Avis n° 118 (2022-2023) de Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 novembre 2022

Disponible au format PDF (744 Koctets)

Synthèse du rapport (457 Koctets)


N° 118

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet
de
loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, pour
2023 ,

TOME IV

SANTÉ

Par Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273, 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374, 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 23 novembre 2022 sous la présidence de Catherine Deroche, la commission des affaires sociales a adopté le rapport pour avis d'Annie Delmont-Koropoulis sur les crédits de la mission Santé, ainsi qu'un amendement visant à créer un programme consacré au financement d'actions d'« aller-vers » et d'accompagnement des personnes en situation irrégulière.

Elle a par ailleurs une nouvelle fois questionné la cohérence de la mission « Santé ».

I. LE PROGRAMME 204 : UN FINANCEMENT PAR L'ÉTAT TOUJOURS AUSSI MARGINAL DE LA POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

Les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » s'élèvent à 216 millions d'euros, soit une hausse de 1,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

A. LE FINANCEMENT DES ACTEURS DU SYSTÈME SANITAIRE

1. Les crédits, stagnants, des opérateurs et agences sanitaires

Le programme 204 ne contribue plus qu'au financement de deux agences sanitaires :

- l' Institut national du cancer (INCa), dont les crédits s'élèveront à 40,5 millions d'euros, contre 40,8 millions dans la LFI pour 2022 ;

- l' Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), dont les crédits s'élèveront à 23 millions d'euros, soit une hausse de 0,45 million par rapport à la LFI pour 2022. Celle-ci tient compte, d'une part, de la revalorisation salariale issue du Ségur de la santé qui touche les professionnels de santé intervenant dans le dispositif de toxicovigilance ; d'autre part, de l'intégration progressive d'une nouvelle compétence confiée à l'ANSéS à compter du 1 er janvier 2024 sur les cosmétiques et les produits de tatouage, en vertu d'un amendement retenu par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité à l'Assemblée nationale, et conformément aux recommandations de plusieurs études récentes 1 ( * ) .
La subvention destinée à l'ANSéS reste éclatée entre six programmes, et principalement le 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », piloté par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

Le programme 204 finance également le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui ne constitue pas à proprement parler une agence sanitaire, à hauteur de 350 000 euros, comme l'an dernier.

2. Des crédits consacrés aux actions juridiques et contentieuses en baisse

Les crédits consacrés aux actions juridiques et contentieuses s'élèvent à 41,6 millions d'euros, en baisse de 11 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2022. Cette diminution s'explique essentiellement par la diminution de la dotation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) qui assure pour le compte de l'État :

- l'indemnisation des accidents vaccinaux survenus depuis le 1 er janvier 2006 ainsi que l'indemnisation des victimes de mesures sanitaires d'urgence, pour 8 millions d'euros ;

- l'indemnisation des conséquences dommageables d'une vaccination réalisée dans le cadre de la compagne de vaccination contre la covid-19 . Dans le cadre de cette nouvelle mission qui lui a été confiée en 2021, l'Oniam a reçu, au 31 octobre 2022, 781 demandes d'indemnisation au titre d'une vaccination contre la covid-19, dont 36 demandes sur le mois d'octobre. Sur ce total, 73 décisions ont fait l'objet d'une décision de rejet justifiée notamment par une absence de lien de causalité entre les symptômes décrits et l'administration du vaccin ; 34 offres ont été notifiées. Les autres demandes sont toujours en cours d'instruction par les services juridiques et médicaux de l'établissement dont 68 dossiers en cours d'expertise.

La direction de la sécurité sociale estime qu'« en l'absence d'une doctrine pérenne et établie, il reste difficile à ce jour de chiffrer l'impact financier de cette nouvelle mission ». Les auteurs du rapport d'étape de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur les effets indésirables des vaccins contre la covid-19, publié en juin dernier 2 ( * ) , s'étaient dits « surpris par ce nombre relativement faible - bien qu'en hausse - de demandes, au regard du nombre de déclarations faites dans le cadre de la pharmacovigilance » et avaient dit leur regret « que les possibilités d'indemnisation n'aient pas été plus largement communiquées auprès de la population ». La commission ne peut que réitérer leur appel au soutien des moyens de l'Oniam.

Il apparaît essentiel que l'Oniam soit doté des moyens humains et financiers nécessaires pour mener à bien sa mission.

- l'indemnisation, pour le compte de l'État ou en substitution d'autres responsables des victimes du valproate de sodium et de ses dérivés (Dépakine®) et les frais de fonctionnement de ce mécanisme , pour 24,379 millions d'euros. C'est ici que se retrouve la baisse de 11 millions d'euros des crédits de cette action par rapport à 2022.

Le rapport de la commission des finances fait par notre collègue Christian Klinger en septembre dernier 3 ( * ) a fait la lumière sur l'écart systématique de la prévision à l'exécution de ces crédits. Alors que les prévisions initiales évaluaient la dépense à 77,7 millions par an, l'exécution annuelle du dispositif jusqu'en 2021 n'a jamais dépassé 16,8 millions d'euros.

L'explication réside essentiellement dans le non-recours au dispositif. Il existe en effet un écart important entre les prévisions et le nombre de dossiers déposés à l'Oniam et les données épidémiologiques : dans un rapport de 2018, l'ANSM estimait qu'entre 2 150 et 4 100 enfants souffriraient de malformations, et qu'entre 16 600 et 30 400 connaîtraient des troubles neuro-développementaux. Seuls 850 dossiers environ ont toutefois été déposés à l'Oniam au milieu de l'année 2022.

3. Les autres acteurs de la politique sanitaire financés sur le programme 204

Le programme 204 porte également le financement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, dont les crédits sont au même niveau que l'an dernier : 48,10 millions d'euros en autorisations d'engagement et 49,40 millions d'euros en crédits de paiement.

Les comités de protection des personnes sont ainsi financés, comme l'an dernier et l'année précédente, à hauteur de 4,1 millions d'euros. Par ailleurs, 4,36 millions d'euros leur ont été consentis en 2022 - soit davantage que les 860 000 euros initialement prévus - au titre de la part de la contribution des laboratoires pharmaceutiques à l'ANSM instaurée par la LFSS pour 2021, et qui s'ajoute à la dotation de l'État et justifie sans doute de la maintenir au même niveau depuis trois ans. Depuis 2020, la quantité d'ETP sur le poste de responsable administratif est en outre passée de 1 à 1,5.

Cet effort, timide, de soutien financier et humain doit être poursuivi et la rationalisation des canaux de financement des CPP engagée, afin de leur donner les moyens de remplir sereinement leurs missions.

B. DES CHANTIERS EN COURS DONT L'INSCRIPTION AU PROGRAMME NE CONTRIBUE GUÈRE À LA LISIBILITÉ DE LA POLITIQUE SANITAIRE

1. L'extinction du fonds de concours covid-19

L'action « veille et sécurité sanitaire » atteste d'abord d'un début de rebudgétisation des crédits portés jusqu'alors par le fonds de concours « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offre de soins », ce dont la commission se félicite.

Créé en mars 2020, rattaché au programme 204 et alimenté par Santé publique France, ce fonds de concours a financé des actions pour des montants dépassant rapidement les crédits budgétaires du programme 204. Au total, 980 millions d'euros ont été versés à ce fonds, dont 700 en 2020 et 280 en 2021 .

Le fonds de concours a financé pour près de la moitié des montants engagés des dépenses de matériel médical (masques, tests, respirateurs...). Il a également financé des dépenses de transport (transport de matériels et évacuations sanitaires), des commandes de vaccins, et les systèmes d'information Sidep, « TousAntiCovid » ou encore SI-VIC.

La commission 4 ( * ) , comme la Cour des comptes 5 ( * ) , a déjà eu l'occasion de dénoncer le recours à un tel montage. D'une part car il a favorisé la confusion des rôles entre Santé publique France et le ministère de la santé , ce dernier finissant par financer des dépenses relevant de son opérateur. D'autre part car un tel circuit est fortement contestable au regard des principes du droit budgétaire puisqu'il soustrayait des sommes considérables à l'autorisation parlementaire des dépenses de l'État.

Dans la perspective de l'extinction du fonds de concours, le programme 204 porte 2 millions d'euros de crédits supplémentaires, faisant passer les crédits de l'action à 3,6 millions d'euros, destinés à répondre à de possibles circonstances de crise, telles que d'éventuelles évacuations sanitaires.

2. Un effort maintenu au soutien des projets numériques

L'effort est poursuivi en matière de développement des systèmes d'information de santé publique, dont les crédits, à 11,5 millions d'euros, sont de 2 millions d'euros plus élevés que dans la LFI pour 2022 : 4,5 millions d'euros devront permettre de maintenir les systèmes existants en conditions opérationnelles et 7 millions seront consacrés aux refontes et aux nouveaux projets.

Cette enveloppe inclut également les projets confiés en maîtrise d'oeuvre et maîtrise d'ouvrage déléguées à l'Agence du numérique en santé (ANS) pour un total de 2,85 millions d'euros en 2023, tels que la gestion des évolutions du système des centres antipoison, le portail de signalement des événements indésirables graves en établissement de santé, ou encore l'exploitation de SI-VIC, initialement destiné à faciliter le recensement des victimes d'attentats ou d'évènements sanitaires graves, mais désormais également et largement utilisé dans le contexte de l'épidémie de la covid-19.

Les projets de nouveaux systèmes d'information de la direction générale de la santé pour 2023, de refontes ou d'évolutions majeures, à hauteur de 8,65 millions d'euros, consistent principalement en la finalisation du nouveau système d'information relatif aux demandes d'accès aux origines issu de la loi bioéthique, à assurer le lancement du système d'information de l'entrepôt national de données de biologie médicale (ENDB) ainsi que la poursuite des nombreuses refontes en cours et/ou l'assistance au déploiement des évolutions majeures associées à des impératifs réglementaires.

Parmi des derniers la pérennisation d'une base séquestre pour la conservation des données de vaccination lors de crises sanitaires, parachever la refonte et assurer le déploiement technique de la plateforme nationale de dématérialisation des certificats de décès CertDC, finaliser en 2023 la refonte du système d'information SIRIPH permettant de gérer l'évaluation des projets de recherche impliquant la personne humaine, etc .

Le système d'information SIRIPH relatif aux projets de recherche
impliquant la personne humaine

La refonte du système d'information permettant de gérer l'évaluation des projets de recherche, et servant de plateforme d'échange entre les comités de protection des personnes (CPP) et les promoteurs, est l'une des principales mesures annoncées dans le cadre du Plan Santé innovation 2030 présenté en juin 2021 par le Président de la République, afin de soutenir l'activité des CPP face à l'augmentation du nombre de projets de recherche depuis 2016.

La version 1 du SI-RIPH2G a été mise en service en mai 2021 et a été complétée par plusieurs versions successives avec l'entrée en application de trois règlements européens 6 ( * ) et l'interfaçage rendu nécessaire avec le portail CTIS de l'agence européenne du médicament. Pour 2023, il est en outre prévu :

- d'adapter les caractéristiques fonctionnelles du système aux remontées des utilisateurs ;

- de finaliser l'intégration des dispositions règlementaires européennes, relatifs par exemple à la gestion des études mixtes de médicament et dispositifs médicaux et diagnostic in vitro , ou bien à la désignation des experts par partie sur les essais cliniques de médicament ;

- de lancer des travaux visant à adosser au SI-RIPH2G une plate-forme d'essais cliniques à vocation publique permettant d'informer les professionnels et les patients atteints de pathologie grave sans alternative thérapeutique des études actuellement en cours d'inclusion ;

- d'intégrer et centraliser d'autres outils de suivi, comme l'actuel fichier VRB, qui permet d'enregistrer certains volontaires participants aux recherches impliquant la personne humaine et qui a pour objet notamment de vérifier le respect des règles d'exclusion et d'indemnisation des volontaires.

La lisibilité de cette politique n'est toutefois pas évidente , puisque l'Agence du numérique en santé ne voit transiter qu'un peu plus de 2,8 millions d'euros au titre du programme 204, tandis que sa dotation pour 2022 au titre de la mise en oeuvre du volet numérique du Ségur atteignait 322 millions d'euros.

3. Des dépenses de prévention qui restent très fragmentées

Les dépenses de prévention en santé portées par le programme 204 sont fragmentées en une multitude de sous-actions dont les montants dépassent rarement le million d'euros. Les seules sous-actions envisagées pour un montant supérieur à un million d'euros sont :

- la santé sexuelle , dont les crédits s'élèvent à 4,84 millions d'euros, comme en 2022 et en 2021, afin notamment de soutenir les actions de la feuille de route santé sexuelle 2021-2024, dont la lutte contre le VIH/Sida, les autres IST et les hépatites virales B et C ;

- la prévention en matière d'environnement et santé est passée de 4,36 millions à 5,10 millions d'euros, finançant les diverses mesures du plan national santé environnement 4 (2021-2025), le plan chlordécone IV (2021-2027), le 4 e plan d'action pour la gestion du risque lié au radon, le plan d'action interministériel amiante, la 2 e stratégie nationale contre les perturbateurs endocriniens, etc . ;

- la prévention des addictions , dotée de 4,26 millions d'euros en 2023, contre 3 millions en 2022, pour soutenir les mesures issues du plan « Priorité prévention », du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 et du programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 (PNLT), dont le troisième volet (2023-2028) devrait être lancé en 2023 ;

- la prévention en matière de nutrition est dotée de 1,72 million d'euros, contre 1,06 million l'an dernier, aux fins de mise en oeuvre du Programme national nutrition santé 2019-2023 (PNNS4) ainsi que de la Stratégie nationale sport santé (SNSS) 2019-2024 et de diverses autres actions ;

- la santé mentale , dont les crédits s'élèvent à 1,05 million d'euros contre 1 million en 2022, pour financer des actions de promotion du bien-être mental, de prévention des troubles psychiques et du suicide et de repérage précoce ; d'autres mesures sont relatives au renforcement des compétences psychosociales, à la lutte contre la stigmatisation, et à la formation au secourisme en santé mentale ;

- la prévention des maladies chroniques , dotée de 1,1 million d'euros, comme l'an dernier et l'année précédente, pour le financement d'actions diverses.

Ces dépenses de prévention ne représentent ainsi qu'une part minime de l'effort total de la nation dans ce domaine et n'obéissent à aucune cohérence stratégique.

Le « jaune budgétaire » consacré à la prévention en santé annexé au PLF pour 2023 estime les dépenses de l'État en la matière à 2,92 milliards d'euros, dont seulement 27,3 millions d'euros au titre du programme 204 de la mission Santé, qui représente donc moins de 1 % de l'effort budgétaire consenti par l'État en matière de prévention sanitaire .

L'annexe 5 au PLFSS pour 2023 estime les dépenses de prévention institutionnelle de la sécurité sociale à 5 milliards d'euros en 2019, 8,6 milliards en 2020 et 16,9 milliards en 2021. Ces montants tiennent compte de la crise sanitaire et de la politique de dépistage systématique, mais non des actes préventifs réalisés lors de consultations médicales ordinaires.

Il est par ailleurs difficile, dans ces conditions, d'évaluer la contribution du programme 204 aux objectifs qu'il se fixe , tel celui d'« améliorer l'état de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé », surtout lorsque les indicateurs permettant de l'apprécier sont aussi disparates que : le « taux de couverture vaccinale contre la grippe des plus de 65 ans », le « taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal », le « pourcentage d'unités de distribution d'eau potable présentant des dépassements des limites de qualité microbiologique » ou la « prévalence du tabagisme chez les adultes ».

II. LE PROGRAMME 183 : UNE DÉPENSE D'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT TOUJOURS AUSSI MAL MAÎTRISÉE

Les crédits du programme 183, d'un montant de 1,220 milliard d'euros , contre 1,086 milliard d'euros votés en loi de finances initiale pour 2022, comprennent :

- 1,212 milliard d'euros au titre de l'aide médicale de l'État (AME) ;

- huit millions d'euros au titre de la dotation versée par l'État au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), qui est principalement abondé par l'assurance maladie.

A. LE DYNAMISME RETROUVÉ DE LA DÉPENSE D'AME

1. En 2021, une dynamique de dépense revenue à sa tendance d'avant-crise sanitaire

La croissance du nombre de bénéficiaires , qui avait connu un bond de 11,6 % en 2020, progresse toujours mais plus lentement en 2021, de 3,3 %, pour atteindre 380 493 bénéficiaires. La dépense trimestrielle moyenne par bénéficiaire a augmenté de 6,4 % par rapport à 2020 pour atteindre 598 euros. Cette hausse est expliquée par la DSS par le rattrapage de la consommation de soins après la forte baisse en 2020.

Source : Réponse au questionnaire budgétaire

La part des prestations hospitalières dans les dépenses d'AME diminue légèrement pour s'établir à 63,5 %. Depuis 2015, la réforme de la tarification hospitalière a en effet aligné la tarification des bénéficiaires de l'AME sur la tarification des assurés de droit commun.

Le taux de séjours présentant une sévérité particulière pour les séjours hospitaliers des bénéficiaires de l'AME de droit commun est relativement stable depuis 2016, autour de 24 %.

L'augmentation de la dépense de soins urgents en 2021, de 30 % supérieure à celle de 2020, est liée, d'après la DSS, aux effets des mesures mises en oeuvre afin de resserrer la prise en charge des frais de santé des étrangers au titre de la protection universelle maladie (PUMa) ou de l'AME : mise en place d'un délai de carence de trois mois pour les demandeurs d'asile avant leur affiliation à la protection universelle maladie (PUMa) et réduction de la durée de maintien de droits PUMa pour les personnes dont le titre de séjour est arrivé à échéance.

Pour la deuxième année consécutive, compte tenu de la crise sanitaire, une créance de l'État a été enregistrée auprès de la CNAM au titre de l'AME en 2021, qui s'élève à 25,1 millions d'euros .

2. Une dépense appelée à croître encore en 2023

Pour 2023, la dépense d'AME se décompose de la manière suivante :

- 1,14 milliard d'euros d'AME de droit commun 7 ( * ) , contre 1 milliard en 2022. La hausse de la prévision est justifiée par la prolongation de la tendance pré-crise pour les dépenses en produits de santé d'une part, et, pour le poste prestations hospitalières d'autre part, par la reprise de la croissance tendancielle du nombre de consommants, c'est-à-dire d'étrangers en situation irrégulière, observée avant la crise sanitaire en 2019 ainsi que par le maintien du niveau de la dépense moyenne prévue pour 2022.

- 70 millions d'euros de prise en charge des soins urgents 8 ( * ) , qui sont dispensés par les hôpitaux aux patients étrangers en situation irrégulière ne pouvant bénéficier de l'AME, faute notamment de remplir la condition de séjour irrégulier de trois mois en France, et aux demandeurs d'asile majeurs pendant le délai de carence de trois mois avant leur accès à la protection universelle maladie. Ces soins sont réglés aux établissements de santé par l'assurance maladie et font l'objet d'une prise en charge forfaitaire par l'État fixé à ce niveau depuis 2021 ;

- 1 million d'euros pour les autres dispositifs de moindre ampleur : d'une part, l'AME dite humanitaire 9 ( * ) , qui recouvre les prises en charge ponctuelles de soins hospitaliers en France de personnes françaises ou étrangères qui ne résident pas sur le territoire, sur décision individuelle prise par le ministre chargé de l'action sociale, et ne concerne qu'une centaine de prises en charge chaque année. D'autre part, l'AME pour les personnes gardées à vue 10 ( * ) , qui ne prend en charge que les actes infirmiers et les médicaments.

B. MIEUX RÉGULER LES DÉPENSES D'AME

1. L'effet incertain des mesures de régulation des dépenses introduites en 2019

La loi de finances pour 2020 11 ( * ) avait restreint l'accès à l'AME en introduisant :

- l'obligation de justifier d'une durée de résidence en France en situation irrégulière d'au moins trois mois , afin d'empêcher l'ouverture de droits à l'expiration d'un visa touristique ;

- le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des majeurs à un délai d'ancienneté minimale de neuf mois de bénéfice de l'AME , sauf dérogation accordée par l'équipe de soins en cas de conséquences graves ou durables sur l'état de la personne ;

- l'obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-demandeurs .

Leur application ayant été largement interrompue par la crise sanitaire liée au covid-19 12 ( * ) , les résultats de ces dispositions sont encore difficiles à mesurer sur les grands indicateurs de la dépense.

En revanche, l'obligation faite aux primo-demandeurs de déposer leur dossier au guichet d'une CPAM a des effets pratiques immédiatement observables : en Seine-Saint-Denis, l'accueil physique des primo-demandeurs mobilise 7 ETP, soit près de 14 % des ETP consacrées par la CPAM à l'accueil de tous les usagers, et il en faudrait le triple pour absorber la charge de travail nouvelle.

Alors que le Gouvernement annonce de nouveaux véhicules législatifs en 2023, dont l'un relatif à l'immigration, la rapporteure pour avis estime opportun de rouvrir la réflexion sur la procédure de dépôt d'un premier dossier de demande d'aide médicale d'État , dont l'instruction pourrait par exemple être assurée par les maisons France services, qui incluent des agents de l'assurance maladie et des autres administrations de l'État et de sécurité sociale, et dont le maillage territorial est beaucoup plus fin que celui des CPAM.

2. Des mesures de lutte contre la fraude encore insuffisantes

Le contrôle du caractère irrégulier du séjour avait également été renforcé en 2020 avec l'accès des caisses primaires d'assurance maladie à la base Visabio, laquelle permet aux caisses de s'assurer que des étrangers, en situation régulière et devant être couverts par leur État d'origine ou une assurance privée, ne bénéficient pas de l'AME ou des soins urgents.

Ce contrôle aboutit à une détection de visa dans 6 % des interrogations de la base Visabio. Le visa pouvant être en cours ou échu, cette détection ne donne pas systématiquement lieu à un refus de droits AME. D'après un sondage mené en juillet 2022 au sein des pôles instruisant les demandes d'AME en métropole, sur 663 dossiers où un visa a été identifié :

- 595 concernaient des visas échus depuis plus de 3 mois, soit 90 % des visas détectés ;

- 45 dossiers ont été rejetés car un droit au séjour était en cours ;

- 22 demandes ont été refusées au motif que la durée de résidence en France en situation irrégulière était inférieure à 3 mois ;

Parmi les dossiers pour lesquels un visa a été détecté, le taux de dossiers refusés s'établit à 10 %, alors qu'il était de 3,6 % lors d'un sondage similaire au printemps 2021, ce que la DSS explique par une meilleure appropriation de l'outil Visabio et de la procédure par les agents.

Reste que peu de mesures nouvelles de renforcement de la lutte contre la fraude sont prévues par le Gouvernement . Un décret en cours d'élaboration prévoit tout au plus de donner aux organismes de sécurité sociale un accès à la base « réseau mondial visa », devenue « France-Visas », qui recense un plus grand nombre de visas, afin de renforcer le contrôle sur les demandes d'AME.

Les caisses ont également accès à l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), mais cette base sera progressivement remplacée par la base de l'Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), à laquelle les caisses n'ont pas encore accès.

Sur le terrain, la lutte contre la fraude à l'AME repose en outre sur un partenariat opérationnel avec de nombreux acteurs internes et externes à l'assurance maladie . La CPAM de Seine-Saint-Denis, qui a alerté la rapporteure pour avis sur l'ampleur prise récemment par le trafic de médicaments dérivés des opiacés et de médicaments onéreux, reçoit des signalements, outre des administrations de l'État, des hôpitaux de l'AP-HP ou encore des officines de pharmacies. Si la fraude est avérée, elle informe à titre préventif l'ensemble des pharmacies du département par un message d'alerte au moyen du système d'alerte sécurisée aux fausses ordonnances (Asafo), lequel répercute les alertes et met à disposition les informations portant sur les prescripteurs de faux documents, les assurés ayant déjà présenté de fausses prescriptions ou sur le compte desquels des médicaments sont délivrés à partir de faux, et les médicaments pour lesquels des fausses ordonnances ont été détectés.

À terme, le déploiement de la e-prescription sera un moyen de lutte important contre les trafics de produits de santé utilisant des fausses ordonnances .

3. Pour une véritable réforme de l'AME

Compte tenu de la dynamique des dépenses, la commission accueille favorablement l'adoption par la commission des finances, cette année encore, de l'amendement du rapporteur spécial Christian Klinger, qui recentre l'AME, rebaptisée « aide médicale de santé publique », sur un noyau de dépenses comprenant :

- la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents , alignant ce faisant le périmètre des soins pris en charge sur ceux couverts par le dispositif équivalent en Allemagne. Continueraient ainsi d'être prises en charge d'une part les affections aiguës comme une appendicite, une fracture, ou des blessures graves, et d'autre part la prévention et le traitement de pathologies graves telles que les maladies infectieuses graves - tuberculose, infections sexuellement transmissibles, etc . - mais également les maladies chroniques telles que les cancers, l'insuffisance rénale, ou le diabète ;

- les soins liés à la grossesse et à ses suites ;

- un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive . Pourront par exemple entrer dans le périmètre de ces soins les examens de prévention en santé (EPS) mis en oeuvre par les 85 centres d'examen de santé de l'assurance maladie, mais aussi les rendez-vous de prévention récemment portés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Les examens de prévention en santé permettent ainsi de bénéficier de consultations en lien avec des problèmes d'addiction, de santé sexuelle, de troubles cardiovasculaires, de dépistage du cancer, etc .

La rapporteure pour avis voit dans cette redéfinition du périmètre de l'aide médicale d'État le moyen utile de la recentrer sur la poursuite de son triple objectif humanitaire, sanitaire et économique, et de limiter les conséquences, supportées par le ministère de la santé, de l'incapacité du ministère de l'intérieur à remédier au problème de la présence irrégulière prolongée sur le territoire français. En Seine-Saint-Denis, dont la CPAM fait partie, avec celles de Paris et Marseille, des caisses qui centralisent l'instruction des demandes d'AME, 57 % des bénéficiaires ont des droits ouverts depuis moins de deux ans, près de 73 % depuis moins de trois ans ; il en résulte que près de 28 %, donc, ont des droits à l'AME ouverts depuis trois ans et plus, dont près de 20 % depuis quatre ans et plus .

La commission a en outre adopté l'amendement proposé par la rapporteure pour avis, consistant à créer un nouveau programme consacré au financement d'actions d'« aller-vers » conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à proposer des examens aux personnes en situation irrégulière et à les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique. Ce dispositif est financé à hauteur de dix millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins.

III. LE NOUVEAU PROGRAMME 379 : UN SIMPLE CANAL BUDGÉTAIRE DE SUIVI DES CRÉDITS EUROPÉENS DESTINÉS À L'INVESTISSEMENT

La hausse faciale des crédits de la mission santé, de près de 160 %, est en réalité due à la création d'un nouveau programme 379 , doté de 1,930 milliard d'euros.

Ce nouveau programme, censé s'éteindre en 2026, est intitulé « Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR) européenne au titre du volet “Ségur investissement” du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».

Ces deux volets du programme ont en commun d'avoir jusqu'à présent fait l'objet d'un mode de financement identique par l'affectation à la sécurité sociale d'une fraction de TVA par la seconde loi de finances rectificative pour 2021 13 ( * ) , à hauteur de 600 millions d'euros s'agissant du coût des dons de vaccins, et de 778 millions d'euros s'agissant du transfert de ressources au titre de la quote-part des investissements du Ségur de la santé dans les versements européens présentés dans le plan national de relance et de résilience.

Pour 2023, le choix est fait de créer un canal budgétaire ad hoc pour reverser ces recettes européennes à la sécurité sociale . La première action du programme n'est dotée d'aucun crédit : le programme doit servir de canal budgétaire pour la compensation à la sécurité sociale d'éventuelles demandes de dons de vaccins en 2023.

La seconde action porte, donc, 1,93 milliard d'euros, qui correspondent à 15,2 % de crédits du FRR alloués à la France en 2023 . La somme des quotes-parts du FRR versées annuellement à la sécurité sociale jusqu'en 2026 portera l'effort total à 6 milliards d'euros, qui se déclinent ainsi :

- 2,5 milliards d'euros de soutien aux projets d'investissement dans les établissements de santé ;

- 1,5 milliard d'euros de soutien aux projets d'investissement dans les établissements médico-sociaux, en particulier les Ehpad ;

- 2 milliards d'euros de soutien aux projets d'amélioration des outils numériques en santé.

Le versement des fonds européens est conditionné, d'après les documents budgétaires, à l'atteinte de cibles et jalons fixés par le PNRR , dûment justifiée et conformément au calendrier arrêté. Leur non-respect peut emporter suspension totale ou partielle des versements. Pour 2023, les 1,93 milliard d'euros devront ainsi parvenir à soutenir 800 établissements dans leurs investissements du quotidien en 2023, et 20 projets de construction, de modernisation ou de rénovation énergétique supérieurs à 20 millions d'euros. D'ici 2025, 15 millions de documents devront être envoyés dans le dossier médical partagé.

La politique de santé publique ne gagne sans doute pas grand-chose au portage par la mission « Santé » de ce nouveau programme, sauf un argument à faire valoir contre les appels récurrents au transfert de son contenu, résiduel, dans les autres missions du budget général.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 novembre 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Annie Delmont-Koropoulis sur le projet de loi de finances pour 2023 (mission « Santé »).

Mme Catherine Deroche , présidente. - Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, nous examinons en premier lieu les crédits de la mission « Santé ».

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis de la mission « Santé ». - Voilà au moins trois ans que nous déplorons le caractère à la fois hétéroclite, chétif sur le plan financier et, en définitive, inadapté aux enjeux sanitaires, de la mission « Santé » du PLF.

En 2023, les crédits de la mission progresseront de 159 %, en passant de 1,3 à 3,36 milliards d'euros, mais cette hausse n'efface aucune des trois critiques que je viens de faire. Elle s'explique en effet par la création d'un nouveau programme 379, doté de 1,93 milliard d'euros - davantage que le reste de la mission - et intitulé « Compensation à la Sécurité sociale du coût des dons de vaccins à des pays tiers et reversement des recettes de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR) européenne au titre du volet “Ségur investissement” du plan national de relance et de résilience (PNRR) ».

Sous cette appellation figurent les crédits européens destinés à couvrir les coûts liés aux dons de vaccins aux pays étrangers et à soutenir le volet investissement Ségur du plan de relance français. Ces derniers sont versés de manière conditionnelle à l'atteinte des cibles et des jalons fixés pour le bon déploiement du plan, sous forme de nombre d'établissements rénovés, par exemple.

Ce programme n'étant qu'un canal budgétaire ad hoc pour faire transiter, jusqu'en 2026, ce qui était jusqu'alors remboursé à la sécurité sociale par l'État au moyen de recettes de TVA affectées - ce fut le cas dans la seconde loi de finances rectificative de 2021 -, la politique sanitaire n'y gagne a priori pas grand-chose. La mission « Santé », elle, en retire sans doute l'assurance que nous cesserons de souhaiter sa suppression, comme nous l'avons fait l'an dernier.

À l'exclusion de ce programme, les crédits de la mission santé atteignent donc 1,43 milliard d'euros. Cette somme agrège les crédits des deux autres programmes de la mission que sont le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui consacre 213 millions d'euros à ces postes ; et le programme 183, « Protection maladie », qui porte 1,22 milliard d'euros de dépenses au titre de l'aide médicale d'État (AME), pour l'essentiel. C'est ce dernier qui explique, à lui seul ou presque, la hausse de 10 % des crédits de la mission à périmètre constant.

Les crédits de prévention sanitaire et d'offre de soins du programme 204 n'augmentent, eux, que de 1,6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Cette hausse s'explique surtout par l'ouverture de 2 millions d'euros de crédits destinés à répondre à d'éventuelles circonstances liées à la crise sanitaire après la mise en extinction - enfin ! - du fonds de concours lié au covid-19, et par un très léger effort dans certaines politiques de prévention spécifiques.

Ce programme ne contribue plus qu'au financement de deux agences sanitaires : l'Institut national du cancer (INCa), dont les crédits stagnent à 40,5 millions d'euros, et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont les crédits s'élèveront à 23 millions d'euros, soit une hausse de 0,4 million par rapport à la LFI pour 2022, afin de tenir compte de la nouvelle mission sur les cosmétiques et les produits de tatouage confiée à l'agence à compter du 1 er janvier 2024, en vertu d'un amendement inclus par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité à l'Assemblée nationale.

Les crédits consacrés aux actions juridiques et contentieuses, qui s'élèvent à 41,6 millions d'euros, sont en baisse de 11 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2022. Cette baisse s'explique essentiellement par la diminution de la dotation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) au titre de l'indemnisation des victimes du valproate de sodium (Dépakine®). Voilà plusieurs années en effet que le niveau de cette dotation est abaissé, en raison d'une sous-consommation chronique des crédits, laquelle s'explique par un non-recours important au dispositif d'indemnisation.

Notre collègue de la commission des finances Christian Klinger a publié en septembre dernier un rapport qui ne préconise pas de revenir sur la réforme de la procédure d'évaluation des dossiers de 2020, mais qui formule d'intéressantes recommandations pour remédier au non-recours, notamment pour renforcer le collège d'experts et les capacités d'analyse juridique des dossiers, et mieux accompagner les familles.

Notons enfin que l'Oniam porte également les crédits pouvant servir à l'indemnisation des conséquences dommageables d'une vaccination réalisée dans le cadre de la campagne de vaccination contre le covid-19. Il a reçu à ce titre, au 31 août 2022, 713 demandes d'indemnisation amiables, parmi lesquelles 56 ont fait l'objet d'une décision de rejet et 25 offres ont été notifiées aux personnes vaccinées lors de la campagne, principalement pour des myocardites et des péricardites ; 56 expertises médicales sont encore en cours. Les autres demandes sont en cours d'instruction.

Les services de l'État estiment qu'« en l'absence d'une doctrine pérenne et établie, il reste difficile à ce jour de chiffrer l'impact financier de cette nouvelle mission ». Il me semble en tout cas que le rapport d'étape de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur « les effets indésirables consécutifs à la vaccination contre la covid-19 et le système français de pharmacovigilance », publié en juin dernier, dont notre collègue Florence Lassarade a été l'un des rapporteurs, devrait conduire à soutenir les moyens humains de l'Oniam pour faire face aux demandes.

L'effort en matière de développement de systèmes d'information en santé est maintenu, puisque 11,5 millions d'euros y seront consacrés l'an prochain, soit presque 2 millions d'euros de plus que l'an dernier. Il s'agit notamment de financer le lancement de certains chantiers, tel l'entrepôt national de données de biologie médicale, mais aussi de finaliser les outils associés à des impératifs réglementaires. La lisibilité de cette politique n'est toutefois pas évidente, puisque l'Agence du numérique en santé ne voit transiter qu'un peu plus de 2,8 millions d'euros au titre du programme 204, tandis que sa dotation pour 2022 au titre de la mise en oeuvre du volet numérique du Ségur atteignait 322 millions d'euros.

Le programme 204 finance enfin diverses politiques de prévention sanitaire fragmentées en une multitude de sous-actions, dotées de montants souvent inférieurs à 1 million d'euros. Seules dépassent ce montant les actions de prévention en matière de santé environnementale, de nutrition, de prévention des addictions ou de santé sexuelle, qui garnissent le plan national santé-environnement (PNSE) 4, le programme national nutrition santé (PNNS) 4, le plan Chlordécone 4, le programme national de lutte contre le tabac, la feuille de route santé sexuelle, ou encore la « Stratégie nationale Sport Santé 2019-2024 », entre autres.

Il est difficile, dans ces conditions, d'évaluer la contribution du programme 204 aux objectifs qu'il se fixe, tel que celui d'« améliorer l'état de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé », et à plus forte raison, au moyen d'indicateurs aussi disparates que le taux de couverture vaccinale contre la grippe des plus de 65 ans, le taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal, le pourcentage d'unités de distribution d'eau potable, présentant des dépassements des limites de qualité microbiologique, ou la prévalence du tabagisme chez les adultes.

À titre de comparaison, les annexes au PLF et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) estiment les dépenses de l'État en matière de prévention sanitaire à presque 3 milliards d'euros, et celles de prévention institutionnelle portées par la sécurité sociale à 5 milliards d'euros avant la crise du covid-19, et 17 milliards en 2021, incluant certes les mesures de dépistage.

J'en viens aux crédits du programme 183, relatif à l'AME.

En 2021, la croissance du nombre de bénéficiaires, qui avait connu un bond de 11,6 % en 2020, a progressé plus lentement, de 3,3 %, pour atteindre 380 493 bénéficiaires. La dépense trimestrielle moyenne par bénéficiaire a augmenté de 6,4 % par rapport à 2020 pour atteindre 598 euros. Cette hausse est expliquée par la direction de la sécurité sociale par le rattrapage de la consommation de soins, après la forte baisse constatée en 2020.

Pour 2023, le Gouvernement prévoit des dépenses au titre de l'AME de droit commun à hauteur de 1,14 milliard d'euros, contre 1 milliard d'euros en 2022. Les 133 millions d'euros supplémentaires sont justifiés par la prolongation de la tendance pré-crise des différents facteurs de dynamisme de la dépense : la dépense de produits de santé, de prestations hospitalières, et de nombre de consommants, c'est-à-dire d'étrangers en situation irrégulière. Le Gouvernement a pourtant annoncé le renforcement des mesures d'éloignement, et un nouveau projet de loi sur l'immigration pour 2023.

De plus, des mesures avaient été introduites à la fin de l'année 2019 pour prévenir les risques de détournement du dispositif. Celles-ci renforçaient la condition de résidence en situation irrégulière, conditionnaient la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes à un délai d'ancienneté dans le dispositif et le dépôt du dossier de demande d'AME pour les primo-demandeurs à une comparution physique dans une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).

Ces mesures ont néanmoins dû être aménagées ou suspendues pendant la crise sanitaire, de sorte que leur effet est encore difficilement mesurable. D'un point de vue pratique toutefois, il est déjà manifeste que les CPAM n'ont pas les effectifs permettant d'absorber l'afflux de primo-demandeurs, et qu'il serait bon, dans un véhicule plus adapté que le PLF, de songer à modifier la procédure : les maisons France services, par exemple, qui associent différentes administrations, dont l'assurance maladie, et ont un maillage territorial beaucoup plus fin que les CPAM, pourraient peut-être recevoir par principe les demandeurs.

Des mesures de lutte contre la fraude avaient en outre été déployées. Il n'est guère prévu de les renforcer. Tout au plus l'accès des CPAM à la base de données Visabio, afin de vérifier la régularité de la situation des demandeurs, sera-t-elle étendue à la base de données « France-Visas », que le Gouvernement annonce plus complète que la précédente... La CPAM de Seine-Saint-Denis m'a pourtant alertée sur les dérives qu'elle constate, notamment en matière de trafic de médicaments onéreux.

Quoi qu'il en soit, de tous les éléments de diagnostic du dispositif et des causes de sa dérive financière, on ne saurait écarter totalement la question du périmètre des soins remboursés, bien plus large que celui des dispositifs analogues de nos voisins européens.

C'est pourquoi nos collègues de la commission des finances ont adopté cette année encore l'amendement du rapporteur spécial Christian Klinger qui recentre l'AME, rebaptisée « aide médicale de santé publique », sur un noyau de dépenses comprenant : la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents, alignant ce faisant le périmètre des soins pris en charge sur ceux qui sont couverts par le dispositif équivalent en Allemagne ; les soins liés à la grossesse et à ses suites ; un ensemble de soins de prévention comprenant les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

J'y vois, pour ma part, un moyen utile de recentrer le dispositif sur son objectif humanitaire, par ailleurs cohérent avec les priorités que le ministère de l'intérieur dit vouloir poursuivre.

Je vous proposerai un autre amendement, consistant à créer un nouveau programme consacré au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de maraudes, d'équipes mobiles de prévention ou encore de barnums de dépistage, destinés à proposer aux personnes en situation irrégulière des examens de dépistage et à les sensibiliser à la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique. Ce dispositif est financé à hauteur de 10 millions d'euros, issus d'une partie des économies susceptibles de découler de la redéfinition du panier de soins.

J'ai moi-même pu mesurer sur le terrain, en tant que médecin et en tant qu'élue, la persistance de comportements fraudeurs, au détriment de personnes qui n'ont pas accès aux soins, faute de connaître leurs droits ou par crainte de se faire connaître de l'administration. Combattre la fraude de façon déterminée tout en maximisant l'accès aux soins des plus vulnérables, tel demeure l'objectif de cette indispensable politique sanitaire.

Mme Catherine Deroche , présidente. - Je rappelle que nous avions coproduit il y a deux ans cet amendement sur l'aide médicale, rebaptisée « aide médicale de santé publique », pour définir ce nouveau panier de soins. Je salue la détermination d'Annie Delmont-Koropoulis à remettre en place le dispositif sur les maraudes, car il est particulièrement important en matière de santé publique.

Nous passons à l'examen de l'amendement.

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis. - Dans un souci de maximisation de l'accès aux soins et à la prévention des bénéficiaires de l'aide médicale de santé publique, l'amendement n° II-328 crée, au sein de la mission « Santé », un programme consacré au financement d'actions conduites par l'État, l'assurance maladie et les associations, notamment dans le cadre de démarches d'« aller-vers » telles que des maraudes, des bus de prévention ou encore des barnums de dépistage, afin de proposer des examens aux personnes en situation irrégulière et de les sensibiliser sur la nécessité de solliciter le dispositif de l'aide médicale de santé publique pour bénéficier d'examens complémentaires de prévention.

Il est prévu de transférer 10 millions d'euros de l'action n° 2 du programme 183 vers ce nouveau programme. Ce transfert ne devrait pas avoir d'impact sur la soutenabilité des dépenses du programme, compte tenu des économies appelées à découler du renforcement des contrôles et du recentrage du panier de soins de la nouvelle aide médicale de santé publique.

L'amendement n° II-328 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

• Direction de la sécurité sociale (DSS)

Marion Muscat , adjointe à la sous-directrice de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail

Sara Donati , chargée de mission au bureau de l'accès aux soins et des prestations de santé

Thomas Ramiliajoana , adjoint au sous-directeur de la sécurité sociale

Lucie Garcin , adjointe à la cheffe du bureau de la synthèse financière

Louise Delhaye , chargée de mission au bureau économie de la santé

• CPAM de Seine-Saint-Denis

Aurélie Combas-Richard , directrice générale

Jean-Gabriel Mouraud , directeur adjoint

• Direction générale de la santé (DGS)

Danielle Metzen-Ivars, cheffe de service des politiques d'appui au pilotage et de soutien

Grégoire Rullier, chef du bureau budgétaire


* 1 Le transfert à l'ANSéS de la veille et du traitement des signalements d'événements indésirables est envisagé par la Cour des comptes (communication à la commission des affaires sociales du Sénat sur l'Agence nationale de sécurité du médicaments et des produits de santé, 2019), l'Inspection générale des affaires sociales (Organisation de la sécurité sanitaire des produits cosmétiques et de tatouage : état des lieux et évolutions souhaitables, mars 2020) et le Haut Conseil de la santé publique (Avis relatif aux risques des produits et pratiques de tatouage et de détatouage, 15 décembre 2020).

* 2 Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français, rapport d'étape fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques par M. Gérard Leseul, député, et Mmes Sonia de La Provôté et Florence Lassarade, sénatrices, déposé le 9 juin 2022.

* 3 Le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine : mieux anticiper pour mieux indemniser, rapport d'information n° 904 (2021-2022) de M. Christian Klinger, fait au nom de la commission des finances, le 28 septembre 2022.

* 4 Voir les rapports pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission Santé du PLF pour 2021 et 2022.

* 5 Voir les notes d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission Santé pour 2020 et 2021 publiées par la Cour des comptes.

* 6 Règlement européen (2017/745) applicable aux investigations cliniques de dispositifs médicaux, règlement européen (2014/536) applicables aux essais cliniques de médicament, et règlement européen (2017/746) applicable aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.

* 7 Prévue aux trois premiers alinéas de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 8 Article L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 9 Quatrième alinéa de l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 10 Cinquième alinéa du même article.

* 11 Article 264 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 12 L'obligation de dépôt physique des primo-demandes en CPAM a été suspendue lors du premier état d'urgence sanitaire en application du III de l'article 1 er de l'ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 relative à la prolongation de droits sociaux. La suspension a été reconduite et prolongée jusqu'au 1 er juin 2021, puis de nouveau appliquée en janvier et février 2022, en application du 8° de l'article 1 er de l'arrêté du 14 janvier 2022 modifiant l'arrêté du 1 er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

* 13 Loi n° 2021-1549 du 1 er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021.

Page mise à jour le

Partager cette page