II. JUSTICE JUDICIAIRE : UNE HAUSSE DU BUDGET QUI APPELLE UNE RÉFLEXION DE LONG TERME SUR LES RESSOURCES HUMAINES DES JURIDICTIONS ET LES FRAIS DE JUSTICE

A. UNE HAUSSE APPRÉCIABLE DES CRÉDITS DE LA JUSTICE JUDICIAIRE

La hausse des crédits destinés aux juridictions , inscrits au programme 166 « Justice judiciaire » du projet de loi de finances pour 2022, est appréciable quoique moins conséquente qu'en 2021 : les crédits augmenteraient de 128 millions d'euros, pour atteindre 3,85 milliards d'euros (+ 3,4 %, au lieu de + 6 % en 2021).

Il s'agit, pour la majeure partie, de financer la hausse des dépenses de personnel liée aux nouveaux recrutements de 2021 et 2022 et, dans une moindre proportion, celle des frais de justice.

Source : commission des lois du Sénat à partir des documents budgétaires

Les dépenses de fonctionnement restant à payer à la fin de l'année 2021, soit 145 millions d'euros correspondant aux dettes accumulées vis-à-vis des divers prestataires (experts judiciaires, fournisseurs...) restent élevées mais diminuent , grâce au plan d'apurement engagé par la Chancellerie conformément au voeu exprimé l'an dernier par la commission des lois.

B. LES RESSOURCES HUMAINES DES JURIDICTIONS : UNE POLITIQUE DE LONG TERME QUI RESTE À DÉFINIR

1. De nouvelles créations d'emplois en nombre limité

Les créations d'emplois prévues par la loi de programmation se poursuivraient en 2022, à un rythme moins soutenu que les années précédentes : le projet de loi de finances prévoit le recrutement de 50 nouveaux magistrats, 50 agents d'encadrement (en pratique, des juristes assistants) et 47 greffiers, avec pour contrepartie la suppression de 107 emplois parmi les personnels administratifs et techniques. À titre de comparaison, 50 emplois de magistrat et 100 de greffier devaient être créés en 2021, 100 emplois de magistrat et 413 de greffier en 2020.

Ces créations de postes s'ajoutent au recrutement massif de 1 914 agents contractuels en 2020 et 2021 , généralement sous forme de contrat de projet ou de vacation et destinés, selon les termes du garde des Sceaux, à apporter des « sucres rapides » aux juridictions pour la mise en oeuvre de la politique de justice pénale de proximité et la résorption des stocks d'affaires civiles.

À cet égard, le délai de traitement des affaires est toujours trop long . En matière civile , il est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,8 mois en 2020 (tribunaux judiciaires), la prévision de 13 mois pour 2021 n'augurant pas d'une nette amélioration. Plus inquiétant, la proportion importante de tribunaux judiciaires dépassant d'au moins 15 % le délai moyen de traitement national : après un taux record de 67 % en 2020 s'expliquant par la crise de la covid, ce taux s'élèverait toujours à 45 % en 2021. En matière pénale , le délai de jugement des crimes serait stable autour de 41 mois en 2021, exception faite du pic de 47 mois atteint en 2020, ce qui demeure excessif .

2. Des besoins qui restent mal évalués

Si les recrutements opérés depuis plusieurs années ont permis de ramener le taux de vacance des emplois de magistrat en-deçà de 1 %, la situation reste préoccupante dans les greffes, où l'on observait encore un taux de vacance de 7,14 % au début de l'année 2021 . Un amendement présenté par le rapporteur spécial Antoine Lefèvre, au nom de la commission des finances du Sénat, vise d'ailleurs à réaffecter 5 millions d'euros du programme 107 vers le programme 166 afin de financer le recrutement de greffiers supplémentaires.

En ce qui concerne les magistrats, le faible taux de vacance ne doit pas faire illusion , car les effectifs théoriques retracés dans la circulaire annuelle de localisation des emplois restent fondés sur une évaluation très imparfaite des besoins . Malgré les nombreux travaux entrepris en ce sens depuis les années 1990, il n'existe toujours aucun outil fiable d'évaluation de la charge de travail des magistrats . Comme l'écrivait la Cour des comptes en 2018, « une des explications les plus régulièrement soutenues par les magistrats rencontrés tient à la résistance du ministère de la justice à confronter les ratios d'activité établis avec la réalité de l'activité des juridictions (en flux et en stock), qui aurait pu faire apparaître un trop grand sous-dimensionnement des moyens humains 2 ( * ) ». Ces observations rejoignent celles faites par la commission des lois dans son rapport d'information de 2017, Cinq ans pour sauver la justice !

Les rapporteurs se félicitent donc que le ministère de la justice ait remis l'ouvrage sur le métier . Selon les informations qui leur ont été communiquées, les travaux entrepris depuis la fin 2019, avec l'appui depuis avril dernier de l'inspection générale de la justice, devraient permettre de mettre en oeuvre au début de l'année 2022, à titre expérimental et de manière encore partielle, un nouvel outil de mesure de l'activité juridictionnelle et non juridictionnelle des magistrats , fondé notamment sur la définition de catégories d'affaires et leur pondération en fonction de la durée moyenne nécessaire à leur traitement.

3. « L'équipe autour du magistrat » : une formule qui doit encore prendre corps

Pour faire face au volume croissant des affaires malgré des effectifs limités, le ministère a entrepris depuis plusieurs années d' étoffer le nombre d'agents sur lesquels les magistrats peuvent s'appuyer pour préparer leurs décisions , qu'il s'agisse d'assistants de justice, de juristes assistants (nouvelle catégorie d'agents contractuels créée en 2016) ou de greffiers.

Aux yeux des rapporteurs, cette politique, qui ne saurait se substituer à une réévaluation des effectifs de magistrats, mérite néanmoins d'être poursuivie. Encore faut-il que les missions de chacun soient clarifiées au sein de cette « équipe autour du magistrat » . Des difficultés existent, liées notamment à la réunion au sein des mêmes équipes de fonctionnaires de greffe recrutés par concours, souvent hautement qualifiés, et d'agents contractuels qui, pour certains d'entre eux, aspirent à une intégration directe dans la magistrature au terme de leur contrat. Les greffiers sont, d'ailleurs, soumis à l'autorité hiérarchique du directeur du greffe et non des magistrats auxquels ils apportent, le cas échéant, leur concours. Selon la Chancellerie, une réflexion est en cours à ce sujet dans le cadre des états généraux de la justice.


* 2 Cour des comptes, Approche méthodologique des coûts de la justice. Enquête sur la mesure de l'activité et l'allocation des moyens des juridictions judiciaires, communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, décembre 2018, p. 72.

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