N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME V

Fascicule 2

RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Enseignement supérieur

Par M. Stéphane PIEDNOIR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

AVANT-PROPOS

Cinquième et dernier budget du quinquennat, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 offre l'occasion d'analyser l'évolution du budget de l'enseignement supérieur depuis 2017, alors que le secteur a connu, sur cette période, une explosion de la démographie étudiante et de nombreuses mutations, dont certaines ont été accentuées par la crise sanitaire (développement de l'enseignement numérique, augmentation de la précarité étudiante, défi de la transition énergétique et écologique, enjeu de la participation des établissements aux politiques d'aménagement des territoires...). Le rapporteur reconnaît que des efforts substantiels ont été réalisés année après année ; cette constance dans la progression du budget de l'enseignement supérieur est assez rare pour être saluée. Néanmoins, ceux-ci n'ont pas permis de redonner les marges de manoeuvre budgétaires dont les établissements d'enseignement supérieur ont besoin pour sortir de l'impasse financière dans laquelle ils se trouvent.

Il a sans doute manqué, au cours de cette législature, une analyse fine et exhaustive de l'évolution de leurs besoins, une véritable stratégie d'action, à laquelle une loi de programmation de l'enseignement supérieur aurait pu donner corps, et aussi une certaine vision de ce que doit être l'enseignement supérieur.

Le PLF pour 2022 est caractéristique de ce bilan quinquennal en demi-teinte , des moyens supplémentaires étant attribués, mais dans des proportions qui ne permettent pas de répondre durablement aux défis à la fois conjoncturels et structurels du secteur.

I. I. UN QUINQUENNAT MARQUÉ PAR UNE AUGMENTATION DU BUDGET CONSACRÉ AUX ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR MAIS QUI N'A PAS PROVOQUÉ LE SURSAUT NÉCESSAIRE À LEUR RÉOXYGÉNATION FINANCIÈRE

A. UN EFFORT BUDGÉTAIRE QUI SE POURSUIT EN 2022 MAIS QUI DEMEURE SOUS-CALIBRÉ FACE AUX BESOINS

1. Une hausse des moyens toujours moins dynamique que celle des effectifs d'étudiants

Le mal désormais bien connu dont souffre l'enseignement supérieur connaît, chaque automne, à l'occasion de la rentrée universitaire puis de l'examen du projet de loi de finances, un triste regain d'actualité : la dépense publique qui y est consacrée augmente moins vite que les besoins . Le décrochage financier s'est opéré il y a une dizaine d'années sous l'effet de l'arrivée dans le supérieur des générations issues des politiques de démocratisation scolaire mises en place dans les années 1980 et, plus récemment, des baby-boomers des années 2000. En 2019, la France comptait près de 2,8 millions d'étudiants, soit une augmentation de 21,3 % sur les dix dernières années. Cette croissance soutenue des effectifs dépasse celle de la dépense publique consacrée à l'enseignement supérieur (+ 11,7 % entre 2009 et 2019), ce qui entraîne une baisse de la dépense moyenne par étudiant (- 7,9 % sur la même période). D'un montant de 11 530 euros en 2019, celle-ci est repassée en deçà de son niveau de 2007, même s'il ne s'agit pas du seul paramètre d'appréciation.

Évolution de la DIE 1 ( * ) , de la dépense moyenne et des effectifs de l'enseignement supérieur
(indice base 100 en 1980, prix 2019)

Source : note d'information de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance
n° 21.21 - mai 2021, Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

L'augmentation tendancielle du nombre d'étudiants se trouve renforcée par la crise sanitaire, sous l'effet des taux exceptionnels de réussite au baccalauréat (respectivement près de 96 % et de 94 % pour les éditions 2020 et 2021) et des difficultés que rencontrent les jeunes diplômés à s'insérer sur le marché du travail. Au cours de l'année universitaire 2020-2021, le nombre de nouveaux inscrits à l'université a progressé de près de 0,9 % (+ 14 600 étudiants). Les chiffres de la rentrée 2021 ne sont pas encore consolidés, mais tout porte à croire que la dynamique reste soutenue. C'est en licence que la tension est la plus forte : le nombre d'étudiants a progressé de 1,6 % à la rentrée 2020 (+ 16 113 étudiants) ; certaines disciplines comme le droit, l'économie-gestion, la psychologie ou Staps sont particulièrement concernées. Mais la pression s'accroît aussi à l'entrée en master, le passage au bac + 4, moment où se fait la sélection depuis la réforme de 2017, s'est transformé en véritable goulet d'étranglement. Cette année, des milliers d'étudiants diplômés de licence 2 ( * ) , mais n'ayant pas été acceptés en master, ont ainsi fait valoir leur « droit à la poursuite d'études » que la réforme était censée garantir.

Dans ce contexte de forte croissance de la démographie étudiante, le rapporteur ne peut que saluer les efforts budgétaires déployés sous l'actuelle législature . Les crédits de paiement alloués aux programmes « Enseignement supérieur » (programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et programme 231 « Vie étudiante ») ont régulièrement progressé d'un exercice à l'autre, passant de près de 16,1 millions d'euros en 2018 3 ( * ) à près de 17,3 millions d'euros en 2022, soit une augmentation de 1,2 million d'euros (+  7,4 %).

Il déplore cependant le manque d'anticipation de l'évolution des effectifs et donc des besoins (en termes de places, de taux d'encadrement, d'accompagnement, de locaux...) et, plus globalement, l'absence de stratégie sur l'avenir de l'enseignement supérieur à moyen terme, notamment de son modèle de financement . Le décrochage de la dépense publique par rapport aux besoins est un choix politique périlleux , alors que les retombées positives de l'investissement dans l'enseignement supérieur ne sont plus à démontrer, tant en termes de formation, d'innovation, de compétitivité que de croissance.

Le rapporteur estime regrettable que le constat du Président de la République sur le « sous-investissement dans l'enseignement supérieur », dressé lors de la présentation du plan « France 2030 », intervienne en fin de quinquennat et n'ait pas donné lieu à un sursaut plus tôt .

2. Une nouvelle augmentation de la dotation allouée aux établissements qui ne leur permet cependant pas de dégager les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires

Le rapporteur constate qu'une large part (193 millions d'euros 4 ( * ) ) de la hausse des crédits du programme 150 pour 2022 est consacrée au financement du volet « ressources humaines » de la loi de programmation pour la recherche (LPR) et de divers dispositifs indemnitaires et statutaires , c'est-à-dire à des mesures portant sur la masse salariale. Il rappelle toutefois que la principale problématique RH, à savoir le financement du glissement vieillesse technicité (GVT), n'aura pas été traitée sous le quinquennat 5 ( * ) , maintenant les établissements d'enseignement supérieur dans une situation financière très préoccupante, que certains de leurs représentants n'hésitent pas à qualifier de « mise sous respiration artificielle ». Confrontés à une progression très dynamique de leurs dépenses de masse salariale, désormais plus systématiquement compensées par l'État, les établissements ne sont pas en mesure de dégager les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires à l'accueil d'un flux toujours plus soutenu de nouveaux étudiants .

Bilan financier de la mise en oeuvre du « Plan Étudiants » sous le quinquennat

En 2022, les moyens nouveaux alloués, dans le cadre du dialogue stratégique et de gestion, aux établissements au titre du « Plan Étudiants » - destinés à hauteur de 50 % à l'augmentation des capacités d'accueil dans les filières en tension, à 25 % au développement des dispositifs d'aide à la réussite (« oui si ») et à 25 % à la valorisation de l'investissement pédagogique et au financement de projets d'investissements - s'élèvent à 30,5 millions d'euros. Sur l'ensemble de la législature, ce sont 213,5 millions d'euros supplémentaires qui auront été budgétés pour la mise en oeuvre de ce plan, permettant notamment la création de 56 000 places 6 ( * ) entre 2017 et 2020 dans les formations universitaires les plus demandées. Bien que positif, ce nombre de créations de places est toutefois loin de couvrir, en pratique, l'augmentation des effectifs .

Répartition des moyens budgétaires alloués au « Plan Étudiants » entre 2018 et 2022

en euros

2018

2019

2020*

LFI 2021

PLF 2022

Création de places

19 114 408

45 178 387

76 548 751

129 708 427

170 167 719

Étude des dossiers, directeurs des études, accompagnement pédagogique

5 831 661

11 142 044

11 142 043

11 142 044

1 114 204

Rémunération indemnitaire des personnels

5 000 000

2 010 000

2 010 000

2 010 000

2 010 000

Dispositifs et parcours d'accompagnement « oui si »

7 657 039

25 436 581

31 892 139

36 184 423

35 714 622

Investissement - fonctionnement

6 980 883

13 587 779

7 579 919

4 027 958

4 566 307

Total alloué aux établissements

44 583 992

97 354 791

129 172 852

183 072 852

213 572 852

en flux

+ 52 770 799

+ 31 818 061

+ 53 900 000

+ 30 500 000

Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri),
en réponse au questionnaire budgétaire


* 1 Dépense intérieure d'éducation.

* 2 Selon les chiffres du Mesri, fin septembre 2021, on comptabilisait 7 414 saisines classées recevables par les rectorats (contre 7 103 en 2020), pour lesquelles seulement plus d'un tiers des étudiants ont obtenu des propositions d'admission en master.

* 3 Dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2018, les programmes 150 et 231 étaient respectivement dotés de 13,4 millions d'euros et de près de 2,7 millions d'euros.

* 4 Dont 137,5 millions d'euros pour la mise en oeuvre des mesures « ressources humaines » de la LPR et 55,4 millions d'euros pour d'autres dispositions RH (poursuite du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » - PPCR -, financement de la protection sociale complémentaire obligatoire, convergence indemnitaire des personnels).

* 5 Jusqu'en 2019, le Mesri a compensé une partie du GVT des établissements d'enseignement supérieur. Depuis, le financement du GVT n'est plus systématiquement assuré par le ministère qui aborde désormais cette question dans le cadre du dialogue stratégique et de gestion avec les établissements et peut proposer, dans certains cas, un accompagnement spécifique pour la maîtrise de l'évolution de la masse salariale.

* 6 Dont 34 100 en première année, 12 450 en deuxième année et 9 450 en troisième année, d'après les données transmises par le ministère en réponse au questionnaire budgétaire.

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