LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 13 octobre 2022

Conseil national de l'enseignement agricole privé : MM. Jean SALMON , président, et Philippe POUSSIN , secrétaire général.

Jeudi 20 octobre 2022

• Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire - Direction générale de l'enseignement et de la recherche : MM. Benoît BONAIMÉ , directeur général, Luc MAURER , directeur général adjoint, chef du service de l'enseignement technique agricole, Cédric MONTESINOS , sous-directeur des établissements, des dotations et des compétences, et Denis DEBAT , chargé de la cellule d'appui au pilotage.

• Table ronde des acteurs de l'enseignement public agricole :

- SEA-UNSA : M. Stéphane ROBILLARD , secrétaire général adjoint ;

- SNETAP FSU : Mmes Laurence DAUTRAIX , secrétaire générale adjointe, secteur politique scolaire et laïcité, et Clémentine MATTEI , co-secrétaire générale, et M. Olivier BLEUNVEN , secrétaire général adjoint Pédagogie Vie Scolaire ;

- SGEN-CFDT : MM. Alexis TORCHET , secrétaire national, et Jean-Philippe LACHAIZE , délégué syndical.

Mercredi 26 octobre 2022

Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation : MM. Dominique RAVON , président, et Roland GRIMAULT , directeur.

ANNEXE

Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

MERCREDI 16 NOVEMBRE 2022

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M. Laurent Lafon, président . - Monsieur le Ministre, nous vous recevons aujourd'hui en vue de l'examen, par le Sénat, des crédits consacrés à l'enseignement agricole dans le projet de loi de finances pour 2023. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation qui nous permet de renouer avec un rendez-vous que nous avions quelque peu mis entre parenthèses depuis 2019, date à laquelle l'un de vos prédécesseurs, Didier Guillaume, était venu nous présenter les contours de ce budget.

Vous savez que notre commission est très attachée à la place de l'enseignement agricole et particulièrement attentive à l'évolution des crédits qui lui sont alloués. Notre commission s'est ainsi fortement mobilisée, avec un certain succès, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, pour dénoncer les risques qu'encourrait l'enseignement agricole si le schéma de rationalisation des moyens envisagé et la trajectoire budgétaire retenue par le gouvernement n'étaient pas amendés.

Certains de mes collègues ont par ailleurs activement participé aux travaux de la mission d'information lancée l'an dernier par groupe RDSE, dont Nathalie Delattre était rapporteure, qui a formulé 45 propositions visant à préserver un enseignement agricole de qualité, dans l'intérêt des filières agricoles et alimentaires, au nom de la cohésion des territoires.

Vous aurez sans doute l'occasion de nous indiquer dans quelques instants si les difficultés identifiées à l'occasion de cette mission, parmi lesquelles la concurrence que se livrent les établissements entre eux ou qu'ils rencontrent avec des formations de l'éducation nationale, la diminution continue des ETP qui a perturbé la mise en oeuvre de la réforme du baccalauréat ou encore les pertes financières enregistrées par certains d'entre eux du fait de la crise sanitaire, demeurent toujours d'actualité.

Monsieur le ministre, je vous laisse à présent la parole !

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Monsieur le président, je tenais tout d'abord à vous remercier pour votre invitation car cette audition va nous permettre, je l'espère, d'échanger de manière approfondie sur les enjeux de l'enseignement agricole, qui est selon moi une des spécificités et une des fiertés de notre politique éducative.

Plus encore, l'enseignement agricole est un puissant vecteur de reconquête de notre souveraineté alimentaire. Il est un atout inestimable pour que l'impératif de lutte contre le dérèglement climatique irrigue notre société toute entière et que les secteurs agricole, alimentaire et forestier accélèrent encore les transitions dans lesquels ils se sont engagés.

Ceci est d'autant plus vrai que notre enseignement agricole bénéficie d'un véritable enracinement local. C'est d'ailleurs l'une de ses spécificités, avec 800 établissements présents partout en France, dans l'hexagone et en outre-mer. Ces établissements sont en lien étroit et quotidien avec le monde agricole et rural, les collectivités territoriales, ainsi que les organismes de recherche. Cet ancrage territorial est une vraie force pour expérimenter, innover, inventer l'agriculture de demain. Pour ce faire, l'enseignement agricole dispose de 250 exploitations agricoles ou ateliers technologiques dans des établissements divers. Il s'agit de supports concrets de formation et de diffusion de pratiques innovantes.

Je voudrais commencer par évoquer la rentrée 2022 pour saluer la dynamique remarquable de notre enseignement agricole dont l'attractivité grandissante ne se dément pas, avec une large palette de formations, un taux de réussite et d'insertion professionnelle particulièrement élevé, un accueil et un accompagnement de qualité qui séduisent des jeunes aux profils de plus en plus variés. Nous ne le dirons jamais assez : aujourd'hui 44 % des élèves de l'enseignement agricole sont des filles et 90 % des élèves de l'enseignement agricole ne sont pas issus d'une famille agricole. L'année scolaire 2022-2023 est marquée par une augmentation globale du nombre de jeunes suivant une formation de l'enseignement agricole, de la quatrième au diplôme d'ingénieur et de vétérinaire, en formation initiale scolaire ou par la voie de l'apprentissage. Dans la démographie globale que nous connaissons, il s'agit d'un élément à souligner, bien que cette augmentation soit disparate selon les filières.

Ces évolutions témoignent d'une véritable prise de conscience de notre jeunesse pour laquelle l'agriculture est essentielle, au sens premier du terme. Elle est essentielle par sa vocation productive et nourricière - la crise sanitaire et la guerre en Ukraine l'ont souligné, s'il était besoin de le faire. Mais elle l'est également parce qu'elle est source de solutions dans un contexte de changement climatique, qu'elle est porteuse de sens pour beaucoup de jeunes et d'une manière de voir la société et par conséquent d'une possibilité de la changer. Tout en préservant ce qui fait la compétitivité et l'excellence de notre agriculture, nous devons aussi faire notre cette vision que porte notre jeunesse. Un agriculteur ou un forestier n'est pas un acteur économique tout à fait comme les autres. Par la relation singulière qu'il entretient avec la terre, la nature, le vivant le végétal, la forêt, le bois et par sa capacité à réinventer des pratiques séculaires, il est avant tout un entrepreneur du vivant et un acteur des grands défis de notre temps qu'ils soient climatiques ou sociétaux.

À cet égard l'enseignement agricole est, avec les investissements massifs portés dans le cadre de France Relance et de France 2030, l'une des pièces maîtresses pour anticiper les profonds bouleversements à l'oeuvre. Il permet de penser les futures installations dans une perspective de transition écologique et énergétique en formant des agriculteurs passionnés qui seront en même temps des citoyens éclairés. Je voudrais dire ma profonde reconnaissance au personnel du ministère. Plus de 18 000 fonctionnaires oeuvrent au service de notre enseignement agricole. Je souhaite devant vous les remercier pour leur engagement sans faille au service de l'avenir de nos jeunes et de celui de notre agriculture et de nos forêts.

Avant d'évoquer les éléments budgétaires du programme stricto-sensu, je voudrais partager avec vous mes priorités politiques pour l'enseignement agricole.

En premier lieu, l'enseignement agricole sera un outil majeur au service et au coeur du projet de pacte et de loi d'orientation d'avenir pour l'agriculture. Sa modernité, la capacité d'évolution permanente dont il a su faire preuve en font l'un des leviers les plus pertinents pour avancer en ce domaine. Cela suppose qu'une mobilisation conjointe de tous les acteurs de l'orientation des jeunes soit assurée pour que chaque élève de collège connaisse les opportunités de formation et de métiers qui existent dans l'enseignement agricole.

Le deuxième enjeu important à mes yeux est celui de la formation des vétérinaires. Il nous faut en former davantage. Aujourd'hui, plus de 50 % des vétérinaires exerçant en France sont formés à l'étranger. Aussi, pour consolider le maillage territorial vétérinaire - élément déterminant pour améliorer la condition d'exercice de la profession mais aussi pour continuer à assurer la sécurité sanitaire - mon ministère continuera à augmenter le nombre de places au concours véto. À l'horizon 2030, avec cette nouvelle augmentation des promotions et l'ouverture à la rentrée de 2022 de l'école vétérinaire privée d'intérêt général de Rouen, 840 vétérinaires seront formés par an en France, soit 75 % de plus qu'en 2017. L'objectif est que ces nouveaux recrutements d'étudiants soient adaptés aux réalités du métier de vétérinaire. Mon ministère amplifiera le concours véto post-bac, qui répond pleinement aux préoccupations de jeunes générations notamment celles issues de milieux ruraux ou moins favorisés qui hésitent de plus en plus à s'inscrire dans un cursus généraliste de classes préparatoires, préférant dès le bac s'orienter dans des cursus intégrés conduisant en 6 ans au métier de vétérinaire praticien notamment en rural. Cette avancée s'inscrit dans un contexte plus global de feuille de route pour lutter contre la désertification vétérinaire, qui fait d'ailleurs singulièrement écho à la désertification médicale. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la journée nationale vétérinaire avec l'ensemble des parties prenantes.

Le troisième enjeu est celui du projet de réforme de la voie professionnelle, porté par ma collègue Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnelle. L'enseignement agricole pourra bénéficier de pistes évoquées dans le cadre de la concertation en cours, notamment la mise en place dès la 5 ème d'une demi-journée intitulée « Avenir », dédiée à la découverte des métiers, notamment techniques manuels ou relationnels. Tous les métiers auxquels l'enseignement agricole prépare devront être mises en avant. Il s'agit d'une opportunité majeure pour faire connaître l'enseignement agricole et recruter davantage d'élèves dans des métiers qui en ont besoin. La perspective potentielle que les moyens soient réorientés sur les métiers en tension permettrait de valoriser l'enseignement agricole qui, de fait, prépare à des métiers en tension (dans la production et dans la transformation) mais aussi aux services aux personnes en milieu rural.

C'est dans ce contexte, afin de préfigurer ces orientations et à l'aune des enjeux que j'ai évoqués, qu'il convient d'examiner le budget des programmes 142 et 143 dont je voudrais vous présenter les axes forts.

En 2023, ce sont 2,02 milliards d'euros de budget qui seront consacrés à l'enseignement agricole, avec 1,6 milliard d'euros pour l'enseignement technique et 0,42 milliard d'euros pour l'enseignement supérieur. À ces moyens budgétaires s'ajoutent ceux du compte d'affectation spéciale au développement agricole et rurale (CASDAR), qui représentent 660 millions d'euros. Sans présenter toutes les évolutions budgétaires, je me permettrai d'insister sur trois points qui me semblent devoir être valorisés.

Le premier point est la poursuite du plan pluriannuel de renforcement de la capacité d'accueil des quatre écoles nationales vétérinaires engagé en 2022. La taille des promotions de chacune des quatre écoles nationales d'Alfort, de Lyon, de Nantes et de Toulouse sera portée à 180 étudiants formés, recrutés sur concours, en favorisant la diversité sociale et géographique des lauréats. Afin de maintenir des conditions de formation de qualité, les écoles nationales vétérinaires bénéficieront d'une dotation d'État de 8 ETPT supplémentaires d'enseignants ou praticiens hospitaliers par an sur 2023-2025. Elles pourront renforcer leurs équipes pédagogiques et techniques en ayant les moyens de recruter 12 agents supplémentaires par an sur 2023-2025.

Le deuxième point concerne les 10,3 millions d'euros supplémentaires consacrés à l'accueil des élèves en situation de handicap, qui participent à la hausse substantielle des moyens de l'enseignement technique agricole. Cela fait écho à la nature même de l'enseignement agricole qui porte une attention particulière au cheminement de chaque apprenant et qui s'est toujours distingué par son caractère inclusif. 4 377 jeunes sont ainsi aidés en 2021-2022. 1 252 ETP sont prévus pour les assistants d'éducation (AED), 1 007 pour les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Il s'agit d'un élément de progrès majeur que je tenais à souligner en cette semaine du handicap, dont la clôture se déroulera d'ailleurs au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. En outre, 3,4 millions d'euros supplémentaires seront alloués à l'amélioration de l'encadrement et de la surveillance des élèves, notamment pour l'internat qui est l'autre grande spécificité de l'enseignement agricole par rapport à la filière générale. Je souhaite rappeler également que les enseignants bénéficieront de mesures pour revaloriser leur métier.

Enfin, avec 3,69 millions d'euros supplémentaires, le budget 2023 renforce le dispositif médico-social au bénéfice des élèves et étudiants de l'enseignement agricole technique. Il s'agissait d'une nécessité, notamment au regard de l'épreuve de la crise sanitaire et du confinement. Il convient plus largement de répondre aux besoins d'information des jeunes, d'écoute, de repérage de leurs éventuelles difficultés. Je continuerai de porter une attention toute particulière à ce sujet dans le cadre du dialogue social, en lien avec les équipes éducatives, comme je l'ai rappelé aux organisations syndicales du ministère.

Au-delà de ces avancées, je voudrais également évoquer brièvement le sujet de la recherche, sur lequel je sais que votre commission est attentive. Le plafond du CASDAR est maintenu à 126 millions d'euros, mais j'ai obtenu de bénéficier de l'excédent de recettes 2022, qui devrait représenter 17 millions d'euros. Cela permettra de renforcer le financement des actions entreprises par les organismes impliqués dans la recherche appliquée et le développement pour favoriser l'adoption d'innovations et de changements de pratiques soutenant en particulier les transitions agro-écologiques.

En conclusion, je souhaiterais évoquer devant vous le pacte d'avenir et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricole annoncé par le président de la République le 9 septembre dernier, sur lequel nous aurons l'occasion de travailler ensemble. Trois des quatre axes de travail en effet annoncés concernent votre commission au premier plan : l'orientation et la formation ; la transmission et l'installation ; et la transition et l'adaptation face aux changements climatiques, notamment par la recherche et l'innovation.

Je voudrais tout d'abord vous faire part d'une conviction : je crois profondément que réussir le défi du renouvellement des générations nous impose collectivement de valoriser la vocation d'agriculteurs et de salariés en agriculture ou en agro-alimentaire. Il s'agit d'une question d'image de la profession et d'attractivité. Il faut que nous disions ensemble à ces jeunes qu'ils vont exercer des métiers qui ont du sens, qui vont leur permettre de jouer un rôle déterminant dans les transitions à l'oeuvre en faveur des pratiques agricoles plus résilientes et plus durables, de nouveaux modèles alimentaires ou de la préservation de nos ressources, de la biodiversité, de nos forêts et de leur permettre de s'inscrire dans une démarche citoyenne de long terme. L'enseignement agricole peut et doit participer à tous ces défis.

Au-delà des moyens supplémentaires accordés à l'enseignement agricole par ces programmes, plusieurs orientations importantes ont déjà été esquissées dans la perspective de ce texte important. Il a d'abord été annoncé la création d'un fonds de 20 millions d'euros pour l'enseignement agricole, dédié à l'innovation pédagogique et au développement de formations nécessaires aux compétences de demain. Une autre orientation concerne la création d'un fonds entrepreneurs du vivant France 2030, doté de 400 millions d'euros pour soutenir le portage du foncier agricole et les installations en transition. À mon sens, la question n'est pas tant la transmission-reprise mais la transmission-transition pour faire en sorte d'installer des jeunes dans des systèmes agricoles résilients face aux dérèglements climatiques en particulier. Enfin, ce texte devrait comprendre la création d'un réseau France installations agricoles pour mieux accompagner chaque personne souhaitant s'installer en agriculture et pour mettre en place un réseau d'incubateurs d'entrepreneurs et d'entreprises agricoles innovantes. Comme je l'ai déjà rappelé, beaucoup de jeunes s'inscrivant dans nos établissements scolaires ne sont pas issus du monde agricole. Cela est une gageure importante pour nous en matière d'ouverture et d'adéquation avec ces attentes nouvelles. Pour assurer le défi du renouvellement, il y a là un vivier qu'il nous faudra évidemment explorer.

Enfin, je voudrais terminer en vous présentant le calendrier de la large concertation qui sera engagée sur le pacte. La préparation de la concertation est en cours. Elle se déroulera jusqu'au 7 décembre, date à laquelle je lancerai formellement la concertation, en lien notamment avec les organisations professionnelles agricoles et les chambres d'agriculture, avec tous les acteurs, les ONG, les interprofessions et la distribution. Le but est de construire un diagnostic consensuel et partagé sur les grandes tendances de fond liées à l'enjeu de renouvellement des générations. Les régions seront également associées. Compte tenu des compétences qui leur sont conférées dans la réforme de la PAC, elles auront un rôle éminent à jouer tant sur la formation que sur l'installation ou l'accompagnement par les investissements des agriculteurs ou des entreprises agro-alimentaires.

S'en suivra jusqu'en avril 2023 un deuxième temps de concertation que j'ai souhaité de niveau national mais aussi de niveau régional car nombre de nos enjeux agricoles sont liés à des spécificités régionales (zones de plaine, zones de montagne, zones impactées par le dérèglement climatique et celles qui le seront moins). Nous avons besoin d'instaurer un dialogue entre les chambres d'agriculture, les régions et l'État pour affiner la planification au niveau régional. Nous travaillerons avec les conseils régionaux sur la déclinaison des enjeux et des outils dans une logique de planification et d'adaptation locales. À la fin du 1 er semestre 2023, nous aurons bâti ensemble le pacte d'avenir entre les générations. Le projet de loi sera la traduction de ce pacte s'agissant des éléments législatifs nécessaires.

Le pacte et le projet de loi auront pour objectifs d'orienter, de former en nombre et en compétence, de rendre possible la transmission et l'installation, le tout en s'assurant que ces femmes et ces hommes salariés et exploitants, cédants et entrepreneurs, disposent de l'accompagnement, des innovations et des moyens pour répondre aux grandes évolutions de l'agriculture. Il s'agit bien d'un enjeu de souveraineté dont l'enseignement agricole est une clé de voûte.

Je voudrais avoir un dernier mot pour les enseignants qui jouent un rôle éminent pour réussir ces transitions. Ils seront les acteurs mais aussi parfois les inspirateurs des décisions que nous devrons prendre.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur les crédits de l'enseignement technique agricole . - Je présenterai demain à notre commission le rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'enseignement agricole du projet de loi de finances 2023. Je saluerai l'augmentation des crédits. Pour compléter mon avis, j'ai néanmoins encore plusieurs questions.

Je suis assez inquiète de la baisse drastique des crédits en faveur des aides sociales aux élèves. Certes, le nombre d'élèves a diminué. Mais ces élèves ne sont-ils pas plus en difficulté compte tenu de l'éloignement de ces établissements ? Un fonds lycéen existe dans l'éducation nationale. Ne serait-il pas possible de créer un fonds semblable dans l'enseignement agricole ?

Ma deuxième question porte sur la communication. Une ligne budgétaire de presque 10 millions d'euros était prévue dans le dernier PLF pour lancer le camion « l'aventure du vivant ». On ne sait plus désormais où est ce camion : il est toujours orange mais reste beaucoup plus discret. Les spots publicitaires sont beaucoup moins nombreux. Vous inscrivez dans le PLF 2023 des crédits de seulement 2 millions. Alors que nous avions salué cette hausse de la communication, il faut maintenir celle-ci sur la durée car c'est en persévérant dans la communication que nous en aurons des retombées. Quelles sont donc vos axes de propositions ? Une de nos propositions, qui n'est pas très chère mais qui est attendue depuis longtemps, consisterait à rendre obligatoire une présentation de l'enseignement agricole à tous les collégiens et pas seulement à quelques collégiens triés sur le volet.

Ma troisième question porte sur les ETP. Je salue le fait qu'il n'y ait pas de diminution d'ETP mais même une hausse. Avec une augmentation de 15 postes, cela implique pour le médico-social environ une personne par région. Or, compte tenu de la taille de nos régions - je pense notamment à la Nouvelle-Aquitaine - un poste ou même deux postes pour 12 départements paraissent très faibles. Je m'interroge aussi sur le statut sous lequel seront recrutés ces ETP. Dès que cela vous sera possible, pourrez-vous nous communiquer les éléments anticipés sur les recrutements futurs ?

Nous perdons beaucoup de jeunes dans les formations pour le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA). Il s'agit du seul brevet en France se déroulant sur 2 ans. Nos jeunes sont désormais bien intégrés dans le système LMD (licence, master, doctorat) en trois ans. L'évolution en trois années du BTSA paraît donc aujourd'hui une évidence. Il faut cependant se mettre autour de la table pour commencer à travailler sur cette évolution. Monsieur le ministre, serez-vous le ministre de l'engagement de ce travail sur le BTSA ?

Enfin, quand nous débattons du programme 143, est présent au banc le ministre de l'éducation nationale, qui peut certainement comprendre nos interrogations mais qui n'a pas toujours les éléments pour y répondre. Nous avions obtenu des ministres Blanquer et Denormandie qu'ils soient présents au banc tous les deux pour le prochain PLF. Pouvez-vous nous confirmer que Pap Ndiaye et vous serez tous les deux au banc pour la présentation de notre avis sur l'enseignement agricole ?

Mme Laure Darcos . - Je remercie Nathalie Delattre pour l'important travail qui a été fourni.

En tant que rapporteure sur la recherche, je connais le travail réalisé avec l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Il faut le poursuivre. Dans le cadre de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2023, nous avions voté le 1 % pour la culture scientifique. Vous pouvez aussi agir de votre côté avec l'INRAE en faveur de la culture scientifique. Or, nous nous sommes rendu compte lors de nos auditions que l'éducation nationale ne fait pas son travail pour développer ce 1 % pour la culture scientifique. J'espère que, s'agissant du ministère de l'agriculture, ce travail sera fait.

J'ai des remontées d'agriculteurs qui estiment que les jeunes sortant de l'enseignement agricole ne connaissent que le modèle d'agro-écologie, alors que les modèles sont pluriels, à commencer par ceux orientés vers la production et la productivité. Il ne faudrait pas que ces jeunes soient idéologisés. Il faut pouvoir réfléchir à tous les modèles, en permettant à ces élèves d'acquérir une formation pluridisciplinaire. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Je ne crois pas avoir entendu dans vos propos la notion de productivité. Or cette notion doit figurer dans nos enseignements agricoles.

M. Marc Fesneau, ministre . - S'agissant de la question des bourses, nous pourrons vous donner des éléments détaillés pour vous éclairer avant les débats budgétaires. Une revalorisation de plus de 4 % des bourses est prévue. Comme vous l'avez dit, il y a une légère diminution du nombre d'élèves boursiers. Nous couvrirons donc mieux les besoins de ceux qui en feront la demande. Par ailleurs, il y a un transfert du programme 143 vers le programme 142 qui explique la baisse constatée.

Le fonds lycéens n'a en effet pas été revalorisé pour cette année. Je note votre observation. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un élément d'accrochage pour les jeunes qui ont parfois mal traversé la période de la crise Covid.

Nous constatons une dynamique positive en termes d'apprentis, avec une hausse qui se poursuit. Les effectifs ne seront connus qu'en janvier mais plusieurs milliers de jeunes supplémentaires devraient suivre une formation par apprentissage. En 2021-2022, 57 000 apprentis ont suivi une formation dans un établissement de l'enseignement agricole, soit 11 000 de plus que l'année précédente. Cette hausse de 25 % fait suite à une hausse de 22 % en 2020-2021. C'est dire combien l'enseignement agricole prend une part importante dans cette dynamique de renforcement de l'apprentissage. Nous connaitrons au mois de janvier les derniers chiffres mais nous serons probablement dans les mêmes ordres de grandeur.

Je soutiens votre proposition d'évolution du BTSA en trois années. Je ne sais pas si je serai le ministre qui fera cette réforme mais, en tout cas, je suis le ministre qui veut la faire ! Il nous faut en effet renforcer l'attractivité de cette voie, compte tenu de la baisse légère des effectifs. Doivent notamment être posées la question du niveau et celle de la durée du diplôme - deux ou trois ans. Il faut trouver un système qui soit plus attractif mais également plus adapté à la diversité de métiers de plus en plus exigeants. Nous lancerons bientôt des travaux de réflexion et de concertation sur ce sujet.

S'agissant de la campagne de communication, il est difficile de juger par rapport à l'étiage du plan de relance. Les crédits du plan avaient permis à l'époque de lancer le dispositif « l'aventure du vivant », qui, je crois, a très bien fonctionné. Je rappelle que nous avions confié des moyens aux services déconcentrés de l'État, à savoir aux directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAF), aux directions départementales des territoires (DDT) et aux directions agricoles en région pour leur permettre de décliner elles-mêmes des actions locales. 0,5 million d'euros ont été consacrés à l'enseignement agricole pour une campagne de communication sur les formations elles-mêmes. J'entends ce que vous dites sur le manque actuel de communication. Ce n'est cependant pas le sentiment que j'ai. Le camion itinérant se déplace de ville en ville pour faire connaître les métiers agricoles et rencontre à ma connaissance un succès grandissant. J'entends cependant votre inquiétude et nous serons vigilants sur ce sujet. Le pari que nous avons fait est celui de l' « aller vers », en allant au sein des villes chercher des jeunes qui ne viennent pas du milieu rural.

S'agissant des schémas d'emplois, nous avons stabilisé les emplois alors qu'il ne s'agissait pas de la tendance retenue par le passé. Vous évoquez la création de 15 ETP supplémentaires pour l'enseignement technique agricole à travers le renforcement des équipes médico-sociales. Nous allons désormais travailler pour déterminer comment ils seront déployés. Il a bien été acté, lors des discussions avec Bercy, qu'il s'agirait d'une même augmentation sur trois années : 15 en 2023, 15 en 2024 et 15 en 2025.

S'agissant du lien entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole, j'entends votre invitation à venir au banc. Si je peux, je le ferais volontiers. Nous avons engagé un bon dialogue avec le ministre de l'éducation nationale Pap Ndiaye, notamment sur le sujet de la formation professionnelle. L'éducation nationale est intéressée de savoir ce qui se fait dans l'enseignement agricole pour s'en inspirer pour les autres voies professionnelles. Vous pouvez compter sur moi pour que nous travaillions ensemble. Ce n'est pas qu'une question d'intention nationale, il s'agit aussi d'intentions locales. Ce dialogue entre l'éducation nationale et le ministre de l'agriculture par la voie de l'enseignement agricole doit aussi être renforcé au niveau local.

Vous avez évoqué la nécessité de développer la culture scientifique et la recherche. Vous avez raison de souligner l'action de l'INRAE, qui est un des meilleurs instituts de recherche du monde. Il est reconnu mondialement sur des dizaines, pour ne pas dire des centaines, de sujets qui touchent à des défis majeurs. Dans le cadre de France 2030, plusieurs projets de recherche sur l'alimentation, sur la forêt, sur l'agriculture sont en train d'aboutir pour tenter de relever par l'innovation les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés.

Nous avons grandement besoin de développer une culture des faits et de la science. Il est assez paradoxal que dans le pays de Louis Pasteur et de Marie Curie nous ayons une culture scientifique aussi chahutée. Nous avons un travail à réaliser, à la fois à l'intérieur mais aussi à l'extérieur de nos établissements, pour convaincre de la nécessité de se reposer sur les faits scientifiques pour prendre des décisions politiques.

Je regardais, pendant vos questions, la définition dans le dictionnaire du terme d'agro-écologie. L'agroécologie n'est pas autre chose que la combinaison de la capacité à produire et du respect des cycles et des écosystèmes à préserver pour continuer à produire. L'agroécologie est « l'utilisation intégrée des ressources et des mécanismes de la nature, pour mieux produire ». Ce n'est pas l'un sans l'autre mais l'un avec l'autre. En réalité - et l'INRAE le dit très bien - à facteurs de production identiques, sauf dérèglement climatique, nous perdons en production. Pour ne citer qu'un seul exemple, il nous faudra travailler sur les sols pour y remettre de la matière organique afin de résoudre une partie des difficultés liées à l'eau mais aussi pour répondre aux difficultés de productivité. Des terres aujourd'hui se sont appauvries et ne sont plus capables de produire ce qu'elles étaient capables de produire il y a 20 ou 30 ans. L'agroécologie est au service de la mission première de l'agriculture qui est de produire. Il me semble que c'est ce que nous essayons d'enseigner dans nos établissements, avec des sensibilités différentes. Je pense que la production et la souveraineté françaises ont grandement besoin d'aller chercher dans l'agroécologie, tout comme dans la recherche et l'innovation, une partie de leurs solutions. Les jeunes qui rejoignent les professions agricoles, y compris des jeunes issus du milieu agricole, sont souvent plus sensibles à ces questions que ne l'étaient leurs parents ou leurs grands-parents. Je considère plutôt comme une bonne nouvelle que le souci de la transmission soit si important pour ces jeunes générations.

M. Laurent Lafon, président . - Je précise pour vos collaborateurs que les crédits seront débattus dans l'hémicycle le 1 er décembre dans la soirée.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je reprendrai tout à fait vos propos : l'enseignement agricole est un très bel exemple à suivre, qui maille tout le territoire et se révèle souvent innovant et de grande qualité.

Vous avez appelé à l'amélioration de l'accueil des élèves en situation de handicap. Est-ce pour répondre aux élèves qui ont des notifications de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais qui n'ont pas d'AESH ? Est-ce pour augmenter le salaire des AESH ? Les AESH de l'enseignement agricole seront-ils concernés par la hausse de 10 % à partir de la rentrée 2023 ? Avez-vous des éléments chiffrés concernant la progression des élèves nécessitant une aide humaine par rapport à l'année précédente ? Le cas échéant, l'augmentation du nombre d'AESH prévue dans le cadre du PLF sera-t-elle suffisante pour y répondre ? De plus en plus d'élèves ont des handicaps et ont besoin d'aide.

Une alerte enfin. Comme l'a rappelé la rapporteure, il est très important qu'il y ait une information sur l'enseignement agricole dans l'ensemble des collèges. Lors de notre mission d'information sur l'enseignement agricole, nous avions rencontré des jeunes qui pour certains étaient arrivés par hasard dans ce domaine mais qui s'y épanouissaient complètement.

Je formule aussi une autre alerte sur la suppression des postes. Entre 2017 et 2021, 300 emplois ont été supprimés auxquels se sont ajoutés 16 nouveaux ETP en 2022. Cela a un impact sur la qualité de l'enseignement. Nous avions ainsi notamment été alertés sur le fait que certains travaux pratiques ne pouvaient plus se faire en groupe réduit. Des groupes plus importants doivent être constitués, ce qui peut nuire à la sécurité des élèves.

Avez-vous avez prévu de renforcer l'attractivité de l'enseignement agricole en général mise à mal à la rentrée par la récente réforme du lycée, alors qu'il est le seul à offrir une spécialité biologie écologie qui est particulièrement précieuse au regard des enjeux actuels de transition écologique ?

S'agissant de la réforme de l'enseignement professionnel, l'enseignement agricole bien sûr est concerné. Je sais qu'actuellement il y a des concertations mais je m'interroge. L'allongement de la durée des stages prévus dans ce cadre ne risque-t-il pas de se faire au détriment de l'apprentissage des connaissances générales et techniques que les élèves ne peuvent acquérir qu'en classe et non en entreprises ? Par ailleurs, les exploitations seront-elles en mesure d'accueillir ses élèves sur des périodes aussi étendues ?

Enfin, la réforme de l'apprentissage, actée dans la loi du 5 septembre 2018, impose à l'enseignement agricole public (et seulement public) une démarche de double certification coûteuse et chronophage pour les personnels. Elle est un facteur de stress, aussi bien au moment de la demande que du renouvellement. Avez-vous fait un bilan de l'impact de cette réforme pour l'enseignement agricole et de la double certification, particulièrement en termes financiers et de gestion des équipes ?

Mme Céline Brulin . - Monsieur le ministre, je me retrouve assez bien dans les objectifs que vous avez dessinés : renouvellement des générations, transmission-transition, agro-écologie dans la définition que vous venez d'en donner, lutte contre la désertification vétérinaire. Malheureusement je constate que les crédits que vous nous présentez ne permettent pas vraiment d'atteindre ces objectifs ambitieux.

Certes, il faut reconnaître qu'il a été mis fin à la saignée que nous avons connue ces dernières années dans l'enseignement agricole et qui avait d'ailleurs conduit le Sénat à rejeter les crédits et à engager la mission d'information rapportée par Nathalie Delattre. Mais il s'agit davantage d'une stabilisation de l'existant. J'ai bien relu les propos du président de la République en septembre dernier dans la présentation du pacte : il appelait à l'enclenchement d'une nouvelle dynamique. Or ce n'est pas la direction aujourd'hui suivie. Nous sommes face à un très faible niveau de création de postes, aussi bien dans l'enseignement agricole que dans les écoles nationales vétérinaires. Nous voyons d'ailleurs se développer des écoles vétérinaires privées, la nature ayant horreur du vide. Si nous voulons lutter efficacement contre la désertification médicale, nous devons réarmer la puissance publique et l'enseignement public.

La saignée dans les effectifs de l'enseignement agricole a conduit à rendre impossibles les dédoublements alors qu'ils sont nécessaires pour ces types d'enseignement. Des filières ou des formations n'ont pas pu être ouvertes, ce qui handicape l'attractivité de certains territoires. Si les objectifs sont légitimes, les crédits ne sont pas complètement au rendez-vous pour y répondre.

Je me réjouis que vous évoquiez la voie professionnelle avec votre collègue Pap Ndiaye. Je pense effectivement que l'enseignement agricole peut être une voie à suivre pour faire évoluer l'enseignement professionnel. À l'inverse, il ne faudrait pas que les inquiétudes que nous pouvons avoir sur le devenir de la voie professionnelle se transmettent à l'enseignement agricole car nous perdrions alors sur tous les plans.

Vous avez évoqué le fonds d'innovation pédagogique, qui sera doté de 20 millions d'euros. J'ai l'impression qu'il s'agit du pendant de ce qui se fait dans l'éducation nationale. Cela suscite beaucoup d'interrogations. Nous ne savons pas comment ces fonds vont être attribués entre établissements. D'autant qu'il y a beaucoup d'innovations dans l'enseignement agricole : de nombreux établissements pourraient donc y prétendre. Il existe aussi la crainte d'une mise en concurrence des établissements qui se disputeraient ces crédits.

Mme Annick Billon . - Concernant le camion du vivant, quelques éléments ont déjà été rappelés par la rapporteure Nathalie Delattre. Avez-vous envisagé une évaluation des millions investis dans ce camion du vivant ? Ses débuts avaient été difficiles dans le contexte de la pandémie. Nous avons du mal à percevoir l'efficacité de ces investissements.

Concernant les élèves en situation de handicap, des crédits supplémentaires ont été décidés ainsi qu'une hausse importante des postes. Cependant, la situation reste difficile pour tous les AESH, avec des contrats assez précaires, du travail à temps partiel bien souvent, des salaires qui stagnent. S'il est évidemment nécessaire de recruter davantage d'AESH, qu'en est-il de la formation, de la revalorisation de ces métiers et de l'augmentation qui devrait être substantielle voire identique à celle de l'enseignement scolaire ?

Sur le sujet des infirmières scolaires, le manque de temps de concertation et d'absence de formation spécifique et le pourcentage élevé d'élèves avec des besoins très particuliers dans ces classes font que ce métier est assez peu attractif. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour rendre le métier d'infirmière scolaire plus attractif ?

Concernant l'attractivité des lycées agricoles, la plateforme Horizons 21 permet à un jeune de voir le spectre des métiers possibles en fonction des spécialités qu'il souhaite choisir. Cette plateforme avait été instaurée par le ministre Jean-Michel Blanquer. L'année dernière notre rapporteure Nathalie Delattre se félicitait de l'intégration de l'outil numérique à des baccalauréats professionnels de l'enseignement agricole, ainsi que la spécialité biologie /écologie du baccalauréat général propre à l'enseignement agricole. Néanmoins, nous soulignions que cette plateforme portait préjudice à l'attractivité des lycées agricoles puisque trois spécialités sont proposées en lycée agricole, le panel des spécialités étant plus large dans un lycée d'éducation nationale. Le ministère envisage-t-il d'élargir encore plus les spécialités proposées aux élèves pour éviter cette concurrence « déloyale » ?

Concernant le renouvellement des générations, je rappelle que 55 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et qu'1 agriculteur sur 2 partira en retraite dans 5 ans. La hausse constante des effectifs depuis 2010 dans les lycées professionnels est-elle anticipée au niveau des effectifs des enseignants et des équipes pédagogiques ? En mars 2022, le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, présidé par le ministre de l'agriculture, avait fait un certain nombre de recommandations. Envisagez-vous de toutes les reprendre à votre compte ? Il s'agissait notamment de recruter des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement sur des postes d'enseignants et de faciliter l'accès des professionnels aux fonctions d'enseignants.

Vous ne serez pas étonné que je vous interroge sur l'égalité femmes-hommes. La féminisation des effectifs s'améliore : 45 % des élèves sont désormais des filles. Cependant l'orientation reste toujours extrêmement stéréotypée puisque le domaine de la production animale reste un domaine masculin alors que les services et les formations dédiées aux services à la personne restent des formations assez féminines. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour plus de mixité, plus d'égalité et moins de stéréotypes ?

S'agissant de la réforme du pacte professionnel, le Gouvernement avait annoncé qu'à partir de la rentrée 2022 le tronc commun du bac professionnel agricole serait rénové. Sachant que 45 % des élèves de l'enseignement agricole sont en bac professionnel, cette réforme est d'une importance toute particulière. Des conséquences négatives sont identifiées, notamment l'augmentation du nombre de semaines de stage et évidemment la diminution du temps scolaire, qui percutera aussi les enseignements de matières professionnelles. Estimez-vous suffisante la rémunération pour une valorisation de ces métiers ?

S'agissant des heures supplémentaires effectives (HSE), une enveloppe de HSE a été accordée en plus par le ministère de l'agriculture pour cette rentrée. Comment encouragez- vous les établissements scolaires de l'enseignement agricole à s'en emparer ?

M. Bernard Fialaire . - Je salue moi aussi tous les points positifs que vous nous avez présentés. J'ai entendu que l'enseignement agricole devait presque servir de modèle pour l'enseignement général. Face au manque de vétérinaires, vous indiquez qu'une des réponses passe par l'ouverture d'une école privée, pour pallier le manque de places en école publique. Ce n'est pas forcément le modèle que je souhaite pour notre enseignement...

Je m'associe à ce qu'a dit Nathalie Delattre sur le BTSA, qui pourrait se faire en trois ans. Il est nécessaire d'ajouter des enseignements de culture générale et des matières supplémentaires. Je suis élu d'une zone viticole où les besoins de commercialisation sont importants, tout comme les compétences en matière d'accueil et de tourisme.

Je voudrais également savoir où nous en sommes s'agissant de la coopération internationale. Nous recevions la semaine dernière, avec le groupe d'amitié France-Moldavie, le ministre des affaires étrangères moldave. Des pays comme la Moldavie ont besoin de former leurs populations agricoles et souhaiteraient que soient mis en place des partenariats avec notre pays. S'ils reposent sur le système de l'alternance, ces échanges permettent également de disposer d'une main-d'oeuvre importante dans des secteurs où nous en manquons. Il faut aussi aider les pays africains qui connaitront dans les années à venir des difficultés climatiques majeures. Il faut les accompagner pour les aider à faire évoluer leurs techniques agricoles. À défaut, nous assisterons à la propagation des déserts et à la multiplication des flux migratoires.

M. Pierre Ouzoulias . - Merci monsieur le ministre pour la clarté de vos propos et pour certaines définitions de concepts que vous avez pu donner.

Je m'exprime en tant que sénateur des Hauts-de-Seine, c'est-à-dire un département où il y a 2 vaches et aucun établissement d'enseignement agricole. Mais ce département est sans doute l'un des plus gros donneurs d'ordres en matière d'alimentation - il compte notamment 100 collèges. Il serait très utile de nouer des partenariats forts entre les collectivités et les lycées agricoles sur la restauration, et notamment sur le développement d'une offre de légumerie.

Il est bien sûr nécessaire de développer la culture agricole dans les terroirs agricoles. Cependant, pour éviter de creuser le fossé entre les citadins (qui ne voient la campagne qu'à travers les vitres du TGV) et les ruraux, il faut aussi enseigner l'agriculture aux urbains. Cela leur éviterait des réactions irrationnelles. Des correspondances croisées entre les collectivités et les lycées agricoles permettraient de rappeler aux jeunes qu'il y a des paysans et des techniques agricoles derrière ce qu'ils consomment.

M. Max Brisson . - Je suis très heureux de vous voir car cela n'a pas toujours été le cas. J'ai le souvenir amer d'une séance dans l'hémicycle où le ministre de l'éducation nationale était bien en peine de répondre aux questions que nous posions sur l'enseignement agricole. Au Sénat, l'enseignement agricole est apprécié pour la manière avec laquelle il crée - avec peu de moyens - de vrais parcours permettant à des élèves en difficulté de raccrocher avec les chemins de la réussite. C'est là un travail remarquable et qui n'est pas assez mis en avant.

J'aurai trois questions.

Les particularismes de l'enseignement agricole seront-ils pris en compte dans la réforme de l'enseignement professionnel qui sera portée par Madame Grandjean ? La liberté et le caractère propre de l'enseignement agricole seront-ils bien considérés dans cette réforme ? Se dirige-t-on à l'inverse vers un alignement sur le droit commun ? Quel mot aurez-vous à dire pour protéger, préserver, nourrir et amplifier ce caractère propre de l'enseignement agricole dans la réforme engagée de l'enseignement professionnel ?

À la suite du discours du Président de la République, avez-vous commencé à élaborer des pistes de travail sur l'autonomie des établissements agricoles ? Je connais l'attente forte des équipes pédagogiques et des chefs d'établissement sur ce sujet.

Ma dernière question sera davantage locale. J'aurais quelques difficultés à revenir dans mon département si je ne la posais pas. L'enseignement bilingue en langue régionale est très développé dans les Pyrénées-Atlantiques. Or, je connais des chefs d'établissement agricole - à Hasparren par exemple - qui souhaiteraient pouvoir également expérimenter un enseignement bilingue en langue régionale dans leurs établissements. Ayant joué un rôle important dans le passé pour la transmission des langues étrangères, les établissements agricoles vous demandent de connaitre ce que connaissent les autres filières de l'enseignement.

Mme Sabine Drexler . - Je connais personnellement de nombreux jeunes, qui ne sont pas issus du monde agricole, qui voudraient se lancer dans la filière agricole. Beaucoup font face à des difficultés d'accès au foncier agricole et ces difficultés sont souvent décourageantes. Que pouvez-vous proposer à ces jeunes pour leur permettre de disposer de leur propre outil de travail pour développer leur activité ?

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis . - Je voudrais apporter des précisions avec quelques chiffres supplémentaires. On constate bien la disparité entre le financement par élève entre le public et le privé. 53,6 % de ce budget est consacré au public alors qu'il ne représente que 40 % de l'enseignement agricole au total contre 60 % pour l'enseignement privé. Nous sommes très attachés à ce qu'un équilibre puisse être trouvé entre public et privé, et à ce que l'enseignement privé ne soit pas désavantagé.

Les établissements agricoles, public et privé, font face à d'importants coûts énergétiques. Beaucoup de ces établissements sont des internats, restant également ouverts le week-end. L'enseignement privé loue souvent ses bâtiments pour obtenir des financements supplémentaires, conduisant les établissements à continuer de consommer de l'énergie le week-end. Réfléchissez-vous à la mise en place de compensations pour aider ces établissements face aux lourdes charges de l'énergie ?

Je n'ai pas pu présenter mon amendement sur l'agrivoltaïsme. Laure Darcos rappelait que nous avions d'excellentes fermes pédagogiques. Pour permettre l'installation de l'agrivoltaïsme dans les fermes pédagogiques, est-il possible de passer par la voie réglementaire ou faudrait-il déposer un nouvel amendement ?

M. Marc Fesneau, ministre . - Nous constatons une augmentation assez constante des jeunes en situation de handicap dans nos établissements agricoles. Pour l'année 2021-2022, 4 669 jeunes en situation de handicap étaient scolarisés dans l'enseignement agricole, soit 1 000 de plus que l'année précédente. Ceux-ci ont bénéficié d'une aide, conformément à une notification de la MDPH. Les AESH bénéficieront bien de la revalorisation de 10 % des salaires. En 2019, on comptait 718 ETP AESH contre environ 1 000 en 2022. Nous essaierons de poursuivre cette tendance.

S'agissant de la réforme de l'enseignement professionnel, j'ai rappelé aux organisations syndicales que l'enseignement agricole était plutôt considéré par l'éducation nationale comme un modèle de réussite, ce qui doit nous rendre fier. Cette réforme vise à permettre que plus d'élèves s'engagent dans la voie professionnelle et que le taux de réussite soit plus élevé. Or, sur ces deux sujets, l'enseignement agricole est en pointe. Nous pouvons donc nous nourrir mutuellement de nos expériences. L'idée n'est pas de se calquer en tous points sur le modèle de l'enseignement agricole. Nous n'avons pas tout à fait les mêmes cohortes d'élèves, en nombre, ce qui rend les enjeux tout de même assez différents.

Sur la question des stages, rien n'est encore décidé. J'ai conscience de la difficulté à concilier allongement de la durée des stages et maintien de l'ensemble des enseignements. Nous devons mettre en place des groupes de concertation pour tenir compte des spécificités de l'enseignement agricole, s'agissant notamment des capacités d'accueil des exploitations agricoles.

Sur la double certification apprentissage, nous n'avons pas fait d'évaluation en tant que telle. Mais la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) essaie de travailler à sortir de cette double certification.

S'agissant de l'adéquation entre les moyens et les objectifs, je voudrais rappeler plusieurs éléments. Je me réjouis d'abord que nous ayons stoppé la tendance structurelle à la baisse des effectifs. Par ailleurs, lors des discussions avec mon collègue Gabriel Attal, j'ai insisté sur la nécessité de mettre en adéquation les moyens avec les besoins. Il faut aussi reconnaitre qu'il y a des domaines de l'enseignement agricole où le nombre d'élèves baisse et qu'il n'y a donc pas de raison d'augmenter les effectifs. J'assume de prioriser sur certains sujets, à savoir sur l'inclusion et sur les vétérinaires.

Sur l'enjeu des vétérinaires, je n'ai peut-être pas été assez explicite. L'augmentation des effectifs n'est pas due qu'à la création de l'école vétérinaire privée de Rouen. Elle s'explique surtout par le renforcement des effectifs dans les quatre écoles vétérinaires existantes. Par ailleurs, je voudrais rappeler qu'une structure privée peut assumer des missions d'intérêt général. Tout l'enseignement agricole dans sa diversité (public ou privé), sous ses différentes formes (associative ou autre), contribue à l'épanouissement des élèves. La véritable difficulté réside dans le fait qu'une grande partie des vétérinaires ne se destinent plus à des métiers ruraux et se tournent vers le privé, quand bien même ils ont été formés par le public. La médecine vétérinaire se dirige de plus en plus vers une médecine de l'animal de compagnie. Nous devons donc travailler à l'attractivité du métier en milieu rural. Le regroupement de cabinets peut constituer une réponse.

S'agissant du fonds d'innovation, il ne s'agit pas d'un appel à projets. Nous essayons de travailler avec les équipes des établissements pour trouver des formations pour les métiers de demain. C'est véritablement un fonds d'innovation pédagogique, au sens premier du terme.

S'agissant de l'évaluation du camion « l'aventure du vivant », vous avez rappelé que cette initiative a été lancée peu de temps avant la crise Covid. 2022 est donc la première année « normale » pour nous permettre de faire une évaluation. Il faut donc se laisser encore un peu de temps.

Il nous faut en effet trouver des pistes pour renforcer l'attractivité des métiers d'infirmiers dans les établissements d'enseignement agricole. Ce n'est pas qu'une affaire de revalorisation salariale. Il nous faut travailler sur tous les leviers.

Nous lancerons en 2022 une étude avec la DGER pour travailler sur la lutte contre les stéréotypes de genre. L'objectif est notamment de déterminer finement les raisons pour lesquelles les femmes se dirigent moins vers l'élevage. Il me semble également que les métiers sont mal décrits, ce qui dissuade les jeunes à les rejoindre.

S'agissant de la place des professionnels dans l'enseignement agricole, l'idée n'est pas de substituer les enseignants par des professionnels. L'objectif est de faire venir des professionnels en appui du parcours pédagogique, à l'intérieur des établissements. Il n'y aura pas de mécanisme de substitution.

Je vous propose de vous répondre par écrit sur la question des heures supplémentaires.

Les enjeux de coopération sont très particuliers au ministère de l'agriculture. Nous avons des coopérations en matière d'enseignement agricole avec des pays africains mais aussi des coopérations en matière de recherche, au travers des établissements comme l'INRAE. Nous coopérons également sur les questions de sécurité sanitaire au travers de la direction générale de l'alimentation. Nous pourrons vous communiquer un état des lieux précis sur le sujet. Il faut par ailleurs noter que la filière agricole est celle qui mobilise le plus Erasmus.

Nous devons expliquer ce qu'est le cycle du vivant et rappeler que les temporalités sont courtes ou longues suivant les productions. J'ai été désespéré d'entendre certains propos sur la forêt la semaine dernière. Nous avons perdu ce rapport au cycle du vivant et ce n'est pas qu'une affaire d'opposition entre urbains et ruraux. Sur l'eau, sur la forêt, sur l'élevage, nous butons sur la compréhension du cycle du vivant. Cela rejoint la question de l'éveil à la science.

L'autonomie des chefs d'établissement est déjà une réalité pour les établissements d'enseignement agricole. C'est d'ailleurs une de leurs spécificités. Les équipes pédagogiques, qui sont à l'origine de nombreuses innovations, peuvent en témoigner.

Sur l'enseignement des langues régionales, nous sommes attentifs à la nécessité de promouvoir le patrimoine immatériel, la diversité culturelle et donc les langues régionales. La demande concernant 200 élèves sur les 154 000 est à ma connaissance satisfaite. Je voudrais saluer le travail du lycée d'Hasparren, qui est bien connu de nos équipes au ministère. Nous avons avec ce lycée des relations de confiance, qui nous permettent d'avancer sur le sujet.

Il n'y a pas d'un côté des jeunes venant du monde urbain voulant plutôt faire du maraîchage et du circuit court et de l'autre la cohorte importante de ceux qui souhaiteraient faire de la production à plus grande échelle.

Il y a en effet un problème d'accès au foncier. Il faut à ce sujet saluer les initiatives portées par les collectivités pour les établissements publics fonciers pour essayer de mettre à disposition des terrains. Cette question du portage foncier sera intégrée au pacte et au projet de loi que nous préparons. Ce n'est cependant pas le seul problème. Se pose également celui de l'accès à l'eau et des conflits d'usage qui peuvent en découler. Se pose aussi celui du manque de main d'oeuvre.

Vous avez eu raison de saluer la grande diversité de l'enseignement agricole. Je salue tout particulièrement le respect réciproque entretenu entre public et privé, qui constitue une des grandes forces de cet enseignement.

S'agissant des défis énergétiques, nous sommes en train de regarder établissement par établissement. Il est vrai qu'il y a une spécificité de l'enseignement agricole, compte tenu du modèle internat qui est très développé. Certains établissements ont des contingences que d'autres n'ont pas. Nous devons donc regarder au cas par cas. Cette hausse des coûts de l'énergie peut mettre en défaut financier un certain nombre d'établissements.

S'agissant de l'agrivoltaïsme dans les exploitations des établissements d'enseignement agricole, il n'y a pas à ce jour de règles dérogatoires. Nous devons voir si nous devons mettre en place une disposition ad hoc ou passer par la voie de l'expérimentation. Je pense qu'un certain nombre d'établissements seraient intéressés. À titre personnel, je trouve qu'il serait intéressant d'essayer. Nous verrons ce qui sera décidé au cours de la navette parlementaire de cette proposition de loi. Il nous faut certes tenir compte des spécificités des exploitations agricoles des établissements d'enseignement scolaire. Mais ces exploitations ne sont pas des zones de non-droit agricole.

M. Laurent Lafon, président . - Je vous remercie monsieur le ministre. Vous avez vu l'intérêt de notre commission pour l'enseignement agricole : mes collègues étaient nombreux à intervenir. Ceci démontre bien que l'enseignement agricole est un élément extrêmement important pour la vitalité des territoires que nous représentons. Merci pour le temps que vous avez pris à nous répondre, avec beaucoup d'application et surtout avec un souci du dialogue.

M. Marc Fesneau, ministre . - Merci monsieur le président. J'ai compris qu'il fallait que je réserve ma soirée du 1 er décembre !

M. Laurent Lafon, président . - Et vous êtes aussi le bienvenu au lycée d'Hasparren !

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