II. LA NÉCESSAIRE CRÉATION D'UN DISPOSITIF D'INTERRUPTION DE LA DÉTENTION PROVISOIRE POUR RAISONS MÉDICALES

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi propose de créer un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical, en s'inspirant très largement des dispositions de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale précité applicable aux détenus condamnés.

La personne qui bénéficierait de cette procédure pourrait se voir imposer plusieurs obligations ou interdictions du contrôle judiciaire ou assignée à résidence avec surveillance électronique. Le juge d'instruction pourrait à tout moment ordonner une nouvelle expertise. La suspension de détention provisoire pourrait prendre fin si les conditions ne sont plus réunies ou si la personne ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées.

Le dispositif retenu par les auteurs de la proposition de loi pour l'article 1 er présente néanmoins certaines différences avec celui de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale :

- alors que, pour les condamnés, deux expertises médicales distinctes et concordantes sont requises, la proposition de loi prévoit la mise en oeuvre de la nouvelle procédure au vu d'une unique expertise médicale ;

- contrairement à l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, la proposition de loi ne prévoit pas d'exception lorsqu'il « existe un risque grave de renouvellement de l'infraction » ;

- elle ne prévoit pas non plus d'obligation de nouvelle expertise médicale régulière en matière criminelle ;

- enfin, elle introduit des éléments de souplesse supplémentaires, en prévoyant que l'état de santé du prévenu devrait être « incompatible avec le maintien en détention » et non « durablement » incompatible avec un tel maintien, et que la procédure d'urgence pourrait être mise en oeuvre lorsque le pronostic vital « semble » engagé, et non « est » engagé.

Les articles 2 et 3 comportent les nécessaires coordinations destinées à prévoir la compétence du juge des libertés et de la détention et à permettre à la personne concernée de solliciter à tout moment la suspension de sa détention provisoire.

B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre rapporteure a pu mesurer, au cours des auditions, à quel point cette avancée législative était attendue des professionnels de santé et des différentes personnes qui interviennent auprès des détenus malades pour les aider à faire valoir leurs droits. M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, s'est lui aussi dit très favorable à une telle évolution de la loi en ce sens.

Au total, votre commission des lois souscrit sans réserve à l'objectif poursuivi par la présente proposition de loi, qui doit permettre de combler une lacune du droit et d'assurer la compatibilité du cadre légal de la détention provisoire avec le nécessaire respect de la dignité des personnes.

Afin de sécuriser le dispositif juridique retenu, il lui a toutefois semblé opportun d'apporter des modifications à la proposition de loi.

En effet, il lui paraît nécessaire d'apporter des ajustements supplémentaires au dispositif applicable aux personnes prévenues : à la différence des personnes condamnées, qui exécutent une peine d'emprisonnement ou de réclusion prononcée de façon définitive par une juridiction pénale, les personnes prévenues bénéficient de la présomption d'innocence . Il en résulte que la privation de liberté dont elles peuvent faire l'objet « à titre exceptionnel » (article 137 du code de procédure pénale) dans le cadre de l'instruction ou dans l'attente de leur jugement doit être justifiée à tout instant par l'un des objectifs énoncés à l'article 144 du code de procédure pénale (nécessité de conserver les preuves ou indices matériels, empêcher une pression sur les témoins, etc.).

À cet égard, la proposition tendant à créer un mécanisme de « suspension » de la détention provisoire impliquerait qu'en cas d'amélioration de son état de santé, l'intéressé pourrait être automatiquement réincarcéré en maison d'arrêt, sans débat préalable et sans que le juge n'ait à vérifier que les conditions de la détention provisoire sont toujours réunies.

Afin de surmonter cette difficulté, votre commission des lois a adopté un amendement de votre rapporteure tendant à prévoir que l'état de santé du prévenu pourrait constituer, non un motif de suspension de la détention provisoire, mais une cause de mise en liberté de l'intéressé : en cas d'amélioration de l'état de santé de ce dernier, il appartiendrait le cas échéant au juge d'instruction de demander à nouveau son placement en détention provisoire, dans les conditions de droit commun, en justifiant cette demande par l'un des objectifs énoncés à l'article 144 du code de procédure pénale.

Le texte adopté par votre commission des lois comporte par ailleurs deux évolutions par rapport au dispositif de la proposition de loi :

- d'une part, afin de réserver les situations les plus complexes, l'amendement adopté par votre commission introduit , comme le fait l'article 720-1-1 du code de procédure pénale concernant les personnes condamnées, une exception lorsqu'« il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction » : il s'agit, comme l'avait souligné notre collègue François Zocchetto lors de l'examen de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui avait introduit cette exception dans l'article 720-1-1 précité, de prévenir « le risque qu'une personne, même diminuée physiquement, puisse reprendre ses activités criminelles si elle fait l'objet d'une libération ; tel pourrait être en particulier le cas du dirigeant d'une organisation criminelle » 15 ( * ) ;

- d'autre part, votre commission des lois a souhaité préciser les modalités d'application du dispositif s'agissant des détenus atteints de troubles mentaux.

À l'heure actuelle, l'article 720-1-1 du code de procédure pénale prévoit une exception pour les « cas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux ». Pour notre collègue Claire-Lise Campion, auteur de l'amendement qui avait introduit cette exception lors de l'examen de la loi du 4 mars 2002, il s'agissait de ne pas prendre le risque de libérer une personne atteinte de troubles mentaux qui, si elle n'a certes pas sa place en prison, pourrait s'avérer dangereuse pour elle-même ou pour autrui 16 ( * ) .

Toutefois, comme l'a expliqué à votre rapporteure le Dr Michel David, président de l'association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, cette restriction a, dans les faits, été interprétée par les professionnels de santé comme interdisant de façon générale l'application du dispositif de suspension de peine aux personnes détenues atteintes de troubles mentaux.

Tel n'était sans doute pas l'intention du législateur : les personnes atteintes de troubles mentaux doivent être considérées comme des malades comme les autres et pouvoir être soignées dans les mêmes conditions que des personnes atteintes de troubles somatiques.

Une exception peut toutefois être faite s'agissant des personnes atteintes de troubles mentaux faisant l'objet d'une mesure d'hospitalisation sous contrainte . En effet, dans ce cas, ces personnes sont soumises à une mesure privative de liberté , dans les conditions définies aux articles L. 3211-1 et suivants du code de la santé publique (articles L. 3214-1 à L. 3214-5 s'agissant spécifiquement des personnes détenues). Il importe que ces personnes puissent continuer à être juridiquement considérées comme des personnes détenues, afin que la privation de liberté dont elles font l'objet dans le cadre de la mesure d'hospitalisation sans consentement puisse être imputée sur la durée de la détention provisoire et, le cas échéant, sur la durée de la peine d'emprisonnement ou de réclusion restant à accomplir 17 ( * ) .

C'est la raison pour laquelle l'amendement adopté par votre commission précise les termes retenus par le dispositif de la proposition de loi, afin de prévoir que celle-ci ne s'appliquera pas aux personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement .

À contrario , les personnes atteintes de troubles mentaux dont l'état de santé est incompatible avec la détention mais qui acceptent de suivre un traitement pourraient en bénéficier expressément.

Enfin, votre commission a conservé les dispositions de la proposition de loi tendant à permettre l'application aux prévenus du nouveau dispositif lorsque leur état de santé est « incompatible » avec les conditions de détention (et non « durablement incompatible » comme le prévoit l'article 720-1-1 du code de procédure pénale pour les condamnés), et surtout que la remise en liberté pourrait être ordonnée au vu d'une expertise médicale unique . Les représentants du ministère de la justice ont souligné que ces conditions, plus favorables que celles applicables aux personnes condamnées, pouvaient se justifier par la différence de statut entre prévenus et condamnés et par la difficulté croissante, compte tenu de la pénurie d'experts, à obtenir la réalisation d'expertises médicales dans des délais brefs, alors même que la détention provisoire doit revêtir la durée la plus courte possible.

Par coordination avec l'amendement adopté, qui tend à réécrire l'ensemble de l'article 1 er , votre commission a adopté deux amendements de votre rapporteure supprimant les articles 2 et 3 de la proposition de loi, devenus sans objet.

Enfin, elle a adopté un amendement de votre rapporteure tendant à permettre l'application de la proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer ( nouvel article 1 er bis ).


* 15 Rapport n° 30 (2005-2006) de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 19 octobre 2005, page 46. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l05-030/l05-030.html .

* 16 Voir les débats au JO Sénat du 31 janvier 2002.

* 17 Comme le rappelle l'article D. 395 du code de procédure pénale, « les détenus admis à l'hôpital sont considérés comme continuant à subir leur peine ou, s'il s'agit de prévenus, comme placés en détention provisoire ».

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