B. PAR UN RECRUTEMENT À LA FOIS PLUS OUVERT ET PLUS RIGOUREUX

La qualité du recrutement des magistrats constitue une condition essentielle de la qualité de la justice qui sera rendue.

1. Un recrutement trop uniforme, une sélection par les voies parallèles à parfaire

- Un corps encore trop fermé

Le constat dressé en 2002 par votre commission dans le cadre de ses travaux de contrôle sur l'évolution des métiers de la justice est toujours d'actualité 19 ( * ) : malgré l'instauration depuis une quinzaine d'années de voies parallèles d'entrée dans la magistrature, le corps des magistrats reste peu diversifié . En effet, les concours d'entrée à l'ENM, avec une forte prédominance du premier concours, demeurent le principal mode recrutement des magistrats .

Magistrats recrutés par concours d'entrée à l'ENM

Promotion

1 er concours

2 ème concours

3 ème concours

TOTAL

1997

110

27

8

145

1998

110

27

8

145

1999

141

34

10

185

2000

141

34

10

185

2001

145

35

10

190

2002

192

45

13

250

2003

192

45

13

250

2004

192

45

13

250

2005

192

45

13

250

2006

224

19

7

250

TOTAL

1.639

356

105

2.100

Source : Ministère de la justice

Il existe trois concours d'entrée à l'ENM : le premier est accessible aux étudiants âgés de vingt-sept ans au plus, le deuxième, réservé aux fonctionnaires 20 ( * ) ayant au moins quatre années d'ancienneté et le troisième, ouvert à des candidats non issus de la fonction publique mais ayant exercé durant huit années une ou plusieurs professions, un ou plusieurs mandats de membre d'une assemblée élue d'une collectivité territoriale ou encore des fonctions juridictionnelles à titre non professionnel.

Les épreuves des deux premiers concours essentiellement théoriques sanctionnent avant tout l'acquisition de connaissances techniques. Ainsi, la grande majorité des auditeurs de justice issus des concours et notamment du premier (90 % des auditeurs recrutés par concours en 2005) présentent un profil très uniforme . Au sein de la promotion 2006 (recrutée en 2005), la plupart est directement issue de l'Université avec une majorité de titulaires d'un diplôme universitaire de deuxième ou troisième cycle de l'enseignement supérieur, souvent sans expérience professionnelle. Les personnes au parcours plus original et déjà expérimentées sont peu représentées dans cette catégorie , seulement 22 %, soit 65 personnes (issues des deuxième et troisième concours et du recrutement sur titre) sur 289 21 ( * ) , avaient exercé une activité professionnelle.

Le troisième concours, qui représente une part très marginale des recrutements, n'a pas permis de rééquilibrer le mode de sélection en faveur d'une meilleure prise en compte de l'expérience acquise . En revanche, à la différence des voies d'entrée parallèles dans la magistrature, le recrutement sur titre à l'auditorat ouvert à des candidats déjà entrés depuis peu dans la vie active 22 ( * ) a progressé depuis son introduction en 1992.

Effectifs de magistrats recrutés depuis dix ans
par des voies parallèles

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Total

Intégration directe

11

23

23

23

27

25

27

19

31

27

236

Auditeurs de justice recrutés sur titre

9

12

12

20

30

36

31

32

29

40

251

Détachement judiciaire

-

3

2

5

8

5

5

2

2

3

35

Magistrats exerçant à titre temporaire

-

0

6

4

2

2

-

3

-

2

19

Conseillers ou avocats généraux, Cour de cassation en service extraordinaire

1

-

-

2

1

2

3

2

2

4

11

TOTAL

21

38

43

54

68

70

66

58

64

76

558

Source : Ministère de la justice

Les principales voies parallèles d'accès direct à la magistrature

Depuis 1992, diverses innovations ont été introduites pour ouvrir le corps judiciaire à des personnes justifiant déjà d'une expérience professionnelle d'au moins sept ans :

- l'intégration directe dit recrutement latéral , recrutement sur titre institué par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992 , qui permet l'accès aux second, premier grade et aux fonctions hors hiérarchie selon la durée d'ancienneté professionnelle ; entre 1992 et 2000, la proportion de magistrats recrutés par cette voie, en perte de vitesse, est passée de plus de 50 à 27. Depuis 2000, leur nombre oscille entre 19 et 31 ;

- le recrutement dans des fonctions judiciaires à titre temporaire qui regroupe plusieurs dispositifs : conseillers ou avocats généraux en service extraordinaire à la Cour de cassation introduits en 1992 23 ( * ) , conseillers de cour d'appel en service extraordinaire 24 ( * ) , magistrats exerçant à titre temporaire -ayant vocation à siéger comme assesseurs dans les formations collégiales ou à être affectés dans un tribunal d'instance- créés en 1995 25 ( * ) ou plus récemment les juges de proximité 26 ( * ) ;

- les concours complémentaires mis en place par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 qui autorisent, suivant l'âge et l'ancienneté professionnelle, des recrutements au second ou au premier grade de la hiérarchie judiciaire ; depuis l'entrée en vigueur du dispositif, cette voie d'accès à la magistrature ne représente qu'une faible part du corps de la magistrature, les effectifs -moins de 240- n'atteignant même pas ceux des auditeurs de justice recrutés chaque année par la voie des concours d'entrée à l'ENM (250 depuis 2001). Le concours complémentaire organisé en 2005 a concerné des postes du second grade exclusivement (30 candidats admis sur 30 postes offerts) ; aucun concours n'a eu lieu en 2006.

Evoquant la valeur ajoutée apportée à l'institution judiciaire 27 ( * ) par les conseillers en service extraordinaire à la Cour de cassation, le premier président de la Cour de cassation a mis en avant, au cours de son audition, les avantages indéniables de l'ouverture du corps à des profils variés , soulignant le caractère précieux de « l'autre regard qu'ils apportent au contentieux soumis à la Cour, par exemple quant à l'appréciation de la portée des décisions sur le fonctionnement de certains secteurs professionnels. Leur présence contribue à une nouvelle approche de la méthode jurisprudentielle permettant au juge de mieux mesurer, anticiper et maîtriser les conséquences de ses décisions. »

Pourtant, depuis 2000, les voies parallèles de recrutement (hors concours complémentaires) représentent à peine un peu plus de 22 % de l'ensemble des recrutements de magistrats .

Ce qui est considéré comme un échec de ces voies d'intégration s'explique par une conjonction de facteurs :

- les critères de recrutement fixés par le législateur sont très exigeants, comme l'a souligné le premier président de la Cour de cassation lors de son audition, ce qui restreint fortement le vivier des candidatures ; leur nombre ne peut dépasser un certain plafond de postes susceptibles d'être pourvus par ce biais 28 ( * ) ; sont souvent associées à la fois une exigence de qualification juridique minimale (du niveau de la maîtrise) et une condition d'expérience professionnelle dans des domaines ciblés (juridique, économique ou social).

Pourtant, en 2003, le législateur, à l'initiative du Sénat et plus particulièrement de votre commission des lois, avait souhaité assouplir les conditions de recrutement des juges de proximité, dans le souci d'élargir le vivier des candidats 29 ( * ) . Mais cette démarche a été censurée par le Conseil Constitutionnel lequel a estimé que l'élargissement proposé constituait une erreur manifeste compte tenu de l'absence d'exigence de connaissances juridiques suffisantes 30 ( * ) ;

- la procédure de sélection des candidatures et des nominations est complexe, puisqu'elle implique, à l'exception des concours complémentaires, un avis conforme de la commission d'avancement préalablement à l'avis du CSM, voire un double agrément préalable à l'intervention du CSM pour les magistrats exerçant à titre temporaire dont la nomination est en outre soumise à l'avis de l'assemblée générale des magistrats du siège ;

- le corps judiciaire éprouve des réticences à intégrer des magistrats issus d'horizons variés, présentant un profil trop différent de celui qu'il connaît. Ainsi, les représentants de l'association des magistrats issus des concours complémentaires et exceptionnels ont témoigné du climat de défiance dans lequel ils avaient été accueillis par leurs collègues dans les juridictions. La vive inquiétude du milieu judiciaire exprimée lors de la définition du statut des juges de proximité par la loi organique de février 2003 atteste également des difficultés des magistrats à s'ouvrir. Ce conservatisme est d'ailleurs patent au sein de la commission d'avancement comme l'a indiqué M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation 31 ( * ) .

- Une mise à l'épreuve insuffisante pour éprouver la capacité à exercer des fonctions judiciaires

Les auditeurs de justice issus de concours très sélectifs à l'entrée à l'ENM sont évalués durant trente et un mois. Tel n'est pas le cas d'une grande partie des magistrats recrutés par les voies parallèles. Ainsi, les magistrats issus des concours exceptionnels comme ceux exerçant à titre temporaire suivent une formation initiale obligatoire qui ne donne lieu à aucune évaluation. Une fois sélectionnés, les candidats sont donc assurés d'intégrer les fonctions judiciaires auxquelles ils ont postulé.

Lorsqu'il est prévu -pour certains modes de recrutement (intégration directe au corps judiciaire et juge de proximité)- une simple possibilité de soumission des candidats à un stage probatoire, cette faculté tend à devenir la règle ou du moins à se banaliser. Le nombre de magistrats intégrés directement sans avoir été soumis à une formation probatoire -3 sur 29 candidats admis en 2005 32 ( * ) , 1 sur 34 admis en 2004- est en effet très faible. De même, la proportion de candidats aux fonctions de juge de proximité soumis à un stage probatoire par le CSM, modeste à l'origine, est désormais largement majoritaire.

La nécessité de mettre à l'épreuve l'ensemble des candidats à la magistrature indépendamment de la voie de recrutement est exprimée par de nombreux acteurs de l'institution judiciaire, notamment le CSM.

Le rapport du groupe de travail sur la réforme de la justice de proximité en novembre 2005 (rapport Charvet) a souligné les garanties pour l'efficacité de l'institution judiciaire susceptibles d'être apportées par une formation probatoire systématique : « Le stage probatoire doit être posé comme principe, sauf décision dérogatoire du CSM. La pratique et le résultat des investigations du groupe de travail tendent à en démontrer la nécessité dans l'intérêt et du futur juge et de la juridiction de proximité. Quels que soient l'origine professionnelle et le niveau de connaissances juridiques du candidat, une mise en situation est toujours révélatrice des capacités à intégrer la notion de proximité, à comprendre les missions dévolues, y compris d'un service public, et à se confronter à l'expérience pratique aux côtés de ceux qui seront vos justiciables, vos collaborateurs, vos partenaires, vos collègues » 33 ( * ) .

Cette considération est valable pour tous les modes de recrutement qui échappent à une formation préalable probatoire. Tel est d'ailleurs le sens d'une des recommandations de la commission sur l'éthique dans la magistrature formulée en novembre 2003 34 ( * ) . Les représentants de l'Union syndicale des magistrats ont fait valoir la nécessité d'une telle évolution, afin d'harmoniser les différents régimes d'intégration et de « s'assurer au mieux de la qualité professionnelle des magistrats recrutés ».

* 19 Rapport n° 345 (session 2001-2002) de M. Christian Cointat précité.

* 20 De l'Etat ou des collectivités territoriales.

* 21 Qui regroupe les auditeurs issus des concours (250) et les auditeurs recrutés sur titre (39).

* 22 Allocataires d'enseignement et de recherche en droit ayant exercé cette fonction pendant trois ans ou encore titulaires d'une maîtrise de droit justifiant de quatre années d'expérience professionnelle qualifiante pour l'exercice des fonctions judiciaires.

* 23 Loi n° 92-189 du 25 février 1992.

* 24 Ce recrutement a épuisé ses effets en 2000, sans être reconduit.

* 25 Loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995.

* 26 Loi organique n° 2003-153 du 26 février 2003.

* 27 On dénombre actuellement 10 conseillers référendaires en service extraordinaire et 1 avocat général en service extraordinaire affectés à la Cour de cassation.

* 28 Par exemple les recrutements sur titre à l'auditorat ne peuvent actuellement intervenir que dans la limite d'un cinquième des effectifs des auditeurs issus des trois concours d'entrée à l'ENM.

* 29 En ouvrant l'accès aux fonctions à des candidats « justifiant de vingt-cinq années au moins d'activité dans des fonctions impliquant des responsabilités de direction ou d'encadrement dans le domaine administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement ». Rapport n° 404 de M. Pierre Fauchon, session 2001-2002.

* 30 Décision n° 2003-466 DC du 20 février 2003.

* 31 En effet, le contrôle de la commission d'avancement -très rigoureux- retient peu de candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire, comme en témoigne le grand nombre d'avis négatifs formulés ces dernières années (60 % d'avis négatifs en 2001, 100 % en 2002 et 50 % en 2003, 100 % en 2004), à l'exception de l'année 2005 au cours de laquelle les 2 candidats ont reçu un avis favorable.

* 32 Soit un avocat, un fonctionnaire et un conseiller de cour d'appel en service extraordinaire.

* 33 Page 70 de ce rapport.

* 34 Proposition n° 3.

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