II. LES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES DE LA MISSION INTERROGENT QUANT À LA PROGRAMMATION DES CRÉDITS POUR 2022 ET LES EFFETS À LONG TERME SUR LA TRANSFORMATION DES ADMINISTRATIONS

La stabilisation des crédits demandés pour 2022 apparaît imperméable aux difficultés structurelles que connait la mission depuis sa création. Si certains progrès sont à relever, notamment sur le niveau de consommation des crédits, la mission se caractérise toujours par un niveau d'exécution très inférieur aux autres missions, par un manque de lisibilité budgétaire et par des lacunes dans son dispositif de performance. Ce sont autant d'éléments qui doivent être revus, d'autant que les objectifs de la mission, que ce soit au titre de la transition énergétique ou de la numérisation des administrations et des démarches administratives, sont ambitieux et méritent un suivi plus approfondi. Ils donneraient plus de sens à l'examen parlementaire de cette mission.

Dans le cadre de leurs travaux de contrôle sur cette mission, les rapporteurs spéciaux avaient ainsi été très clairs dans leur sixième recommandation, portant sur la nécessaire clarification du devenir de la mission à compter de 2022 : « la modification de la maquette sera sans doute la bienvenue, mais à la seule condition qu'elle s'accompagne d'un effort de rationalisation des programmes existants, de transparence sur l'état d'avancement des projets et de sincérisation sur les crédits soumis à l'autorisation parlementaire 71 ( * )

A. UNE STABILISATION DES CRÉDITS QUI DOIT EFFACER LES DIFFICULTÉS PASSÉES

1. Des sous-exécutions récurrentes, mais l'amorce d'une amélioration en 2021

La commission des finances a fait part à plusieurs reprises de ses réserves quant à la capacité des directions responsables de programmes à mobiliser les crédits à un rythme aussi soutenu que celui qui était envisagé lors de la création de la mission en 2018 , interrogeant ainsi la sincérité de la budgétisation des programmes. Les directions responsables expliquent qu'une partie des sous-consommations provient d'un écart entre les besoins réels des porteurs de projets sur une année n et les besoins anticipés par les directions. Après quatre ans de fonctionnement, et alors même que la mission est supposée faire l'objet d'un suivi approfondi des projets qu'elle finance, il serait plus que temps de réduire ces écarts.

Il n'y a que peu d'informations sur la gestion concrète des crédits de la mission et sur le calendrier de leur déploiement , et encore moins de précision sur les raisons des délais de latence entre la sélection des projets, la contractualisation avec les porteurs, le déblocage des crédits et le lancement des projets. Des travaux complémentaires sont souvent requis pour respecter les enveloppes budgétaires initiales ou re-calibrer le montant du cofinancement, tandis que la coordination entre administrations peut se révéler laborieuse.

Ces problèmes structurels sont régulièrement évoqués par les directions des administrations concernées pour expliquer les difficultés d'exécution, sans que des solutions concrètes aient jusqu'ici été proposées pour pallier ces difficultés. À titre d'exemple, les retards sur le programme 352 proviennent pour une grande partie de la durée des procédures de conventionnement, tout comme ceux constatés sur le programme 349 s'expliquent par la longueur du processus de contractualisation avec les lauréats. Les objectifs de la DITP sont à ce titre très ambitieux, puisqu'elle vise 4 5 % de projets bénéficiaires du FTAP achevés en 2022 , alors que 5 % seulement seraient finalisés en 2021.

En 2020, la crise sanitaire a ajouté de nouvelles difficultés en freinant l'avancée des projets, notamment dans le domaine immobilier, ou en conduisant à reporter des restructurations de services ou la mise en oeuvre de projets innovants. Avec les confinements, les délais d'instruction des appels à projet se sont mécaniquement allongés.

Le contexte de crise ne peut toutefois pas tout justifier : par exemple, sur la rénovation des cités administratives, seuls 12 chantiers, représentant 330 millions d'euros, ont démarré au 31 août 2021, sur les 38 prévus 72 ( * ) . Les procédures qui ont pris du retard sont d'abord celles qui devaient conduire à notifier les marchés à la fin de l'année 2020, sur des projets qui n'étaient donc pas finalisés, près d'une année et demie après leur sélection. Ainsi, des marchés seront encore attribués au cours du premier semestre 2021. Sur les 266 millions d'euros demandés sur ce programme en 2022 , 139,7 millions d'euros seraient consacrés aux travaux et gros entretien, 116,8 millions d'euros à des acquisitions ou constructions et encore 9 millions d'euros à des études.

Répartition des projets de rénovation
des cités administratives par état d'avancement

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

Sur la mission, 20,4 millions d'euros de crédits de paiement ont été annulés dans le cadre de la première loi de finances rectificative pour 2021 73 ( * ) , dont 15 millions d'euros sur le programme 348 du fait de tensions conjoncturelles sur l'approvisionnement en matières premières. C'est bien moins que le niveau constaté en 2020 (74 % à l'échelle de la mission), même si le projet de loi de finances rectificative déposé au mois de novembre 2021 a accru ces annulations, en particulier sur le programme 348, à hauteur, de nouveau, de 147,4 millions d'euros . Ainsi, ce sont déjà plus de 60 % des crédits demandés en 2021 qui ont déjà été annulés.

Une amélioration peut toutefois être notée sur les taux de consommation en cours d'année (en CP), exception faite toutefois du programme 348.

Taux de consommation des crédits de la mission
« Transformation et fonction publiques »

(en millions d'euros et en pourcentage)

LFI 2021

Exécution constatée au 31 août 2021

Taux de consommation au 31 août 2021

Taux de consommation au 31 août 2020

Programme 348

AE

0*

174,06

-

62,00 %

CP

266,43

23,56

8,8 %

6,40 %

Programme 349

AE

40

119,1

196,5 %

18,00 %

CP

148,74

79,8

53,6 %

12,60 %

Programme 351

AE

50,00

29

58,0 %

-

CP

50,00

29

58,0 %

33,60 %

Programme 352

AE

10,60

3,8

35,8 %

25,90 %

CP

10,60

3,4

32,1 %

28,90 %

Total

AE

100,60

151,90

151 %

25,90 %

CP

475,77

135,76

28,5 %

28,90 %

* Si la prévision en LFI était de 0 euros en AE sur le programme 348, ce dernier bénéficie de reports annuels, à hauteur de 738 millions d'euros en 2021. Le programme 349 a également bénéficié de ces reports.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Est-il toutefois nécessaire, dans ce contexte, d'ouvrir en 2022 une nouvelle enveloppe de 80 millions d'euros en AE sur le programme 349 pour abonder l'enveloppe initiale du FTAP ? Les rapporteurs spéciaux sont loin d'en être convaincus. 2021 devrait être la première année de consommation de l'intégralité des crédits du FTAP. Par ailleurs, les crédits demandés par les porteurs de projet se révèlent le plus souvent supérieurs aux crédits effectivement versés, les besoins étant réévalués au cours de la contractualisation.

Un redéploiement des crédits, après un bilan de l'utilisation du FTAP, aurait peut-être été plus judicieux : en cumulé, et en prenant l'hypothèse que la totalité des crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale pour 2021 serait décaissée, le montant total des CP consommés depuis 2018 s'élèverait à 258,2 millions d'euros, soit un peu plus d'un tiers des 700 millions d'euros prévus. Ce ne susciterait pas non plus de problème sur les engagements, puisque 590 millions d'euros seraient consommés en AE d'ici la fin de l'année 2021 (84 % du total).

Les six projets sélectionnés au mois de février 2021
pour bénéficier d'un abondement du FTAP

- Calypso (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature) : améliorer le partage d'informations entre le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et les vétérinaires. Le coût total du projet est estimé à 4,5 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 3,1 millions d'euros (69 %) et une économie attendue à 2,1 millions d'euros, dépenses de personnel comprises, soit un niveau inférieur à la cible du 1 pour 1 ;

- M@GRH (direction générale de la gendarme nationale) : améliorer la gestion des ressources humaines par le biais des nouveaux outils technologiques. Le coût total du projet est estimé à 14 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 9,6 millions d'euros (69 %) et une économie attendue à 20,1 millions d'euros, soit un niveau bien supérieur à la cible du 1 pour 1 ;

- Procédure pénale numérique (ministères de la justice et de l'intérieur) : atteindre la dématérialisation complète de l'ensemble de la procédure pénale. Le coût total du projet est estimé à 23,2 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 13,3 millions d'euros (57 %). L'économie attendue n'a pas encore été chiffrée ;

- NEO2 (direction générale de la gendarme nationale) : équiper les agents de terminaux mobiles afin qu'ils puissent réaliser une partie de leurs missions en mobilité (consultation de fichiers, procédures, cartographies, photographies, etc.). Le coût total du projet est estimé à 13,7 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 9,5 millions d'euros (69 %) et une économie attendue à 46 millions d'euros, l'indicateur d'économie cible étant ici largement dépassé ;

- Transfert de la liquidation des taxes d'urbanisme (direction générale des finances publiques) : optimiser l'organisation des services territoriaux de l'État pour faciliter le recouvrement par la DGFiP des taxes d'urbanisme. Le coût total du projet est estimé à 6,4 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 4,4 millions d'euros (69 %) et une économie attendue à 9,4 millions d'euros, soit un niveau supérieur à la cible du 1 pour 1 ;

- Facturation électronique (agence pour l'informatique financière de l'État et DGFiP) : développer le système d'information préalable à la généralisation de l'obligation d'échanger des factures au format dématérialisé. Le coût total du projet est estimé à 71,6 millions d'euros, pour un abondement du FTAP de 3,1 millions d'euros et une économie attendue à 11,3 millions d'euros, sans évaluation encore sur le niveau des économies attendues.

Source : réponse au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

À l'instar des autres programmes, le FTAP vise à répondre à une préoccupation majeure, celle de la réticence à engager des réformes structurelles et porteuses de gains de productivité sous prétexte de leur coût immédiat . Cette réticence peut en effet constituer un véritable obstacle à la modernisation des administrations. La mobilisation de crédits dédiés à l'amorçage de ces projets, qui permettent aux administrations lauréates de contourner les contraintes de financement qui peuvent peser sur leur budget, était prometteuse. Toutefois, et afin de mieux suivre ces projets, il conviendrait d'indiquer plus clairement, dans les documents budgétaires de chacune des missions, les projets financés grâce à un abondement du FTAP, avec la prévision des économies attendues . De même hors phase d'amorçage, les crédits pourraient tout aussi bien être alloués directement aux responsables de programme, situés au plus près du développement des projets lauréats 74 ( * ) .

2. Une appréciation des crédits de la mission qui perdait de son sens

Plus généralement, et alors que la mission s'apprête à entrer dans sa cinquième année d'existence, les rapporteurs spéciaux ne peuvent que rappeler leur lassitude quant aux écarts répétés qu'ils ont constaté ces dernières années, et ce en dépit d'une amélioration en 2021. L'appréciation des crédits lors de l'examen du projet de loi de finances, et avec elle la portée de l'autorisation parlementaire, perdent en effet de leur sens quand les sous-consommations atteignent jusqu'à 90 % des crédits et qu'une clarification sur le devenir des fonds portés par la mission est réclamée en vain depuis deux exercices (2020-2021). Ce dernier point est désormais réglé, mais il aura fallu attendre deux ans pour que le Gouvernement tire les conclusions qui s'imposaient.

La « montée en charge » promise chaque année n'est jamais vraiment parvenue à se concrétiser , ou à tout le moins pas dans les proportions annoncées par le Gouvernement. En 2020, le Gouvernement rejetait la faute des sous-exécutions sur la crise sanitaire, après l'avoir attribuée à la « jeunesse » de la mission en 2019. Cette explication est à la fois tronquée et partielle : la mission présente des difficultés structurelles, liées au mode de fonctionnement même des fonds et des appels à projet (cf. supra ).

Il est finalement curieux de constater des retards d'engagement si conséquents sur des programmes qui devaient participer à l'accélération de la transformation de la fonction publique.


* 71 Ibid.

* 72 Les principaux engagements du premier semestre 2021 concernent la cité administrative de Lyon pour 55,74 millions d'euros, la cité administrative Gaujot à Strasbourg pour 53,32 millions d'euros, la cité administrative de Coligny à Orléans pour 29,60 millions d'euros et la cité de Mulhouse pour 16,40 millions d'euros.

* 73 Loi n° 2021-953 du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021 .

* 74 Il s'agit là également de deux recommandations émises par les rapporteurs spéciaux dans le cadre de leurs travaux de contrôle. Rapport n° 743, tome II, annexe 15, volume 1 (2020-2021) de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN, déposé le 7 juillet 2021 : Gestion des finances publiques et des ressources humaines - Crédits non répartis - Action et transformation publiques, dans le cadre de l'examen par la commission des finances de la loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020. Se reporter également à la communication en commission des rapporteurs spéciaux, en date du 7 juillet 2021.

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