B. LE RÔLE STRATÉGIQUE DE L'AUDIOVISUEL EXTÉRIEUR DANS UN MONDE GAGNÉ PAR L'INSTABILITÉ ET LA VIOLENCE

La guerre en Ukraine, la déportation des Arméniens du Haut-Karabagh, puis l'attaque du Hamas sur Israël ont ouvert en quelques mois une nouvelle page de l'Histoire marquée par la remise en cause du droit international, des déchaînements de violence désinhibée et la multiplication des campagnes de désinformation. Dans ces conditions, l'existence d'un pôle audiovisuel extérieur puissant devient un atout considérable pour un pays comme la France et il apparaît indispensable de lui donner des moyens adaptés à ses missions. Or tout laisse penser que cet indispensable sursaut devra encore attendre.

Il n'est pas exagéré, en effet, de considérer que l'audiovisuel extérieur ne constitue toujours pas une priorité pour les autorités françaises au moment même où, selon l'expression de la présidente de France Médias Monde, « la démocratie régresse dans le monde et que l'ordre international est remis en cause ».

1. Face à la multiplication des conflits notre audiovisuel extérieur est invité à faire à moyens constants

Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine l'audiovisuel extérieur a dû trancher la question des moyens mobilisables pour en assurer le suivi. Après avoir mobilisé des moyens exceptionnels à partir de février 2022, TV5 Monde a dû réduire la voilure au second semestre compte tenu de ses faibles marges de manoeuvre budgétaires pour se recentrer sur ses priorités stratégiques. De la même manière, en 2023, les crises au Sahel ont été traitées avec les moyens habituels grâce à une très forte mobilisation de l'encadrement, des équipes de l'information de TV5 Monde et de ses correspondants en Afrique.

La mobilisation des équipes de FMM depuis le début de la guerre en Ukraine a également eu pour conséquence des dépassements budgétaires qui ont néanmoins pu être financés par une hausse de la publicité numérique dont le chiffre d'affaires a cru parallèlement aux audiences.

Aucun financement exceptionnel n'a été accordé à FMM et TV5 Monde afin de hisser leurs moyens pour leur permettre de répondre à une nouvelle donne qui se révèle pourtant de plus en plus structurelle et durable. Sur le terrain, le décrochage des moyens est de plus en plus notable tant avec les médias occidentaux (BBC, DW) qu'avec les nouveaux médias d'État qui diffusent la propagande russe, chinoise ou turque.

Alors que le Monde s'emballe et que de nombreux acteurs ont basculé en « économie de guerre médiatique » la France donne le sentiment de gérer les affaires courantes avec les moyens du bord.

2. Un audiovisuel extérieur sujet à la censure et aux tentatives de déstabilisation

La dégradation de la situation internationale a des effets directs sur les conditions de travail de notre audiovisuel extérieur qui est confronté à des coupures et des censures en Russie, au Mali, au Burkina Faso et plus récemment au Niger (voir annexe du présent rapport). Monte Carlo Doualiya a vu sa diffusion suspendue au Soudan en 2023 et en Libye en 2022.

FMM n'entretient plus de correspondance au Mali et le recours exclusif aux seuls correspondants locaux expérimentés est de mise au Burkina Faso, au Niger et en Iran.

Ces actions hostiles sont la conséquence de la puissance et de l'indépendance des différentes antennes de France Médias Monde selon sa présidente Marie-Christine Saragosse. FMM fait tout son possible pour contourner ces censures (ondes courtes, réception satellitaire directe, diffusion sur les réseaux sociaux...) mais le groupe considère que les audiences numériques ne compensent pas entièrement les pertes liées aux coupures.

Au-delà de la censure, FMM est également confronté à un risque sécuritaire croissant avec une mise en cause des journalistes sur le terrain mais également dans les univers numériques (haine en ligne, risque cyber, harcèlement, cyber attaques...). Le groupe doit faire face à toutes sortes d'attaques, d'instrumentalisations et de manipulations destinées à le décrédibiliser qui sont initiées par des régimes qui ne respectent aucun principe déontologique.

Les actions de déstabilisation à l'encontre de TV5 Monde sont plus difficiles à organiser puisque la chaîne internationale francophone diffuse par définition une pluralité d'opinions. La chaîne se voit cependant régulièrement reprocher par les autorités chinoises de ne pas laisser suffisamment de place à leur point de vue officiel. Quant à la Russie, elle nourrit une forte hostilité à l'endroit de TV5 Monde et lui interdit d'être diffusée en Russie.

La Russie développe également en Afrique des actions de désinformation massives qui peuvent prendre la forme de vidéos réalisées par le groupe Wagner visant à dénigrer violemment la France pour attiser le rejet des populations locales. L'Algérie constitue par ailleurs l'une des principales sources de désinformation à l'égard de la France et des médias français.

TV5 Monde a réussi néanmoins à maintenir une diffusion en Russie auprès de 1,7 million de foyers par le biais du satellite HB13 qui permet également à 1,4 million de foyers ukrainiens de recevoir le signal de la chaîne. À noter qu'en Afrique TV5 Monde reste parfois la seule chaîne francophone d'information indépendante lorsque les antennes de France 24 et de RFI sont coupées. La chaîne francophone doit ce traitement spécifique au fait qu'elle a une forte présence locale en tant qu'acteur de la production audiovisuelle locale et qu'elle joue un rôle important dans la diffusion audiovisuelle africaine.

À noter, par ailleurs, que les cyber-attaques demeurent nombreuses et quasi-quotidiennes. FMM a ainsi connu deux cyber-attaques très sérieuses en juin 2021 qui ont pu être maîtrisées avec le concours de l'ANSSI. L'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public partage une expertise commune depuis l'attaque d'origine russe qui a endommagé gravement les systèmes de TV5 Monde les 8 et 9 avril 2015.

Protéger nos journalistes : une priorité quotidienne pour nos opérateurs et le MEAE

Face à la montée des menaces les rapporteurs ont souhaité examiner les procédures mises en place afin de protéger les journalistes et les autres personnels en poste dans les zones dangereuses. Si les risques ont toujours existé, la nature des menaces ne cesse de se diversifier. Le harcèlement, notamment sur internet et les réseaux sociaux, se généralise tandis que le risque d'arrestation ou de détention arbitraire demeure important ainsi que celui d'enlèvement ou d'atteinte à l'intégrité physique.

La mise en cause des journalistes peut intervenir à l'occasion de la réalisation d'un reportage ou d'une enquête sur un sujet sensible mais elle peut aussi résulter du traitement à l'antenne d'un thème clivant ou refléter une contestation plus générale de la ligne éditoriale par les autorités.

L'obtention des visas journalistiques et des accréditations devient plus difficile et leur retrait ou leur suspension intervient plus systématiquement dès lors que la couverture éditoriale de l'actualité déplaît aux autorités concernées.

Afin d'accroître le niveau de vigilance et adapter les attitudes à tenir, FMM a mis en place depuis plusieurs années une direction de la sûreté dédiée exclusivement à ces questions qui d'une part recueille des informations très précises sur la situation sécuritaire dans les zones concernées et propose aux journalistes des formations adaptées. Le Centre de crise et de soutien (CDCS) du MEAE intervient en lien direct avec la direction de la sûreté de FMM qui apporte son expertise à l'ensemble de l'audiovisuel public mais également privé lorsque des personnels sont en difficulté sur le terrain.

Le rôle de la direction de la sûreté de FMM est devenu fondamental à tous les stades de l'action des journalistes sur le terrain. La phase préparatoire permet de mesurer le rapport entre la valeur de l'information recherchée et les risques encourus et d'étudier les dispositions de sécurité. Lors de la mission, un suivi 24/7 est organisé avec des contacts plusieurs fois par jours. Enfin un débriefing complet est assuré après chaque mission.

Au 30 octobre 2023, FMM aura formé 185 journalistes et techniciens extérieurs au reportage en zone dangereuse (ZD) dont 67 appartenant à un média public.

Les rapporteurs souhaitent apporter leur plein et entier soutien aux équipes de France Médias Monde et de TV5 Monde qui défendent partout l'indépendance de l'information face à des régimes souvent sans scrupules et disposant de moyens de déstabilisation considérables.

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