le premier client export du Rafale membre de l'UE, mais aussi de l'OTAN. Le premier avion a été livré au client le 21 juillet 2021 ; les activités de formation des personnels grecs se poursuivent en France. Afin de compenser la cession à la Grèce, une nouvelle commande de 12 avions Rafale neufs a été passée par la France dans la foulée de la signature du contrat avec la Grèce.

Fin mai 2021, le gouvernement croate a également fait le choix de l'offre française proposant 12 avions Rafale d'occasion (prélevés sur la dotation de l'Armée de l'air et de l'espace). Cette commande porterait à 24 le nombre total d'appareils prélevés sur la flotte actuelle de l'armée de l'air. Cette évolution est de nature à remettre frontalement en cause les objectifs capacitaires fixés par la LPM pour 2025, et de peser fortement sur l'activité opérationnelle d'ici au remplacement des avions cédés.

En effet, ce prélèvement de 24 appareils constitue un effort substantiel pour le parc opérationnel de l'armée de l'air et de l'espace, actuellement composé de 102 appareils. Il représente ainsi une ponction de plus de 20 % des capacités de Rafale actuellement en dotation de l'armée de l'air.

Dans ces conditions, l'effort porté pour honorer ces commandes grecques a remis en question l'objectif intermédiaire fixé pour 2021 (143) .

Objectifs capacitaires Rafale (Air et Marine) fixés par la LPM

(en nombre d'avions)

Ambition

opérationnelle 2030

Parc début 2019

Parc fin 2021

Parc fin 2025

Livraisons 2019-2025

225 (185 + 40)

143

143

171

28

Source : LPM

Cette ponction intervient dans un environnement capacitaire d'ores et déjà tendu, alors que la LPM fixe une capacité opérationnelle de 129 appareils Rafale en 2025 pour l'armée de l'air et de l'espace, et de 225 appareils Rafale pour l'année 2030 (dont 185 pour l'armée de l'air et de l'espace). Cette cible prévisionnelle du programme Rafale a été revue deux fois depuis le lancement du programme (cible initiale de 320 avions), ce qui traduit le caractère « minimal » de cette cible :

- en 1996 : révision de la cible de 320 à 294 avions ;

- en 2006 : révision de la cible de 294 à 286 avions.

La LPM 2019-2025 a confirmé que les forces aériennes comprendront 225 Rafale (air et marine) et 55 Mirage 2000D rénovés pour répondre à l'ambition opérationnelle 2030. La cible d'acquisition Rafale sera consolidée ultérieurement en fonction des options retenues pour le porteur ASN4G 4 ( * ) et de la progression du projet SCAF 5 ( * ) .

Le ministère des armées a confirmé que la flotte serait intégralement recomplétée, avec la commande de 24 Rafale neufs :

- la cession des 12 Rafale à la Grèce sera achevée en 2023. La commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs a été passée, avec une livraison attendue pour 2025. La commande représente un coût total d'environ 1,5 milliard d'euros, dont 1 milliard d'euros pris sur l'enveloppe LPM et 500 millions d'euros tirés du produit de cession.

- les premiers appareils seront cédés à la Croatie en 2023. Une seconde commande de recomplètement portant sur 12 appareils neufs sera également passée l'an prochain (portant le total des appareils commandés à 42), pour une livraison attendue en 2027. Le coût de cette commande peut être estimé à plus de 1,5 milliard d'euros. Lors de son audition, le délégué général pour l'armement a indiqué au rapporteur spécial que le produit de cession ne serait pas utilisé pour financer cette commande mais rétrocédé à l'armée de l'air et de l'espace pour l'amélioration de la disponibilité de la flotte.

À terme, l'opération ne serait pas dépourvue d'effets bénéfiques, puisqu'elle aura conduit à une homogénéisation et une modernisation de la flotte de Rafale de l'armée de l'air et de l'espace. Toutefois, dans l'attente du recomplètement de la flotte en 2027, soit avec deux ans de retard par rapport au jalon prévu par la LPM, cette cession entraine une réduction préoccupante des capacités opérationnelles intermédiaires. L'année 2023 sera en effet marquée par la livraison de 6 Rafale supplémentaires à la Grèce et des premiers appareils à la Croatie. Cette remise en cause capacitaire aura un effet direct sur la capacité opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace. Elle devrait se traduire par une baisse de la préparation opérationnelle des équipages chasse, alors que cette dernière est loin d'atteindre les objectifs fixés par la LPM et les normes OTAN (voir infra ).

3. L'enjeu du recomplètement du parc de Caesar

L'exercice 2022 a été marqué par la cession de 18 canons Caesar aux Forces armées ukrainiennes.

Le camion équipé d'un système d'artillerie (Caesar), développé par le groupe français Nexter, constitue l'armement principal des régiments d'artillerie des brigades multi-rôles et d'engagement d'urgence de l'armée de terre. Il permet avant tout de frapper avec la puissance d'une munition de 155 mm, à 40 km et avec une excellente précision.

Cette livraison représente près du quart du parc de l'armée de terre (76 pièces), ce qui témoigne de l'ampleur du soutien apporté par la France à la résistance ukrainienne face à l'invasion russe.

Une commande a été passée en urgence en 2022 par les armées, visant à permettre un recomplètement total (18 pièces) d'ici 2024 , ce qui constituerait une prouesse inédite de la part de l'industriel. Cette commande représente un coût d'environ 80 millions d'euros , financés sur l'enveloppe LPM.

Cette commande s'ajoute à la commande de 33 Caesar nouvelle génération (Caesar NG) devant être livrée d'ici à 2027, pour atteindre la cible de 109 pièces.

II. DES INCERTITUDES PÈSENT ENCORE SUR LA CAPACITÉ DE NOS ARMÉES À RELEVER LES DÉFIS DE LA HAUTE INTENSITÉ ET DE LA PRÉPARATION DE L'AVENIR

A. LA CAPACITÉ DES ARMÉES À ASSURER LEURS CONTRATS OPÉRATIONNELS EST ENCORE IMPARFAITE ET INÉGALE

1. La capacité des armées à assurer la fonction stratégique « intervention » sous hypothèse d'engagement majeur est variable

Les contrats opérationnels prévus par la LPM 2019-2025 établissent deux hypothèses d'emploi des forces :

- une situation d'endurance, dite « situation opérationnelle de référence » (SOR) ;

- une situation d'exception dite « hypothèse d'engagement majeur » (HEM), dans le cadre dans laquelle les armées doivent être en mesure de porter les capacités militaires à leur niveau maximal sous un délai de six mois.

Le contrat opérationnel prévu par les LPM 2019-2025 en matière d'intervention

Situation opérationnelle de référence

« En matière de gestion des crises et d'intervention, les armées pourront être engagées dans la durée et simultanément sur trois théâtres d'opération, avec la capacité à assumer le rôle de Nation-cadre sur un théâtre et à être un contributeur majeur au sein d'une coalition. En termes de volume cumulé de forces, pourront ainsi être mobilisés :

- un état-major interarmées de niveau stratégique, un état-major de niveau opératif et les systèmes de commandement associés, ainsi que des moyens de renseignement interarmées, de guerre électronique, de soutien santé, munitions et pétrolier, cyber et soutien de l'homme adaptés aux opérations menées ;

- l'équivalent d'une brigade interarmes (6 000 à 7 000 hommes), incluant 4 groupements tactiques interarmes (GTIA), équipés de blindés modernisés, 1 bataillon du génie, 1 à 2 groupements d'artillerie, 1 à 2 groupements aéromobiles, 1 groupement de renseignement multi-capteurs, 1 groupement de transmissions et jusqu'à 3 groupements logistiques ;

- le porte-avions (hors arrêt technique majeur) avec son groupe aérien, ainsi que des capacités amphibies incluant 1 à 2 bâtiments de projection et de commandement (BPC). Les escortes incluront jusqu'à 6 frégates et un patrouilleur, jusqu'à 3 avions de patrouille maritime (ATL2), 1 à 2 pétroliers ravitailleurs, 1 sous-marin nucléaire d'attaque et 1 groupe de guerre des mines. Ces moyens s'appuient sur les éléments constituant l'échelon national d'urgence (ENU) ;

- 2 à 3 bases aériennes projetées incluant leur poste de commandement air (PC Air), 14 avions de chasse, 4 avions de ravitaillement en vol MRTT, 5 avions de transport tactique, jusqu'à 6 systèmes de drones moyenne altitude longue endurance-MALE (dont l'armement programmé permettra d'élargir le champ d'emploi opérationnel), 1 à 2 avions de guerre électronique, 1 plot d'hélicoptères de manoeuvre pour les missions de recherche et sauvetage au combat (RESCO) et jusqu'à 7 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) ;

-pour les forces spéciales, 2 groupements et un détachement de forces spéciales, 2 plots hélicoptères et des avions de transport tactique. »

Hypothèse d'engagement majeur

« Les armées devront pouvoir également être engagées dans une opération majeure de coercition, tout en maintenant un niveau d'engagement adapté sur les théâtres de gestion de crise déjà ouverts. Dans ce cadre, les armées devront être capables de mener, en coalition, sur un théâtre d'engagement unique, une opération à dominante de coercition, dans un contexte de combats de haute intensité. Elles pourront assumer tout ou partie du commandement de l'opération et auront la capacité, dans les trois milieux, de participer à une opération d'entrée en premier sur un théâtre de guerre. Cette hypothèse d'intervention se caractérise par un engagement majeur aux côtés de nos alliés. La France pourra ainsi déployer :

- un état-major interarmées de niveau stratégique, un état-major de niveau opératif et les systèmes de commandement associés, ainsi que des moyens de renseignement interarmées, de guerre électronique, une capacité de commandement d'un groupement de soutien interarmées de théâtre intégrant les soutiens santé, munitions et pétrolier, cyber et soutien de l'homme adaptés aux opérations menées

- une capacité de commandement terrestre de niveau corps d'armée (CRR-FR), et les moyens organiques de nature à permettre d'assumer les responsabilités de Nation-cadre correspondant au niveau divisionnaire (systèmes de commandement, renseignement, logistique ...). Jusqu'à 2 brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres, mettant en oeuvre près d'un millier de véhicules de combat (dont environ 140 LECLERC, 130 JAGUAR et 800 véhicules de combat d'infanterie), 64 hélicoptères et 48 CAESAR, susceptibles d'être renforcées par des brigades alliées pour constituer une division de type OTAN ;

- une capacité de commandement d'opérations aériennes de type Joint Force Air Command (JFAC), jusqu'à 45 avions de chasse hors groupe aérien embarqué, 9 avions de transport stratégique et de ravitaillement, 16 avions de transport tactique, 4 systèmes de drones armés, jusqu'à 4 avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), 2 à 3 bases aériennes projetées, des moyens de défense anti-aérienne de théâtre, des moyens de sauvetage au combat ;

- une capacité de commandement de force navale à la mer, une force navale composée du porte-avions (hors arrêt technique majeur) avec son groupe aérien, ainsi que 2 bâtiments de projection et de commandement, disposant de moyens de commandement à la mer et d'accompagnement intégrant jusqu'à 8 frégates (frégates multi-missions-FREMM, frégates de défense aérienne-FDA ou frégates de taille intermédiaire-FTI), 2 sous-marins nucléaires d'attaque de type Suffren, 5 avions de patrouille maritime et des moyens de guerre des mines et de ravitaillement à la mer ;

- des forces spéciales s'appuyant sur des capacités adaptées (PC de composante SOCC, véhicules tactiques protégés, avions de transport tactique, hélicoptères, insertion maritime avec moyens de mise en oeuvre associés, drones tactiques polyvalents et ISR ...) ;

- une composante « cyber ».

Les forces engagées bénéficieront d'un soutien adapté dans les domaines munitions, systèmes d'information et de communication, carburant, santé, soutien de l'homme et infrastructures. Pour garantir leur capacité de réaction autonome, les armées maintiendront un échelon national d'urgence de 5 000 hommes en alerte permanente. Possédant tout l'éventail des capacités des armées, il constitue la réserve d'intervention immédiate apte, entre autres, à saisir un point d'entrée, à renforcer en urgence un dispositif ou à évacuer des ressortissants. Cet échelon d'alerte permet de mettre sur pied une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes. Cette force sera projetable à 3 000 km du territoire national ou depuis une implantation à l'étranger, dans un délai de 7 jours. »

Source : rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025

Les indicateurs de performance de l'objectif 4 du programme 178 renseignent sur le niveau de préparation des forces au titre de leur contrat opérationnel en matière d'intervention, traduisant la capacité des armées, directions et services à être engagées, pour une durée limitée, dans une opération de coercition majeure tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur les théâtres d'opération déjà ouverts . Il appelle de la part du rapporteur spécial les observations suivantes :

- l'armée de terre est celle qui affiche le taux le plus élevé de capacité à réaliser son contrat opérationnel, avec un taux stabilisé à 90 %. Il convient à cet égard de relever qu'elle se déploie durablement sur six théâtres au lieu de 3 (BSS, Liban, Chammal, République centrafricaine, Estonie, Roumanie) ce qui excède le contrat ;

- les prévisions concernant la capacité de la marine à intervenir les trois prochaines années marquent une tendance à la baisse . Le taux de réalisation du contrat est en effet passé de 89 % en 2020 à 70 % en prévision 2022, et le relèvement de ce taux à 88 % en prévision 2023 tient à un changement de méthode de calcul de l'indicateur et non à une inversion de tendance. Les composantes frégates, bâtiments de soutien logistique et bâtiments de guerre des mines sont les principaux facteurs de cette évolution. Après le désarmement programmé de la frégate anti-sous-marine (FASM) Latouche Tréville en 2022 et dans l'attente de la mise en service des premières Frégates de Défense et d'Intervention (FDI) en 2025, le projet annuel de performance indique notamment que la composante frégates ne sera pas en capacité d'honorer sa pleine contribution à la fonction stratégique avant cette échéance ;

- la situation de l'armée de l'air et de l'espace est particulièrement préoccupante, avec un taux de capacité à réaliser qui chuterait de 75 % à 65 % entre 2022 et 2023 . En ce qui concerne l'hypothèse d'engagement majeur, les délais de montée en puissance ne sont pas tenus. Le projet annuel de performance indique clairement que cette tendance s'explique, d'une part, par les retraits des flottes C160 Transall et Mirage 2000C et d'autre part, par l'export à la Grèce et la Croatie de 24 Rafale prélevés sur la dotation l'armée de l'air et de l'espace. Le taux de réalisation du contrat opérationnel se stabiliserait donc à ce niveau jusqu'en 2025, année où commencerait le recomplètement de la flotte de Rafale .

Capacité des armes à honorer leurs contrats opérationnels
au titre de la fonction stratégique « intervention »

(en pourcentage)

2020

2021

2022
(Cible)

2023
(Cible)

2024
(prévision)

2025
(prévision)

Armée de terre

90

90

90

90

90

90

Marine

89

78

70

88

85

84

Armée de l'air et de l'espace

70

75

75

65

65

65

Source : documents budgétaires

Il est à cet égard important de souligner, comme l'ont relevé les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot dans leur rapport d'information en conclusion d'une mission d'information de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale sur la préparation à la haute intensité 6 ( * ) , que ces contrats opérationnels, et en particulier l'hypothèse d'engagement majeur, peuvent être considérés comme « caducs eu égard à la cinétique des crises d'aujourd'hui » . Le délai de six mois prévu par le contrat opérationnel serait trop long comparé à la réalité des besoins d'une gestion de crise. Selon les rapporteurs, s'appuyant sur l'analyse du général Maigret, ancien commandant des forces aériennes stratégiques auditionné dans le cadre de leurs travaux, « l'hypothèse d'engagement majeur prévue dans le contrat opérationnel ne prend pas non plus suffisamment en compte la consommation des munitions et l'attrition prévisible en cas de conflit de haute intensité. Il serait nécessaire de penser un modèle en repartant d'hypothèses politiques » .

2. Une disponibilité technique opérationnelle des matériels encore insuffisante, en particulier s'agissant des forces aériennes
a) Dans l'armée de terre, la disponibilité du parc d'hélicoptères reste d'environ 50 %

La disponibilité de l'équipement de l'armée de terre par rapport aux exigences des contrats opérationnels souffre d'une utilisation intensive de certains équipements en opérations , en même temps que de l'obsolescence de certains modèles.

Évolution du taux de disponibilité technique opérationnelle
des matériels de l'armée de terre

(en %)

2017 Réalisation

2018 Réalisation

2019 Réalisation

2020 Réalisation

2021
Prévision

2021
Réalisation

2022 Prévision

2023 Prévision

Armée de terre
Char Leclerc

93

85

80

87

94

87

94

87

Armée de terre EBRC
(dont AMX 10 RC) 7 ( * )

Sans objet

Sans objet

Sans objet

Sans objet

77

65

92

84

Armée de terre EBMR (dont VAB) 8 ( * )

Sans objet

Sans objet

Sans objet

Sans objet

101

101

89

99

Armée de terre VBCI

84

74

67

58

65

61

53

65

Armée de terre Pièces de 155 mm (artillerie)

92

84

80

88

86

76

90

92

Hélicoptères de manoeuvre

40

36

39

45

60

43

61

61

Hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance

60

55

68

51

65

55

64

69

Note : EBRC : engin blindé de reconnaissance et de combat ;; VBCI : véhicule blindé de combat et d'infanterie.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et réponses au questionnaire

La disponibilité du Char Leclerc devrait repasser au-dessus des 90 % dans les prochaines années suite aux opérations de pérennisation du parc et à la signature d'un nouveau marché de soutien de service en mars 2021 pour 10 ans.

Sur la plupart des équipements, comme l'indique le tableau ci-dessus, la réalisation 2021 est inférieure aux prévisions.

Le parc de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) est fortement mis à contribution en opérations extérieures, ce qui explique la chute de sa disponibilité technico-opérationnelle (DTO) depuis 2017 . Il est employé intensivement dans l'environnement particulièrement abrasif de la bande sahélo-saharienne. La persistance de tensions sur l'approvisionnement nuit à sa disponibilité. Le ministère des armées estime que la baisse de DTO du parc est dorénavant maîtrisée et devrait rester au-dessus de 50 % grâce à l'effort sur la régénération réalisé par la maintenance industrielle 9 ( * ) . La disponibilité prévue pour 2023 est de 65 %.

Les flottes d'hélicoptères de l'armée de terre avaient quant à elle atteint des niveaux préoccupants d'indisponibilité en 2020. Ils s'établissent à 45 % pour les hélicoptères de manoeuvre et 51 % pour les hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance. La montée en puissance de nouveaux contrats de soutien aux différentes flottes (Cougar/Caracal, mais aussi Tigre), notifiés fin 2019, devait permettre une amélioration progressive à compter de 2021. La trajectoire de reprise à la hausse du taux de DTO des hélicoptères d'attaque et de reconnaissance suit la trajectoire initialement prévue, avec un taux prévu à 64 % pour 2022. Cependant, une forte révision a été appliquée quant au taux de DTO des hélicoptères de manoeuvre : le taux de 60 % de disponibilité sera atteint non pas en 2021 mais en 2022 , selon les nouvelles estimations du ministère. À moyen terme, la maintenance de ces véhicules et les performances du contrat verticalisé Chelem permettent d'envisager une dynamique à la hausse malgré le retard pris. À terme, la généralisation de l'Hélicoptère interarmées léger (HIL), appelé de ses voeux par le rapporteur spécial, devrait également entrainer une homogénéisation de la flotte facilitant la maintenance.

b) Dans la marine nationale, une disponibilité opérationnelle inférieure aux objectifs

Les indicateurs de disponibilité des équipements de la marine actualisés annoncent une dégradation générale de cet agrégat, à l'exception des matériels au sein de l'aviation maritime.

La disponibilité des sous-marins nucléaires d'attaque continue de se détériorer , en raison d'un vieillissement des équipements qui cause une multiplication des indisponibilités pour aléa (ex. : travaux supplémentaires en cours de réalisation sur le SNA Perle). Ainsi, elle s'élève à 51 % 2021, contre 74 % en 2018. La disponibilité opérationnelle a diminué en 2021 en raison d'un nombre plus faible de SNA dans le parc. Pour 2022, l'équilibre entre retrait de service et admission en service actif doit permettre une stabilisation de la DTO à 56 %.

La disponibilité des frégates se stabilise quant à elle après des années de baisse (59 % en 2023, comme en 2022, contre 70 % en 2020), compte tenu du retard dans la mise en service des frégates multi-missions de défense aérienne . Le chiffre de disponibilité des frégates avait été revu à la baisse à la suite de l'indisponibilité d'une frégate multi-missions en 2021. Puisque la date de retrait de services de frégates a été repoussée compte-tenu des retards accumulés sur les nouvelles mises en service, il est à craindre une révision à la baisse de la disponibilité des frégates en cours d'exercice.

Évolution du taux de disponibilité technique opérationnelle
de la marine

(en %)

2017 Réalisation

2018 Réalisation

2019 Réalisation

2020 Réalisation

2021
Prévision

2021
Réalisation

2022 Prévision

2023 Prévision

Porte-avion

27

26

98

85

95

94

94

62

Sous-marins nucléaires d'attaque

69

74

66

57

55

51

56

62

Frégates

54

51

70

66

65

58

59

59

Autre bâtiments

76

76

63

82

89

74

76

76

Aviation de Chasse

66

63

57

55

69

73

69

67

Hélicoptères

51

50

51

49

54

46

63

56

Guet aérien, Patrouille, surveillance maritime

57

49

55

54

59

60°

64

67

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et réponses au questionnaire

La disponibilité de la composante chasse de l'aviation de la marine se redresse en 2021 et devrait se stabiliser à 69 % en 2022 , suite à la montée en puissance du contrat verticalisé Ravel qui optimise l'entretien des Rafales. Cette évolution a contribué de façon notoire à la diminution des attentes d'avis techniques sur les aéronefs.

Comme dans l'armée de terre, la flotte d'hélicoptères connait, à l'inverse, d'importantes difficultés en termes de fiabilité . Le taux de disponibilité s'établit finalement sous la barre des 50 % en 2021. Celle-ci est notamment imputable à la flotte de NH90 Caïman Marine, fortement pénalisée par son taux d'immobilisation au soutien industriel. L'amélioration de la situation de la flotte est donc repoussée à 2022, année lors de laquelle les flottes intérimaires de Dauphin et de H160 devraient monter en puissance.

c) Dans l'armée de l'air, des normes de préparation opérationnelle dont l'atteinte à moyen-terme paraît compromise

L'ensemble des DTO des matériels de l'armée de l'air et de l'espace s'est avérée, en exécution 2021, nettement inférieure aux prévisions.

Évolution du taux de disponibilité technique opérationnelle
des matériels au sein de l'armée de l'air et de l'espace

(en %)

2017 Réalisation

2018 Réalisation

2019 Réalisation

2020 Réalisation

2021
Prévision

2021
Réalisation

2022 Prévision

2023 Prévision

Avions de combat/chasse

(dont Rafale et M 2000)

92

86

85

82

105

81

84

69

Avions de transport tactique

60

64

57

65

94

60

85

73

Avions d'appui opérationnel

112

115

85

115

110

77

91

76

Vecteur ISR 10 ( * )

Sans objet

Sans objet

70

72

148

68

96

86

Avions à usage gouvernemental

90

93

100

100

148

95

94

95

Hélicoptères de manoeuvre de combat

70

71

76

88

97

72

78

82

Défense sol-air moyenne portée

81

83

82

77

113

77

73

52

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et réponses au questionnaire

La flotte des avions de combat connaît en 2021 une performance stable mais bien en-deçà des prévisions. L'indicateur de disponibilité est actualisé à 81 % en 2021, contre 105 % prévus initialement. L'amélioration constatée au 1 er semestre 2021 sur la flotte Rafale de l'armée de l'air et de l'espace, qui recueille, comme celle de la marine nationale, les bénéfices du marché « verticalisé » de maintien en condition opérationnel Ravel, est pondérée par une performance insuffisante de la flotte Mirage 2000. Pour cette flotte, le marché de soutien « verticalisé » Balzac passé avec Dassault Aviation doit permettre d'améliorer la disponibilité en réduisant le nombre d'appareils en attente de pièces. Cette amélioration de la disponibilité sera toutefois plus que neutralisée par la cession des 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie (voir supra ).

Au total, la disponibilité opérationnelle pèse sur la préparation opérationnelle des aviateurs, qui reste encore loin des objectifs fixés par la LPM à horizon 2025 ou de la norme OTAN .

Sous le double effet de cette DTO insuffisante et surtout de la ponction d'appareils sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace dans le cadre des commandes grecque et croate, le nombre d'heures de vol des pilotes de chasse diminuerait fortement en 2023, passant de 162 à 147 heures, soit un niveau très inférieur aux normes LPM et Otan en la matière (180 heures). Dans ses réponses au questionnaire budgétaire le ministère reconnaît lui-même que, en matière d'aviation de chasse, « la disponibilité du matériel, notamment des équipements de mission, ne permet pas un maintien en nombre suffisant des savoir-faire dans le haut du spectre des équipages ».

Préparation opérationnelle des pilotes de l'armée de l'air
et de l'espace

(en heures de vol)

2019
(réalisé)

2020
(réalisé)

2021
(réalisé)

2022
(prévision)

2023
(prévision)

Norme LPM

Norme OTAN

Chasse

159

152

161

162

147

180

180

Transport

185

176

192

208

189

320

400

Hélicoptère

161

155

163

183

181

200

200

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

La disponibilité des avions de transport tactique est également peu satisfaisante. En 2021, le taux de DTO s'établirait à 60 % contre 94 % prévu initialement. Elle a été pénalisée principalement par les difficultés structurelles (vieillissement) et conjoncturelles (visites au niveau industriel plus longues en raison des mesures sanitaires appliquées au niveau national, reports successifs du renouvellement de la flotte) rencontrées sur la flotte C130H. Les prévisions pour 2022 et 2023 sont également affectées par le retrait de service des C160R.

d) L'effort en faveur du maintien en condition opérationnelle se poursuit en 2023, dans l'attente de l'évaluation des « contrats verticalisés »

L'exercice 2023 serait marqué par un effort conséquent en faveur du maintien en condition opérationnelle, avec une augmentation des crédits dédiés à l'opération stratégique « entretien programmé des matériels » (EPM) (+ 550 millions d'euros environ), amplifiant la dynamique de ces dernières années. Le taux de croissance annuel moyen des dépenses d'EPM s'établirait ainsi à 7 % sur la période 2020-2023.

Ces efforts s'inscrivent dans le cadre d'un chantier de simplification du paysage contractuel, avec la mise en place de schémas « verticalisés » , c'est-à-dire la passation de contrats longs et globaux, confiant la responsabilité de la quasi-totalité de la maintenance à un maître d'oeuvre unique. Cette politique consiste à remplacer les multiples marchés transverses à tranches conditionnelles fermes par des contrats globaux de soutien sur une plus longue durée donnant de la visibilité aux industriels et avec des objectifs de performance précis, assortis d'obligations de résultat. Il conviendra donc, lorsque le recul sera nécessaire, d'évaluer l'efficacité de ces contrats en matière de DTO, ainsi que leur efficience en termes de maîtrise des coûts de MCO pour le budget de la mission « Défense ».

Pour l'armée de terre, les crédits d'EPM affichent une hausse de 18% entre 2022 et 2023. Elle résulte majoritairement de l'accroissement des coûts de l'EPM terrestre du fait de la modernisation du parc (prise en charge totale du MCO du Griffon en 2023), concomitante avec le maintien des parcs plus anciens durant la période de transition.

Pour la marine, les crédits d'EPM affichent une hausse de 9 % entre 2022 et 2023.

Pour l'armée de l'air et de l'espace, l'année 2023 confirme l'effort sur les crédits d'EPM (hausse de 9 % entre 2022 et 2023) avec notamment la satisfaction et la montée en puissance des contrats de soutien verticalisés (MIRAGE 2000, MRTT, ALPHAJET, etc.)

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Le rapporteur spécial ne peut que saluer cette évolution, qui est de nature à permettre d'améliorer la DTO des matériels , même si l'effort de MCO ne saurait être perçu comme un moyen de compenser les trous capacitaires provoqués par les exportations de Rafale , puisque ces contrats et cette hausse de la disponibilité étaient prévus par la LPM.

B. LES RETARDS PRIS SUR LE PROJET SCAF COMPROMETTENT LA PRÉPARATION DES ARMÉES À LA GUERRE AÉRIENNE DU FUTUR

Les industriels français, allemands et espagnols poursuivent les travaux préparatoires du système de combat aérien du futur (SCAF). Ce projet ambitieux concentre de nombreux risques qui devront être pleinement maîtrisés dans les années à venir.

Sur la période 2022-2025, le financement du projet représente un coût de 1,7 milliard d'euros , les AE afférentes ayant été consommées en 2022 et 2023. En 2023, les CP demandés s'élèvent à 372,9 millions d'euros. Ces crédits sont prévus pour le financement d'études destinées à quantifier et échelonner les besoins pour garantir une première capacité opérationnelle en 2040.

Le système de combat aérien du futur (SCAF)

En 2017, la France et l'Allemagne sont convenues de développer un système de combat aérien européen pour remplacer leurs flottes actuelles d'avions de combat sur le long terme.

Le SCAF sera le système de combat aérien du XXI ème siècle. Il rassemblera autour d'un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes de 2040 et exploitant le potentiel de l'intelligence artificielle, des moyens de combat travaillant en réseau, dont des drones de différents types. Il devrait être mis en service à l'horizon 2040.

Initiée lors du conseil des ministres franco-allemand en 2017, élargie puis renforcée en 2019 par un accord-cadre regroupant la France, l'Allemagne et l'Espagne, la coopération SCAF se structure. Ce projet tripartite est appelé « NGWS ( Next generation weapon system ) within a FCAS » qui remplira des missions plus ou moins spécifiques pour remplacer à terme les flottes d'avions de combat Rafale et Eurofighter. La France a été désignée leader de ce projet. L'accord cadre porte sur les activités de R&T et de démonstrations s'étendant jusqu'en 2030.

Deux types de travaux sont menés à court et moyen terme :

- des études d'architectures permettant d'établir les exigences du système de systèmes et des objets qui le composent et également la comparaison de différents concepts (contrat JCS lancé en janvier 2019) ;

- des études de R&T et le développement de démonstrateurs indispensables pour répondre aux évolutions nécessaires à venir dans le domaine de l'aéronautique de combat. La France a en effet identifié 7 piliers couvrant l'ensemble des invariants technologiques nécessaires au SCAF (système de systèmes, avion de nouvelle génération « NGF », très haute furtivité, capteurs, propulsion, « Remote Carriers », démonstrations des architectures au sol). Les premières offres industrielles ont été remises lors du salon du Bourget et les négociations sont en cours. Ces travaux préparatoires initient le lancement progressif à compter de 2020 du développement de démonstrations technologiques en vue de ruptures capacitaires dans le domaine de l'aviation de combat.

Source : ministère des armées

Le projet SCAF a fait l'objet d'un accord entre les états-majors des armées français, allemand et espagnol le 30 août 2021 relatif à l'expression du besoin opérationnel, qui constitue une avancée importante. Le rapporteur spécial estime toutefois que les risques demeurent, la signature du contrat principal (impliquant notamment Dassault Aviation et Airbus) ayant été reportée à la suite de désaccords entre les industriels (relatifs aux sous-traitants). Ce contrat - dit Statement of Work (SOW) - doit fixer le cahier des charges techniques pour le passage à la phase de démonstration, devant être lancée en 2023.

Alors que le premier vol du démonstrateur était prévu fin 2026, ce dernier devrait en réalité avoir lieu un an plus tard du fait des difficultés de la coopération franco-allemande, alors que le SOW n'est toujours pas signé.

Dans ces négociations, la France doit en effet rester ferme sur certains points d'intérêt national essentiel :

- premièrement, la capacité à fournir des équipements et systèmes d'armes répondant au degré d'autonomie dans l'action souhaitée par la France. Cela implique notamment que la forme du chasseur de nouvelle génération ( New Generation Fighter , NGF) permette d'assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire française ainsi que sa navalisation (la possibilité d'être lancés et réceptionnés sur un porte-avions) ;

- deuxièmement, le maintien sur la durée d'une industrie indépendante des règlementations étrangères, en termes de contrôle des exportations notamment.

Le rapporteur spécial insiste sur le fait que chaque jour de retard supplémentaire dans les négociations est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur.

Compte tenu du fait que le besoin opérationnel en faveur d'un chasseur de nouvelle génération a été exprimé avec la plus grande clarté par les états-majors, des exigences techniques particulières tenant à l'inscription de ce nouveau chasseur dans la stratégie globale de défense française, et enfin de la difficulté manifeste à poursuivre les négociations avec nos partenaires, on ne peut plus exclure de devoir envisager la possibilité d'une alternative « nationale » au SCAF.

C'est la raison pour laquelle, tout en considérant que le « plan A » demeure celui de la poursuite de la coopération engagée, le rapporteur spécial propose un amendement FINC.1 destiné à financer des études supplémentaires permettant d'explorer la faisabilité d'un tel « plan B national » afin d'anticiper une éventuelle impasse des négociations.

C. LA PROCHAINE LPM : UN CHANGEMENT DE MÉTHODE ATTENDU

1. La regrettable absence d'actualisation législative de la LPM 2019-2025

La LPM 2019-2025 devait faire l'objet d'une actualisation en 2021. Son article 7 prévoyait ainsi que « la présente programmation fera l'objet d'actualisations , dont l'une sera mise en oeuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025 ».

Au début de l'année 2021, la ministre des armées Florence Parly avait indiqué à plusieurs reprises souhaiter associer le Parlement à cette révision, sans en préciser les modalités. Début 2021, un travail de mise à jour de l'analyse de l'environnement stratégique et international avait ainsi été conduit 11 ( * ) .

Les conclusions de l'actualisation stratégique préalable à l'actualisation
de la LPM par le Gouvernement

Les conclusions synthétisées dans l'« actualisation stratégique » ont ainsi relevé la pertinence du modèle d'armée retenu, confirment l'ambition 2030 tout en constatant une accélération des différentes menaces déjà identifiées en 2017.

En réponse, trois axes d'ajustement ont été retenus : nous devons mieux détecter et contrer les menaces notamment dans les domaines cyber, du renseignement et spatial ; renforcer notre effort sur la résilience et la protection face au risque nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), sur la santé et sur la lutte anti-drone ; nous préparer pour pouvoir riposter dans tous les champs de conflictualité.

Source : ministère des armées

Le Premier ministre Jean Castex a pourtant finalement décidé de prononcer une déclaration devant chacune des chambres du Parlement les 22 et 23 juin 2021 au titre de l'article 50-1 de la Constitution, utilisé pour l'informer des actualisations prévues.

Le rapporteur spécial estime que cette procédure ne saurait masquer la volonté de contournement dont a fait l'objet le Parlement, alors que la Constitution ne confie qu'à lui seul le pouvoir de modifier une loi, conformément à l'article 24 de la Constitution. Le recours au dispositif prévu par l'article 50-1 de la Constitution ne constitue aucunement un moyen de modification de la loi et ne constitue pas une modalité d' « association » suffisante du Parlement. La précédente programmation militaire (2015-2019) avait d'ailleurs logiquement fait l'objet d'une actualisation par voie législative (loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense) 12 ( * ) .

Afin de justifier cette absence de saisine adaptée du Parlement, le Gouvernement avait indiqué dans ses réponses au questionnaire budgétaire que « du fait de la crise sanitaire de 2020, le PIB s'est affaissé portant artificiellement l'effort national de défense à 2% du PIB sans pour autant que les objectifs de modernisation et de préparation de l'avenir donnés aux armées aient été atteints. Alors que l'année d'actualisation prévue par la LPM devait permettre de fixer plus sûrement la trajectoire financière jusqu'en 2025, l'année 2021 portait conjoncturellement davantage d'incertitudes ne permettant pas de remplir sereinement l'objectif recherché à travers une actualisation. » Le rapporteur spécial pense tout au contraire que c'est précisément le caractère alors très incertain du contexte sanitaire, économique et géostratégique qui rendait plus que jamais inexcusable le non recours à l'actualisation par la voie législative .

2. Les perspectives pour la prochaine LPM

La prochaine LPM 2024-2030 a été annoncée pour le premier trimestre de l'année 2023.

Lors de son audition devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 11 octobre 2022, le ministre des armées fait part de son souhait « de construire [la prochaine LPM] différemment de la précédente. Le suspense n'est pas grand, les crédits n'ont pas vocation à diminuer , chacun le sait. Face à notre devoir de réactivité, nous souhaitons construire cette nouvelle LPM avant même son dépôt en Conseil des ministres, dans une plus grande « intimité » avec les deux chambres et parfois de manière séparée, pour préserver l'identité du regard des deux assemblées ; les premiers groupes de travail pourront se réunir très rapidement, avec tous les personnels du ministère, par exemple sur le thème des réserves, sur le plan Famille, sur nos alliances, sur les questions capacitaires, ou encore sur l'innovation ».

Le rapporteur spécial ne peut que se féliciter de ces intentions, aussi bien sur le fond - la remontée en puissance des armées - que sur la méthode - une association plus étroite des parlementaires à son élaboration - et se montrera donc vigilant quant à leur traduction en actes.

Dans la perspective de ces débats, il convient d'abord de rappeler que, replacée dans une perspective longue, la LPM ne constitue pas une rupture majeure en termes de part des dépenses militaires dans le PIB. La part des dépenses militaires en 2020 (pensions comprises) atteint un niveau proche de celui constaté en 2008 (du fait de la contraction du PIB consécutif à la crise financière). De même, il reste significativement inférieur à celui des années 1980 (de l'ordre de 3 %).

Part des dépenses militaires 13 ( * ) dans le PIB de la France depuis 1960

(en %)

Source : commission des finances, d'après Stockholm Peace Research Institute

Sans préjuger des travaux qui devront être conduits pour l'élaboration de la prochaine LPM, quelques pistes peuvent d'ores et déjà être relevées pour amener les armées françaises au niveau requis par la haute intensité , demeurer parmi les deux ou trois nations forces d'entraînement au sein de l'Otan et être ainsi en mesure de peser au sien d'une coalition dans le cadre d'une opération de coercition majeure :

- en premier lieu, les contrats opérationnels et le format des armées, qui n'ont pas connu d'évolution substantielle sous l'actuelle LPM, devront être réinterrogés , en particulier la flotte d'aviation de chasse, à la lumière des nouvelles menaces ;

- en termes d'équipement, la programmation devra trouver un juste équilibre entre la technologie - les équipements de pointe étant ceux qui permettent de prendre l'ascendant dans un conflit - et la rusticité - les équipements moins coûteux et plus massifs permettant de tenir dans la durée ;

- le principe selon lequel la politique de soutien des armées à l'export ne doit pas se faire au préjudice de leurs capacités opérationnelles devra clairement être affirmé , à plus forte raison dans un contexte où des conflits, tels que la guerre en Ukraine, pourraient de nouveau justifier la livraison de capacités militaire prélevées sur les dotations des armées ;

- il conviendra enfin de veiller à la cohérence des capacités recherchées , qui garantit la performance de la dépense publique en faveur de la défense. C'est uniquement par la cohérence des moyens mobilisés qu'on peut transformer un équipement en capacité militaire : à titre d'exemple, augmenter le format de la flotte aérienne n'aura d'efficacité que si chaque avion s'accompagne de pilotes formés, d'un MCO efficace, etc . En particulier, un effort accru devra être porté sur l'approvisionnement des armées en munitions pour s'assurer de leur capacité à tenir dans la durée sous hypothèse d'engagement majeur, chaque munition doit être pensée comme l'une des parties d'un triptyque « soldat correctement formé - arme en condition opérationnelle - munitions en quantité suffisante ».

La prochaine LPM devra en outre redimensionner la provision aux OPEX/MISSINT à partir du coût réel de ces opérations (autour de 1,6 milliard d'euros en 2022 et 2023).

En dehors des aspects budgétaires, la LPM constituera également l'opportunité d'améliorer la proportionnalité des normes appliquées aux activités militaires - telle que la gestion des dépôts de munitions - aux risques réels encourus. Si les exigences de sécurité doivent demeurer une priorité, force est de constater que la France se caractérise par des normes nettement plus strictes que les standards Otan, qui peuvent s'avérer, selon le directeur du Service interarmées des munitions auditionné par le rapporteur spécial, préjudiciable à l'efficacité des processus de stockage et de l'approvisionnement des armées.

La question de l' « économie de guerre » est également essentielle pour améliorer la réactivité de la base industrielle et technologique de défense (BITD) aux besoins nouveaux des armées dans le contexte actuel d'amplification des menaces. Des travaux en ce sens ont été engagés à l'automne 2022 autour de 4 engagements : la simplification de l'expression du besoin militaire aux industriels par le ministère, la simplification des procédures administratives, la mise en place d'un agenda de relocalisation de certaines capacités et un changement d'approche sur la gestion des stocks de matière première pour pouvoir répondre plus rapidement aux besoins exprimés.

LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le Gouvernement, dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, a retenu l'amendement n° II-965 du député François Piquemal et plusieurs de ses collègues, qui vise à ajouter un nouvel objectif de performance au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », avec un « objectif de traçabilité annuelle » des investissements liés à l'espace . Ses indicateurs de performance retenus seraient :

- l'efficacité des investissements dans l'espace ;

- le taux de réalisation des études ;

- le taux de progression des études.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 42

Extension de la majoration de traitement à certains agents publics civils et militaires du ministère des armées

. Le présent article propose d'étendre la majoration de traitement instituée dans le contexte du « Ségur de la santé » à certains personnels du service de santé des armées qui en étaient exclus, afin d'assurer une cohérence des rémunérations au sein de ce service.

La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : LE « SÉGUR DE LA SANTÉ » N'A PAS ÉTÉ APPLIQUÉ DE FAÇON HOMOGÈNE AU SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES

Les accords du Ségur de la santé , signés le 13 juillet 2020, ont permis le versement d'un complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros nets par mois, correspondant à l'octroi de points d'indice supplémentaires (+ 49 points), au profit des personnels des établissements de santé et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD).

En application de l'article 48 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 et du décret n° 2021-166 du 16 février 2021 étendant le bénéfice du complément de traitement indiciaire à certains agents publics , le CTI a été appliqué au personnel civil et militaire du ministère des armées exerçant dans les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) et l'institution nationale des invalides (INI). Ainsi, depuis le 1 er décembre 2020, le personnel civil et militaire des HIA et de l'INI bénéficie du CTI, à hauteur de 49 points d'indice.

Ces mesures n'incluaient toutefois pas les personnels du service de santé des armées (SSA) n'intervenant ni en HIA ni à l'INI. Ainsi, pour rétablir l'équilibre, l'article 178 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a institué une majoration de traitement ainsi qu'une indemnité équivalente dont bénéficient les professions paramédicales réglementées et les psychologues . Depuis le mois d'avril 2022, le personnel civil et militaire exerçant une profession paramédicale réglementée ou faisant usage du titre de psychologue au sein des centres médicaux du service de santé des armées (SSA) ou de leurs équipes mobiles bénéficie de la majoration de traitement à hauteur de 10 points d'indice. Ce nombre de points d'indice doit augmenter progressivement pour atteindre à terme 49 points.

Certains personnels du SSA demeurent exclus de ces deux dispositifs, à savoir :

- les agents exerçant une profession de santé régis par la quatrième partie du code de la santé publique ;

- les agents faisant usage du titre de psychologue mentionné à l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : L'EXTENSION DE LA MAJORATION DE TRAITEMENT AUX AGENTS DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES QUI EN ÉTAIENT EXCLUS

Le présent article propose de modifier l'article 178 de la loi de finances pour 2022 de façon à inclure dans le dispositif de majoration de traitement les agents du SSA susmentionnés qui en étaient exclus et qui n'exerçaient pas non plus en HIA ou à l'INI.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Cet article n'a pas été modifié par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN DISPOSITIF BIENVENU POUR ASSURER LA COHÉRENCE DES RÉMUNÉRATIONS AU SEIN DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES

Le dispositif proposé permet d'assurer une cohérence des rémunérations au sein du SSA, et de permettre ainsi à l'ensemble de ses agents de bénéficier des mesures du Ségur.

Si les modalités d'application de cet article devront être précisées par voie réglementaire, son évaluation préalable, annexée au présent projet de loi de finances, précise que cette mesure devrait être appliquée à compter du 1 er juillet 2023, et représenter un coût de 253 594 euros (hors contribution au CAS Pensions). En année pleine, le dispositif représente ainsi pour le service de santé des armées un coût de 507 189 euros (hors contribution au CAS Pensions).

Décision de la commission : la commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 8 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense » (et article 42).

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial de la mission « Défense » . - Les crédits de la mission « Défense » s'élèvent à 62 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 53,1 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Sans compter les pensions et à périmètre courant, les CP progresseraient donc de 3 milliards d'euros, pour s'établir à 44 milliards, dans un strict respect de la marche prévue par la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025. En 2023, les crédits de la mission seraient donc supérieurs de 8 milliards d'euros à ceux de 2019.

Ainsi, d'un strict point de vue budgétaire, la LPM aura été respectée chaque année depuis 2019, ce dont nous nous félicitons. Cependant, si elle est respectée d'un point de vue budgétaire, elle ne l'est pas d'un point de vue capacitaire.

Le prélèvement de 24 avions Rafale d'occasion sur la dotation de l'armée de l'air et de l'espace, pour les besoins d'un export au profit de la Grèce et de la Croatie, constitue à ce titre une profonde remise en cause de l'objectif fixé par la LPM à l'horizon de 2025 pour la flotte de Rafale.

Par ailleurs, dans le cadre de l'actualisation stratégique présentée en 2021, plusieurs ajustements ont été effectués par rapport aux priorités de la programmation initiale, dans un contexte d'évolution des menaces. Le périmètre de cette actualisation représente au moins 3 milliards d'euros, ce qui entraîne des retards dans la mise en oeuvre de plusieurs programmes d'armement. Nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l'évaluent même à au moins 8,6 milliards. Il ne s'agit donc pas tout à fait de l'épaisseur du trait...

Alors qu'une actualisation législative en bonne et due forme se justifiait pleinement, le Gouvernement s'est contenté d'une déclaration devant les assemblées au titre de l'article 50-1 de la Constitution, ce qui ne représente pas une modalité d'association suffisante du Parlement.

Les conséquences de la ponction des 24 Rafale - soit près de 20 % du parc - se font aujourd'hui gravement ressentir sur la capacité de l'armée de l'air et de l'espace à remplir son contrat opérationnel. De plus, elle affecte de façon grave et durable la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d'heures de vol passerait de 162 à 147 en 2023, loin de l'objectif fixé par la LPM.

En outre, notre potentiel opérationnel est affecté par la cession de 18 canons Caesar aux forces armées ukrainiennes - soit près du quart du parc de l'armée de terre.

Les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale - pour un montant de plus de 2,5 milliards d'euros - et du parc de canons Caesar - pour près de 80 millions d'euros - sont financées sous enveloppe LPM, dans l'attente de la prochaine programmation annoncée pour le premier trimestre de l'année prochaine.

Cette année, nos armées ont également été mobilisées sur le flanc Est de l'Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). À ce titre, la France intervient notamment comme nation-cadre de la mission AIGLE en Roumanie. Le surcoût de cette projection de nos armées s'élève à près de 700 millions d'euros en 2022 et il est déjà estimé à environ 250 millions d'euros pour 2023. Il doit faire l'objet d'un financement grâce à l'ouverture de crédits dans le cadre du projet de loi de finances rectificative en cours d'examen.

Cependant, comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) - liés notamment à la ré-articulation en cours du dispositif Barkhane au Sahel - seraient financés par des redéploiements internes à la mission, sous enveloppe LPM, contrairement aux dispositions de son article 4. Ces surcoûts représentent près de 400 millions d'euros.

Par ailleurs, l'exercice 2023 sera marqué par l'impact de l'inflation sur le budget des armées, évalué à 1 milliard d'euros. Afin que cet impact ne conduise pas à absorber le tiers de l'augmentation des crédits, le Gouvernement a fait le choix de le financer par reports de charges sur l'année 2024, privilégiant ainsi l'affichage d'un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées. Cette méthode, qui revient à créer de la dette dans la dette, me paraît constitutive d'une forme d'insincérité. À l'heure où le Gouvernement parle d'« économie de guerre » et attend une réactivité accrue de la part des industriels, il paraît malvenu de laisser entrevoir un paiement différé, lui-même générateur d'agios.

En outre, le rapport fait le point sur la disponibilité technique opérationnelle des équipements des trois armées, qui reste globalement en deçà des objectifs, avec un point de vigilance qui perdure s'agissant des hélicoptères de l'armée de terre. Certes, des efforts importants ont été consentis ces dernières années en matière de maintien en condition opérationnelle, notamment grâce à la conclusion avec les industriels de larges contrats verticalisés, dont il conviendra d'évaluer l'efficacité.

Le rôle du budget des armées étant également de préparer l'avenir, je souhaiterais conclure mon propos en évoquant le projet du système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017 et mené en coopération avec les Allemands et les Espagnols.

Le projet consiste à rassembler et connecter des moyens de combat, autour d'un nouvel avion de chasse polyvalent et en ayant recours à l'intelligence artificielle. Ce futur avion devra aussi répondre aux exigences opérationnelles des armées françaises puisqu'il devra assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être « navalisable », c'est-à-dire en mesure de pouvoir apponter sur le nouveau porte-avions.

Toutefois, les négociations ont pris un sérieux retard. Ainsi, l'accord devant fixer le cahier des charges du nouvel avion, en vue du lancement de la phase de démonstration prévue pour l'an prochain, n'a toujours pas été signé.

Chaque jour de retard supplémentaire dans les négociations est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur, alors même que les besoins opérationnels ont été exprimés avec la plus grande clarté par nos chefs d'états-majors.

Dans ce contexte, il me semble nécessaire d'envisager la possibilité d'une alternative nationale au Scaf. Si le « plan A » doit demeurer celui de la poursuite de la coopération engagée, je propose d'adopter un amendement destiné à financer des études supplémentaires pour permettre d'explorer la faisabilité d'un « plan B », qui soit national. Je précise cependant que cet amendement vise avant tout à engager un débat avec le Gouvernement, pour le forcer à se positionner sur le sujet et à s'engager sur un calendrier.

Sous réserve de l'adoption de cet amendement, et à un an d'une nouvelle LPM, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

M. Vincent Capo-Canellas . - Ma première question concerne la ponction de 24 avions Rafale prélevés sur la dotation de l'armée de l'air ; ce type d'opération est-il habituel ? De plus, vous insistez sur le trou capacitaire qui doit durer jusqu'en 2027 ; comment expliquer que de telles décisions aient été prises ?

Ensuite, au sujet du Scaf, vous semblez à la fois pessimiste et réaliste, ce qui vous pousse à prévoir ce « plan B ». L'espoir de voir aboutir un compromis est-il donc si ténu ?

M. Rémi Féraud . - Je remercie particulièrement M. de Legge de nous avoir éclairés sur l'impact de l'inflation, sur ce qu'il reste des 3 milliards d'euros supplémentaires en 2023 et sur l'effet de cavalerie sur l'année 2024, qui ne pourra pas être reproduit chaque année. Ainsi, entre l'inflation et l'augmentation du coût de l'énergie, nous sommes loin des 3 milliards d'euros prévus.

Par ailleurs, le financement de notre soutien à l'Ukraine reste obscur. Passe-t-il par d'autres voies ? Comment les dons de matériel sont-ils compensés ? De plus, la France est aujourd'hui mise à l'index pour être l'un des plus faibles fournisseurs d'armement à l'Ukraine et le président de la République vient de s'engager à doubler cette aide. Quel sera l'impact sur le budget de la défense pour 2023 et sur les privations de matériel pour nos armées ? Je précise que je ne conteste pas la nécessité d'aider les Ukrainiens en matière d'armement.

M. Jérôme Bascher . - Je ne m'inquiète pas du respect de la LPM, mais celle-ci ne porte visiblement pas le bon nom puisqu'il s'agit en fait d'une loi de moyens. En effet, les programmes sont déprogrammés. De plus, ni les moyens ni l'entraînement des forces ne sont au rendez-vous. Ne faudrait-il pas prévoir une loi de programmation révisée plutôt que de continuer à dire qu'on respecte budgétairement quand on n'atteint pas les objectifs fixés ?

M. Marc Laménie . - Premièrement, les forces militaires participent depuis plusieurs années à la sécurité intérieure dans le cadre de l'opération Sentinelle. Des interventions militaires ont-elles toujours lieu dans ce cadre ? A-t-on une idée de leur coût ?

Deuxièmement, en ce qui concerne la Journée défense et citoyenneté (JDC), le service national universel (SNU) et l'objectif de susciter des vocations chez les jeunes, quelles sont les perspectives d'évolution ?

M. Claude Raynal , président . - Ma question porte sur l'amendement proposé par le rapporteur. Les programmes militaires franco-allemands sont compliqués, dans tous les domaines. Ils prennent souvent beaucoup de temps et n'aboutissent pas toujours. Les Allemands semblent se désintéresser du développement d'équipementiers européens et préférer acheter sur étagère aux Américains. À ce titre, le Scaf ressemble à de nombreux programmes précédents. Depuis 2017, rien n'a bougé et les industriels ne se sont pas mis d'accord. Je suis inquiet pour notre industrie de défense. En effet, les Français semblent bien seuls à soutenir l'idée d'une industrie de défense européenne solide et, sans commande européenne, le marché ne peut se développer. Cependant, j'ai un doute quant à l'idée de remplacer un système franco-allemand en difficulté par un système français, dans l'état de nos capacités budgétaires.

M. Jean-François Rapin . - La France a longtemps connu une position de leadership dans les domaines de l'avionique et de l'espace. Elle devrait avoir la capacité d'entraîner les Européens sur cette question et je regrette qu'elle ne l'ait pas, notamment en ce qui concerne l'espace, domaine dans lequel nous serons bientôt dépassés. Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons plus les moyens de peser et d'exercer un leadership fort.

En ce qui concerne le Scaf, je suis d'accord avec Dominique de Legge : il faut prévoir un plan B. Par ailleurs, cela pourra peut-être stimuler et aider les Allemands à retrouver un chemin européen sur les questions de défense et d'espace.

Mme Christine Lavarde . - Je voudrais profiter de la présence des rapporteurs des missions « Défense » et « Recherche et enseignement supérieur ». À titre d'exemple, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) procède à de la recherche duale, civile et militaire, en matière de nucléaire. Qui porte les dépenses liées à la dissuasion nucléaire ? Les armées ? À combien s'élève le montant consacré à cette politique ? Que représente-t-il par rapport à d'autres investissements ?

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - D'abord, souvenez-vous des difficultés que nous avions à vendre nos Rafale lors du quinquennat de M. Hollande. Nous étions les seuls à les utiliser et n'étions pas capables d'assurer le maintien de la chaîne sans exporter. Aujourd'hui, nous exportons. De plus en plus de pays se sont intéressés à nos avions et, quand les Grecs et les Croates ont voulu s'en procurer, ils ont demandé si nous avions la possibilité de les vendre moins cher. Ainsi est née l'idée de vendre des avions d'occasion, ce qui devait aussi permettre de produire des avions neufs, pour remplacer les appareils vendus.

Cette manoeuvre pose toutefois une difficulté puisqu'elle empêche d'atteindre les objectifs de la LPM. Le stock de Rafale prévu à horizon de 2025 ne sera donc prêt qu'en 2027, et il faut faire avec ce « trou » capacitaire en attendant. Lors des auditions, nos interlocuteurs ont indiqué que le nombre de nos avions Rafale n'était plus suffisant pour mener à bien à la fois les missions et réaliser nos objectifs d'entraînement des pilotes en termes d'heures de vol. Je ne remets pas forcément en cause cette décision, mais ses effets ont sans doute été sous-évalués et leur impact se fera sentir pendant un certain temps encore.

Pour conclure sur ce sujet, nous allons recevoir environ 1 milliard d'euros de recettes de la vente, dont la moitié serait réinvestie dans la commande de recomplètement par des appareils neufs mais ce dernier représentera un surcoût net de près de 2,5 milliards d'euros, financés sous enveloppe LPM.

J'en viens au Scaf. Il y a deux ans, le président de la République expliquait que l'Otan était en état de « mort cérébrale ». Aujourd'hui, la présence et la réalité de l'Otan est indéniable dans le conflit russo-ukrainien et, après avoir rencontré un certain nombre d'homologues, je me rends compte que plus on avance vers la frontière Est de l'Europe, plus on se sent otanien. Personne n'attend grand-chose des Français et tous pensent que ce sont plutôt les Américains qui les protègeront. L'enjeu est donc de savoir si nous devons garder une industrie de défense qui nous soit propre, mais qui intéresse aussi les Européens ou si, comme le dit le président Raynal, nous décidons d'acheter des F 15 sur étagère. L'enjeu est industriel et économique, mais il s'agit aussi d'autonomie stratégique.

La vision qu'ont les Allemands de la question de la défense est très différente de la nôtre. Alors que nous Français avons une armée de projection, la vision allemande est celle d'une armée de protection, destinée à protéger leur sol et non à se projeter sur des opérations extérieures. D'après ce que je comprends de la situation, les états-majors des deux pays sont à peu près d'accord sur ce qu'il convient de faire. Le blocage se situe au niveau politique : comment exporterons-nous, demain, ce nouvel avion ? Quelle sera sa place dans un système de défense européen ? C'est à cause de ce blocage que je dépose cet amendement, tout en sachant qu'il y a neuf chances sur dix pour que je finisse par le retirer. Je voudrais néanmoins que nous ayons ce débat, qui est essentiel pour notre industrie de défense, pour nos relations avec nos partenaires européens et pour l'avenir même de notre défense.

Je suis toujours très étonné par le discours autour de la « défense européenne ». La défense européenne n'existe tout simplement pas, et n'existera jamais. Nos conditions d'engagement des forces ne sont pas les mêmes. En France, le Président de la République peut décider tout seul d'engager nos forces et peut attendre quatre mois avant de se présenter devant le Parlement pour être autorisé à continuer. En Allemagne, le chancelier doit passer devant le Parlement avant de tirer une cartouche ! En termes de surprise et d'efficacité, ce n'est pas tout à fait la même chose...

Le débat doit avoir lieu et je cherche à le provoquer. Je ne souhaite pas que l'amendement aille au bout et je souhaite que le « plan A » aboutisse. Mais il y a urgence parce que nous devons mener en parallèle le projet de porte-avions de nouvelle génération qui a vocation à remplacer le Charles-de-Gaulle. Les deux projets sont liés puisque le futur avion de combat devra, comme je l'ai expliqué, être en mesure d'apponter sur le nouveau porte-avions. Si la décision politique n'est pas prise maintenant, ce sont l'ensemble de ces projets d'importance majeure pour notre outil de défense qui seront retardés.

Rémi Féraud a posé une question sur l'impact de l'inflation. La marche prévue dans la LPM a été respectée. Nous avions indiqué, lors de l'examen du texte, qu'il ne nous semblait pas raisonnable de prévoir une marche si importante pour les deux dernières années, 2023 et 2024 ; nous aurions préféré lisser davantage la trajectoire. Je dois néanmoins reconnaître que l'augmentation prévue de 3 milliards d'euros est respectée en 2023. Cependant, sur cette progression de 3 milliards d'euros, près de 1 milliard d'euros serait absorbé par l'inflation. Pour y remédier, celle-ci serait financée par un report de charges sur 2024. Cette méthode me gêne puisque, comme je l'ai expliqué, on ne peut pas, d'un côté, demander aux industriels de produire plus vite des canons Caesar et des avions Rafale afin que nous puissions faire remonter nos capacités opérationnelles, tout en leur expliquant que même s'ils produisent plus vite, ils seront payés plus tard.

Par ailleurs, sur le sujet du soutien à l'Ukraine, les 18 canons Caesar coûtent 80 millions d'euros, le fonds de soutien pour l'achat de matériels militaires représente un effort budgétaire de 100 millions et le surcoût 2022 lié aux opérations menées sur le flanc Est sont évaluées à 700 millions d'euros. Ces dépenses devraient être financées par un abondement de crédits sur la mission dans le PLFR de fin de gestion. Hors « Ukraine » le coût global des opérations extérieures, incluant notamment l'opération Barkhane, et des missions intérieures en 2022 est estimé à 1,6 milliard d'euros, soit 400 millions de plus que la provision prévue en loi de finances initiale. Comme les années précédentes, ce surcoût Opex devrait être financé par redéploiements internes au budget des armées.

Quant aux dépenses de recherche financées par la défense, elles s'élèvent à environ 210 millions d'euros, dont une partie est consacrée au CEA pour ses recherches en matière de dissuasion.

J'ai été interrogé sur l'impact de l'opération Sentinelle sur le budget. Le surcoût annuel lié à cette mission est d'environ 100 millions d'euros.

Enfin, sur le SNU et la JDC, nous nous sommes toujours battus pour considérer le SNU comme un service national et non pas un service uniquement militaire, afin que le budget de la défense ne soit pas le seul à le financer. Les militaires confient ne pas avoir de problème, leur contribution passant dans l'épaisseur du trait. En effet, ce ne sont, pour l'essentiel, pas eux qui financent le SNU. Par ailleurs, en ce qui concerne les objectifs, on n'en parle plus beaucoup depuis le covid et je n'ai pas l'impression qu'il s'agisse d'une promesse de campagne que l'on cherche à honorer à tout prix.

Article 27

L'amendement II-10 est adopté .

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Défense », sous réserve de l'adoption de son amendement.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ.

Article 42

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Je suis favorable à cet article, qui vise à étendre le bénéfice de la majoration de traitement, instituée dans le cadre du « Ségur » de la santé, à l'ensemble des éléments du Service de santé des armées (SSA)

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 42.

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé ses décisions.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Cabinet du Ministre

- M. Gilles LARA-ADÉLAÏDE, directeur adjoint du cabinet civil et militaire ;

- M. François BOLARD, conseiller budgétaire ;

- Mme Jennifer LORMIER, conseillère parlementaire.

Direction générale de l'armement (DGA)

- M. Emmanuel CHIVA, délégué général ;

- Mme Éveline SPINA, directrice des plans ;

- Mme Mathilde HERMAN, conseillère.

État-major des armées (EMA)

- Général d'armée aérienne Éric AUTELLET, major général des armées ;

- Colonel Yann BOURION, directeur ;

- Colonel Stanislas MICHEL ;

- Colonel Emmanuel DURVILLE.

État-major de l'armée de terre (EMAT)

- Général de corps d'armée Patrice QUEVILLY major général de l'armée de terre ;

- Colonel Bertrand DIAS, chargé des relations avec le Parlement.

État-major de la marine (EMM)

- Vice-amiral d'escadre François MOREAU, major général de la marine ;

- Capitaine de vaisseau Vincent GUÉQUIÈRE, chargé des relations avec le Parlement.

État-major de l'Armée de l'air et de l'espace (EMAAE)

- Général Frédéric PARISOT, major général de l'armée de l'air et de l'espace ;

- Colonel Wolfgang SCHMIT, chef bureau finances de l'armée de l'air et de l'espace ;

- Lieutenant-colonel Nicolas DION, assistant militaire du major général de l'armée de l'air et de l'espace ;

- M. Jacques DUBOURG, conseiller politique du major général de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Service interarmées des munitions (SIMu)

- Général de brigade Éric LAVAL, directeur ;

- Lieutenant-colonel Yann LEFEBVRE.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2023.html


* 1 Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 697 (2020-2021) - 16 juin 2021.

* 2 Voir à ce sujet le rapport d'information de M. Dominique de LEGGE, fait au nom de la commission des finances n° 652 (2018-2019) - 10 juillet 2019.

* 3 Cette révision est également liée à l'industriel à assurer l'ensemble des livraisons prévues d'ici 2025.

* 4 Armement air sol nucléaire de 4 ème génération.

* 5 Système de combat aérien futur.

* 6 Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot, Rapport d'information fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale en conclusion d'une mission d'information sur la préparation à la haute intensité, février 2022.

* 7 À compter de 2021, l'agrégat inclut le Jaguar, en sus de l'AMX-10 RC.

* 8 À compter de 2020, l'agrégat inclut le Griffon, en sus du VAB.

* 9 PAP 2022.

* 10 Moyens aériens dédiés au recueil du renseignement.

* 11 Ministère des armées, Actualisation stratégique 2021.

* 12 Dans le contexte des attentats de Paris.

* 13 Ibid.

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