B. QUELS INSTRUMENTS POURRAIENT ÊTRE MIS EN OEUVRE EN VUE DE TEMPÉRER UNE PROGRESSION INÉVITABLE DES DÉPENSES ?

La dotation prévue pour le CAS « Pensions » dans le présent projet de loi de finances confirme l'augmentation tendancielle des dépenses de retraites, à laquelle le Gouvernement, en repoussant sine die son projet de réforme des retraites, ne répond pas par ailleurs.

Les pistes poursuivies dans son projet de réforme initial ne répondaient en première analyse qu'imparfaitement au défi proposé. Les modalités d'un alignement sur le régime général au sein d'un système universel et la conversion des droits acquis en points s'avéraient complexes et interrogeaient sur leur coût à moyen terme. L'absence d'évaluation du coût du dispositif lors de la présentation du texte avait d'ailleurs suscité les réserves du Conseil d'État, qui avait jugé lacunaire l'étude d'impact.

Force est de constater que l'estimation de ces dispositions n'a pas été depuis précisée, en dépit du souhait de l'exécutif de relancer son projet de réforme. La direction du budget a ainsi indiqué dans de nombreuses réponses au questionnaire budgétaire de la rapporteure spéciale que dans l'attente d'une reprise effective du processus de réforme, aucune information nouvelle n'était disponible au-delà des éléments liés à la réforme initialement envisagée, en particulier l'étude d'impact associée au projet de loi instituant un système universel de retraite.

1. Des leviers limités pour agir sur les droits : l'impact des réformes de 2003, 2010 et 2014

Une partie des leviers destinés à réduire ou étaler la dépense ont d'ores et déjà été utilisés, via les réformes des retraites de 2003, 2010 et 2014.

Principales conséquences pour le régime de la fonction publique d'État
des réformes des retraites mises en oeuvre depuis 2003

La loi du 21 août 2003 20 ( * ) prévoit :

- un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celles du salariés du privé : 40 annuités en 2008 puis 41,25 ans en 2014 ;

- l'instauration d'un système de décote (qui existait déjà pour les salariés du privé) et de surcote en fonction de l'âge de départ en retraite ;

- la mise en place d'un mécanisme de départ anticipé pour les carrières longues (assurés ayant commencé à travailler entre 14 et 16 ans) ;

- la création d'un régime additionnel de retraite pour les agents titulaires (RAFP) permettant de cotiser sur les primes ;

- la revalorisation des pensions en fonction de l'inflation et non plus de la valeur du point d'indice de la fonction publique.

La loi du 9 novembre 2010 21 ( * ) prévoit :

- le relèvement de l'âge de départ en retraite à 62 ans en 2018 ;

- le recul de l'âge de la suppression de la décote à 65 ans,

- la poursuite de l'allongement de la durée de cotisation, portée à 41,5 annuités ;

- l'alignement progressif du taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires sur celui des salariés du privé ;

- le recul progressif de l'âge de départ en retraite pour « carrière longue », jusqu'alors fixé avant 60 ans et l'extension de ce dispositif aux salariés ayant travaillé avant 18 ans ;

- la mise en place d'un dispositif de départ anticipé pour pénibilité ;

- l'amélioration de la prise en compte du congé de maternité et des périodes de chômage non indemnisé en début de carrière.

La loi du 20 janvier 2014 22 ( * ) prévoit notamment :

- un allongement de la durée de cotisation à 43 annuités (172 trimestres) pour la génération 1973 et les suivantes ;

- le décalage de 6 mois de la date de revalorisation ;

- une réforme du cumul emploi-retraite, rendant plus contraignantes les conditions d'accès à ce dispositif.

Source : commission des finances du Sénat

L'âge conjoncturel de départ à la retraite des fonctionnaires civils progresse ainsi tendanciellement pour s'élever en 2020 à 63 ans et 3 mois pour les sédentaires et 60 ans et 4 mois pour les actifs. L'âge conjoncturel progresse également en 2020 pour les militaires pour atteindre 49 ans et 1 mois.

Âge conjoncturel au départ, pour les civils (actif / sédentaire) et les militaires,
exprimé en années

2016

2017

2018

2019

2020

Civil

Femme

62,25

62,03

62,18

62,35

62,55

Homme

61,92

61,86

62,22

62,32

62,69

Ensemble

62,11

62,00

62,24

62,33

62,59

Civil actif

Femme

59,93

59,78

60,21

60,62

60,61

Homme

59,31

59,19

59,73

59,93

60,09

Ensemble

59,61

59,50

59,98

60,28

60,36

Civil sédentaire

Femme

62,81

62,64

62,67

62,79

63,03

Homme

63,12

63,10

63,27

63,26

63,62

Ensemble

62,96

62,88

62,96

62,98

63,26

Militaire

Femme

49,95

49,59

49,54

48,73

49,41

Homme

49,26

49,07

48,82

48,30

48,98

Ensemble

49,40

49,19

49,02

48,44

49,09

Militaire Armée

Femme

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Homme

47,65

47,56

47,21

46,55

47,46

Ensemble

47,82

47,68

47,41

46,70

47,59

Militaire Gendarme

Femme

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Effectif insuffisant

Homme

53,69

53,41

53,50

53,48

53,41

Ensemble

53,66

53,41

53,50

53,42

53,29

Source : DGFiP, Service des retraites de l'État, bases des affiliés

L'âge moyen de départ par génération progresse également pour les fonctionnaires civils , en particulier pour les sédentaires du fait de la hausse de l'âge légal d'ouverture des droits. L'âge légal passe de 60 ans pour les générations nées avant juillet 1951 à 61 ans et 2 mois pour la génération 1953.

L'augmentation de la durée d'assurance et la mise en place de la décote et de la surcote, incitent, en outre, de plus en plus au maintien en activité. Ainsi, 94 % des départs pour ancienneté avaient en 2020 une durée de référence égale ou supérieure à 165 trimestres. Ce taux s'établissait à 65 % en 2016.

Les effets de la réforme des retraites de 2003 sur les départs des militaires sont également visibles. Près de 90 % des militaires retraités disposaient d'une durée de référence de 150 trimestres et moins, ce taux est passé à 73 % pour les départs de 2006 et à 30 % en 2020. Il convient de rappeler que, s'agissant de militaires, c'est l'année à laquelle est atteinte la condition de durée qui détermine le nombre de trimestres de référence.

La réforme de 2010 a, de son côté, induit des conditions plus restrictives dans l'attribution du minimum garanti en termes d'âge ou de durée de services. La proportion de bénéficiaires du minimum garanti au sein des fonctionnaires civils liquidant une pension, qui était de l'ordre de 8 à 9 % au cours des années 2006 à 2010, s'établit en 2020 à un peu plus de 4 %. Cette proportion reste fortement liée au motif de départ en retraite. Elle atteint un peu moins de 18 % pour les départs pour invalidité, contre un peu plus de 3 % pour les départs de type vieillesse en 2020. La part des pensions pour vieillesse portées au minimum garanti des sous-officiers des armées demeure faible et se stabilise autour de 4 %.

Le décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 relatif à l'âge d'ouverture du droit à pension de vieillesse a prévu l'extension du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue et a eu, dans un premier temps, pour conséquence une forte augmentation du nombre de départs anticipés pour carrière longue, avec une augmentation de plus de 50 % sur quatre ans et un pic à 9 622 départs en 2017. La tendance s'est depuis inversée : on dénombrait ainsi 6 813 départs en 2020. L'augmentation de l'âge de début de carrière constatée ces dernières années devrait contribuer à accélérer cette décrue.

La réforme de 2010 a enfin prévu l'extinction du dispositif permettant aux parents de trois enfants ayant effectué quinze ans de services de partir à la retraite sans condition d'âge. L'accès à ce dispositif a été fermé pour les parents qui ne réunissaient pas les conditions au 1 er janvier 2012. Il demeure accessible aux autres, avec un calcul moins favorable. Un dispositif transitoire garantissant le maintien des règles antérieures pour les fonctionnaires qui étaient à moins de cinq ans de leur âge normal d'ouverture des droits au 1 er janvier 2011 a cependant été mis en place, conduisant à un supplément important de départs de parents de trois enfants en 2011 : 18 010 départs ont été dénombrés sur ce motif pour les civils alors que le niveau moyen était inférieur à 7 000 auparavant. Dès 2012, les départs au titre de la législation des parents de trois enfants étaient inférieurs à 4 000. La baisse des départs se poursuit en 2020 avec 2 515 départs contre 2 628 en 2019. La quasi-intégralité des bénéficiaires sont des femmes.

2. Les limites d'un changement de base de calcul

Le projet de loi portant réforme des retraites prévoyait une révision du mode de calcul des pensions, au travers d'une conversion des droits acquis en points, plus facilement pilotables. Il s'avère que cette option est délicate à mettre en oeuvre s'agissant de la fonction publique d'État.

En effet, interrogé dans le cadre du présent projet de loi de finances, le service des retraites de l'État (SRE) reconnaît que la reconstitution de carrière pourrait s'avérer plus que complexe. Si le SRE tient, en effet, les comptes individuels retraites (CIR) des agents de l'État et des militaires qui sont alimentés par une déclaration annuelle spécifique des ministères et des grands établissements publics pour l'ensemble de leurs agents, ces transferts de données personnelles sont limités au seul besoin d'en connaître, conformément aux recommandations de la CNIL. Les comptes contiennent donc les informations utiles à l'information retraite et à la liquidation des pensions comme l'état-civil, la situation familiale ou la carrière administrative. Ils intègrent également des informations concernant les dispositifs qui ouvrent actuellement des droits lors de la liquidation comme, par exemple, l'indemnité de sujétion spéciale de la Police, l'indemnité mensuelle de technicité Finances, la prime de sujétions spéciales de l'administration pénitentiaire, indemnité de risque pour les fonctionnaires des douanes. En l'état actuel, ces informations ne permettent pas, en tout cas, la reconstitution d'un historique du salaire complet, en incluant la totalité des primes, ni de définir précisément les cotisations versées.

3. La révision de l'assiette de cotisation

L'une des solutions en vue de répondre à la dégradation du solde technique du régime de la fonction publique pourrait constituer en une progression du taux de cotisation salariale. Le projet de loi portant réforme des retraites retenait ainsi une telle option. Il prévoyait en effet un alignement du taux de cotisation salariale de la fonction publique, actuellement établi à 11,10 % sur celui retenu pour le secteur privé dans le cadre de la réforme : 11,25 %.

Cette majoration devait cependant aller de pair avec un élargissement de l'assiette de cotisation, afin de prendre en compte les primes. Il convient de rappeler à ce stade que la masse salariale des fonctionnaires civils de la fonction publique d'État employés par l'État s'est élevée en 2020 à 52,9 milliards d'euros. Les traitements indiciaires, qui donnent lieu à cotisation retraite, représentent 80 % de cette somme. Les 20 % restants sont constitués de primes et d'indemnités, qui ne donnent pas lieu à cotisation. La masse salariale indemnitaire représente environ 10,3 milliards d'euros. Le régime additionnel de la fonction publique (RAFP) permet, quant à lui de cotiser sur une partie de ces primes, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire brut perçu. Certaines primes ne sont, par ailleurs, pas intégrées dans le calcul, à l'image de l'indemnité sujétion spéciale police (ISSP) ou de l'indemnité mensuelle de technicité (IMT). Dans ces conditions, seule 63 % de la masse salariale indemnitaire entre dans l'assiette de cotisation du RAFP, soit 6,5 milliards d'euros. 646 millions d'euros ont ainsi été prélevés en 2020.

Modifié par le Gouvernement avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale, l'article 18 du projet de loi ordinaire prévoyait ainsi la mise en place d'une période de transition de 20 ans, afin d'assurer en 2043 la convergence des cotisations salariales et la prise en compte intégrale des primes. En 2025, les primes devaient être retenues dans la limite d'un plafond égal à 40 % du traitement indiciaire brut perçu, ce taux étant porté à 70 % en 2026. La cotisation sur les primes serait par ailleurs augmentée d'au moins 0,25 point par an pour atteindre 11,25 % par an en 2043. Par ailleurs, les employeurs publics devaient être amenés entre 2025 et 2043 à prendre en charge une partie de la majoration prévue et déroger ainsi au ratio 40 % cotisations salariales / 60 % part patronale retenu par le projet de loi pour définir le taux de cotisation au système universel. Une fois cette période de transition achevée, le nouveau taux devait engendrer, chaque année, 1,8 milliard d'euros de cotisations salariales supplémentaires au titre de la fonction publique d'État.

Cette option allait évidemment dans le sens d'une meilleure équité. Elle posait cependant un certain nombre d'interrogations à court et moyen terme sur le montant du soutien financier de l'État durant la période de transition et, par la suite, sur l'effet en matière de montant de pension. Aucun élément sur le coût final d'un tel élargissement de l'assiette de cotisation n'était en effet détaillé dans l'étude d'impact.

Le débat sur la réforme des retraites a également conduit le Gouvernement à réévaluer les rémunérations de certains emplois, à l'image des enseignants. 400 millions d'euros en 2021 puis 500 millions d'euros en année pleine sont ainsi dégagés afin de renforcer l'attractivité du métier et valoriser, notamment, le début de carrière. Là encore, aucun impact sur les retraites n'a été mis en avant.

Ce dispositif vient compléter le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (protocole PPCR), mis en place en loi de finances pour 2016, afin d'améliorer la situation des agents et de moderniser la fonction publique de carrière. Le protocole prévoit notamment la rénovation des carrières et la revalorisation des grilles de rémunérations des agents de toutes les catégories, dans les trois versants de la fonction publique. Sont ainsi mis en place :

- un rééquilibrage de la rémunération des fonctionnaires en faveur du traitement indiciaire, par la mise en oeuvre d'un dispositif de transformation d'une partie du régime indemnitaire en points d'indices ;

- la mise en place d'un cadencement unique d'avancement d'échelon à compter de la date de publication des décrets de revalorisation indiciaire.

Ces mesures de revalorisation indiciaire, couplées aux revalorisations du point d'indice de + 0,6 % en 2016 et 2017, ont un double effet sur la trajectoire financière des régimes de retraite de la fonction publique :

- elles induisent une augmentation rapide des recettes perçues , due à l'accroissement des assiettes de rémunération soumises à cotisation (employeur et salarié) ;

- elles ont un impact immédiat sur le niveau des pensions entrées en paiement à partir de 2016-2017 compte tenu de l'évolution des indices moyens à la liquidation, soutenant progressivement et durablement la croissance de la pension moyenne servie par les régimes de retraite. Le coût budgétaire de la réforme sur les dépenses de pensions des régimes publics s'élèverait ainsi à 216 millions d'euros en 2020.

Il apparaît de fait que toute réflexion sur la progression du taux de cotisation salariale ainsi que sur les modalités de calcul de la pension, conduit, par souci d'équité, à aborder celle des compléments de rémunération ou la revalorisation de celle-ci en début de carrière. Reste que cette ambition peut annuler tout impact vertueux d'une majoration des taux, en conduisant à un renchérissement des pensions .


* 20 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

* 21 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 22 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

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