LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 26 octobre 2023

- France Universités : M. Dean LEWIS, vice-président de France Universités et président de l'Université de Bordeaux, M. Kevin NEUVILLE, conseiller en charge des relations avec le Parlement.

- Conférence des grandes écoles (CGE) : M. Hughes BRUNET, délégué général, M. Marc SAGOT, en charge des relations extérieures, M. Foucauld KNEUSS, référent en charge de la Vie étudiante, du Sport et affaires publiques.

- Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) : M. Etienne CRAYE, président, Mme Sophie SAVIN, déléguée générale.

Jeudi 2 novembre 2023

- Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (Fésic) : Mme Laure VIELLARD, vice-présidente, M. Germain COMERRE, chargé de relations institutionnelles et animation réseau.

- Udice : M. Michel DENEKEN, président, Mme Anne-Isabelle BISCHOFF, déléguée générale.

- Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) : Mme Dominique MARCHAND, présidente.

- Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI) : Mme Dominique BAILLARGEAT, vice-présidente, M. Emmanuel PERRIN, co-président de la commission Ressources et accompagnement des personnels, Mme Isabelle SCHÖNINGER, directrice exécutive.

Mardi 7 novembre 2023

Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) : M. Alain FRUGIÈRE, président du Réseau des INSPÉ et directeur de l'INSPÉ de Paris, Mme Anne-Lise ROTUREAU, déléguée générale du Réseau des INSPÉ.

ANNEXE

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

MARDI 7 NOVEMBRE 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions liées à l'examen du projet de loi de finances (PLF) 2024 en recevant Mme Sylvie Retailleau.

Madame la ministre, nous restons particulièrement attentifs au sein de la commission aux problématiques relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche. À cet égard, je souhaiterais mentionner le projet de loi de programmation de la recherche (LPR), que nous avons profondément amendé lors de son examen en octobre 2020. Nous demeurons vigilants concernant la mise en oeuvre de ce texte, qui doit permettre de mieux financer la recherche française, d'améliorer l'attractivité de ses métiers et de replacer la science dans une relation ouverte avec la société.

L'an dernier, notre rapporteure nous avait alertés quant à la sous-exécution des créations de postes inscrites dans la loi ; les difficultés réglementaires rencontrées en la matière ont-elles été levées depuis ?

De même, nous souhaiterions en savoir davantage en ce qui concerne la clause de revoyure prévue dans la loi avant la fin de l'année 2023 ; celle-ci sera-t-elle décalée ?

La mission commune d'information sur les conditions de la vie étudiante, que présidait Pierre Ouzoulias et dont j'étais rapporteur, a souligné la nécessité d'un meilleur accompagnement des étudiants dans les domaines des études, de la santé ou du logement. Dans notre rapport, nous évoquions notamment la nécessité d'une refonte globale du système de bourses sur critères sociaux. Votre ministère s'est saisi de cette question et des consultations sont en cours. Pourrez-vous revenir sur l'avancement de ce dossier ? Quelles pistes étudiez-vous ? Quel calendrier comptez-vous suivre ?

Par ailleurs, à l'initiative de Pierre-Antoine Levi, le Parlement a adopté en avril 2023 la loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré à proximité de leur lieu d'études. Quand un tel accès n'est pas possible, les étudiants peuvent alors bénéficier d'une aide financière. Comment cette « loi Levi » sera-t-elle appliquée dès cette année ?

Enfin, en ce qui concerne la non-compensation intégrale des dernières mesures salariales annoncées par le Gouvernement, vous avez indiqué qu'il n'y aurait « pas de miracle », en invitant les opérateurs et les universités à recourir si nécessaire à la part mobilisable de leur fonds de roulement. Ces déclarations ont été accueillies avec une certaine inquiétude par les universités et l'ensemble des opérateurs de votre ministère. Mes collègues rapporteurs ne manqueront pas de vous interroger sur ce sujet.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Avant de répondre à vos questions, monsieur le président, je commencerai par présenter les grandes orientations de ce budget de l'enseignement et de la recherche, qui connaît une nouvelle augmentation en 2024. Ainsi, nous comptons 1,2 milliard d'euros de moyens nouveaux par rapport au tendanciel prévu, ce qui représente 20 % supplémentaires par rapport à 2017 et 8 % par rapport à 2022.

En premier lieu, ce budget vise à aider plus et mieux les étudiants. Les engagements que j'avais pris devant le Parlement sont tenus et le PLF traduit les mesures annoncées, qui bénéficieront de 500 millions d'euros supplémentaires. Cette enveloppe permettra de financer la première étape de la réforme des bourses, présentée en avril dernier, à hauteur de 400 millions d'euros. Elle sera également allouée à la pérennisation du repas à un euro pour tous les étudiants boursiers mais aussi pour les étudiants précaires, ainsi qu'au gel des tarifs de restauration et des loyers en résidence universitaire pour tous les étudiants. Ces dernières mesures sont compensées au niveau du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) à hauteur de 70 millions d'euros.

En cette rentrée, les étudiants perçoivent des bourses sur critères sociaux revalorisées. Il s'agit d'un investissement historique, qui était nécessaire dans le contexte d'inflation actuel. Cette première étape de la réforme dépasse la simple revalorisation des montants pour chaque échelon, puisque nous nous attaquons aux effets de seuil et que nous renforçons nos aides pour les étudiants en situation de handicap, comme pour les étudiants en situation d'« aidance ».

Le budget pour 2024 intègre donc une hausse des dotations d'investissement du Cnous de 25 millions d'euros, soit plus de 25 %, pour construire et rénover des restaurants et des résidences universitaires. Ces crédits permettront en particulier de poursuivre la réhabilitation des places d'hébergement, pour atteindre l'objectif de 12 000 rénovations d'ici 2027, annoncé par la Première ministre dans le cadre du CNR Jeunesse.

Nous prévoyons aussi 25 millions d'euros pour développer la restauration, en conformité avec la « loi Levi ». De nouveaux conventionnements ont été développés avec des organismes partenaires. De plus, une aide financière déployée de façon progressive permet de soutenir les étudiants qui n'auraient pas accès à des solutions collectives de proximité, malgré les conventions passées. En outre, le Cnous recevra une dotation de 5 millions d'euros pour financer le coût de fonctionnement lié à l'ouverture des nouvelles places de restauration et bénéficiera du recrutement de 38 agents supplémentaires.

Le Gouvernement s'apprête à déposer un amendement qui permettra de relever le plafond d'emplois des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) de 110 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Il s'agit d'une nouvelle importante, qui reflète l'augmentation des flux d'étudiants en raison des mesures prises. Ce relèvement du plafond est historique, puisqu'il n'avait pas évolué depuis 2014, et il permettra d'accompagner la croissance de l'activité du réseau. Il s'agissait d'une recommandation de votre rapport sur les conditions de la vie étudiante, monsieur le président : je suis heureuse de vous dire que vous aviez raison et que cette mesure était nécessaire.

Une enveloppe de 10 millions d'euros sera consacrée au renforcement de l'accompagnement des étudiants en situation de handicap, conformément aux annonces faites lors de la Conférence nationale du handicap (CNH) et à la loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation, dont la proposition avait été déposée au Sénat.

En deuxième lieu, ce budget permet de soutenir la recherche et les chercheurs, confirmant cette année encore la trajectoire en crédits et en emplois de la LPR. Ainsi, 468 millions d'euros supplémentaires seront consacrés au périmètre du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - une marge de 500 millions d'euros, si l'on inclut les crédits du programme 193, dédiés à la recherche spatiale.

Ces crédits financeront des dépenses en matière de ressources humaines, parmi lesquelles des revalorisations salariales pour 138 millions d'euros supplémentaires, mais aussi des recrutements additionnels de chercheurs, puisque le schéma d'emplois augmentera de 650 équivalents temps plein (ETP), ce qui permettra notamment de créer de nouveaux contrats doctoraux et des chaires de professeurs juniors supplémentaires. Cette augmentation entraînera une hausse de 91 millions d'euros des dépenses consacrées à la masse salariale.

En outre, je souhaiterais signaler 73 recrutements supplémentaires, qui seront autorisés pour la recherche sur le nucléaire civil au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Des projets de recherche sont également mis en oeuvre, dont ceux qui ont été sélectionnés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui connaissent une augmentation de leur budget de 123 millions d'euros. La somme de 52 millions d'euros sera consacrée à des investissements dans les équipements, les organisations scientifiques internationales et les organismes de recherche. Enfin, diverses autres mesures sont prévues dans le cadre de la LPR pour un montant de 65 millions d'euros.

Afin d'assurer la bonne atteinte de nos objectifs, il nous faut mesurer les effets de ce qui a été mis en place, en les comparant à ce que nous observons aux niveaux international et européen, en travaillant avec des organisations comme l'OCDE. Je souhaite ainsi nourrir le bilan de ces trois années de mise en oeuvre de la LPR, que je vous présenterai début 2024.

En troisième lieu, ce budget vise à accompagner les transformations des universités. À cet effet, une enveloppe de 15 millions d'euros sera consacrée au financement de la troisième année de bachelor universitaire de technologie (BUT) et à l'ouverture de nouveaux départements d'instituts universitaires des technologies, renforçant l'accès à l'enseignement supérieur dans tous les territoires.

Les financements alloués aux études de santé connaitront également une hausse de 7 millions d'euros.

Nous poursuivons aussi le déploiement des contrats d'objectifs, de moyens et de performance, qui avaient déjà été signés par 36 établissements et compteront 42 nouveaux signataires. Chaque année, 100 millions d'euros seront alloués à tous les établissements dans ce cadre, qui permet d'établir un dialogue stratégique rénové et d'offrir aux établissements une visibilité budgétaire pluriannuelle.

En quatrième lieu, ce budget vise à soutenir le pouvoir d'achat alors que l'inflation reste importante et que la dette s'alourdit. Dans ce contexte, le Gouvernement accompagne les Français et notamment les agents publics. Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a ainsi annoncé différentes mesures pour préserver le pouvoir d'achat des fonctionnaires, qui ciblent en particulier les agents des catégories B et C. Une enveloppe de 215 millions d'euros a été allouée afin de compenser les revalorisations salariales annoncées en juin 2023. Ce budget permettra de couvrir au moins 50 % des surcoûts liés aux mesures relatives au point d'indice, pour tous les établissements, et d'apporter des soutiens plus ciblés pour les plus fragilisés. Comme en 2022 et en 2023, le Cnous et les Crous feront l'objet d'une compensation intégrale de ces mesures salariales pour 2024.

Pour le reste, les établissements sont appelés à un effort exceptionnel compte tenu du niveau de leurs réserves financières. En effet, ces niveaux importants, en augmentation depuis plusieurs années, doivent leur permettre d'absorber cet effort pour 2024. Ces réserves, estimées à environ 1 milliard d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et à 300 millions d'euros pour les organismes de recherche, sont bien supérieures à l'effort exceptionnel demandé. D'après une enquête que nous avons menée, ces réserves sont libres de tout emploi. Pour les évaluer, nous excluons notamment les investissements, qu'ils soient engagés ou programmés par les conseils d'administration des établissements. Je leur ai donc demandé de mobiliser leur trésorerie sans renoncer à leurs projets en cours. Comme je l'ai fait devant les présidents des universités et à l'Assemblée nationale, je tiens à vous assurer que nous serons attentifs aux situations particulières de certains établissements. Ainsi, nous avons choisi de compenser à hauteur de 50 % l'ensemble des établissements afin de conserver les marges nécessaires pour mieux soutenir ceux qui connaissent une situation critique.

J'en viens aux dotations d'investissement, qui augmentent dans ce budget. Les contrats de plan État-région (CPER) se déploient et 1,2 milliard d'euros seront alloués pour les établissements dépendant de mon ministère pour la période 2021-2027, avec une poursuite de la montée en charge des projets l'an prochain. Les établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche bénéficieront de la hausse de 600 millions d'euros de l'enveloppe interministérielle consacrée à la rénovation des bâtiments de l'État.

Nous allouerons des financements spécifiques pour des projets emblématiques comme le campus hospitalo-universitaire de Saint-Ouen, le Paris Santé Campus du site du Val-de-Grâce ou le Centre national de la matière extraterrestre sur le site du Jardin des Plantes.

Enfin, au-delà de la mission « Recherche et enseignement supérieur », les établissements relevant de mon ministère continueront de bénéficier de financements extrabudgétaires importants, liés en particulier au plan France 2030.

Les grands défis écologiques, technologiques, industriels et sociétaux que la France doit relever restent inchangés et très importants. Pour y faire face, les contributions de l'enseignement supérieur et de la recherche demeurent essentielles, notre pays devant rester une grande nation scientifique qui découvre, forme aux métiers d'aujourd'hui et de demain, innove et attire les talents dans un paysage international complexe, mouvant et compétitif. Le budget de mon ministère pour 2024 répond à ces nécessités de façon responsable, en respectant les engagements pris.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Je commencerai par évoquer les conséquences du rapport de la mission Gillet sur l'écosystème de la recherche et de l'innovation, qui vous a été remis en juillet dernier et pourrait constituer un tournant majeur dans la structuration de l'écosystème de la recherche française. En ligne avec les préconisations de ce rapport Gillet, le Gouvernement semble avoir décidé de donner à des organismes de recherche un nouveau rôle d'agence de programmes, ce qui constitue une évolution majeure. Avez-vous tiré le bilan de l'activité des alliances de recherche ? Nos organismes nationaux de recherche (ONR) pourront-ils exercer cette fonction en plus de celle d'opérateur de recherche ? Quel sera le rôle de ces agences de programmes par rapport aux alliances ? Quelle place occuperont les sciences humaines et sociales (SHS) dans cette nouvelle organisation ? Quel sera l'impact de cette réorganisation en termes budgétaires ? Qu'en est-il de la clause de revoyure ?

En ce qui concerne la LPR, quelles raisons expliquent les difficultés rencontrées pour atteindre les objectifs en matière d'installation des chaires de professeurs juniors ?

Enfin, j'en viens à la recherche biomédicale, qui a constitué un sujet important cette année. En effet, le président de l'Académie des sciences, Alain Fischer, a publié son rapport, intitulé « La recherche médicale en France, bilan et propositions », qui évoque l'affaiblissement progressif de la recherche française et souligne l'état préoccupant de notre recherche médicale. France Universités a également rendu un rapport. Par ailleurs, vous avez confié une mission à Raymond Le Moign et à Manuel Tunon de Lara sur la rénovation de la recherche biomédicale. Quel est l'état de vos réflexions sur la souveraineté de la France en la matière ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Je commencerai par saluer un budget globalement en hausse pour les crédits relatifs à l'enseignement supérieur et à la vie étudiante.

Cependant, les critères utilisés pour calculer les crédits alloués aux Crous et aux établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) ne prennent pas en compte la hausse de la fréquentation. Ainsi, les Eespig comptent un nombre d'étudiants en forte augmentation et leur dotation pour charge de service public ne représente qu'environ 5 % - soit 600 euros - de ce que coûte en moyenne un étudiant dans l'enseignement supérieur. Une révision des critères est-elle envisagée afin de garantir plus de transparence et une meilleure lisibilité ?

Par ailleurs, les mesures salariales du plan de protection des agents publics, dites « Guerini », seront compensées à hauteur de 50 % pour cette année, ce qui est une bonne chose. Cependant, ces mesures représentent une somme d'environ 150 millions d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur, qu'ils doivent financer sur leurs fonds propres, dont les évaluations varient entre 600 millions et 1 milliard d'euros. Ainsi, si une telle dépense devait être consentie chaque année, les établissements ne pourraient tenir que quelques années. Vous engagez-vous à une compensation intégrale à partir de l'année prochaine ?

J'en viens à la plateforme Soltéa de répartition du solde de la taxe d'apprentissage, lancée en 2023. Aux dires de plusieurs responsables d'établissements que j'ai entendus pendant la préparation de mon avis budgétaire, il s'agit d'une « catastrophe industrielle ». À la fin du mois d'août, environ 20 % du solde était versé sur les comptes des établissements d'enseignement supérieur alors que, habituellement, à la même période, le solde est réglé à environ 80 %. Les budgets ont été construits sur une forte incertitude qui crée de l'inquiétude chez les acteurs. De plus, pour la première fois, un fonds libre restera puisque les entreprises n'ont pas pu attribuer facilement les montants via la plateforme, en raison de difficultés techniques de lisibilité. Quelles sont les modalités d'attribution de ce fonds ? Quelles mesures seront prises pour éviter que les mêmes difficultés ne surviennent l'année prochaine ?

Enfin, il semble important de mettre en place rapidement une labélisation et une accréditation par l'État des nouvelles formations proposées dans l'enseignement supérieur. Notre commission a récemment organisé une table ronde sur l'enseignement privé et nous avons constaté la façon dont certaines officines s'accaparent un secteur en l'absence d'alternative, proposent des formations non reconnues par l'État, dont la qualité n'est pas contrôlée, et bénéficient ainsi de crédits. Serait-il possible de favoriser des labélisations et accréditations pour des établissements reconnus par l'État ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - En ce qui concerne le schéma d'emplois, nous avons rencontré des difficultés en matière de déploiement, en raison de la pandémie de covid, de problèmes d'acceptabilité et de mise en oeuvre. Cette sous-exécution était particulièrement visible au niveau des organismes nationaux de recherche, qui ont perdu environ 27 ETP. Cette situation a été bien identifiée, en particulier au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Cependant, si les données ne sont pas encore tout à fait consolidées pour 2023, la situation semble meilleure et les schémas d'emplois sont réalisés. En 2022, nous comptions déjà 474 ETP supplémentaires. Les schémas votés en PLF respectent la LPR. Les mesures emblématiques telles que les contrats doctoraux et les chaires de professeurs juniors doivent respecter le schéma et l'année 2023 inaugure une phase de régime permanent, qui permettra de créer ces postes.

L'augmentation des emplois scientifiques devrait donc être constatée comme prévu. En 2024, nous devrions compter 650 ETP supplémentaires issus de la LPR et 725 au total, en incluant les postes du CEA. L'objectif de 5 200 ETP supplémentaires entre 2021 et 2030 devrait être atteint. Pour 2024, 200 chaires pour professeurs juniors et 340 contrats doctoraux supplémentaires doivent être créés. Ainsi, ces derniers auront augmenté de 1 100 depuis 2020, suivant la trajectoire tracée par la LPR, que nous continuerons à suivre.

J'en viens au rapport Gillet et à la question des agences de programmes. Nous avons travaillé avec les organismes, les universités, France Universités et Udice. Nous proposons aux opérateurs de recherche que sont les établissements et les organismes d'exercer le rôle d'agences de programmes pour coordonner les autres acteurs sur une thématique particulière. Ce rôle de coordination sera formalisé par une lettre de mission et les agences ont vocation à remplacer les alliances de recherche, avec lesquelles le lien devra être fait pendant cette première année expérimentale. Une gouvernance simple et légère est proposée.

Les agences de programmes travailleront autour de thématiques, pas de disciplines. Il nous faudra mener une réflexion particulière sur le domaine des sciences humaines et sociales, mais celle-ci ne fera pas partie des agences de programmes, qui mettront les acteurs autour de la table pour relever des grands défis de société, et non pour guider des stratégies de disciplines.

En ce qui concerne l'impact budgétaire et global, vous avez mentionné des tâches supplémentaires. Certes, nous formaliserons les missions mais nous travaillerons davantage dans un cadre interministériel. Les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), aujourd'hui pilotés par un ou des ONR, pourraient constituer des projets scientifiques pilotés par ces agences. Il s'agit de formaliser ce qui est déjà fait pour traiter les grands défis avec l'ensemble des forces et des acteurs au niveau national.

Sur la question de la clause de revoyure de la LPR, nous prévoyons de vous présenter un bilan au début de l'année 2024. Ce bilan considèrera l'impact des mesures portant notamment sur les ressources humaines et l'ANR. Nous avons déjà conduit le travail en interne. Nous sollicitons à présent l'aide de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), mais aussi de l'OCDE, le bilan devant être envisagé dans un contexte européen et international.

Dans la mise en oeuvre de la LPR, nous avons déjà tenté de tenir compte de l'inflation, notamment en adoptant les mesures « Guerini », en élargissant le rehaussement des contrats doctoraux au stock des doctorants quand la LPR ne concernait que les entrants, ou en revalorisant la prime des enseignants agrégés et certifiés du secondaire affectés dans le supérieur (Esas) grâce à 50 millions d'euros supplémentaires. La réflexion est en cours et j'en présenterai l'avancement au moment du bilan.

Je reviens aux objectifs fixés en matière de chaires pour les professeurs juniors qui doivent ouvrir, après une période de contractualisation, sur des postes de professeurs ou de directeurs de recherche. Nous atteignons aujourd'hui le nombre fixé par la LPR, qui consacre plus de 1,3 milliard d'euros supplémentaires à ce dispositif, qui connaît un grand succès. En effet, nous avons compté près de 1 000 candidats pour 229 chaires ouvertes en 2021 et 2022, avant d'adopter le régime permanent des postes déployés. De plus, lors de ces deux premières campagnes, 49 % des lauréats venaient de l'étranger, alors que ce taux se situe entre 10 % et 15 % pour des postes de professeurs classiques. Ces chaires améliorent donc l'attractivité de nos postes. Elles sont également bénéfiques pour l'évolution de carrière des professeurs, selon les principes de repyramidage et de reconnaissance des missions accomplies, notamment pour les enseignants-chercheurs. Il faut cadrer ces nouveaux postes, sans oublier le reste.

S'agissant de la mission sur la rénovation de la recherche biomédicale, Anne-Marie Armanteras a remplacé Raymond Le Moign, devenu directeur de cabinet d'Aurélien Rousseau. La mission a donc pris un peu de retard et n'a démarré que début octobre. Il s'agit notamment de travailler à l'attractivité des carrières de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et nous avons déjà annoncé, avec Aurélien Rousseau, des mesures sur les retraites. Il faudra faire un bilan, en nous positionnant aussi par rapport à l'Europe et à l'international, en prenant en considération les résultats du plan Innovation Santé 2030, qui a permis la création de bioclusters ainsi que d'instituts hospitalo-universitaires (IHU) supplémentaires, lesquels constituent une force de frappe certaine en la matière. Pour entretenir le lien entre recherche fondamentale et recherche clinique, il faut associer l'ensemble des acteurs, dans les institutions mais aussi dans les laboratoires ou les hôpitaux. Il s'agit de regagner en souveraineté, ce que permettent notamment les 7 milliards d'euros du plan Innovation Santé, dont une partie porte sur la recherche et l'innovation et une autre sur le développement des marchés et de l'industrie. La mission considèrera ces enjeux au-delà du plan.

J'en viens à la question des critères. Je porte une attention particulière à la vie étudiante, ce que reflète ce budget. La première étape de la réforme des bourses a été accompagnée d'une enveloppe de 500 millions d'euros, pour agir dans les domaines de l'accès à la restauration, du logement, mais aussi afin de compenser le Cnous et les Crous pour les mesures salariales et les surcoûts énergétiques.

Pour réviser les critères, il s'agira d'abord de remettre à plat le modèle des bourses sur critères sociaux. La première étape a démarré et les étudiants peuvent déjà en mesurer les effets sur leurs comptes en banque. Par ailleurs, nous continuons de travailler avec le ministère des solidarités et des familles pour développer un nouveau modèle qui soit plus représentatif et qui permette d'aider plus et mieux ceux qui en ont le plus besoin. Il s'agit de revoir le périmètre d'attribution en faisant entrer des étudiants en difficulté. Nous avons donc choisi de ne pas appliquer un pourcentage d'augmentation aux échelons de bourse et avons préféré attribuer une somme de 37 euros, qui correspond à 6 % de l'augmentation de l'échelon le plus haut. Par ailleurs, cette première étape tient déjà compte de la question territoriale, puisque nous avons augmenté les montants de 30 euros par mois pour ceux qui étudient en outre-mer. En outre, quatre points supplémentaires sont attribués pour les étudiants en situation de handicap et les aidants.

La première étape ne constitue pas seulement une revalorisation, mais ouvre des pistes pour le nouveau modèle de bourses, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2025. La plateforme ouvrant en mars, il nous faudra être prêts au plus tard pour le début 2025. Il serait trop difficile d'y parvenir pour la rentrée 2024, d'autant que nous souhaitons rester cohérents avec le travail effectué par d'autres ministères sur la solidarité à la source et développer des références budgétaires communes pour disposer d'une vision globale des aides sociales.

En ce qui concerne les Eespig, vous l'avez dit : les subventions de l'État représentent un soutien très limité. Contrairement aux établissements publics d'enseignement supérieur relevant de mon ministère, les droits d'inscription jouent un rôle majeur pour ces Eespig, qui bénéficient d'un modèle économique plus souple. Pour autant, le PLF 2023 augmentait ses subventions de 1 million d'euros par rapport au PLF précédent, pour tenir compte de la hausse du nombre d'étudiants et de la reconnaissance de ces onze établissements dont les effectifs ont augmenté et que nous continuerons d'accompagner.

La plateforme Soltéa, gérée par la Caisse des dépôts et consignations, a été lancée cette année pour faciliter la collecte de la taxe d'apprentissage. Des dysfonctionnements sont apparus, auxquels l'État a tenté de remédier en temps réel. Cette première année de campagne donne lieu à un retour d'expérience et nous sommes bien conscients des difficultés rencontrées par les établissements comme par les industriels. Aujourd'hui, l'équivalent de 72 % des montants attribués en 2022 ont été affectés, ce qui témoigne de l'effort fourni. Dès l'année prochaine, les établissements auront accès beaucoup plus tôt à une visibilité des fonds alloués pour préparer leurs budgets. Le lien sera encore renforcé entre les industriels et les établissements. De plus, les contrôles seront développés pour éviter les fraudes, qui ont bloqué la plateforme cette année. Nous travaillons pour que les choses soient plus fluides.

Enfin, nous rencontrons avec certaines nouvelles formations privées un problème de manque de transparence, notamment en matière d'affichage des frais d'inscription, ou d'absence de cohérence pour des étudiants en formation initiale. Nous travaillons avec le ministère du travail, mais aussi avec des familles et des étudiants, pour renforcer des labels existants à court terme. Dans cette perspective, nous listons des critères de transparence en matière de prix et de conditions d'inscription, d'accompagnement et de gouvernance stable.

M. Laurent Lafon, président. - Une loi sera-t-elle nécessaire pour mettre en oeuvre la réforme des bourses ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Non. Il s'agit d'une réforme du modèle des bourses, qui ne relève pas du registre législatif.

M. Yan Chantrel. - On estime à 27 % le nombre d'étudiants vivant sous le seuil de pauvreté et nous devons répondre de façon urgente à cette précarité. À court terme, quel est l'impact des mesures prises en cette rentrée 2023 ? Vous aviez annoncé 35 000 étudiants boursiers supplémentaires et 140 000 étudiants passant à l'échelon supérieur ; où en est-on ? À plus long terme, deux propositions de réforme du modèle de bourses sur critères sociaux circulent. D'une part, une réforme systémique, défendue dans une tribune par quatorze présidents d'universités, prendrait la forme d'une allocation d'études, fondée sur l'idée d'un contrat avec les étudiants et inspirée du modèle danois. L'allocation permettrait d'offrir la garantie d'un revenu décent à tous les étudiants, ce qui favoriserait leur autonomie. D'autre part, une réforme paramétrique, proposée par le rapport de Jean-Michel Jolion sur la vie étudiante et la réforme des bourses, vise à généraliser une prime universelle de rentrée de 500 euros, à supprimer les échelons en faveur d'un mécanisme progressif sans rupture, à indexer le barème grâce à un mécanisme identique à celui qui est utilisé pour les aides sociales et à changer le revenu retenu pour le calcul, afin de privilégier le revenu fiscal de référence. Quelle option a votre faveur ?

M. Jean Hingray. - Je commencerai par saluer votre travail, madame la ministre : il est enthousiasmant de constater l'augmentation sensible du budget, même s'il reste beaucoup à faire pour les étudiants précaires.

J'associerai Pierre-Antoine Levi à ma première question, qui porte sur la loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. Le budget pour 2023 prévoyait 25 millions d'euros pour mettre en oeuvre la loi ; nous espérons 25 millions d'euros pour l'année prochaine. Ces dépenses supplémentaires ne devront pas se faire au détriment des projets lancés. Pouvez-vous revenir sur le calendrier d'adoption des décrets d'application de cette loi ? En ce qui concerne les hypothèses de travail, peut-on espérer passer de trois à cinq repas ?

Par ailleurs, en conséquence des conflits internationaux en cours, des universités ont subi de nombreuses dégradations ces dernières semaines, dont le coût peut représenter plusieurs centaines de milliers d'euros. Les frais engendrés pèseront-ils sur les budgets des universités ou les étudiants responsables seront-ils punis et intégrés au mécanisme de réparation ? Vous exercez un rôle par rapport aux présidents d'universités, qui ont bien répondu dans l'ensemble même si certains récalcitrants font preuve de lâcheté. Comment réaffirmer les valeurs de la République en ces temps difficiles ?

Mme Laure Darcos. - En ce qui concerne la biosanté, j'ai produit une note sur l'innovation thérapeutique en oncologie avec l'Opecst. Certains chercheurs ne peuvent terminer leurs essais cliniques. Il ne s'agit pas forcément de votre responsabilité et il faudrait que la mission « Santé » prévoie un fléchage vers la recherche.

Sur la question de la LPR et des chaires pour les professeurs juniors, je rappelle que les décrets d'application n'ont été adoptés qu'au bout d'un an et demi, ce qui a aussi ralenti la mise en oeuvre de la mesure. Qu'en est-il des CDI de mission, qui ont du mal à démarrer ? Ont-ils été abandonnés dans l'esprit de la loi ?

Enfin, je reviendrai une dernière fois - je l'espère - sur les logements d'étudiants réquisitionnés pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Sachant qu'une polémique latente demeure sur le sujet, pouvez-vous clarifier votre position ?

M. Pierre Ouzoulias. - Sur les questions de trésorerie, je peine à comprendre comment les universités pourraient amasser des trésors de guerre, au moment où elles font face à des déficits structurels qui, comme l'a noté Laurent Lafon, touchent principalement les universités nouvelles, souvent de province.

Je citerai l'exemple de celle de Créteil : l'effectif d'étudiants a augmenté de 20 % entre 2017 et 2022, la subvention pour charge de service public de seulement 8 %. Le déficit structurel est considérable - 10 millions d'euros - et conduit l'université à geler tous ses recrutements pour l'an prochain, avec, pour conséquence, un taux d'encadrement qui baisse et un niveau d'échec en licence sans doute appelé à s'accroître. De manière générale, il ne faut pas s'étonner du manque d'intérêt des jeunes pour les missions de recherche s'il n'y a aucune perspective d'embauche.

L'an dernier, madame la ministre, je vous avais alertée sur la situation de l'université de Nanterre et vous aviez débloqué des crédits. Cette année, je me permets de vous alerter sur celle de Créteil, avec, je l'espère, la même réussite.

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - C'est déjà fait, monsieur le sénateur !

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous en remercie.

Mme Monique de Marco. - Alors que la précarité étudiante s'installe durablement, il faut espérer que la réforme envisagée des bourses ne soit pas une énième rustine.

Vous avez confié une mission au professeur Jean-Michel Jolion sur les conditions de vie des étudiants. Ce rapport sera-t-il publié prochainement ?

Par ailleurs, accepteriez-vous d'envisager l'instauration d'une allocation d'autonomie universelle d'études et de demander à vos services de travailler sur un tel dispositif ? C'est une demande formulée par de nombreuses associations étudiantes et 14 présidents d'université se sont prononcés dans ce sens. Au moment où vous entendez remettre à plat le système des bourses, pourquoi ne pas en discuter ? Notre groupe a déposé une proposition de loi sur ce sujet qui sera examinée en séance le 14 décembre.

M. Max Brisson. - Au-delà des bilans dressés sur la LPR, un chiffre doit nous inquiéter, celui de la part des dépenses intérieures en recherche et développement, qui stagne à 2,2 % du PIB, un niveau inférieur à certains pays comme l'Allemagne - 3 % - ou la Suède - 3,5 %. Comment expliquez-vous cette stagnation ?

De nombreux investissements ont été réalisés pour assurer la protection des étudiants, des personnels et des biens sur les campus. Quel bilan tirez-vous des mesures déjà mises en oeuvre ? Ces investissements sont-ils suffisants ?

Je me permets enfin une remarque sans lien avec le budget. Je suis très choqué d'apprendre que, dans certains campus de mon pays, des étudiants vont en cours la peur au ventre parce qu'ils sont de confession juive. Des minorités agissantes, menaçantes, violentes font, ici et là, régner la terreur à force d'apologie du terrorisme ou de diffusion d'un antisémitisme d'ambiance tout à fait insupportable.

Je sais ce qu'est l'autonomie des universités ; je l'ai défendue ici même. Pour autant, la loi de la République doit s'appliquer partout et il est de votre responsabilité, madame la ministre, qu'elle le soit. Quelle mesure envisagez-vous de prendre pour lutter plus efficacement contre ce fléau de l'antisémitisme et contre ceux qui profèrent des menaces à l'encontre d'étudiants dans certains campus de France ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je vous remercie de vos propos liminaires et de l'implication dont vous avez fait preuve pour que la loi dont je suis à l'origine soit mise en application rapidement. La somme de 25 millions d'euros est une première étape, et nous espérons que les crédits pour les années suivantes évolueront de manière favorable. La discussion avec Bercy est, je le sais, compliquée, mais vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir dans ce dialogue car la précarité continue de gagner du terrain.

Je voudrais revenir un instant sur les propos de Max Brisson. Plusieurs étudiants m'ont fait part d'actes antisémites assez forts sur plusieurs universités toulousaines. À Toulouse Capitole, le président est intervenu rapidement : des sanctions ont été prises, avec signalement auprès du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce n'est pas le cas sur le campus du Mirail, bien connu pour ses tendances islamo-gauchistes, où plusieurs manifestations ont été tolérées, entraînant des débordements. Que comptez-vous faire ? Certains étudiants ne vont plus en cours par peur pour leur santé ou leur sécurité.

M. Jacques Grosperrin. - Les fonds de roulement des universités constituent des réserves importantes, mettant celles-ci en mesure de pouvoir engager des travaux de rénovation. Vous avez indiqué que vous seriez « vigilante » quant aux situations particulières. Quel sens donner à ce terme, quand on sait que la compensation accordée par l'État en lien avec les mesures salariales est insuffisante ?

Une somme de 500 millions d'euros est consacrée à la rénovation du parc immobilier universitaire, pour un besoin estimé à 7 milliards d'euros par France Universités et un tiers du parc à l'état de passoire énergétique. Alors que la France se veut un acteur de la transition écologique, ne serait-il pas intéressant de mettre en place un plan ambitieux dans ce domaine ?

Enfin, les annonces faites quant aux conditions de réquisition des appartements du Crous sont-elles budgétisées dans le PLF 2024 ?

M. David Ros. - Je salue votre volontarisme, madame la ministre, même si l'augmentation des crédits doit être pondérée de l'inflation et de la hausse des coûts de l'énergie.

L'accroissement des moyens devrait rassurer. Or, nous ressentons diverses inquiétudes dans la communauté scientifique.

Les premières sont liées aux statuts de chercheur et d'enseignant-chercheur, sujet récurrent, mais remis d'actualité par l'attente du rapport Gillet.

Les deuxièmes ont trait au sujet des fonds de roulement. Dès lors que l'on parle d'un effort exceptionnel ponctuel destiné à répondre à des problématiques structurelles, il faudrait un engagement à ce que, à compter de l'année prochaine, ces besoins structurels soient pris en charge par l'État, et ce d'autant que ces fonds pourraient servir à la rénovation énergétique des bâtiments.

Celle-ci, qui constitue une troisième source d'inquiétudes, m'amène à la question des postes d'excellence budgétés. Qu'en est-il des postes administratifs ? Les administrations des universités et centres de recherche manquent des compétences nécessaires pour pouvoir répondre à tous les enjeux. Ne faut-il pas, aussi, budgéter des postes de qualité dans ces secteurs très complexes, comme la rénovation énergétique ?

Que pouvez-vous nous dire sur les priorités face aux défis de santé, climatiques, énergétiques et numériques. Qu'envisageons-nous en termes, notamment, de travaux avec d'autres pays européens ou de liens entre recherche publique et recherche privée ?

Enfin, avez-vous des retours sur l'incidence de la réforme du bac et de Parcoursup sur la poursuite des études dans l'enseignement supérieur ? J'ai pour ma part constaté une baisse de l'orientation vers les mathématiques ou les sciences de la vie et de la terre. Quel travail est mené, avec le ministère de l'éducation nationale, pour favoriser ces filières et accroître, dans l'avenir, le nombre d'ingénieurs et de techniciens ?

Mme Catherine Belrhiti. - Parmi les coûts engendrés par la vie étudiante, le logement constitue la problématique principale. Alors que le nombre d'étudiants ne cesse de croître, le nombre de logements disponibles dans le parc locatif privé tend à diminuer. Ainsi, environ 250 000 logements manquaient à la rentrée et les loyers explosent. L'offre est aussi trop faible en cité universitaire et résidence universitaire : l'attribution est soumise à condition de ressources, mais le nombre d'étudiants boursiers est supérieur à celui des chambres en Crous ! Enfin, l'objectif de 12 000 rénovations d'ici à la fin du quinquennat est insuffisant par rapport aux besoins réels. Dans ce contexte, quelles mesures supplémentaires le Gouvernement entend-il prendre ?

M. Bernard Fialaire. - Le tutorat, dont on nous a beaucoup parlé, a toujours été salué comme une excellente idée. Mais où en est-on ? Et quelle ligne budgétaire pour ce tutorat ?

Mme Mathilde Ollivier. - Me joignant aux préoccupations exprimées sur la précarité étudiante, je souhaite également connaître votre position sur l'allocation d'autonomie universelle d'études que nous proposons.

L'attractivité de notre pays aux yeux des étudiants étrangers constitue également une de vos priorités. Or, en 2024, la période de forte activité des consulats en matière de délivrance de visas étudiants coïncidera avec les jeux Olympiques et Paralympiques, qui engendreront aussi une forte demande en visas. Cette situation a-t-elle été anticipée sur le plan budgétaire et organisationnel ?

Pouvez-vous faire un point sur l'état du parc universitaire et les objectifs en matière de rénovation thermique. Les besoins sont immenses et le défi de taille !

Mme Sonia de La Provôté. - Ma première question porte sur les agences de programmes. Quelles thématiques seront retenues ? Quelle articulation avec France 2030 et, sur la partie santé, avec l'Agence de l'innovation en santé ? Compte tenu du nombre croissant d'interlocuteurs, peut-être serait-il utile de dégager des orientations communes...

Ma deuxième question porte sur les masters. Nous devrions avoir le bilan de la rentrée et, en particulier, de l'activité de la plateforme MonMaster. Certains étudiants, on le sait, ont connu des difficultés. En sait-on plus aujourd'hui ? Existe-t-il toujours des filières en tension, comme celle du droit ? A-t-on avancé sur l'idée de travailler le contenu des licences en amont pour pouvoir garantir un accès au marché sans master ?

Mme Karine Daniel. - Je voudrais insister sur les enjeux en matière de précarité étudiante, en mettant l'accent sur les services de santé dans les universités. Il arrive que les plaquettes distribuées en début d'année ouvrent des perspectives de consultation ou de prise en charge, alors que les délais d'attente dépassent en réalité l'année universitaire...

Par ailleurs, la situation budgétaire des universités constitue effectivement un point d'alerte et les annonces faites ne sont pas de nature à rassurer les présidents et présidentes d'université. Les compensations sont partielles et floues sur certains aspects. La situation est alarmante. Pour ma part, j'évoquerai le cas de l'université de Nantes, qui a voté un budget en déficit de 11 millions d'euros pour 2023, alors que ses fonds de roulement sont parmi les plus faibles. Les équipes en sont à gérer des urgences et à faire des choix difficiles, alors que l'université devrait représenter aujourd'hui une ressource de taille face aux défis à venir.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Les Français ne peuvent qu'être fiers de leurs chercheurs. J'en veux pour preuve, encore, le prix Nobel de physique récemment attribué à Anne L'Huillier et Pierre Agostini. Cela étant, si l'on en croit le parcours de ces deux lauréats, ce n'est pas la France qui leur a permis d'atteindre un tel niveau. Avez-vous des pistes de travail pour faire en sorte que nos chercheurs nationaux continuent à travailler dans notre pays ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Je commencerai par la fin, en indiquant que nous pouvons nous réjouir des prix Nobel obtenus par nos chercheurs. Tout comme Alain Aspect l'an dernier, l'un des récents lauréats a effectué toute sa carrière en France et l'autre y a commencé sa carrière, avant de partir pour des raisons personnelles en Suède. Tous deux ont obtenu le prix Nobel sur une manipulation réalisée en France, au sein du CEA. Nous devons donc être fiers de ces récompenses, même si, c'est vrai, certains chercheurs partent et que l'attractivité doit rester un point de vigilance.

S'agissant de la précarité étudiante, je reviendrai tout d'abord sur le thème de la santé, notamment mentale. C'est en effet un point saillant depuis la crise du covid-19, nos jeunes ayant payé un lourd tribut à cette occasion. Je pourrai vous présenter, en 2024, le bilan qui va m'être adressé en décembre sur l'évolution des services de santé universitaires et qui traite, notamment, de la réduction des délais de visites ou de l'accès à tous les étudiants d'un même territoire. Le budget a été renforcé de 8 millions d'euros et 80 postes titulaires de psychologues ont été ajoutés dans les services en 2023. Enfin, nous avons demandé que le projet de recherche sur la santé mentale dit « Propsy » comprenne un volet dédié aux jeunes, en particulier aux étudiants.

Par ailleurs, plusieurs questions se posent s'agissant du modèle du système de bourses et j'y répondrai en trois points.

Premièrement, il est en effet urgent de traiter le problème de précarité étudiante, d'où la somme mise sur la table par le Gouvernement pour la première étape. Toutefois, les problématiques de précarité et d'autonomie n'appellent pas les mêmes mesures ni le même discours.

Deuxièmement, seul le Danemark a mis en place une allocation d'études, mais il faut prendre en compte le modèle dans son intégralité : ce pays compte beaucoup moins d'étudiants que la France ; son système d'entrée dans l'enseignement supérieur est plus sélectif ; l'allocation n'est versée qu'aux décohabitants.

Troisièmement, je suis personnellement contre un modèle d'allocation universelle et favorable à un modèle fondé sur des critères sociaux, même si je suis évidemment d'accord pour examiner toutes les solutions en faveur des étudiants. Sur un plan philosophique, nous avons la responsabilité d'inculquer aux étudiants, qui sont de jeunes adultes, les fondements d'un modèle social reposant sur la solidarité. Combattre la précarité étudiante, c'est aider mieux et plus ceux qui en ont le plus besoin : le système d'allocation universelle ne semble pas la meilleure solution pour cela. Sur un plan financier, un calcul très rapide montre qu'avec 2,4 millions d'étudiants en France, hors apprentis, 1 000 euros par étudiant pendant 10 mois, le budget atteindrait 24 milliards d'euros, soit le budget total de mon ministère. Ne vaut-il pas mieux conserver notre modèle et ses diverses formes d'allocations sociales - aides personnelles au logement (APL), demi-part fiscale, restauration universitaire -, plutôt qu'opter pour une règle unique coûtant extrêmement cher ?

Pour terminer sur cette question des bourses, je ne dispose pas de bilan final, mais à la fin du mois d'août, nous enregistrions 76 000 étudiants boursiers supplémentaires par rapport au même mois de l'année précédente, soit une croissance de 20 %. Cela ne signifie pas que nous resterons à ce niveau, mais nous sommes tout de même sur une pente positive, avec une croissance supérieure à ce que nous attendions.

Je suis par ailleurs tout à fait consciente des difficultés budgétaires de nos établissements. Je pense néanmoins que l'on peut relativiser ce que représente une somme de 600 millions d'euros, voire de 1 milliard d'euros, de fonds de roulement disponibles quand on la ramène à chacun des 130 établissements concernés.

Il est de bonne gestion de conserver des fonds de roulement face à des phénomènes inflationnistes ou aux risques de dépassements budgétaires inhérents à n'importe quel projet d'infrastructure. À cela s'ajoute, évidemment, l'autonomie des universités. Mais, depuis plusieurs années, nous constatons une progression régulière des fonds de roulement au moment des comptes du mois de mars. Par ailleurs, pour évaluer les fonds de roulement disponibles, nous avons bien retiré toutes les décisions prises en conseil d'administration ainsi que les 15 jours de réserve de précaution, en nous limitant aux seuls fonds disponibles pour les années à venir. Certes, ils pourraient typiquement être utilisés pour des projets de rénovation thermique - nous travaillons sur ces dossiers, notamment sur le tiers financement en lien avec la direction de l'immobilier de l'État -, mais pour l'heure nous avons des difficultés budgétaires, avec des problèmes de dettes, et il y a de l'argent disponible. J'insiste sur le caractère tout à fait exceptionnel de cette décision : ces fonds de roulement disponibles ne pourront pas être utilisés, sur les années suivantes, pour compenser la masse salariale.

J'ai annoncé, dans une interview récente au Parisien, une aide exceptionnelle de 3 millions d'euros pour la fin de gestion de l'université de Créteil, à laquelle s'ajoute une aide de 7 millions d'euros pour répondre à ses problèmes immobiliers. Il s'agit de sommes non négligeables.

Cela m'amène à la question des surcoûts énergétiques. Sur les 275 millions d'euros débloqués l'an dernier, 100 millions d'euros devaient être assis sur les coûts réels. Nous sommes donc en train de les distribuer. Je précise que ces surcoûts énergétiques, évalués en début d'année à 400 millions d'euros pour 2023, s'établissent à l'heure actuelle autour de 200 millions d'euros. Nous continuerons d'accompagner les établissements en 2024, mais il ne semble pas nécessaire, dans le contexte actuel, d'anticiper cet accompagnement.

Pour clôturer ce volet financier, j'insiste sur l'attention que nous portons au fait de ne pas pénaliser les projets ou les campagnes d'emplois des établissements avec cette autorisation exceptionnelle à utiliser les fonds de roulement pour compenser les efforts en matière de masse salariale.

S'agissant de la recherche, la mission confiée à Manuel Tunon de Lara et Anne-Marie Armanteras - mission commune du ministère de la santé et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - comportera bien un volet relatif aux budgets de recherche. Les agences de programmes ont vocation à réunir tous les acteurs autour de la table et à revoir les modalités de financement des budgets de recherche sur des enveloppes déjà existantes.

Je remercie ceux d'entre vous qui m'ont interrogée sur les jeux Olympiques et Paralympiques ; cela me permet de m'expliquer. L'accueil de cet événement planétaire engendre des besoins en termes de logements pour les agents qui viendront renforcer les services publics. Or, chaque année, 6 000 logements Crous se retrouvent vides à la fin du mois de juin en Île-de-France. Nous avons donc proposé de mettre 3 200 de ces logements à disposition, regroupés dans 12 résidences différentes. Nous avons choisi de déplacer les étudiants qui choisiront ces résidences car ceux qui restent en été le font souvent pour réviser d'éventuels concours prévus à la rentrée et leurs horaires ne nous semblent pas compatibles avec ceux d'agents publics tels que des pompiers, des membres des forces de l'ordre ou des agents médicaux. Nous leur proposerons des logements équivalents sans surcoût, en proximité, et enquêtons actuellement pour savoir à quel moment leur déménagement sera le moins dérangeant, étant rappelé qu'il s'agit de déménager une chambre étudiante, avec, en outre, un défraiement de 100 euros et 2 places offertes pour les jeux. Enfin, notons que nous récupérerons après l'événement 1 600 logements - 1 300 dans le village olympique et 300 à Lille - pour accroître l'offre de logement étudiant.

La question plus générale du logement comporte trois volets.

En matière de rénovation, nous avons lancé et financé un plan de rénovation des 12 000 logements étudiants restant à rénover, avec une enveloppe de 300 millions d'euros à l'échéance de 2027. Un complément de 25 millions d'euros a été apporté pour l'an prochain, et c'est sans compter le plan porté par le Crous.

En matière de construction de nouveaux logements étudiants, il manque environ 30 000 logements sur les 60 000 qui avaient été annoncés. Mais nous rencontrons des difficultés en termes de foncier et avons diligenté une mission sur le sujet. Nous poursuivons donc nos efforts. Nous avons déjà identifié du foncier pour bâtir 10 000 logements.

À ceux-ci, c'est le troisième point, s'ajoutent la surélévation de certaines résidences en cours de rénovation ou les projets en matière de résidences intergénérationnelles.

Nous travaillons bien, avec le ministère de l'éducation nationale, sur les réponses à apporter à la baisse d'attractivité de certaines filières. Je pense notamment à la formation des professeurs des écoles, au travail mené sur une orientation plus précoce et aux financements de France 2030 destinés à l'ouverture de formations d'ingénieurs ou sur des métiers en tension.

Nous travaillons également sur la question des postes administratifs dans le cadre des contrats d'objectifs, de moyens et de performance. Le plan France 2030 comprend par ailleurs un programme d'accélération des stratégies de développement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dit ASDESR, qui porte, par exemple, sur l'accompagnement des chercheurs dans les directions de projets européens, de développements économiques, de formations continues. Enfin, nous travaillons sur la montée en compétences des postes administratifs et techniques dans nos établissements ; nous pourrons en rediscuter lors de nos échanges sur le bilan de la loi de programmation de la recherche.

S'agissant du rapport Gillet, aucune modification des statuts de chercheur ou d'enseignant-chercheur n'est prévue.

Par ailleurs, les 25 millions d'euros cités par Pierre-Antoine Levi au titre de l'année 2024 constituent bien une somme supplémentaire. Nous allons travailler, d'abord, sur la multiplication des conventions pour donner accès à une restauration collective sur les campus, puis sur une carte de paiement prépayée pour les étudiants n'ayant pas accès à ces solutions de restauration. L'année 2024 nous permettra d'évaluer les coûts et le nombre d'étudiants concernés, ce qui nous offrira une meilleure perspective pour défendre le budget de 2025.

Comment expliquer la stagnation des dépenses de recherche et développement à 2,2 % de PIB ? C'est bien évidemment un point que nous devrons discuter dans le cadre du bilan de la loi de programmation de la recherche. Mais il faut bien faire la part entre ce que l'on dépense et ce que l'on injecte dans le système, et ce qui est de l'ordre du secteur privé et de l'ordre du secteur public. Or, alors que la France a perdu sur les dépenses de recherche publiques et privées, elle est très bien classée en matière d'investissement public. C'est donc une vraie question, qu'il faut regarder finement, et nous ferons un bilan sur le sujet.

Par ailleurs, nous ne lâchons rien sur les CDI de mission. Je reviens de Corse, où le président de l'université m'indique qu'il commence à y avoir fortement recours. La dynamique est donc en place.

Je tiens à clore ces réponses en évoquant la question du respect des valeurs de la République.

J'ai toujours défendu avec ferveur l'autonomie des universités et la liberté académique. Mais, je rejoins totalement les propos tenus : nos universités doivent aussi être les garantes des valeurs républicaines. J'ai écrit, le 8 octobre dernier, aux présidents de chacune d'entre elles pour rappeler ce cadre et donner une position claire : l'incitation à la haine ou à la violence, l'antisémitisme ou autres manifestations de cette nature n'ont pas leur place à l'université. Des consignes claires ont été données et nous avons construit un réseau entre les recteurs, les préfets et les présidents d'université, tel qu'on n'en a jamais vu, pour pouvoir réagir dès que possible : commissions disciplinaires, application de l'article 40, retrait des tags ou des affiches sur les campus. Pour reprendre l'exemple de l'université Toulouse 2, je précise que, pour pouvoir interdire une manifestation, y compris au sein d'une université, il faut des risques de troubles à l'ordre public et que, suite à la manifestation ayant eu lieu, la présidente a eu recours à la procédure de l'article 40. Donc, nous suivons ces phénomènes, avec des sanctions disciplinaires qui sont prises, et je peux vous assurer que, sur ces sujets, ma main ne tremblera pas.

Mais, pour finir sur un aspect plus positif, constatons aussi que, grâce à ce réseau performant et aux instructions claires, nous n'avons pas de réactions aussi catastrophiques que dans certains autres pays - ce qui n'enlève rien à la vigilance qui s'impose.

Concernant la question relative au bilan de la rentrée 2023 pour les masters, je ne dispose pas des éléments finaux. Mais, au moment de l'arrêt de la plateforme MonMaster, à la fin de l'été, le nombre de candidatures ayant reçu des propositions atteignait 156 000 candidats, soit 10 000 personnes de plus que l'an dernier, à la même date. Par conséquent, la plateforme fonctionne, même si elle peut être améliorée, sachant que nous avons ouvert plus de places en master que le nombre d'étudiants en licence, c'est-à-dire le nombre de candidats potentiels. Elle nous permettra d'établir une cartographie et d'identifier les territoires et les formations où les demandes sont trop nombreuses.

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