LES PRINCIPAUX ENJEUX DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVILE »

A. LA NÉCESSITÉ D'UN SOUTIEN AFFIRMÉ DE LA PART DE L'ÉTAT, EN RÉPONSE À LA SITUATION TENDUE DES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS

1. Une sollicitation croissante des SDIS à moyens constants

En 2017, les SDIS ont réalisé près de 4,648 millions d'interventions , soit une croissance de 2 % liée aux augmentations des incendies (+ 6 %) principalement des feux de végétation, des secours à victimes et de l'assistance aux personnes (+ 3 %), tempérées par la diminution des opérations diverses (- 7 %).

Le secours d'urgence aux personnes (SUAP) constitue désormais l'essentiel de l'activité des SDIS . Les missions de SUAP ont augmenté de plus de 60 % depuis 2008 et représentent aujourd'hui 80 % de leurs opérations. Elles sont le principal facteur d'accroissement du nombre total d'interventions, qui augmentent annuellement de 7 à 8 %, alors que les SDIS évoluent à moyens quasi-constants depuis 2011. Les dépenses des SDIS ont même diminué en 10 ans de 6,25 %, en tenant compte de l'inflation (taux cumulé de 8,8 % entre 2008 et 2018).

Cette stagnation des dépenses devrait se poursuivre dans les prochaines années : les budgets des SDIS étant composés à 80 % de dépenses de fonctionnement, leur évolution est de plus en plus contrainte, notamment depuis la concrétisation du « pacte de Cahors » en 2018 5 ( * ) . Ce pacte prévoit en effet la limitation du taux d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités à un maximum de 1,2 % par an.

Évolution des dépenses des SDIS depuis 2008

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les comptes de gestion des SDIS)

Si les dépenses d'investissement progressent légèrement en 2018, elles ont connu une baisse importante depuis 2008, de plus de 18 %. Cette situation demeure préoccupante alors que le soutien de l'État aux investissements structurant des SDIS s'est récemment affaibli.

2. Un soutien à l'investissement des services d'incendie et de secours (SIS) exclusivement axé sur le projet NexSIS 18-112
a) Une dotation aux investissements structurants (DSIS) qui ne prévoit plus le financement des projets locaux des SIS

La dotation de soutien aux investissements structurants (DSIS) des services d'incendie et de secours (SIS), qui retrace le soutien financier de l'État en faveur des investissements des SDIS, a continuellement diminué depuis sa création en 2017 6 ( * ) .

Cette dotation était financée par un prélèvement sur la contribution que l'État versait jusqu'alors annuellement aux conseils départementaux, au travers de la DGF, au titre de sa participation au financement de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires.

En 2017, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS s'élevait à 25 millions d'euros ainsi répartis :

- pour un montant de 5 millions d'euros , l'accompagnement ponctuel attendu par le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie au titre du transfert de la compétence « Sécurité civile » ;

- pour un montant de 20 millions d'euros :

• d'une part, un soutien à des projets nationaux tels que la mise en place de la mission de préfiguration pour le développement du système unifié de gestion des appels, des alertes et des opérations des SDIS, le déploiement du dispositif SINUS de dénombrement des victimes ou encore la capacité de renseignement aérien ;

• d'autre part, un soutien à des projets locaux d'intérêt national portés par les SDIS , sélectionnés suite à un appel à projets.

Suite au comité d'engagement du 12 mai 2017, des projets transmis par les services préfectoraux (zone de défense et de sécurité) ont ainsi été sélectionnés pour un montant de 9,26 millions d'euros, le reste étant attribué aux projets d'intérêt national .

Le montant de la DSIS a été abaissé 10 millions d'euros par les LFI pour 2018 et 2019, soit une réduction regrettable de 60 % par rapport à 2017.

Cet abaissement correspond à la priorité donnée au projet « SGA-SGO/NexSIS » à partir de 2018, en accord avec l'assemblée des départements de France (ADF) et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

Cet effort prioritaire est hélas exclusif de tout autre financement de projets d'investissement des SDIS, aussi n'est-il toujours pas prévu de lancer un nouvel appel à projets locaux en 2020, comme en 2019 et 2018. Par ailleurs, les financements engagés depuis 2017, et échelonnés sur plusieurs années, ayant été soldés en 2019, aucun crédit de la DSIS n'abondera les projets locaux en 2020 .

Il aurait pourtant été vivement souhaitable que ces crédits soient maintenus durablement afin de garantir un traitement équitable des SIS, tous n'ayant pas bénéficié de la DSIS entre 2017 et 2020. En effet, seuls 43 des 99 SIS ont bénéficié d'un financement de la DSIS.

Dans son rapport d'information sur la lutte contre les feux de forêts 7 ( * ) , votre rapporteur spécial avait par ailleurs recommandé d'abonder la DSIS pour accompagner les SDIS dans leurs investissements en matériels de lutte anti-incendie . Le parc des camions-citernes « feux de forêts » est en effet vieillissant et les ressources peuvent manquer dans certains départements, alors que le risque d'incendie demeure très présent.

Comme mentionné supra , les dépenses d'interventions (titre 6), sur lesquelles s'imputaient les crédits en faveur des projets locaux, sont inférieures de 13,3 millions d'euros par rapport à la programmation pluriannuelle. Le PLF 2020 aurait donc pu prévoir un effort à cet égard sans que le budget du programme 161 ne dépasse son plafond de programmation , contrairement aux autres programmes de la mission « Sécurité ». Le montant total des CP de cette mission est en effet supérieur de 500 millions d'euros par rapport à la prévision triennale.

b) NexSIS 18-112 : un projet porteur d'économies d'échelle, et désormais piloté par l'Agence du numérique de la sécurité civile

Lancé en avril 2017, « NexSIS 18-112 » est un projet de mutualisation des systèmes d'information - système de gestion des appels (SGA) et système de gestion opérationnelle (SGO) - des SDIS et de la sécurité civile. Il consiste à déployer un système d'information et de commandement unifié, lequel doit à terme être utilisé par l'ensemble des SDIS. Son coût total est estimé par la DGSCGC à 217 millions d'euros.

Une première version de NexSIS 18-112 devrait être livrée fin 2020. Celle-ci sera mise en place début 2021 dans le département de Seine-et-Marne (SDIS 77), puis au cours de la même année, dans plusieurs structures pilotes qui seront déterminées, en lien avec le ministère de l'intérieur, par délibération du conseil d'administration de l'agence porteuse du projet. Le ministère de l'intérieur a en effet créé fin 2018 un opérateur spécifique , l' Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), à la fois financée par la DSIS et les SDIS .

L'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC)
et son financement par le programme 161

L'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) créée par le décret n°2018-856 du 8 octobre 2018 et installée le 1 er novembre 2018 s'est substituée à la mission de préfiguration du projet SGA-SGO unifié. Cet établissement public administratif à gouvernance partagée entre l'État et les SDIS, qui finalise sa mise en place, a été désigné comme structure porteuse du programme NexSIS 18-112 créé par le décret n° 2019-19 du 9 janvier 2019. Après la réalisation de deux démonstrateurs ou Proof of Concept (POC), pour le système gestion des alertes (SGA) et pour le système de gestion des opérations, qui ont permis d'attester de la solidité et de la faisabilité du programme, deux premiers marchés (réalisation des développements informatiques et assistance à maîtrise d'ouvrage) contractés par l'ANSC, permettent à ce programme d'entrer dans sa phase de réalisation industrielle engagée depuis le début juillet 2019.

Le conseil d'administration de l'agence, en gouvernance partagée entre l'État et les représentants des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) bénéficiaires, soutient la dynamique du projet et le calendrier annoncé en phase de préfiguration est aujourd'hui tenu.

Le financement initial de NexSIS est réparti entre l'État, à hauteur de 25 %, soit 37 millions d'euros cumulés, et les SDIS préfigurateurs. À l'issue, ce sont les contributions de fonctionnement des SDIS bénéficiant des services de NexSIS 18-112 qui constitueront l'essentiel des recettes de l'agence.

En 2020, 7 millions d'euros issus de l'action 13 (sous-action 1 : Aides de l'État aux acteurs de la sécurité civile) abonderont l'ANSC, répartis entre les dotations en fonds propres, (titre 7) et les subventions pour charge de service public (titre 3). Pour rappel, la LFI 2019 prévoyait également une dotation de 7 millions d'euros, complétée par 2 millions d'euros de subventions d'investissements des SDIS.

Le nombre d'emplois de l'agence s'élève à 12 ETP, sous plafond d'emplois du programme 161.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

L'intérêt financier de NexSIS est réel . D'après les estimations de la FNSPF, ce projet permettrait d'aboutir à un coût de gestion des systèmes d'information de 193 millions d'euros sur 10 ans, contre 587 millions d'euros en l'absence d'une telle mutualisation.

NexSIS s'inscrit également dans le développement d'un nouveau cadre d'interopérabilité des services d'urgence (CISU), piloté par le ministère de l'intérieur, qui intègre également le projet « SI SAMU », récemment lancé par le ministère de la santé.

Si ces initiatives méritent d'être soutenues , la mise en oeuvre d'un projet unique et commun aux deux ministères aurait été préférable , NexSIS et « SI SAMU » partagent en effet un même objectif d'amélioration de l'interopérabilité des systèmes de services d'urgence . A minima, il convient donc de veiller à ce que les deux systèmes soient réellement interconnectés et interopérables .

3. Des avancées souhaitables en matière de coordination des secours, afin d'atténuer la pression opérationnelle des SDIS

À moyens constants, l'évolution de l'activité opérationnelle des SDIS doit donc être maîtrisée, notamment à travers une meilleure coordination entre les différents intervenants de secours.

À cet égard, la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a récemment annoncé la mise en place en 2020 d'un service d'accès aux soins (SAS), dans le cadre du « pacte de refondation des urgences » . Ce SAS a vocation à orienter les patients vers une consultation en ville, une téléconsultation ou vers les urgences, et favoriserait l'avènement d'un numéro unique pour les demandes de secours, soutenu par le président de la République .

Le numéro unique : un objectif du quinquennat d'Emmanuel Macron

« Ce quinquennat doit être aussi l'occasion de mettre en place des plates-formes uniques de réception des appels d'urgence. Aux États-Unis, il suffit de faire le 911 ; en Europe et tout particulièrement en France, c'est beaucoup plus compliqué. Au moment de la mise en place en l'an 2000 au niveau européen du numéro d'appel d'urgence unique 112, de nombreux États européens ont réorganisé leur numéro d'appel comme l'Espagne, le Portugal, le Luxembourg, la Finlande ou la Suède, souvent pour n'en conserver qu'un seul ; mais la France a conservé le 15, le 17, le 18 et elle a rajouté le 112 et le 115. Nous n'avions pas alors saisi tout le potentiel et l'opportunité offerte par cette réforme pour nos concitoyens mais nous avons besoin d'une plateforme commune, de simplifier les choses et d'avoir une plateforme commune de réception des appels beaucoup plus simple - des innovations ont été faites sur certains territoires, des centres commun ont émergé dans une quinzaine de départements, je souhaite que nous puissions aller plus loin, simplifier les choses pour qu'un meilleur service, une plus grande simplification, ces réflexes du quotidien soient pleinement adoptés. »

Source : discours en remerciements aux forces mobilisées sur les feux de forêts et ouragans, 6 octobre 2017, présidence de la République

Facteur d'amélioration dans la coordination des interventions de secours, la création d'un numéro unique - qui pourrait être le 112 - aurait une incidence notable sur l'activité des SDIS . La FNSPF considère néanmoins que le SAS permettrait d'articuler les interventions de secours autour de deux numéros, avec le 112 pour les secours d'urgence, et le 116-117, pour la demande de soins non programmés.

En parallèle du projet de numéro unique, la généralisation des plateformes communes de traitement des appels d'urgence favoriserait également une meilleure coordination des interventions. Il conviendra de suivre à cet égard les conclusions de la mission commune au ministère de la santé et au ministère de l'intérieur sur la prise en charge des appels d'urgence, qui seront rendues à la fin de l'année. Actuellement, une vingtaine de plateformes SDIS/SAMU existe et plusieurs départements prévoient de s'en équiper ces prochaines années.

4. Une application du droit européen à clarifier, afin d'éviter toute remise en cause du modèle français de sécurité civile

Le modèle français de sécurité civile repose sur une part importante de volontaires dans l'ensemble des sapeurs-pompiers . Sur les 246 800 sapeurs-pompiers français, 193 800 (79 %) sont volontaires, 40 600 sont professionnels et 12 300 sont militaires. Ce modèle assure notamment un maillage plus fin des SDIS sur le territoire, et favorise des délais d'interventions satisfaisants : en moyenne, 13 minutes et 18 secondes s'écoulent entre l'appel et l'arrivée des secours, d'après les statistiques annuelle des SIS de 2018 8 ( * ) . La proportion de sapeurs-pompiers volontaires peut aller jusqu'à 90 % dans les départements les moins peuplés.

Le développement et la pérennité de ce modèle constitue donc un enjeu majeur pour la sécurité civile , et nécessite donc la préservation d'un cadre juridique flexible et adapté aux activités des sapeurs-pompiers volontaires (SPV). À ce titre, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail 9 ( * ) , ne s'applique pas, à l'heure actuelle, aux sapeurs-pompiers volontaires.

Cette dernière contient notamment deux dispositions contraignantes :

- la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures ;

- le repos journalier de 11 heures consécutives.

Statuant le 21 février 2018 10 ( * ) sur un contentieux opposant un sapeur-pompier volontaire belge à la commune de Nivelles à propos de la rémunération de son service de garde à domicile, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a en effet considéré que :

- les sapeurs-pompiers volontaires doivent être considérés comme « travailleurs » au sens de la directive ;

- les périodes de garde sont toujours considérées comme du temps de travail ;

- les périodes d'astreinte peuvent être exclues du temps de travail dès lors que les contraintes ne sont pas excessives et ne peuvent être assimilées à celles découlant d'un travail (subordination, rémunération).

Aucune procédure de mise en demeure n'a été engagée à ce jour contre la France pour non-conformité avec cette directive. Cependant, plusieurs contentieux nationaux 11 ( * ) ont été introduits, à l'initiative de certaines organisations syndicales de sapeurs-pompiers professionnels, sur le fondement de l'arrêt Matzak pour obtenir la qualification des sapeurs-pompiers volontaires français comme travailleurs au sens de la directive, avec l'ensemble des effets induits.

L'application de la directive emporterait une rupture profonde d'équilibre du modèle français de secours. Pour garantir une capacité opérationnelle constante, elle supposerait, selon la FNSPF, un accroissement de moitié (2,5 milliards d'euros) du coût des services d'incendie et de secours lié à la compensation des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires par des professionnels. Cette orientation apparaît difficilement soutenable pour les finances publiques.

La préservation d'un statut dérogatoire pour les SPV appelle donc une initiative forte de la part du Gouvernement français vis-à-vis de la Commission européenne, ce qui ne semble pas être le cas à l'heure actuelle.

Depuis l'arrêt Matzak, le Gouvernement semble retenir une position peu claire et attentiste, alors que la proposition d'une nouvelle directive paraît s'imposer . La commission des affaires européennes du Sénat avait ainsi exprimé ses attentes en faveur d'un « acte législatif européen permettant de garantir les spécificités du volontariat dans l'exercice des missions de sécurité civile », dans le cadre d'un avis politique adressé à la commission européenne le 15 novembre 2018 12 ( * ) . Ce projet de nouvelle directive permettrait non seulement de pérenniser le modèle français de sécurité civile, mais aussi celui des autres États membres , plus de 3,5 millions de sapeurs-pompiers étant volontaires dans l'Union européenne.


* 5 Ce pacte a abouti à l'adoption du dispositif de contractualisation entre l'État et les collectivités prévu par l'article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 6 Article 17 de la loi n°2016-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

* 7 Recommandation n°6 du rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.

* 8 Les statistiques des services d'incendie et de secours pour l'année 2017 (édition 2018) https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Statistiques/Securite-civile/2017

* 9 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 10 Cour de justice de l'Union européenne, arrêt du 21 février 2018, Matzak, C-518/15.

* 11 Tribunal administratif de Strasbourg (2 e chambre), 2 novembre 2017, Syndicat autonome des SPP et des PATS du Bas-Rhin, n°1700145.

* 12 Avis politique sur les règles européennes et le statut des sapeurs-pompiers volontaires http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/affaires_europeennes/avis_politiques/Avis_politique_statut_SPV.pdf

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