Rapport n° 475 (2018-2019) de M. Vincent SEGOUIN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 mai 2019

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N° 475

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 mai 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l' introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes ,

Par M. Vincent SEGOUIN,

Sénateur

Procédure de législation en commission,

en application de l'article 47 ter du Règlement

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

215 et 476 (2018-2019)

La commission a examiné cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission, en application de l'article 47 ter du Règlement.

En conséquence seuls sont recevables en séance, sur cette proposition de loi, les amendements visant à :

- assurer le respect de la Constitution,

- opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur,

- procéder à la correction d'une erreur matérielle.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le jeudi 2 mai 2019 , sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné, selon la procédure de législation en commission prévue par l'article 47 ter du règlement du Sénat, le rapport de M. Vincent Segouin, rapporteur , et établi son texte sur la proposition de loi n° 215 (2018-2019) tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l' introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes .

La commission a adopté trois amendements, dont deux de son rapporteur, l'un visant à consacrer le pouvoir d'alerte du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes, et les deux autres modifiant l'intitulé de la proposition de loi en conséquence.

Les espèces exotiques envahissantes : un nécessaire renforcement de la lutte

Sensibilisée à la problématique des espèces exotiques envahissantes, la commission a souhaité interpeller le Gouvernement sur son action en matière d'espèces exotiques envahissantes, porteuses de nombreuses menaces pour la biodiversité métropolitaine et surtout ultramarine.

Rappeler au maire les pouvoirs dont il dispose contre les frelons asiatiques

La commission a établi un « mode d'emploi » à destination des maires visant à leur rappeler leurs pouvoirs en cas de présence de frelons asiatiques sur le territoire communal. Au titre de leur pouvoir de police générale, il est notamment possible aux maires d'intervenir sur les propriétés privées en cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique.

Consacrer le rôle d'alerte du maire dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes

La commission a considéré que le maire pouvait jouer un rôle de facilitateur de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes en :

- sensibilisant et informant le public des risques pour la biodiversité que soulève la diffusion des espèces exotiques envahissantes ;

- jouant un rôle d'intermédiaire afin d'obtenir l'accord des administrés pour une intervention sur leur propriété privée située sur le territoire communal, lorsque des spécimens de ces espèces y sont repérés ;

- formant un maillon essentiel de la chaîne de détection précoce de ces espèces, en signalant aux autorités en charge de la lutte la présence de spécimens sur le territoire communal .

Elle a inscrit cette dernière mission dans la loi, affirmant ainsi le pouvoir d'alerte du maire auprès du préfet lorsqu'il constate la présence de spécimens d'espèces exotiques envahissantes dans le milieu naturel. À charge pour les autorités responsables de la lutte de prendre les mesures pertinentes à la suite de ce signalement.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Chaque printemps, les reines fondatrices rescapées de l'hiver fondent de nouveaux nids de frelons asiatiques, donnant naissance à un grand nombre de Vespa velutina nigrithorax - reconnaissables à leur corps brun foncé. Ceux-ci attaquent les autres hyménoptères, ciblant principalement les abeilles domestiques. Les maires sont ainsi régulièrement interpellés par leurs administrés, lorsque ceux-ci détectent des nids sur leur propriété ou dans leur voisinage.

La diffusion du frelon asiatique et la crainte qu'elle suscite ne sont que la manifestation visible de la propagation en France d'un grand nombre d'espèces exotiques envahissantes, animales ou végétales. Ces dernières, définies par leur caractère exogène au territoire national et leurs impacts négatifs potentiels ou avérés en matière de biodiversité, d'économie ou de santé publique, constituent en effet la troisième menace pesant sur la biodiversité mondiale, après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces, tandis qu'elles sont impliquées dans 53 % des extinctions connues.

La proposition de loi n° 215 (2018-2019) tendant à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes , présentée par notre collègue Agnès Canayer et plusieurs autres de nos collègues, vise à donner aux maires les moyens d'agir contre la diffusion des espèces exotiques envahissantes, parmi lesquelles le frelon asiatique.

Créer un pouvoir de police spéciale en la matière aurait cependant plusieurs effets collatéraux indésirables, tant en matière de mise en cause de la responsabilité de la commune qu'en matière environnementale ou d'efficacité de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, qui nécessite une coordination à grande échelle. Au vu de ces éléments, votre commission a préféré rappeler les prérogatives dont disposent déjà les maires au titre de leur pouvoir de police générale pour lutter contre les frelons asiatiques en cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique, et consacrer leur rôle de maillon indispensable de la chaîne de détection rapide de ces espèces sur le territoire national.

Votre commission a également souhaité engager le Gouvernement à se saisir plus avant de cette question fondamentale pour la biodiversité que sont les espèces invasives, cette thématique étant particulièrement prégnante dans nos territoires ultramarins insulaires. La plupart des actions en la matière relèvent en effet du niveau règlementaire.

I. L'APPRÉHENSION PROGRESSIVE DES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES PAR LE DROIT

A. LES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES : DÉFINITION ET MOYENS D'ACTION

1. Un danger pour la biodiversité désormais bien identifié

L'introduction de nouvelles espèces sur un territoire donné n'est pas un phénomène récent . L'introduction peut être volontaire (horticulture, chasse, nouveaux animaux de compagnie), ou accidentelle, par le fret maritime ou aérien, les eaux de ballast, les importations de matériaux de construction, etc . Depuis quelques années cependant, sous l'effet conjugué de l'accroissement des échanges commerciaux intercontinentaux, du développement des moyens de transport et du réchauffement climatique, l'implantation d'espèces exotiques devient plus fréquente. Parmi les espèces introduites, la plupart ne deviennent pas envahissantes et ne provoquent pas de difficultés dans l'écosystème d'accueil.

Un petit nombre d'entre elles deviennent toutefois envahissantes. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, 10 % des espèces introduites sur un territoire s'y acclimatent. Parmi elles, seules 10 % deviennent invasives.

Ces espèces, que l'on dénomme espèces exotiques envahissantes (EEE), sont la cause d'impacts majeurs aux niveaux écologiques, économiques et sanitaires.

Les espèces exotiques envahissantes : éléments de définition scientifique

La définition la plus souvent avancée d'une espèce exotique envahissante (EEE) est la suivante : « Une espèce exotique envahissante est une espèce allochtone dont l'introduction par l'Homme (volontaire ou fortuite), l'implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques ou économiques ou sanitaires négatives » 1 ( * ) .

Les espèces exotiques envahissantes sont donc des espèces animales ou végétales définies à partir de deux critères :

- leur statut exotique , c'est-à-dire que ces espèces ont été introduites par l'homme en dehors de leur aire de répartition naturelle (volontairement ou fortuitement) ;

- leurs impacts écologiques, économiques ou sanitaires négatifs potentiels ou avérés.

• Impacts écologiques

Les EEE sont reconnues comme l'une des principales causes de la dégradation de la biodiversité mondiale, car leur expansion rapide s'opère au détriment de la faune ou de la flore indigènes. Selon la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) 2 ( * ) , les espèces exotiques envahissantes menacent au niveau mondial 32 % des oiseaux, 30 % des amphibiens, 20 % des reptiles, 17 % des mammifères terrestres et 15 % des mollusques inscrits dans les catégories d'espèces menacées. Elles représentent la troisième menace pour la biodiversité après la destruction des habitats et la surexploitation des espèces , tandis qu'elles sont impliquées dans 53 % des extinctions connues.

La menace est exacerbée dans les îles, où les espèces exotiques envahissantes sont considérées comme la principale cause d'extinction d'espèces et de transformation des écosystèmes.

L'un des risques majeurs de ces invasions biologiques est de voir s'uniformiser les écosystèmes mondiaux, du fait de la régression ou la disparition des espèces indigènes au profit d'une faune et d'une flore exotique et banalisée . L'expression de « McDonaldisation de la biodiversité » a ainsi été évoquée au cours des auditions de votre rapporteur.

• Impacts économiques

Les espèces exotiques envahissantes peuvent affecter de manière directe les activités économiques . Les insectes ravageurs, les rongeurs ou certaines maladies réduisent le rendement des récoltes, tandis que des espèces végétales envahissant les prairies peuvent porter préjudice aux activités pastorales.

À ces coûts directs doivent être ajoutés les coûts indirects des EEE . Ceux de la lutte contre ces espèces d'abord, mais également les coûts plus difficilement quantifiables dus à leur impact sur les services rendus par les écosystèmes . À titre d'exemple, les activités touristiques peuvent se voir affectées par le développement d'espèces invasives.

Dès 2002, une étude chiffrait à 137 milliards de dollars par an le coût économique de l'ensemble des espèces exotiques envahissantes 3 ( * ) . Le coût minimal des insectes envahissants a été évalué à 69 milliards d'euros par an 4 ( * ) . Les impacts économiques des EEE en France sont toutefois peu documentés.

• Impacts sanitaires

L'implantation d'EEE peut également avoir des conséquences en matière de santé publique . Certaines de ces espèces causent des allergies, d'autres constituent des agents infectieux, tandis que d'autres encore, en particulier parmi les insectes, peuvent être porteuses d'agents pathogènes menaçant la santé humaine ou animale.

2. Une appréhension progressive par le droit

La nécessité d'une coopération internationale pour développer des approches communes de prévention et de gestion des espèces exotiques envahissantes fait aujourd'hui consensus.

Au niveau international, dès 1992, la Convention sur la diversité biologique demande aux parties contractantes d'« empêche[r] d'introduire, [de] contrôle[r] ou [d']éradique[r] les espèces exotiques qui menacent des écosystèmes, des habitats ou des espèces ». La lutte contre les espèces exotiques envahissantes constitue un objectif spécifique du plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 (dits « objectifs d'Aïchi »), qui définit le plan décennal des États parties à la convention 5 ( * ) .

Au niveau européen, une première stratégie contre les espèces exotiques envahissantes 6 ( * ) a été adoptée en décembre 2003 par le Conseil de l'Europe, dans le cadre de la mise en oeuvre de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe , dite « Convention de Berne » 7 ( * ) . Au sein de l'Union européenne, la Commission a publié en décembre 2008 une communication intitulée « Vers une stratégie de l'Union européenne relative aux espèces envahissantes » 8 ( * ) . En 2011, elle a intégré dans sa Stratégie de la biodiversité pour 2020 9 ( * ) l'objectif d'Aïchi relatif aux espèces exotiques envahissantes. Enfin, le règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes institue un cadre d'action visant à coordonner les actions des États membres en matière de prévention, de détection précoce et d'éradication rapide, d'une part, et de gestion des espèces exotiques envahissantes largement répandues 10 ( * ) , d'autre part.

Au niveau national, si l'interdiction de l'introduction sur le territoire national de tout spécimen vivant d'espèces animales et végétales non indigènes au territoire national et non domestiques ou non cultivées date de 1995, la notion d'« espèces exotiques envahissantes » n'a fait son apparition au niveau législatif qu'en 2016 avec la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Depuis cette dernière loi, sont interdites par le code de l'environnement tant l'introduction dans le milieu naturel de spécimens vivants de certaines espèces, dont la liste est fixée par arrêté (article L. 411-5), que la diffusion de certaines de ces espèces sur le territoire national (article L. 411-6). Des contrôles sont organisés (article L. 411-7), tandis que les articles L. 411-8 et L. 411-9 précisent les modalités de lutte une fois ces espèces présentes sur le territoire national.

L'interdiction d'introduire des spécimens d'espèces non indigènes
au territoire d'introduction et non domestiques ou non cultivées

L'article 56 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a introduit un nouvel article L. 211-3 du code rural (ancien), interdisant l'introduction dans le milieu naturel, volontaire ou par négligence, de tout spécimen d'une espèce animale ou végétale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non domestique ou non cultivée. Ces dispositions ont par la suite été transférées par l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie Législative du code de l'environnement à l'article L. 411-3 du code de l'environnement.

Ce n'est qu'en 2005 que l'article 129 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a limité la portée de cet article en indiquant que les espèces dont l'introduction était interdite n'étaient que celles présentes sur une liste fixée par arrêté . Cette limitation, issue de l'adoption d'un amendement du Gouvernement en deuxième lecture au Sénat, était justifiée par les problèmes d'application de la loi du fait de l'impossibilité de définir clairement certaines notions (caractère « indigène » d'une espèce, « territoire d'introduction »).

En 2016, la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a déplacé ces dispositions au sein d'une sous-section spécifique intitulée « Prévention de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes » du code de l'environnement.

Dans le prolongement de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, la stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes a été publiée le 23 mars 2017. Elle définit les principales actions à mettre en oeuvre au cours des prochaines années, qui s'articulent autour de cinq axes :

- axe 1 : prévention de l'introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes ;

- axe 2 : interventions de gestion des espèces et restauration des écosystèmes ;

- axe 3 : amélioration et mutualisation des connaissances ;

- axe 4 : communication, sensibilisation, mobilisation et formation ;

- axe 5 : gouvernance.

Le coût de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes en France

Il est aujourd'hui complexe, voire impossible, d'établir le coût global de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes en France. Cela est dû à la multiplicité des acteurs intervenant en la matière, qui sont distincts selon les territoires, ainsi qu'à la diversité des actions entreprises comprenant des actions directes et des actions indirectes (communications, études préalables, formations, etc .).

À titre indicatif, le ministère de la transition écologique et solidaire a budgété pour 2018 environ 700 000 euros auprès des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour la politique de lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

3. Plusieurs dispositifs déjà à la disposition des pouvoirs publics pour lutter contre leur propagation

Le code de l'environnement attribue un pouvoir de police spéciale au préfet pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes. D'autres dispositifs existants permettent aux pouvoirs publics de lutter contre les espèces végétales ou animales considérées comme dangereuses ou néfastes, parmi lesquelles sont parfois également classées les espèces exotiques envahissantes.

• La lutte contre les espèces exotiques envahissantes

En cas d'introduction sur le territoire de spécimens d'espèces classées parmi les espèces exotiques envahissantes, des mesures peuvent être engagées par le préfet 11 ( * ) pour les capturer, les prélever, ou les détruire (article L. 411-8 du code de l'environnement).

Celui-ci peut prendre un arrêté préfectoral qui précise les conditions de réalisation des opérations, qui peuvent avoir lieu sur les propriétés privées . En pratique, ces arrêtés sont pris si des opérations d'éradication rapide doivent intervenir sur des propriétés privées quand l'accord du propriétaire n'a pas été obtenu, ou lorsqu'elles nécessitent un cadrage spécifique.

Depuis la publication des arrêtés du 14 février 2018 listant les espèces exotiques envahissantes 12 ( * ) , une dizaine d'arrêtés préfectoraux ont été pris pour lutter contre certaines espèces exotiques envahissantes telles que la bernache du Canada ( Branta canadensis) , l'ouette d'Égypte ( Alopochen aegyptiacus ), ou encore l'ibis sacré ( Threskiornis aethiopicus ).

Il importe de souligner que la lutte contre les espèces exotiques envahissantes n'est pas l'apanage des préfets, et qu'un grand nombre d'acteurs est mobilisé sur le sujet 13 ( * ) .

• D'autres dispositifs de lutte contre les espèces végétales ou animales considérées comme dangereuses ou néfastes pouvant être utilisés contre des espèces exotiques envahissantes

- La lutte contre les espèces classées parmi les dangers sanitaires

Certaines espèces animales et végétales peuvent également être classées parmi les dangers sanitaires de première ou de deuxième catégorie (article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime). C'est notamment le cas du frelon asiatique Vespa velutina nigrithorax . Ce classement emporte pour conséquence la responsabilité de l'État dans la surveillance, la prévention et la lutte contre ces espèces.

À ce titre, le préfet de région lorsque le risque concerne les végétaux ou le préfet du département dans les autres cas, prend ou peut prendre, en fonction de la catégorie dans laquelle est classée l'espèce, toutes mesures de prévention, de surveillance ou de lutte contre ces espèces.

Ces opérations sont, conformément à l'article L. 201-8 du même code, à la charge du propriétaire ou du détenteur des animaux menacés . Ceux-ci peuvent toutefois percevoir des aides publiques.

- La lutte contre les espèces végétales et animales nuisibles à la santé humaine

Les articles L. 1338-1 et suivants du code de la santé publique organisent la lutte contre les espèces animales et végétales dont la prolifération constitue une menace pour la santé humaine .

L'ambroisie à feuilles d'armoise ( Ambrosia artemisiifolia L. ) est par exemple classée parmi ces espèces, tandis qu'elle constitue également une espèce exotique envahissante.

Le préfet détermine les mesures, ainsi que leurs modalités d'application, susceptibles d'être prises afin de prévenir l'apparition ou de lutter contre la prolifération de ces espèces. Elles peuvent consister en la destruction de spécimens sous quelque forme que ce soit au cours de leur développement, dans des conditions permettant d'éviter leur dissémination et leur reproduction. Les maires des communes concernées peuvent participer aux côtés du représentant de l'État à l'élaboration et à la mise en oeuvre de ces mesures dans leur ressort.

- La lutte contre les animaux nuisibles

À défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse, qui y ont été dûment invités, le maire peut prendre toutes les mesures nécessaires à la destruction des animaux d'espèces non domestiques effectuées pour l'un au moins des motifs suivants 14 ( * ) :

1° Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

2° Pour prévenir les dommages importants, notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriétés ;

3° Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ;

4° Pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ;

5° Pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement.

Le préfet peut également ordonner de telles opérations .

L'arrêté du 2 septembre 2016 relatif au contrôle par la chasse des populations de certaines espèces non indigènes et fixant, en application de l'article R. 427-6 du code de l'environnement, la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces non indigènes d'animaux classés nuisibles sur l'ensemble du territoire métropolitain encadre ces possibilités. Il permet la destruction d'espèces exotiques envahissantes telles que le ragondin ( Myocastor coypus ), le rat musqué ( Ondatra zibethicus ), ou la bernache du Canada ( Branta canadensis ). Le frelon asiatique n'est cependant pas à ce jour listé dans cet arrêté.

- La lutte contre les organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux

Les organismes nuisibles, au sens des articles L. 251-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime, sont les dangers sanitaires qui ont un impact négatif sur les organismes végétaux. Ce classement emporte des pouvoirs spécifiques du préfet , qui peut ordonner la destruction de végétaux sur les propriétés privées . Le coût de ces mesures peut être mis à la charge des propriétaires sous certaines conditions.

Pour être complet, peut également être mentionné le dispositif de lutte contre les animaux dangereux ou errants prévu par l'article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime qui permet au maire, ou, à défaut, au préfet, de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les animaux susceptibles de présenter un danger pour les personnes ou les animaux domestiques .

Le maire peut ici, après avoir prescrit au propriétaire de l'animal de prendre des mesures de nature à prévenir le danger et en cas de carence, faire procéder lui-même aux opérations nécessaires (capture, transport, garde, euthanasie) ; les frais afférents à ces opérations sont alors intégralement et directement mis à la charge du propriétaire ou du détenteur de l'animal 15 ( * ) .

B. UN CAS EMBLÉMATIQUE : LE FRELON ASIATIQUE

1. L'arrivée du frelon asiatique en France

Source : Quentin Rome, MNHN- INPN (France)

Le frelon asiatique ( Vespa velutina nigrithorax ) a été observé pour la première fois en France dans le Lot-et-Garonne en 2005. Une femelle fondatrice de la variété Vespa velutina nigrithorax - reconnaissable à son corps brun foncé - y aurait été introduite accidentellement en 2004 dans un lot de poteries importées de Chine par bateau 16 ( * ) .

Cet hyménoptère, dont l'habitat naturel se situe au nord de l'Inde, au Bouthan, en Chine et dans certaines îles d'Indonésie, s'est bien adapté à son nouvel environnement, profitant de conditions climatiques favorables et d'un cheptel apicole abondant. Il s'est très rapidement propagé sur le territoire métropolitain. Le suivi réalisé par le Muséum national d'Histoire naturelle sur la base de signalements met en évidence une progression de l'ordre de 60 kilomètres par an.

Le frelon asiatique était ainsi présent dans 13 départements en 2006, puis 56 départements en 2012. Il est désormais installé dans toute la France métropolitaine, à l'exception de la Corse.

Comme l'illustre cette carte, l'expansion du frelon Vespa velutina nigrithorax a dépassé les frontières françaises, atteignant les pays limitrophes tels l'Espagne, le Portugal, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Le cycle de vie des Vespa velutina nigrithorax

Au printemps, les reines sortent de leur période d'hivernation pour créer un nid et y pondre leurs premiers oeufs. La colonie se développe dans le nid primaire, puis migre au cours de l'été pour créer un nid plus important, généralement installé en hauteur dans les arbres.

L'été correspond à la période de prédation pendant laquelle les frelons asiatiques chassent d'autres insectes, en particulier les abeilles et les guêpes, pour nourrir leurs larves. La colonie atteint sa taille maximale au début de l'automne.

La reproduction a lieu au cours de l'automne, puis la colonie meurt naturellement en hiver . Seules les femelles fécondées survivent en se protégeant du froid, isolément ou par petits groupes, dans la litière végétale ou des troncs pourris. Elles ressortent au printemps pour fonder une nouvelle colonie, qui ne se réinstalle jamais dans un ancien nid abandonné.

La piqûre du frelon asiatique n'est pas plus dangereuse pour l'homme que celle des autres hyménoptères . À l'inverse, le frelon asiatique est un prédateur pour les autres insectes , et en particulier pour les abeilles domestiques. Deux impacts principaux sur les ruches sont à distinguer :

- le frelon asiatique attaque des abeilles, en les capturant soit en vol stationnaire devant la ruche, soit sur la planche d'envol des ruches ;

- le frelon asiatique est également un facteur de stress pour les abeilles, qui ne parviennent plus à nourrir suffisamment la ruche. Celle-ci s'affaiblit donc et peut succomber l'hiver venu.

2. Les dispositifs de lutte à disposition des pouvoirs publics

Le frelon asiatique Vespa velutina nigrithorax relève de deux cadres règlementaires différents : il est classé dans la liste des espèces exotiques envahissantes au titre de l'article L. 411-6 du code de l'environnement 17 ( * ) , mais également, depuis l'arrêté du 26 décembre 2012, dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille domestique sur tout le territoire français 18 ( * ) .

L'autorité administrative compétente est de ce fait le préfet , qui doit néanmoins articuler les différentes règlementations pour arrêter les modalités d'actions de lutte (acteurs impliqués, espaces prioritaires d'intervention, moyens employés, suivi des populations, etc .). Les préfets peuvent ordonner la destruction de nids de frelons asiatiques sur des propriétés privées. Il convient, au cas par cas au niveau local, de préciser les modalités de financement des opérations de lutte : le code rural et de la pêche maritime permet de les mettre à la charge des apiculteurs, tandis que le code de l'environnement n'apporte pas de précision dans ce domaine.

Le constat est néanmoins partagé sur le fait qu' il n'y a actuellement aucune stratégie collective de prévention, de surveillance et de lutte contre le frelon asiatique qui soit reconnue efficace pour répondre à l'objectif de réduction de l'impact du frelon asiatique sur les colonies d'abeilles.

L'approche choisie par les pouvoirs publics consiste donc à financer des actions de recherche visant à déterminer les méthodes de prévention et de lutte les plus efficaces. Au vu des caractéristiques de l'espèce, et notamment de sa dynamique de propagation, la lutte directe ne semble pouvoir produire que peu de résultats. De ce fait, les actions de gestion de l'espèce devraient s'orienter vers une protection plus efficace des ruchers.

U ne stratégie nationale relative au frelon asiatique devrait voir le jour avant la fin de l'année 2019 . Dans l'attente de cette stratégie, aucune mesure de lutte contre cette espèce n'a de caractère obligatoire, les préfets ordonnant, de manière empirique et casuistique, les mesures paraissant les plus adaptées localement.

3. Les pouvoirs du maire dans la lutte contre le frelon asiatique : « mode d'emploi »

Outre ses pouvoirs spécifiques dans le domaine de la lutte contre les animaux nuisibles, le maire dispose d'un pouvoir de police générale : l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales indique que « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs ». Il exerce ces fonctions au titre de ses pouvoirs propres sur l'ensemble du territoire de la commune.

L'article L. 2212-2 du même code précise que : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : [...]

« 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ».

• Les interventions sur les espaces publics dont la commune est gestionnaire

Sur le fondement du pouvoir de police générale du maire, la seule obligation légale des communes est, en cas de danger pour la sécurité publique, de supprimer les habitats de nuisibles dans les espaces publics dont elle est gestionnaire : c'est par exemple le cas de la voirie communale ou des écoles primaires 19 ( * ) .

• Les interventions sur une propriété privée

- Sur la demande ou avec l'accord du propriétaire :

La commune peut décider de prendre en charge les frais d'intervention sur une propriété privée pour éradiquer un habitat de nuisibles à la demande du propriétaire si, par délibération, le conseil municipal a décidé de la prise en charge totale ou partielle des frais résultant des interventions effectuées sur son territoire (motif d'intérêt général lié à la sécurité des personnes).

- Sans l'accord du propriétaire :

En cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique , la commune peut intervenir sur une propriété privée, le cas échéant sans l'accord du propriétaire 20 ( * ) . En effet, sous de strictes conditions, notamment d'urgence, les collectivités peuvent recourir à l'exécution forcée de leurs décisions 21 ( * ) .

L'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales prévoit ainsi qu'« en cas de danger grave et imminent, [...] le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d'urgence le représentant de l'État dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites ». Dans ce cadre, les opérations réalisées sur une propriété privée sont à la charge de la commune . Il appartient ensuite à celle-ci, si elle estime que le manquement du propriétaire à des obligations lui incombant a contribué à créer la situation de risque, d'exercer à son encontre une action tendant à mettre en cause sa responsabilité civile 22 ( * ) .

En l'absence d'une telle menace, il revient au propriétaire des lieux de lutter contre les nids de nuisibles, la responsabilité d'éventuels dommages lui incombant.

II. UN NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES

A. DES MÉCANISMES À AMÉLIORER

1. L'importance de la prévention et d'une réponse rapide en cas de détection

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes est reconnue comme un axe prioritaire pour la préservation de la biodiversité. Cette lutte prend néanmoins des formes différentes en fonction du moment de détection de l'espèce.

Les personnes auditionnées par votre rapporteur ont mis l'accent sur la prévention , notamment via le profilage des espèces exotiques susceptibles de s'implanter en France et la mise en quarantaine des produits provenant de zones géographiques à risque.

Dans l'hypothèse où une introduction n'a pu être évitée, la rapidité de la détection et de la réaction pour empêcher l'acclimatation d'individus susceptibles de se propager devient alors déterminante. Cette stratégie de détection précoce et de réponse rapide est prévue par le règlement européen de 2014 précité, mais présente, selon les scientifiques auditionnés, une efficacité limitée en l'état de la réglementation. Le dispositif ne vise en effet que des espèces exotiques envahissantes déjà installées et pour lesquelles l'éradication est souvent irréalisable. La liste de l'Union européenne répertorie en effet 49 espèces exotiques préoccupantes, alors qu'environ 14 000 espèces exotiques ont été repérées en Europe. Par ailleurs, les temps de latence entre la détection, la remontée d'information vers les experts et la gestion de la menace sont souvent trop longs.

Ces deux phases - prévention d'une part, et détection précoce et réponse rapide d'autre part - sont essentielles et devraient être une priorité des pouvoirs publics. Une fois une espèce exotique installée, il devient très difficile et coûteux de l'éradiquer, d'en limiter la propagation ou même simplement de maintenir l'équilibre des écosystèmes.

Courbe de progression d'une invasion et mécanismes de lutte

Source : Commission des lois, sur la base d'un graphique de S. Sparhawk,
U.S. National Park Service

Pour reprendre l'exemple des frelons asiatiques, il s'agit d'une espèce déjà installée sur le territoire national. Son cycle de vie annuel rend en outre encore plus incertains les effets d'opérations de piégeage ou de destruction de nids.

Les scientifiques interrogés par votre rapporteur ont déclaré être incapables de mesurer l'effet du piégeage ou de la destruction des nids sur l'évolution du nombre de frelons asiatiques car la taille de leur population varie naturellement chaque année. Il est donc impossible d'établir un lien de cause à effet entre les actions entreprises et une moindre pullulation. Au contraire, en réduisant la compétition entre colonies, les opérations de lutte pourraient permettre la survie d'un nombre plus important de reines fondatrices.

Ils relèvent par ailleurs que l'éradication de cette espèce supposerait la destruction de tous les spécimens, puisque la survie d'une seule reine fondatrice permettrait de redémarrer le processus d'invasion.

Selon eux, la destruction de nids ne peut être préconisée que pour protéger les ruchers et à la condition d'être effectuée à la bonne période . Il est en effet parfaitement inutile de détruire des nids repérés à l'automne, lorsque les arbres ont perdu leur frondaison, car la colonie n'est plus en période de prédation, mais en voie d'extinction et le nid ne sera pas recolonisé.

Organiser la cohabitation
entre le frelon asiatique et l'abeille domestique

L'éradication du frelon asiatique en France étant désormais, si ce n'est impossible, du moins extrêmement difficile, la solution réside dans la protection des espèces menacées, en l'occurrence les abeilles domestiques. Pour ce faire, le dispositif le plus efficace en l'état actuel des connaissances est la mise en place de « muselières » devant les ruches. L'installation de ce grillage à l'entrée des ruches permet de laisser sortir les abeilles, mais de bloquer l'accès des frelons à la planche d'envol. Un tel système empêche le frelon de pénétrer dans la ruche, et réduit également le stress des abeilles qui est à l'origine de la destruction de certaines ruches.

De telles protections permettent de laisser le temps à l'abeille domestique européenne d'apprendre à se défendre contre les frelons asiatiques. L'abeille domestique asiatique a en effet développé une méthode de défense efficace contre ceux-ci : lorsqu'un frelon asiatique est détecté, un grand nombre d'ouvrières l'enveloppe et celles-ci, en faisant vibrer leurs corps, font augmenter la température, au-delà de 45° C, ce qui conduit à la mort du frelon asiatique.

Des comportements similaires ont occasionnellement pu être observés chez l'abeille domestique européenne. Ces comportements pourraient être renforcés par la sélection par l'homme de lignées d'abeilles plus résistantes. Cela prendra néanmoins du temps.

2. Des exemples d'actions menées à l'étranger

Les scientifiques auditionnés par votre rapporteur ont cité en exemple trois pays à leurs yeux très en pointe en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes : la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis.

Leur avance s'observe en particulier dans trois domaines :

- l'information et la sensibilisation des populations afin de prévenir les comportements qui facilitent la prolifération des espèces invasives et d'en favoriser la détection et l'éradication.

En Nouvelle-Zélande, le plan « Biosecurity 2025 », lancé en 2016, prévoit qu'à l'échéance 2025, 75 % des néo-zélandais adultes devront comprendre les enjeux de la biosécurité pour préserver l'écosystème de leur pays et que 100 000 d'entre eux devront prendre régulièrement part à des actions locales pour contrôler les espèces animales ou végétales nuisibles. Par ailleurs, de nombreux panneaux sont disposés sur les sites problématiques afin d'informer la population des risques et lui demander certaines mesures de précaution, comme par exemple le lavage des bottes et des embarcations en cas de rivières contaminées par des algues toxiques. Aux États-Unis, une « National Invasive Species Awareness Week » est organisée chaque année depuis dix ans sous l'égide du Département de l'intérieur ;

- la constitution de listes « blanches » d'espèces végétales ou animales inoffensives, et non de listes « noires » d'espèces préoccupantes.

En Nouvelle-Zélande et en Australie, les acteurs économiques ne peuvent importer un produit qu'après en avoir prouvé l'innocuité envers l'écosystème local. La charge de la preuve est donc renversée par rapport aux systèmes français et européen dans lesquels il revient aux autorités de prouver que l'espèce est invasive et cause des dommages environnementaux, ce qui est complexe et ne peut parfois être constaté qu'après introduction ;

- la mise en place de cellules de réponse rapide pour pouvoir éradiquer les premiers spécimens introduits dès détection et avant propagation : créées en Australie et aux États-Unis, elles sont particulièrement utiles aux points d'entrée telles les zones portuaires et aéroportuaires.

3. Une nécessaire sensibilisation de la population française aux enjeux liés aux espèces exotiques envahissantes

Ces exemples étrangers constituent des pistes de réflexion pour améliorer les volets de prévention et de réponse rapide des dispositifs mis en oeuvre en France.

La rapidité de l'intervention dépend en effet de la chaîne de transmission des données entre la détection initiale et les structures d'intervention . Celle-ci est plus ou moins efficace selon les territoires, certaines régions ayant mis en place des animateurs territoriaux chargés de coordonner ces politiques afin de prioriser les actions menées en fonction des espèces et des espaces.

Afin de renforcer l'efficacité de la lutte, le ministère de la transition écologique et solidaire a exprimé à votre rapporteur sa volonté de mettre en place de manière systématique de tels référents techniques chargés de coordonner la lutte contre les espèces exotiques envahissantes au niveau régional, en vue d'assurer une détection rapide de la présence de spécimens de ces espèces.

La sensibilisation de la population est également un axe majeur de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Ces espèces ne sont en effet généralement pas dangereuses en elles-mêmes, mais du fait de leur impact sur les espèces indigènes. Améliorer cette sensibilisation permettrait de renforcer l'acceptabilité des politiques de lutte mises en place, que ce soit la détection et l'éradication précoce ou la gestion de long terme des populations.

Le ressenti du public face aux espèces exotiques envahissantes

Le public prend conscience de manière relativement tardive de l'implantation d'une EEE, et généralement à un moment où l'éradication est devenue impossible ( cf . schéma ci-dessus). Il y a donc un décalage entre l'inquiétude qui peut naître de cette prise de conscience et la réponse que peuvent apporter les pouvoirs publics.

Par ailleurs, les espèces exotiques envahissantes ne sont pas toutes perçues comme une menace par la population. L'opinion publique varie en fonction de l'aspect physique de l'animal ou du végétal concerné, de sa dangerosité réelle ou supposée, de sa zone d'implantation, plus ou moins proche des habitations, etc . La différence de traitement entre l'écureuil gris et le frelon asiatique, tous deux répertoriés comme espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union européenne, en est une illustration.

À la fin des années 1990, l'agence gouvernementale italienne pour la recherche et la conservation de la nature, en coopération avec l'université de Turin, a souhaité mener un programme d'éradication de l'écureuil gris originaire d'Amérique du Nord pour protéger l'écureuil roux indigène. Ce projet a été bloqué par des groupes de défense des droits des animaux, encouragés par une partie de la population séduite par ce petit mammifère peu farouche. Lorsque la reprise des opérations a finalement été autorisée trois ans plus tard, celles-ci étaient devenues inutiles compte tenu de l'ampleur de la propagation de l'écureuil gris.

Au contraire, la présence du frelon asiatique semble être particulièrement mal acceptée par la population française qui est très mobilisée en faveur de son éradication (organisation de campagnes de piégeage par les particuliers, demandes de destruction des nids auprès des maires). Au-delà de la menace réelle que ce nouveau prédateur constitue pour les abeilles, cette hostilité, relayée par les journaux, semble fondée sur une dangerosité supposée du frelon asiatique, mais non avérée. Il est en effet établi que l'espèce vespa velutina nigrithorax n'est pas plus agressive que l'espèce européenne vespa crabro et que sa piqûre n'est pas plus dangereuse que celle des abeilles et des guêpes. Ces dernières causent chaque année une quinzaine de morts, tandis que les frelons asiatiques sont à l'origine d'une dizaine de décès depuis leur introduction en 2004. Dans tous les cas, il s'agit de personnes allergiques au venin.

De ce point de vue, les territoires ultramarins, particulièrement sensibles à cette problématique, paraissent précurseurs sur le sujet : les listes règlementaires des espèces considérées comme « exotiques envahissantes » y ont été élargies, tandis que certains territoires comme La Réunion 23 ( * ) demandent à l'État un renforcement des contrôles mis en oeuvre à l'entrée, sur le modèle de ce qui est réalisé en Nouvelle-Zélande.

B. LA PROPOSITION DE LOI

1. La proposition de loi

Les auteurs de la proposition de loi ont choisi de renforcer les moyens de lutte ex post , une fois l'EEE installée.

L'article unique de la proposition de loi tend à permettre au maire , lorsqu'il constate l'implantation sur une propriété d'un ou de plusieurs spécimens des espèces classées comme « exotiques envahissantes », au titre des articles L. 411-5 et L. 411-6 du code de l'environnement, de mettre en demeure le propriétaire de faire procéder à leur capture, leur prélèvement, leur garde ou leur destruction.

Si cela n'est pas fait dans le délai imparti par la mise en demeure, le maire pourrait alors faire procéder d'office à l'exécution de ces opérations, aux frais du propriétaire .

Un décret en Conseil d'État viendrait préciser les modalités d'application de cette procédure.

2. Une proposition porteuse de nombreux effets indésirables

Cette proposition de loi permettrait de donner au maire des moyens d'action spécifiques pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes , parmi lesquelles figurent les frelons asiatiques.

L'opération serait prise en charge par les propriétaires qui ont été mis en demeure d'agir, sur le modèle de ce qui a été institué en 2011 pour les travaux d'élagage destinés à mettre fin à l'avance des plantations privées sur l'emprise des voies communales afin de garantir la sécurité et la commodité du passage 24 ( * ) .

Votre rapporteur comprend l'intérêt d'une telle proposition, qui vise à donner aux maires des moyens de réponses aux interpellations, nombreuses, de leurs administrés sur le sujet. Plusieurs biais ont néanmoins été soulignés au cours de ses auditions :

• Le ciblage du dispositif

L'objectif de la proposition de loi est de renforcer les pouvoirs de police du maire en matière de lutte contre les frelons asiatiques. Sont pour cela ciblées les espèces exotiques envahissantes. De nombreuses autres espèces sont toutefois présentes au sein de cette classification. En outre, la détention de certaines espèces exotiques envahissantes (celles relevant uniquement de l'article L. 411-5 du code de l'environnement et non de l'article L. 411-6) peut être légale.

Si la destruction d'un nid de frelons asiatiques est relativement facile et son coût limité (entre 80 et 150 euros), l'éradication d'autres spécimens d'espèces exotiques envahissantes peut être très difficile à mener et son coût rapidement élevé. Par ailleurs, certaines précautions doivent être prises en matière de protection de la biodiversité :

- l'identification des EEE risque d'entraîner certaines confusions avec les espèces locales parfois protégées, notamment végétales. La présence de l'espèce devrait donc être validée par des professionnels ;

- les techniques de lutte utilisées devraient être encadrées, afin d'éviter tout dommage collatéral. La restauration des milieux ainsi qu'un suivi de long terme devraient également être envisagés.

• Un risque de mise en cause de la responsabilité du maire

Donner des pouvoirs de police supplémentaires en matière de protection de la biodiversité au maire pourrait être source de mise en cause de la responsabilité administrative de la commune en cas d'inaction du maire.

Le refus du maire de faire usage de ses pouvoirs de police peut en effet faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. À titre d'exemple, la responsabilité de la commune de Six-Fours-Les-Plages a été retenue par la Cour administrative d'appel de Marseille dans un arrêt du 13 mars 2018, en raison d'une abstention fautive du maire de la commune à agir sur le fondement de ses pouvoirs de police en matière de déchets.

• La concurrence des pouvoirs de police : un risque de déresponsabilisation

Enfin, en créant un pouvoir de police du maire dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, sans que ce nouveau pouvoir ne soit distinct dans ses objectifs de celui du préfet, la proposition de loi organiserait la concurrence de deux pouvoirs de police spéciale.

Lorsque deux pouvoirs de police sont concurrents, leur articulation doit être organisée :

- soit l'autorité de police spéciale intervient pour compléter les mesures prises par une autre autorité de police à un autre échelon ;

- soit les deux autorités de police sont proches, mais agissent dans des situations différenciées.

Sans articulation, la création de pouvoirs de police parfaitement concurrents risquerait d'aboutir à une déresponsabilisation des deux autorités administratives, le préfet considérant qu'il revient au maire d'agir tandis que le maire attendrait une intervention préfectorale. Cela irait à l'encontre de la nécessaire coordination de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Celles-ci ne connaissant pas les frontières administratives, une lutte morcelée n'aurait malheureusement que peu d'effets concrets.

• L'impact en matière de signalement de la présence de spécimens de ces espèces aux scientifiques et aux pouvoirs publics

Mettre ces opérations à la charge des propriétaires pourrait également avoir un impact négatif en matière de suivi scientifique de la diffusion des espèces exotiques envahissantes, pourtant nécessaire à la recherche de solution pour protéger la biodiversité et réduire leurs impacts économiques et sanitaires.

Aujourd'hui, le Muséum national d'histoire naturelle propose à chacun de signaler la présence de spécimens des espèces invasives connues en indiquant, avec une photo, la date et le lieu d'observation. Ces informations sont ensuite analysées par des experts qui les ajoutent à l'Inventaire national du patrimoine national (INPN) 25 ( * ) . L'Inventaire national permet d'obtenir une image de la distribution des espèces suivies, dans le temps et dans l'espace, en vue d'en prévenir ou d'en limiter les impacts sur les milieux naturels ou les autres espèces. La surveillance de certaines EEE vise à comprendre leurs mécanismes d'introduction, leurs voies de propagation, mais également les traits biologiques et écologiques de ces populations.

En mettant les opérations de destruction des espèces exotiques envahissantes à la charge des propriétaires, la proposition de loi pourrait avoir pour conséquence une diminution des signalements des spécimens de ces espèces invasives. Les enquêtes scientifiques en pâtiraient, et partant, l'efficacité de la lutte contre ces espèces.

3. La position de votre commission : faire du maire un maillon de la chaîne de détection précoce des espèces exotiques envahissantes

Aujourd'hui, le maire est en charge des lieux accessibles au public et informe les propriétaires privés de leurs obligations. En cas de propriétaires négligents, le préfet dispose d'un pouvoir de police spéciale en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes et peut procéder aux mises en demeure nécessaires. Le maire peut en outre, au titre de son pouvoir de police générale, suppléer le préfet en cas de danger grave et imminent pour la sécurité des personnes. La complémentarité de ces deux polices apparaît relativement satisfaisante et la situation a paru équilibrée à votre commission.

Elle a néanmoins souhaité, d'une part, rappeler aux maires les pouvoirs dont ils disposent en matière de lutte contre les frelons asiatiques au titre de leur pouvoir de police générale - c'est l'objet du présent rapport et de sa synthèse qui pourra leur être diffusée.

D'autre part, votre commission considère que le maire peut disposer d'un rôle de facilitateur de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes en :

- sensibilisant et informant le public des risques pour la biodiversité que soulève la diffusion des espèces exotiques envahissantes ;

- jouant un rôle d'intermédiaire afin d'obtenir l'accord des administrés à une intervention sur leur propriété lorsque des spécimens de ces espèces sont repérés sur les propriétés privées situées sur le territoire communal ;

- formant un maillon essentiel de la chaîne de détection précoce de ces espèces, en signalant aux autorités en charge de la lutte la présence de spécimens sur le territoire communal .

C'est cette dernière mission que votre commission a souhaité inscrire dans la loi en consacrant, par l'adoption d'un amendement COM-5 de son rapporteur, le pouvoir d'alerte du maire auprès du préfet lorsqu'il constate la présence de spécimens d'espèces exotiques envahissantes dans le milieu naturel. À charge pour les autorités responsables de la lutte de prendre les mesures pertinentes à la suite de ce signalement.

En conséquence, votre commission a également adopté deux amendements identiques de son rapporteur et de notre collègue Alain Marc ( amendements COM-6 et COM-1 ) visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN EN COMMISSION

__________

JEUDI 2 MAI 2019

M. Philippe Bas , président . - Nous examinons selon la procédure de législation en commission, prévue par les articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, une proposition de loi de Mme Agnès Canayer, qui tend à renforcer les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l'introduction, frauduleuse ou non, et la propagation, avec ou sans complicité, des espèces toxiques envahissantes. Cette procédure, très novatrice, a été introduite par le Sénat, et pourrait inspirer d'autres assemblées !

Mme Agnès Canayer , auteure de la proposition de loi . - Ce texte n'a pas pour ambition de révolutionner les compétences du maire mais simplement de répondre à une inquiétude sur le terrain. Sa visée est donc pragmatique. En effet, l'apparition progressive d'espèces exotiques, et en particulier du frelon asiatique, sur notre territoire, est anxiogène pour nombre de nos concitoyens. Les maires, qui sont leurs premiers interlocuteurs, ne savent pas bien comment répondre à ce problème et hésitent entre les multiples possibilités d'intervention - préfet, services de secours et incendie, application de leurs propres pouvoirs de police - car il y a un certain flou sur l'attribution de la compétence d'éradication des espèces invasives. Au Havre, entre août et novembre dernier, plus de 50 interventions ont été opérées, la commune, en l'absence de doctrine officielle, notamment au sein des services de la préfecture, ayant dû agir dans les cas d'urgence tant sur le domaine public que dans des propriétés privées, ce qui s'est révélé parfois difficile à justifier. La médiatisation ne fait que renforcer ce climat anxiogène et, considérant le manque de moyens et la confusion au niveau des maires, j'ai déposé cette proposition de loi pour qu'une stratégie soit définie et que la place du maire dans la lutte contre l'envahissement des frelons asiatiques soit clarifiée.

M. Philippe Bas , président . - Ce texte est très attendu des maires, en effet, y compris dans la Manche où nous avons aussi des frelons asiatiques.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État . - Cette semaine, à l'invitation de la France, se tenait à l'Unesco la septième session plénière de la Plateforme mondiale sur la biodiversité (IPBES). Il s'agit de l'équivalent du Giec pour la biodiversité : l'objectif est de faire la synthèse des connaissances scientifiques internationales sur la biodiversité.

Le constat général, alarmant, est que nous sommes en train de vivre la sixième extinction des espèces et que la biodiversité recule très rapidement dans le monde entier, y compris dans des zones qu'on pensait indemnes. Près de 30 % des espèces sont menacées sur notre territoire du fait des activités humaines, dont les effets, qui vont de la pollution à l'artificialisation des sols en passant par la fragmentation des habitats et la surexploitation de certaines espèces, comportent aussi la prolifération d'espèces exotiques envahissantes.

Trop souvent cantonnée à un rôle de décor, la biodiversité nous rend des services inestimables et irremplaçables. Ainsi, les milieux humides nous fournissent l'eau potable, les insectes pollinisent les champs qui nous procurent notre alimentation, tandis que les dunes et les mangroves, qui nous protègent des tempêtes, sont de véritables infrastructures.

Or les espèces exotiques envahissantes, objet de la proposition de loi que votre commission examine aujourd'hui, originaires d'autres continents et introduites par l'homme, volontairement ou accidentellement, sont reconnues comme l'une des causes majeures d'érosion de la biodiversité au niveau mondial. Certes, toutes les espèces exotiques ne sont pas envahissantes. Lorsqu'elles le sont, elles ont nombre d'impacts négatifs sur les espèces indigènes, les habitats naturels et les services rendus par les écosystèmes. Elles affectent aussi les activités économiques et notre propre santé.

Ces impacts sont particulièrement importants dans les territoires ultramarins insulaires, dotés d'une biodiversité spécifique très riche et connaissant de nombreux flux, de tourisme ou de marchandises, qui peuvent être autant de vecteurs de propagation.

Pour lutter contre ces espèces, la France s'est dotée de plusieurs instruments. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en août 2016, comporte un panel d'outils pour contrôler l'introduction sur notre territoire ou dans le milieu naturel, la détention, le transport ou encore l'utilisation de ces espèces. De plus, le Gouvernement a mis en place un plan d'action pour la biodiversité, dont l'action n° 45 prévoit des dispositifs de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, notamment dans les espaces insulaires, et interdit l'utilisation de plantes reconnues comme invasives dans tout aménagement public. Ce plan illustre la volonté du Gouvernement de conduire une action déterminée et globale pour préserver la biodiversité dans les territoires par l'action des différents acteurs que sont les opérateurs de l'État et les administrations locales, ou via des dispositifs tels que les territoires engagés pour la nature.

La reconquête de la biodiversité passe aussi par la création, en cours d'examen au Parlement, de l'Office français de la biodiversité, un opérateur qui appréhendera un vaste ensemble d'enjeux liés à cette thématique.

La proposition de loi qui nous rassemble aujourd'hui est une occasion de mettre en lumière cet enjeu et d'interroger le rôle du maire dans la lutte contre la propagation des espèces exotiques envahissantes. Sa proximité avec nos concitoyens fait de lui un maillon essentiel, sur lequel il est nécessaire de s'appuyer pour sensibiliser ceux-ci à cette problématique encore trop méconnue. Il peut jouer un rôle essentiel dans la prévention des mauvaises pratiques conduisant à la dissémination de telles espèces.

Néanmoins, sous peine d'inefficacité et de dispersion de fonds publics, l'action de lutte doit être menée de manière coordonnée - et sur un territoire de taille pertinente, car les espèces exotiques envahissantes ne connaissent pas les frontières administratives ! Elles sont, du surcroît, armées pour recoloniser rapidement les territoires d'où elles ont été extraites.

C'est donc bien l'action du préfet, habilité à déclencher des opérations de lutte au titre de l'article L. 411-8 du code de l'environnement, qui est déterminante, via une mobilisation coordonnée de l'ensemble des acteurs locaux : collectivités, établissements et services de l'État, organismes à vocation sanitaire, chasseurs, pêcheurs, conservatoire et associations naturalistes, gestionnaires d'espaces protégés... Les acteurs locaux sont nombreux à se mobiliser en faveur de la préservation de la biodiversité locale.

Le Gouvernement est ouvert à la proposition du rapporteur : plutôt que de confier au maire une fonction déjà exercée par le préfet, il s'agira de lui confier un rôle, vital, de sentinelle. Plus une espèce exotique envahissante est détectée tôt, meilleures sont les chances de parvenir à son éradication. C'est le maire qui est le mieux placé pour la détecter, tandis que le préfet, par son rôle de coordinateur, peut - en lien étroit avec les élus - déterminer lorsqu'il est nécessaire d'agir.

M. Philippe Bas , président . - Merci pour cet éclairage très intéressant.

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Cette proposition de loi renforce les pouvoirs de police du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes. C'est surtout le frelon asiatique qui est visé : chaque printemps, les reines qui ont survécu à l'hiver créent de nouveaux nids. Ces dernières années, les maires ont régulièrement été interpellés par leurs administrés qui, inquiets à juste titre, scrutent leur propriété et celles des voisins, et même les espaces publics.

Les maires font le nécessaire lorsque les nids sont situés sur des espaces publics, ou pour mettre en garde les propriétaires qui ont un nid chez eux, mais ils sont incompétents lorsque le nid se situe sur une propriété privée dont le propriétaire refuse de donner l'autorisation de pénétrer ou d'agir, sauf s'il existe une menace grave et imminente pour la sécurité publique.

Le frelon asiatique ne constitue qu'une partie visible des espèces exotiques envahissantes actuellement répertoriées par les scientifiques. Avec le développement des échanges au niveau mondial, de nombreuses espèces, végétales ou animales, arrivent sur le sol national.

M. Philippe Bas , président . - Tel n'est pas le cas de la chenille processionnaire du pin, qui a fait souche depuis bien longtemps dans notre pays et ne voyage pas par les airs.

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Parmi les espèces qui arrivent sur le sol européen, environ 10 % s'acclimatent. Il existe ainsi 14 000 espèces exotiques répertoriées en Europe. Sur ces 10 %, seules 10% deviennent invasives, avec des conséquences néfastes en matière écologique, économique ou sanitaire.

Les espèces exotiques envahissantes ont généralement un impact écologique, avec la création de désordre au niveau de l'écosystème faunique et floral : elles représentent la troisième menace pour la biodiversité au niveau mondial ! Certaines ont un impact économique, en constituant un risque pour l'agriculture, par exemple, ou sanitaire, en représentant une menace pour la santé publique - c'est le cas de l'ambroisie.

La notion d'espèces exotiques envahissantes a fait son apparition dans le droit national en 2016. Le préfet dispose du pouvoir de police pour lutter contre l'introduction et la propagation de ces espèces : il peut notamment intervenir à ce titre sur les propriétés privées.

Certaines espèces exotiques envahissantes sont également listées dans d'autres classifications, comme les dangers sanitaires. C'est le cas du frelon asiatique, qui est une vraie menace pour l'apiculture. Ces autres classifications entrainent d'autres moyens d'action des pouvoirs publics, qui appartiennent généralement au préfet.

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes n'est efficace qu'au début de leur implantation sur le territoire. Une opération rapide peut alors éradiquer les spécimens d'une espèce à moindre coût. Après cela, l'espèce s'est diffusée et la stratégie de lutte doit s'orienter vers une gestion de la population globale et une protection des espèces autochtones qu'elle menace, ce qui est plus coûteux.

Enfin, en cas de menace grave et imminente pour la santé publique et la sécurité, le maire peut prendre à défaut des propriétaires toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la menace au titre de son pouvoir de police générale, en vertu de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales. Il peut dans ce cadre ordonner la destruction de certaines espèces exotiques envahissantes.

Revenons maintenant au frelon asiatique : une seule reine frelon asiatique a été introduite en France en 2004 à l'intérieur de poteries importées de Chine. Présent dans 13 départements en 2006, le frelon asiatique avait envahi 56 départements en 2012 et a depuis conquis la France métropolitaine entière à l'exception de la Corse.

Le cycle de vie des frelons asiatique est annuel : les reines sortent de l'hibernation au printemps et fondent de nouveaux nids. Pendant l'été, pour nourrir leurs larves, les frelons chassent les insectes, surtout les abeilles et les guêpes ; puis la colonie meurt naturellement en hiver. Seules les femelles fécondées survivent en se protégeant du froid. Les frelons asiatiques ne reviennent jamais dans le nid de l'année précédente ! Leur piqûre n'est pas plus dangereuse pour l'homme que la piqûre du frelon européen ou que celle des guêpes, mais le frelon asiatique constitue un vrai risque pour l'apiculture, avec la perte des abeilles.

La stratégie d'éradication des nids n'est pas très efficace et coûte actuellement très cher. Nous ne constatons aucune diminution du nombre de frelons asiatiques. Au vu de la vitesse de propagation de l'espèce, il semble que son éradication soit, sinon impossible, du moins très difficile. La recherche se concentre sur la protection des ruches.

Le frelon asiatique est classé parmi les espèces exotiques envahissantes et les dangers sanitaires. Le pouvoir de police spéciale en la matière appartient donc au préfet. Le maire peut cependant, au titre de son pouvoir de police générale, intervenir en cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique. Mon rapport décrit les possibilités dont disposent les maires pour lutter contre le frelon asiatique et pour répondre aux sollicitations de leurs administrés en la matière.

La proposition de loi permet au maire de mettre en demeure le propriétaire d'agir contre les espèces exotiques envahissantes présentes sur sa propriété et, à défaut, de procéder à l'exécution de ces opérations aux frais du propriétaire. Nous craignons cependant plusieurs effets indésirables. Il peut ainsi y avoir erreur sur l'identification des espèces, le maire n'étant pas systématiquement un biologiste. L'emploi sans encadrement de certaines techniques de lutte pourrait porter atteinte à la biodiversité au lieu de la protéger. Il y a aussi un risque de mise en cause de la responsabilité du maire en cas de mauvaises actions ou d'inaction. La concurrence des pouvoirs de police du maire et du préfet conduirait à la déresponsabilisation des deux autorités. Enfin, mettre ces opérations à la charge du propriétaire pourrait diminuer les signalements des espèces exotiques envahissantes, ce qui aurait un impact négatif sur le suivi scientifique de la diffusion de l'espèce.

J'ajoute que l'Association des maires de France n'est pas favorable à l'extension des pouvoirs de police, en particulier dans les propriétés privées, car cela augmenterait les risques de contentieux, ce qui rendrait encore plus difficile l'exercice du mandat, en particulier pour les petites communes qui ne disposent pas de service juridique.

Après avoir évalué les différentes hypothèses, il m'a semblé opportun de proposer une solution alternative, consistant, d'une part, à rappeler aux maires les pouvoirs dont ils disposent en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes et les frelons asiatiques en particulier et, d'autre part, à consacrer la possibilité pour les maires de saisir le préfet de département lorsqu'ils détectent des espèces exotiques envahissantes sur le territoire communal. L'amendement que j'ai déposé en ce sens énonce ainsi que « lorsqu'il constate la présence dans le milieu naturel d'une ou plusieurs espèces mentionnées aux articles L. 411-5 ou L. 411-6, le maire peut en aviser l'autorité administrative mentionnée au premier alinéa du présent article ».

Cet amendement responsabilise les préfets en leur permettant de prendre les mesures pertinentes à la suite de ce signalement. Le maire aura un rôle de facilitateur et de sentinelle dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Il pourra sensibiliser et informer le public sur les risques et jouer un rôle d'intermédiaire pour permettre une action sur les propriétés privées. Il constituera aussi un maillon essentiel de la chaine de détection précoce des espèces, par ses signalements aux autorités en charge de la lutte.

En conséquence, je vous proposerai également de modifier l'intitulé de la proposition de loi pour supprimer la référence aux pouvoirs de police du maire. Cet intitulé deviendrait : « Proposition de loi visant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes ».

M. Philippe Bas , président . - Merci. Je me réjouis que votre bonne collaboration avec l'auteure de la proposition de loi vous ait fait aboutir à une solution commune aux quelques difficultés juridiques que vous avez signalées.

M. Pierre-Yves Collombat . - Merci d'avoir enrichi mes connaissances sur la vie et les moeurs du frelon asiatique ! J'étais un peu léger sur cette question...

M. Philippe Bas , président . - Cela me surprend de votre part !

M. Pierre-Yves Collombat . - Je suis de plus en plus ébloui par l'altitude à laquelle se situe depuis quelques mois la réflexion du législateur. On embrasse des choses qui nous dépassent...

Mme Françoise Gatel . - Un frelon asiatique vole haut !

M. Pierre-Yves Collombat . - Je serai plus prosaïque. Faire des maires des sentinelles ? Ils ont déjà beaucoup à faire, comme l'a souligné le rapporteur. Et cela accroîtrait encore leur responsabilité : je vois d'ici M. Untel, piqué par un frelon, peut-être asiatique, ou par une guêpe bien française, débouler chez le maire et lui reprocher de n'avoir rien fait ! Il faudrait arrêter de charger la mule... Quand ils ont connaissance d'un problème, les maires font déjà le nécessaire. La prudence commande donc de ne pas soutenir ce texte. Quant aux propositions du rapporteur, je ne vois pas trop ce qu'elles changent.

M. Jean-Luc Fichet . - Le frelon asiatique est tout de même un vrai sujet pour les maires et les présidents d'intercommunalité, dans la mesure où l'on voit apparaître dans leurs budgets des lignes prévoyant une prise en charge à 25, 30 ou 50 % du coût des opérations. Je plaide pour que ce coût n'incombe pas du tout aux particuliers. En effet, pour éviter cette charge financière, ceux-ci prennent parfois des initiatives de destruction des nids de frelons catastrophiques et dangereuses : qui au lance-flammes, qui à la fourche... Or le frelon asiatique n'est pas sans risque pour l'humain, puisqu'il y a des morts. L'information est très importante : trop d'amateurs prennent des initiatives ou créent des pièges. Pour le maire, ses pouvoirs de police actuels suffisent amplement. Laissons les préfets mener l'éradication de cette espèce, qui pose un réel problème.

M. Philippe Bonnecarrère . - S'il ne s'inscrit pas, en effet, dans la grande tradition légistique, ce texte répond à une vraie préoccupation de nos concitoyens. Il n'est que de regarder les courriers que nous recevons tous pour s'en convaincre : le frelon asiatique, le moustique-tigre, la pyrale du buis, autant de sujets qui y sont continuellement évoqués. Et je ne parle pas des rats et des pigeons en zone urbaine...

La ministre a expliqué la responsabilité de l'État et le rôle des préfets dans la lutte contre ces espèces. Dans mon département, les préfets successifs m'ont toujours expliqué que cette question relevait de l'hygiène et devait être traitée par le département. Or c'est à leur maire que nos concitoyens s'adressent ! Ce qui est fait au Havre suscite mon admiration. Dans l'ensemble, l'action des communes est très variée : certaines n'interviennent pas, d'autres le font en prenant en charge une part plus ou moins grande... Et les services départementaux d'incendie et de secours, systématiquement sollicités, refusent en général d'intervenir sauf prise en charge financière. Bref, sur le terrain, la confusion est totale, et je comprends bien, à cet égard, la démarche de Mme Canayer.

Si l'on devait chiffrer le temps que nous avons consacré, nous et nos collaborateurs, à travers toute la France, à ce problème, on aboutirait à une somme bien supérieure au coût effectif du traitement ! Une clarification est donc nécessaire, et je ne crois pas que ce texte y suffise. Au fond, il faut définir si cette question relève d'un service public, ou non : si l'on répond par l'affirmative, il faut indiquer qui est compétent et prévoir les crédits adéquats. On peut aussi considérer que cela relève de la liberté individuelle. Après tout, il ne s'agit pas d'un grand risque pour la vie humaine, et l'intervention d'un piégeur agréé tourne autour de 200 ou 250 euros.

Si l'on fait passer l'idée que c'est le maire qui doit donner l'alerte, cela peut déresponsabiliser nos concitoyens. Cela dit, ils ont tendance à nous envoyer des photographies du nid de frelons situé chez leur voisin l'hiver, quand les feuilles sont tombées - mais aussi au moment où les frelons ne sont plus dans le nid !

M. Philippe Bas , président . - Certes, mais il faut inciter nos concitoyens à photographier les nids de frelons à toute période, pour que l'on puisse suivre la diffusion de l'espèce ! M. Thani Mohamed Soilihi veut témoigner pour Mayotte...

M. Thani Mohamed Soilihi . - Pas du tout, vous aurez remarqué que la plupart de mes interventions sont de portée nationale !

Notre droit prévoit déjà des dispositions pour lutter contre ce genre de fléau. Cette proposition de loi a le mérite d'aller plus loin et pose la question de l'articulation adéquate entre les pouvoirs du préfet et les nouveaux pouvoirs qu'elle assigne au maire. Elle pose aussi la question du coût de ces interventions pour les propriétaires. A ces deux titres, elle méritait de venir en discussion. Notre groupe se rallie à la position de compromis du rapporteur.

Mme Françoise Gatel . - Il arrive parfois que le législateur soit un pur esprit, et produise même des textes quelque peu désincarnés... Il se trouve qu'au Sénat nous portons aussi les préoccupations des territoires et des élus locaux, qui peuvent sembler anecdotiques voire comiques, mais compliquent réellement la vie des élus locaux, et parfois de nos concitoyens. La Fontaine disait qu'on peut être « fort dépourvue quand la bise fut venue ». Quand le frelon arrive, on l'est tout autant et il n'y a pas de fable pour vous aider !

Or il s'agit d'un véritable fléau sanitaire qui se propage sur nos territoires et s'affranchit allègrement des périmètres administratifs.

M. Philippe Bas , président . - C'est tout à fait anormal...

Mme Françoise Gatel . - Il ne demande pas de visa ! Évidemment, l'action d'un territoire ne sert à rien, puisque le frelon vit sa propre vie, et colonise des zones sans considération de la loi NOTRe.

Plusieurs territoires ont fini par choisir un niveau d'intervention
- commune ou intercommunalité - pour gagner en efficacité. Ils privilégient les actions de destruction par des opérateurs privés. Il y a quelque temps, il arrivait que les pompiers interviennent. À présent, le nombre d'interventions à réaliser les dépasse.

Les intercommunalités et les communes ont donc mis en place des services, parfois gratuits, pour les particuliers. En effet, sans intervention dans les domaines privés, il n'y a pas d'éradication possible de cette espèce. Bref, la proposition de loi de Mme Canayer répond à une préoccupation réelle. Le rapporteur souhaite ne pas donner aux sentinelles que sont les maires des obligations qui augmenteraient le risque de contentieux. Je souscris à cette proposition.

Ce texte est très attendu par les maires. Nous pourrions opter pour une réflexion globale identifiant ce péril sanitaire - qui est aussi un péril en matière de biodiversité - et confiant à l'État le soin d'agir. Mais, pendant ce temps, le frelon continuera à s'activer. Aussi importe-t-il d'apporter une solution efficace.

Les choucas des tours sont un autre péril, non moindre, qui préoccupe beaucoup d'élus locaux. Il s'agit d'une espèce de corneilles protégée par l'Europe, mais invasive et qui attaque les joints des pierres dans les tours et fragilise les édifices.

M. Philippe Bas , président . - Nous en avons beaucoup dans la Manche.

Mme Françoise Gatel . - Madame la Ministre, j'ai interrogé plusieurs de vos prédécesseurs, et même le ministère de l'Agriculture, sur le sujet, car nous n'avons pas le droit d'intervenir. Certes, le préfet peut autoriser une régulation ponctuelle de ces populations. Cela a été fait dans le Finistère, mais pas dans mon département. Et les choucas cohabitent souvent avec des pigeons... Quand j'ai évoqué cette situation, les services de l'État m'ont dit qu'on avait le droit d'éradiquer ou de réguler la population de pigeons ; mais, la nature ayant horreur du vide, quand le pigeon diminue, le choucas augmente !

M. Philippe Bas , président . - Voulez-vous dire que le pigeon est un frein à la reproduction du choucas ?

Mme Françoise Gatel . - Il est en lui-même une nuisance... Le préfet m'a répondu qu'on entendait bien ma préoccupation mais qu'il convenait que je compte la population de choucas présente sur mon territoire pour décider si elle était vraiment excessive. De telles réponses n'encouragent pas l'engagement politique local.

M. Alain Marc . - Ce texte me semble être, en quelque sorte, une proposition de loi d'appel. Elle parle d'un vrai problème, et Mme Canayer a raison de le soulever. Député et président de communauté de communes, j'ai passé un temps fou à travailler sur le sujet et à trouver des moyens de nous débrouiller comme nous le pouvions localement. J'avais d'ailleurs utilisé ma réserve parlementaire, lorsque celle-ci existait encore, pour fournir aux apiculteurs des cannes qui permettent d'injecter un produit dans les nids de frelons asiatiques, qui sont souvent en hauteur. Une clarification du droit en la matière est nécessaire. Faire payer le propriétaire ? Là où il y a cinq habitants au kilomètre carré, certains possèdent 150 hectares, et ne sont pas censés savoir qu'il y a un nid de frelons asiatiques chez eux. D'ailleurs, encore faut-il déterminer d'où viennent les frelons.

S'il est important que le maire alerte le préfet, il faudra que votre ministère envoie aux préfets des circulaires pour qu'ils prennent les choses en main ! Nous devons nous organiser mieux pour contenir le frelon asiatique, à défaut de l'éradiquer.

M. Arnaud de Belenet . - Nous devons en effet inciter les préfets à se mobiliser sur ce sujet, et à intégrer les maires dans les dispositifs de coordination qu'ils créent, car ils ont tendance à les oublier. L'enjeu financier pourra les y porter, du reste, puisque s'il faut des crédits locaux, c'est à l'échelon des collectivités territoriales, et notamment des départements, qu'il faudra les chercher.

M. Yves Détraigne . - Quand j'ai regardé le programme de notre commission, j'ai cru qu'il avait une erreur : je me demandais ce que venait faire le frelon asiatique à la commission des lois... Ce n'est pas la première fois que nous sommes confrontés, dans nos campagnes, à des problèmes de ce type. A-t-on promulgué à chaque fois une nouvelle loi ? Notre arsenal juridique et sanitaire est suffisant... Je ne suis pas un spécialiste du frelon asiatique, mais j'ai du mal à croire qu'on ait besoin d'une nouvelle loi pour régler ce problème.

M. Philippe Bas , président . - La loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout... Et, si cette loi est utile, il faudra d'autres actions que celle du législateur pour venir à bout de ce phénomène envahissant.

M. Jean-Pierre Sueur . - Pourquoi le rapporteur introduit-il le verbe « pouvoir » dans son amendement COM-5 ? Il suffirait d'écrire « avise ». Cela ne crée pas une charge considérable pour le maire : il suffit de prévenir l'autorité préfectorale de l'information qu'il détient.

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Nous avons cherché à montrer dans le rapport ce qu'était une espèce exotique envahissante, pour faire ressortir l'importance du sujet d'un point de vue scientifique. Nous avons donné des précisions sur le frelon asiatique et sur son cycle annuel, car nous ne sommes tous pas bien informés sur la question. Je voulais aussi souligner le caractère anxiogène du problème. La taille de l'animal est un élément perturbateur, mais le frelon asiatique n'est pas plus dangereux que les autres hyménoptères : il y a eu 10 décès liés au frelon asiatique depuis 2004, alors que l'on en compte 15 par an liés à la guêpe. Cela explique que le frelon asiatique ne soit pas répertorié parmi les menaces pour la santé humaine.

Nous avons mis évidence les dispositifs existant dans notre droit. Le préfet est en charge de la lutte, et le maire peut intervenir en cas de menace grave et imminente pour la sécurité publique. J'espère que mon rapport sera utile aux maires. L'essentiel est que l'État ait réellement envie de traiter le sujet - car la menace pour l'homme est tout de même relativement faible.

Pour autant, le traitement des espèces toxiques et envahissantes reste un sujet d'ordre national, car les espèces ne suivent pas les frontières administratives. Pour les urgences, notre droit est adapté. Nous ne souhaitons pas charger les maires de responsabilités supplémentaires. C'est pourquoi j'ai écrit « peut aviser », et non « avise ». Nous voulons faire du maire une sentinelle, et laisser le préfet juge de la pertinence d'intervenir.

Examen de l'article unique de la proposition de loi
selon la procédure de législation en commission

Article unique

M. Philippe Bas , président . - Vous avez expliqué votre amendement COM-5 .

M. Vincent Segouin , rapporteur . - L'amendement COM-4 donne aux maires le pouvoir d'accorder des dérogations aux règles régissant de conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats. Avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État . - Avis favorable à l'amendement du rapporteur. Je vous remercie de la qualité des débats. La perte de la biodiversité nous préoccupe tous. Les services de l'État et de mon ministère sont à votre disposition pour avancer sur des solutions concrètes et pragmatiques qui n'iront pas ajouter une charge supplémentaire aux maires.

M. Philippe Bas , président . - Merci. Nous apprécions cet esprit de coopération entre le Gouvernement et le Sénat, qui tend à s'élargir de semaine en semaine !

L'amendement COM-5 est adopté. L'amendement COM-4 devient sans objet.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Intitulé de la proposition de loi

M. Vincent Segouin , rapporteur . - Les amendements identiques COM-6 et COM-1 rectifié remplacent le mot « toxique » par le mot « exotique » et les mots « les pouvoir de police » par les mots « l'intervention ».

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État . - Avis favorable.

Les amendements COM-6 et COM-1 rectifié sont adoptés. L'intitulé de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Pierre-Yves Collombat . - Nous avons le choix entre un texte inutile et un texte néfaste. Je ne participerai pas au vote.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Agnès Canayer , auteure de la proposition de loi . - Je me réjouis que nous ayons trouvé une voie de sortie sur ce sujet très concret, qui embarrasse les maires et angoisse nos concitoyens. Le coût ne doit pas retomber sur les collectivités territoriales mais être pris en charge par l'État.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. SEGOUIN, rapporteur

5

Pouvoir d'alerte du maire dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes

Adopté

M. GRAND

4

Pouvoirs de police du maire en matière de conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats

Satisfait
ou sans objet

M. Alain MARC

3

Suppression de la prise en charge financière par les particuliers

Irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution

Intitulé de la proposition de loi

M. SEGOUIN, rapporteur

6

Coordination

Adopté

M. Alain MARC

1 rect.

Coordination

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mme Agnès Canayer , auteur de la proposition de loi

Direction générale des collectivités locales

Sous-direction des compétences et des institutions locales

M. Frédéric Papet , sous-directeur

M. Fabien Garret , chargé d'études responsabilités des élus au bureau du contrôle de légalité et du conseil juridique

Ministère de la transition écologique et solidaire

Direction de l'eau et de la biodiversité

Monsieur Baptiste Blanchard , adjoint au sous-directeur de la protection et de la restauration des écosystèmes terrestres

Madame Catherine Cumunel , cheffe du bureau de l'encadrement des impacts sur la biodiversité

Monsieur François Delaquaize , chargé de mission espèces exotiques envahissantes

Association des Maires de France

Mme Sylviane Oberlé , chargée de mission prévention des pollutions

Mme Annick Pillevesse , responsable du service juridique

M. Jeff Chopy , conseiller technique au service juridique

Mme Charlotte de Fontaines , chargée des relations avec le Parlement

Personnalités qualifiées

M. Jean-François Humbert , Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris

Mme Claire Villemant et M. Quentin Rome , Muséum d'Histoire Naturelle de Paris

M. Franck Courchamp , Laboratoire d'Écologie Systématique & Évolution de l'Université Paris-Sud


* 1 UICN 2000, McNeely et al. 2001.

* 2 La liste rouge de l'UICN est consultable à l'adresse suivante : https://www.iucnredlist.org/ .

* 3 Pimentel, D. (2002). Biological invasions. Economic and environmental Costs of Alien Plant, Animal, and Microbe Species. David Pimentel Eds. La présentation de l'étude est consultable à l'adresse suivante : https://doi.org/10.1201/9781420041668 .

* 4 Corey J.A. Bradshaw, Boris Leroy, Céline Bellard, David Roiz, Céline Albert, Alice Fournier, Morgane Barbet-Massin, Jean-Michel Salles, Frédéric Simard & Franck Courchamp. (2016). Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects . Nature Communications. 4 octobre 2016. Cette étude est consultable à l'adresse suivante :

https://www.nature.com/articles/ncomms12986 .

* 5 Ce plan comprend 20 objectifs, dits « Objectifs d'Aïchi ». L'objectif 9 vise à ce que : « d'ici à 2020, les espèces exotiques envahissantes et les voies d'introduction [soient] identifiées et classées en ordre de priorité, les espèces prioritaires [soient] contrôlées ou éradiquées et des mesures [soient] en place pour gérer les voies de pénétration, afin d'empêcher l'introduction et l'établissement de ces espèces ».

* 6 Cette stratégie est consultable à l'adresse suivante :

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=2ahUKEwigoMTOvNfhAhXqzIUKHWuQA8IQFjABegQIBRAC&url=https%3A%2F%2Fofsa.fr%2Fofsa%2Fressources%2F5_ref_eee%2FEEE_Strategie_europeenne_2003.pdf&usg=AOvVaw3ScNKDXXNm05ypUmn946hw .

* 7 Cette convention internationale, signée le 19 septembre 1979 et en vigueur depuis le 1 er juin 1982, tend à promouvoir la coopération internationale entre les États parties en vue de conserver la faune et la flore sauvages et de protéger les espèces migratrices menacées d'extinction.

* 8 Cette communication est consultable à l'adresse suivante :

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjzoo6IwdfhAhVJWBoKHfVGD_0QFjAAegQIARAC&url=https%3A%2F%2Feur-lex.europa.eu%2Flegal-content%2FFR%2FTXT%2FPDF%2F%3Furi%3DCELEX%3A52008DC0789%26from%3DEN&usg=AOvVaw2WIFw2IZ0pdh59elgCVxdt .

* 9 Cette stratégie est consultable à l'adresse suivante :

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Aev0029 .

* 10 En complément, les règlements 2016/1141 et 2017/1263 définissent la liste des espèces réglementées dans l'Union qui comprend 49 espèces végétales (dont la jussie à grandes fleurs ou la berce du Caucase) ou animales (dont le frelon asiatique).

* 11 Selon l'article R. 411-46 du code de l'environnement, le préfet de département ou, à partir de la laisse de basse mer, le préfet maritime, est l'autorité administrative compétente au sens de l'article L. 411-8 du même code.

* 12 Arrêtés du 14 février 2018 relatifs l'un à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain et l'autre à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain.

* 13 Peuvent être cités, à titre d'exemple, les conservatoires botaniques nationaux, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), l'Agence française pour la biodiversité (AFB), ou encore les conservatoires d'espaces naturels.

* 14 Voir le 9° de l'article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales et les articles L. 427-4 et suivants du code de l'environnement.

* 15 Les animaux visés par ce dispositif sont plus particulièrement les chiens dangereux.

* 16 C. Villemant et al., La découverte du Frelon asiatique Vespa velutina en France , Revue Insectes n °143, 2006.

* 17 Voir l'arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain . Le frelon asiatique relevait auparavant de l'article L. 411-5 du code de l'environnement. L'arrêté de 2018 a donc permis de renforcer la règlementation à son égard.

* 18 Arrêté du 26 décembre 2012 relatif au classement dans la liste des dangers sanitaires du frelon asiatique.

* 19 Cour administrative d'appel de Nantes, 20 novembre 2003, n° 02NT01491.

* 20 Le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) accepte généralement de procéder à la destruction des nids dans ce cas.

* 21 Tribunal des conflits, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just .

* 22 Cour administrative d'appel de Lyon, 27 mars 2018, n° 16LY0165.

* 23 La Réunion est depuis 2010 classée patrimoine mondial de l'UNESCO au titre de son patrimoine naturel, notamment en raison de la présence de nombreuses espèces endémiques. Les espèces invasives représentent toutefois une menace réelle sur cette biodiversité.

* 24 Nouvel article L. 2212-2-2, issu de l'article 78 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.

* 25 Consultable à l'adresse suivante : https://inpn.mnhn.fr/accueil/index .

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