II. UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES

A. DES MÉCANISMES À AMÉLIORER

1. L'importance de la prévention et d'une réponse rapide en cas de détection

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes est reconnue comme un axe prioritaire pour la préservation de la biodiversité. Cette lutte prend néanmoins des formes différentes en fonction du moment de détection de l'espèce.

Les personnes auditionnées par votre rapporteur ont mis l'accent sur la prévention , notamment via le profilage des espèces exotiques susceptibles de s'implanter en France et la mise en quarantaine des produits provenant de zones géographiques à risque.

Dans l'hypothèse où une introduction n'a pu être évitée, la rapidité de la détection et de la réaction pour empêcher l'acclimatation d'individus susceptibles de se propager devient alors déterminante. Cette stratégie de détection précoce et de réponse rapide est prévue par le règlement européen de 2014 précité, mais présente, selon les scientifiques auditionnés, une efficacité limitée en l'état de la réglementation. Le dispositif ne vise en effet que des espèces exotiques envahissantes déjà installées et pour lesquelles l'éradication est souvent irréalisable. La liste de l'Union européenne répertorie en effet 49 espèces exotiques préoccupantes, alors qu'environ 14 000 espèces exotiques ont été repérées en Europe. Par ailleurs, les temps de latence entre la détection, la remontée d'information vers les experts et la gestion de la menace sont souvent trop longs.

Ces deux phases - prévention d'une part, et détection précoce et réponse rapide d'autre part - sont essentielles et devraient être une priorité des pouvoirs publics. Une fois une espèce exotique installée, il devient très difficile et coûteux de l'éradiquer, d'en limiter la propagation ou même simplement de maintenir l'équilibre des écosystèmes.

Courbe de progression d'une invasion et mécanismes de lutte

Source : Commission des lois, sur la base d'un graphique de S. Sparhawk,
U.S. National Park Service

Pour reprendre l'exemple des frelons asiatiques, il s'agit d'une espèce déjà installée sur le territoire national. Son cycle de vie annuel rend en outre encore plus incertains les effets d'opérations de piégeage ou de destruction de nids.

Les scientifiques interrogés par votre rapporteur ont déclaré être incapables de mesurer l'effet du piégeage ou de la destruction des nids sur l'évolution du nombre de frelons asiatiques car la taille de leur population varie naturellement chaque année. Il est donc impossible d'établir un lien de cause à effet entre les actions entreprises et une moindre pullulation. Au contraire, en réduisant la compétition entre colonies, les opérations de lutte pourraient permettre la survie d'un nombre plus important de reines fondatrices.

Ils relèvent par ailleurs que l'éradication de cette espèce supposerait la destruction de tous les spécimens, puisque la survie d'une seule reine fondatrice permettrait de redémarrer le processus d'invasion.

Selon eux, la destruction de nids ne peut être préconisée que pour protéger les ruchers et à la condition d'être effectuée à la bonne période . Il est en effet parfaitement inutile de détruire des nids repérés à l'automne, lorsque les arbres ont perdu leur frondaison, car la colonie n'est plus en période de prédation, mais en voie d'extinction et le nid ne sera pas recolonisé.

Organiser la cohabitation
entre le frelon asiatique et l'abeille domestique

L'éradication du frelon asiatique en France étant désormais, si ce n'est impossible, du moins extrêmement difficile, la solution réside dans la protection des espèces menacées, en l'occurrence les abeilles domestiques. Pour ce faire, le dispositif le plus efficace en l'état actuel des connaissances est la mise en place de « muselières » devant les ruches. L'installation de ce grillage à l'entrée des ruches permet de laisser sortir les abeilles, mais de bloquer l'accès des frelons à la planche d'envol. Un tel système empêche le frelon de pénétrer dans la ruche, et réduit également le stress des abeilles qui est à l'origine de la destruction de certaines ruches.

De telles protections permettent de laisser le temps à l'abeille domestique européenne d'apprendre à se défendre contre les frelons asiatiques. L'abeille domestique asiatique a en effet développé une méthode de défense efficace contre ceux-ci : lorsqu'un frelon asiatique est détecté, un grand nombre d'ouvrières l'enveloppe et celles-ci, en faisant vibrer leurs corps, font augmenter la température, au-delà de 45° C, ce qui conduit à la mort du frelon asiatique.

Des comportements similaires ont occasionnellement pu être observés chez l'abeille domestique européenne. Ces comportements pourraient être renforcés par la sélection par l'homme de lignées d'abeilles plus résistantes. Cela prendra néanmoins du temps.

2. Des exemples d'actions menées à l'étranger

Les scientifiques auditionnés par votre rapporteur ont cité en exemple trois pays à leurs yeux très en pointe en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes : la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis.

Leur avance s'observe en particulier dans trois domaines :

- l'information et la sensibilisation des populations afin de prévenir les comportements qui facilitent la prolifération des espèces invasives et d'en favoriser la détection et l'éradication.

En Nouvelle-Zélande, le plan « Biosecurity 2025 », lancé en 2016, prévoit qu'à l'échéance 2025, 75 % des néo-zélandais adultes devront comprendre les enjeux de la biosécurité pour préserver l'écosystème de leur pays et que 100 000 d'entre eux devront prendre régulièrement part à des actions locales pour contrôler les espèces animales ou végétales nuisibles. Par ailleurs, de nombreux panneaux sont disposés sur les sites problématiques afin d'informer la population des risques et lui demander certaines mesures de précaution, comme par exemple le lavage des bottes et des embarcations en cas de rivières contaminées par des algues toxiques. Aux États-Unis, une « National Invasive Species Awareness Week » est organisée chaque année depuis dix ans sous l'égide du Département de l'intérieur ;

- la constitution de listes « blanches » d'espèces végétales ou animales inoffensives, et non de listes « noires » d'espèces préoccupantes.

En Nouvelle-Zélande et en Australie, les acteurs économiques ne peuvent importer un produit qu'après en avoir prouvé l'innocuité envers l'écosystème local. La charge de la preuve est donc renversée par rapport aux systèmes français et européen dans lesquels il revient aux autorités de prouver que l'espèce est invasive et cause des dommages environnementaux, ce qui est complexe et ne peut parfois être constaté qu'après introduction ;

- la mise en place de cellules de réponse rapide pour pouvoir éradiquer les premiers spécimens introduits dès détection et avant propagation : créées en Australie et aux États-Unis, elles sont particulièrement utiles aux points d'entrée telles les zones portuaires et aéroportuaires.

3. Une nécessaire sensibilisation de la population française aux enjeux liés aux espèces exotiques envahissantes

Ces exemples étrangers constituent des pistes de réflexion pour améliorer les volets de prévention et de réponse rapide des dispositifs mis en oeuvre en France.

La rapidité de l'intervention dépend en effet de la chaîne de transmission des données entre la détection initiale et les structures d'intervention . Celle-ci est plus ou moins efficace selon les territoires, certaines régions ayant mis en place des animateurs territoriaux chargés de coordonner ces politiques afin de prioriser les actions menées en fonction des espèces et des espaces.

Afin de renforcer l'efficacité de la lutte, le ministère de la transition écologique et solidaire a exprimé à votre rapporteur sa volonté de mettre en place de manière systématique de tels référents techniques chargés de coordonner la lutte contre les espèces exotiques envahissantes au niveau régional, en vue d'assurer une détection rapide de la présence de spécimens de ces espèces.

La sensibilisation de la population est également un axe majeur de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Ces espèces ne sont en effet généralement pas dangereuses en elles-mêmes, mais du fait de leur impact sur les espèces indigènes. Améliorer cette sensibilisation permettrait de renforcer l'acceptabilité des politiques de lutte mises en place, que ce soit la détection et l'éradication précoce ou la gestion de long terme des populations.

Le ressenti du public face aux espèces exotiques envahissantes

Le public prend conscience de manière relativement tardive de l'implantation d'une EEE, et généralement à un moment où l'éradication est devenue impossible ( cf . schéma ci-dessus). Il y a donc un décalage entre l'inquiétude qui peut naître de cette prise de conscience et la réponse que peuvent apporter les pouvoirs publics.

Par ailleurs, les espèces exotiques envahissantes ne sont pas toutes perçues comme une menace par la population. L'opinion publique varie en fonction de l'aspect physique de l'animal ou du végétal concerné, de sa dangerosité réelle ou supposée, de sa zone d'implantation, plus ou moins proche des habitations, etc . La différence de traitement entre l'écureuil gris et le frelon asiatique, tous deux répertoriés comme espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union européenne, en est une illustration.

À la fin des années 1990, l'agence gouvernementale italienne pour la recherche et la conservation de la nature, en coopération avec l'université de Turin, a souhaité mener un programme d'éradication de l'écureuil gris originaire d'Amérique du Nord pour protéger l'écureuil roux indigène. Ce projet a été bloqué par des groupes de défense des droits des animaux, encouragés par une partie de la population séduite par ce petit mammifère peu farouche. Lorsque la reprise des opérations a finalement été autorisée trois ans plus tard, celles-ci étaient devenues inutiles compte tenu de l'ampleur de la propagation de l'écureuil gris.

Au contraire, la présence du frelon asiatique semble être particulièrement mal acceptée par la population française qui est très mobilisée en faveur de son éradication (organisation de campagnes de piégeage par les particuliers, demandes de destruction des nids auprès des maires). Au-delà de la menace réelle que ce nouveau prédateur constitue pour les abeilles, cette hostilité, relayée par les journaux, semble fondée sur une dangerosité supposée du frelon asiatique, mais non avérée. Il est en effet établi que l'espèce vespa velutina nigrithorax n'est pas plus agressive que l'espèce européenne vespa crabro et que sa piqûre n'est pas plus dangereuse que celle des abeilles et des guêpes. Ces dernières causent chaque année une quinzaine de morts, tandis que les frelons asiatiques sont à l'origine d'une dizaine de décès depuis leur introduction en 2004. Dans tous les cas, il s'agit de personnes allergiques au venin.

De ce point de vue, les territoires ultramarins, particulièrement sensibles à cette problématique, paraissent précurseurs sur le sujet : les listes règlementaires des espèces considérées comme « exotiques envahissantes » y ont été élargies, tandis que certains territoires comme La Réunion 23 ( * ) demandent à l'État un renforcement des contrôles mis en oeuvre à l'entrée, sur le modèle de ce qui est réalisé en Nouvelle-Zélande.


* 23 La Réunion est depuis 2010 classée patrimoine mondial de l'UNESCO au titre de son patrimoine naturel, notamment en raison de la présence de nombreuses espèces endémiques. Les espèces invasives représentent toutefois une menace réelle sur cette biodiversité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page