E. LA REVALORISATION ANTICIPÉE DES PRESTATIONS SOCIALES ET LA QUESTION DE L'INCITATION À L'ACTIVITÉ (ARTICLE 5)

1. Une réévaluation de 4 % au 1er juillet afin de préserver le pouvoir d'achat

L'article 5 du présent projet de loi prévoit une revalorisation anticipée au 1 er juillet 2022 de certaines prestations sociales à hauteur de 4 %, afin de soutenir le revenu de ses bénéficiaires, notamment ceux de condition modeste. Pour mémoire, de droit commun, les prestations sociales sont revalorisées chaque année en fonction de l'inflation selon des modalités encadrées par l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.

Selon les cas, cette revalorisation peut intervenir à deux dates :

- au 1 er janvier de l'année N sur la base de l'évolution moyenne de l'indice des prix à la consommation hors tabac (IPCHT) sur la période allant de novembre de l'année N-2 à novembre de l'année N-1. Les prestations concernées ont ainsi été revalorisées de 1,1 % au 1 er janvier 2022 ;

- au 1 er avril de l'année N sur la base de l'évolution moyenne de l'IPCHT sur la période allant de février de l'année N-1 à janvier de l'année N. Les prestations concernées ont ainsi été revalorisées de 1,8 % au 1 er avril 2022.

Cette revalorisation de 4 %, qui s'ajouterait à celles déjà intervenues au 1 er janvier ou au 1 er avril, permet de tenir compte de la forte accélération de l'inflation au premier semestre de l'année 2022 (+ 5,3% en glissement annuel à fin mai), par anticipation de celle qui n'aurait dû intervenir qu'au 1 er janvier ou au 1 er avril 2023.

L'article prévoit également un mécanisme de garantie : le coefficient de revalorisation qu'il prévoit s'imputerait sur celui qui serait calculé en 2023 pour autant que celui-ci ne conduise pas à une diminution de la prestation (sous l'hypothèse improbable que l'évolution des prix serait in fine négative sur la période de référence). Le cas échéant, la prestation serait stabilisée à son niveau de 2022.

2. Un dispositif dont le coût est estimé à 6,6 milliards d'euros en 2022

Le coût global de ce dispositif pour les finances publiques, dont les effets sont étalés sur les exercices 2022 et 2023, est estimé à 8 milliards au total, dont 6,6 milliards d'euros au titre de l'année 2022 et 1,4 milliard d'euros au titre des premiers mois de l'année 2023 55 ( * ) .

Si ce coût serait principalement supporté par la sécurité sociale (4,6 milliards d'euros en 2022), l'impact pour l'État et les collectivités territoriales, évalué à 2 milliards d'euros en 2022, serait également massif.

a) Une progression des dépenses de la Sécurité sociale de 4,6 milliards d'euros

Les pensions de retraite font partie des prestations concernées par la revalorisation, conformément à l'article L161-23-1 du code de la sécurité sociale. L'application de ce dispositif a néanmoins fait l'objet de plusieurs exceptions lors de la décennie précédente. Entre 2014 et 2016, les pensions de retraite avaient été gelées pour les pensions de plus de 1 200 euros. En 2019 et en 2020, les retraites ont à nouveau été sous-revalorisées ou partiellement sous-revalorisées. Ainsi l'article 68 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 avait fixé la revalorisation des retraites à 0,3 %, ce qui est un niveau inférieur à l'inflation constatée en 2018 (1,7 %). L'article 81 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 avait fixé la revalorisation à 1 % pour les retraites inférieures à 2 000 euros bruts (équivalent à l'inflation constatée), et à 0,3 % pour les autres. Un mécanisme de sous-indexation progressive avait été mis en place pour éviter les effets de seuil, ce qui fait que la revalorisation de 0,3 % n'a en réalité été appliquée que pour les pensions supérieures à 2 014 euros.

Outre ces sous-revalorisations, la date de la revalorisation a fait l'objet de deux reports au cours de la dernière décennie. Elle a été premièrement repoussée du 1 er avril au 1 er octobre par l'article 4 de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, puis du 1 er octobre au 1 er janvier par l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. La somme des deux reports aboutit à une économie de 9 mois de revalorisation depuis 2014.

18 millions de retraités sont aujourd'hui concernés par la revalorisation. Le coût pour 2022 de la revalorisation des pensions de retraite est estimé à 3,7 milliards d'euros pour la sécurité sociale. En ajoutant les pensions d'invalidité, les prestations d'accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP) et les prestations familiales également à sa charge, le coût global pour la sécurité sociale de la réévaluation attendue est porté à 4,6 milliards d'euros en 2022 .

Dans son avis relatif au projet de loi, le Conseil d'État relève que bien que la mesure « modifiera les grandes lignes de l'équilibre financier de la Sécurité sociale », le Gouvernement n'est pas tenu de présenter dans le même temps un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. En revanche, il devra tenir compte des effets de cette mesure sur les conditions générales de l'équilibre financier des comptes sociaux dans la deuxième partie du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

b) Une dépense supplémentaire pour l'État estimée à 1,88 milliard d'euros

En combinant majoration des pensions de retraite servies par des régimes équilibrés par l'État, via le compte d'affectation spéciale « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraites » et réévaluation des prestations sociales financées directement par l'État, notamment au travers des missions « Solidarité, insertion et égalité des chances », « Travail et emploi » et « Recherche et enseignement supérieur », l'impact du dispositif présenté pour le budget général est estimé à 1,88 milliard d'euros (dont 1,2 milliard d'euros pour les seules pensions de retraite) .

S'agissant des prestations sociales, l'essentiel de l'impact est supporté par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Celui-ci regroupe les crédits dédiés au financement de plusieurs dispositifs appelés à être revalorisés :

- la prime d'activité , qui bénéficie aux travailleurs modestes (9,8 milliards d'euros prévus en loi de finances pour 2022). Le montant forfaitaire de la prime d'activité pour une personne seule passerait ainsi de 564 à 586 euros (+ 22 euros) 56 ( * ) ;

- le revenu de solidarité active (RSA) versé aux jeunes parents 57 ( * ) ainsi qu'aux bénéficiaires du RSA et du revenu de solidarité Outre-mer (RSO) dans les départements où son financement a été recentralisé de façon pérenne 58 ( * ) ou à titre expérimental 59 ( * ) . Le montant plafond du RSA pour une personne seule serait porté de 576 à 599  euros (+ 23 euros) ;

- l' allocation aux adultes handicapés (AAH), minimum social qui est versé aux personnes en situation de handicap sous condition de ressources et de niveau d'invalidité (11,8 milliards d'euros en loi de finances pour 2022). Le montant plafond de l'AAH pour une personne seule passerait ainsi de 920 à 957 euros (+ 37 euros) ;

- l' aide à la vie familiale des anciens travailleurs migrants (AVFS), qui bénéficie, sous conditions de ressources, aux retraités de nationalité étrangère souhaitant résider dans leur pays d'origine (2,1 millions d'euros en loi de finances pour 2022).

Sur le champ de la mission « Travail et emploi » , il est proposé de revaloriser :

- les prestations bénéficiant aux demandeurs d'emploi versées par Pôle emploi : l'allocation de solidarité spécifique (ASS) attribuée aux personnes ayant épuisé leurs droits au chômage, l'allocation équivalent retraite (AER) destinée aux demandeurs d'emploi n'ayant pas atteint l'âge de la retraite mais justifiant des trimestres requis pour avoir une retraite à taux plein 60 ( * ) ainsi que l'allocation temporaire d'attente (ATA) qui était attribuée à certaines personnes non couvertes par l'allocation chômage ou d'autres minima sociaux 61 ( * ) (2,2 milliards d'euros en loi de finances pour 2022) ;

- les prestations bénéficiant aux jeunes en parcours d'insertion : allocation mensuelle versée dans le cadre du contrat d'engagement jeune (CEJ), de l'ancienne Garantie jeunes et du parcours en établissement public d'insertion (EPIDE) ;

- la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle .

Enfin, sur le champ de la mission « Recherche et enseignement supérieur », il est proposé de revaloriser les bourses nationales du second degré , ce qui représente un coût de 50 millions d'euros .

Le rapporteur pour avis ne peut cependant que regretter le manque de détail de l'impact budgétaire de la revalorisation de chaque mesure prise individuellement.

L'étude d'impact annexée au présent projet de loi se borne, en effet, à indiquer le coût global de la revalorisation cumulée du RSA, du RSO et de la prime d'activité alors même que ces dispositifs ne sont pas financés par les mêmes personnes publiques . Elle ne documente aucunement le coût des mesures relevant de la mission « Travail et emploi » , l'étude d'impact se bornant à renseigner le nombre de bénéficiaires (988 492 personnes au total).

c) Un coût pour les collectivités territoriales estimé à 120 millions d'euros

Les départements sont les principales collectivités territoriales concernées par la mesure, du fait de la revalorisation du RSA et du RSO, dont ils ont en principe la charge (hors les cas énumérés ci-dessus où ces prestations sont prises en charge par l'État). L'étude d'impact estime le coût de cette mesure à environ 120 millions d'euros en 2022.

La mesure constitue une nouvelle illustration du refus de l'État d'appliquer, dans ses relations financières avec les collectivités territoriales, le principe « qui décide paie ».

Il est à noter que les régions sont marginalement affectées par la mesure au titre du financement de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, dont elles partagent la charge avec l'État.

3. Une revalorisation globalement bienvenue mais qui ne doit pas avoir pour effet de fragiliser le retour à l'emploi dans un contexte de tensions sur le marché du travail

Le rapporteur pour avis considère, premièrement, que l'effort budgétaire en faveur du pouvoir d'achat doit prioritairement viser les travailleurs , qui sont particulièrement exposés à la hausse des prix, en particulier compte tenu de leurs dépenses contraintes de carburant.

En outre, si le soutien aux retraités et à certaines catégories de personnes se trouvant dans l'impossibilité d'exercer une activité apparaît plus que légitime, l e dispositif ne doit pas cependant avoir pour effet de diminuer le coût d'opportunité de ne pas prendre un emploi dans un contexte marqué par de fortes tensions sur le marché du travail.

En effet, il est important de veiller à ce que nos politiques sociales restent cohérentes avec la situation de l'économie et du marché du travail en particulier.

En effet, bien que l'emploi salarié reste dynamique au premier semestre 2022 et dépasse ainsi nettement son niveau d'avant crise (+ 717 000 emplois) et que le taux de chômage reste bas (7,3 %), on constate de très importantes tensions de recrutement sur le marché du travail : en juillet 2022 selon l'INSEE, 67 % des entreprises du secteur de l'industrie manufacturière et 60 % des entreprises du secteur des services déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement, soit aux plus hauts niveaux depuis la création de ces indicateurs. Cette proportion s'élève même à 82 % dans le secteur de la construction, soit le plus haut niveau observé depuis 15 ans 62 ( * ) .

Les causes de l'insuffisance de l'offre de travail sont diverses et bien connues : défaut d'attractivité des salaires ou des conditions de travail, faible adéquation des compétences disponibles aux besoins de l'économie, contraintes sur la mobilité etc . Le contexte de la crise et de la relance a pu également intensifier le phénomène du fait, d'une part, de la rétention de main d'oeuvre de certaines entreprises en prévention de la reprise mais également, d'autre part, de l'intensification des recrutements liée à la reprise et générant des phénomène de concurrence pour l'embauche entre les entreprises. La crise a en outre provoqué une prolongation des études des jeunes, retardant leur entrée sur le marché du travail, et aurait également pu contribuer à accélérer une tendance sociétale plus lourde d'évolution des aspirations professionnelles de ces publics, notamment en matière de conditions de travail.

Dans un tel contexte de tensions sur le marché du travail, qui pèse sur la croissance économique potentielle de notre pays comme sur sa capacité à financer son modèle social, il est impératif que le travail puisse être encouragé et valorisé. Pour cette raison, il convient de veiller à ce que les revenus de la solidarité nationale ne constituent pas un facteur supplémentaire de désincitation à l'accès ou à la reprise d'un emploi pour les actifs .

Dans son récent rapport fait au nom de la mission d'information sur l'évolution et la lutte contre la paupérisation et la précarisation d'une partie des Français 63 ( * ) , le sénateur Frédérique Puissat rappelait en outre que « la situation face à l'emploi constitue le déterminant clé de la pauvreté en France puisque en 2018 le taux de pauvreté des chômeurs de plus de 18 ans s'élève à 37,8 % (...) contre 8,4 % pour les personnes en emploi » , et en déduisait que « l'accès à un emploi durable et de qualité constitue le moyen le plus efficace de se protéger de la pauvreté et de la précarité » .

Le RSA et de l'ASS bénéficiant en principe à des personnes aptes au travail, la question de l'efficacité économique et sociale réelle de leur revalorisation à hauteur de 4 % est donc posée dans ce contexte .

La mesure pose en outre à cet égard une question d'équité , par comparaison à la revalorisation qui est appliquée au point d'indice de la fonction publique, limitée à 3,5 %, et à l'allègement des cotisations prévu par l'article 2 du présent projet de loi qui conduit également à majorer le revenu d'un indépendant qui se rémunère au SMIC avant impôt d'un taux de 3,5 %.

Ces points de vigilance méritent d'autant plus d'être soulevés que le projet de loi de finances rectificative pour 2022 , en cours d'examen au Parlement, prévoit de surcroît le versement d'une aide exceptionnelle de rentrée d'un montant de 100 euros et majoré de 50 euros par enfant à charge, à tous les bénéficiaires de minima sociaux. Cette mesure, dont le coût pour l'État est estimé à 1 milliard d'euros, exclurait ainsi de son bénéfice les salariés et les agents publics les plus modestes. Il conviendra, dans ces conditions, de revoir son format.


* 55 Dans l'hypothèse plausible où le mécanisme de garantie ne trouverait pas à s'appliquer en 2023. Si tel était le cas, le surcroît de revalorisation représenterait un coût pérenne pour les finances publiques.

* 56 Le montant de la prime d'activité est calculé sur la base d'un montant forfaitaire variable en fonction de la composition du foyer (dont le nombre d'enfants à charge), auquel s'ajoutent les revenus professionnels pris en compte à hauteur de 61 % afin de favoriser l'activité. Un bonus individuel est également ajouté pour chaque personne en activité, membre du foyer, dont les revenus d'activité sont compris entre 0,5 SMIC et 1 SMIC. Le montant du bonus est croissant entre 0,5 SMIC et 1 SMIC et atteint son maximum dès 1 SMIC (soit 161,14 euros par mois au 1 er avril 2021), plafond au-delà duquel son montant est fixe. De ce total est déduit l'ensemble des ressources du foyer (notamment les prestations sociales, les revenus de remplacement).

* 57 Le RSA jeune parents peut être versé sous conditions de ressources à des personnes de moins de 25 ans parents d'enfants nés ou à naître.

* 58 Guyane, Mayotte, La Réunion.

* 59 Seine-Saint-Denis, Pyrénées Orientales.

* 60 Seules les personnes dont les droits à l'AER ont été ouverts avant le 1 er janvier 2011 continuent à la percevoir jusqu'à l'expiration de leurs droits.

* 61 Anciens détenus, travailleurs salariés expatriés, apatrides inscrits comme demandeurs d'emploi, bénéficiaires de la protection subsidiaire. Il est à noter que l'ATA a été supprimée depuis le 1 er septembre 2017. Aussi, seules les personnes bénéficiaires de l'ATA avant septembre 2017 continuent de percevoir cette allocation dans la limite de sa durée réglementaire.

* 62 INSEE, Informations rapides n° 187 , n° 188 et n° 191 , 21 juillet 2022.

* 63 Rapport d'information n° 830 (2020-2021) de Mme Frédérique PUISSAT, fait au nom de la MI Lutte contre la précarisation et la paupérisation, déposé le 15 septembre 2021.

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