EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 25 NOVEMBRE 2020

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis . - J'interviendrai spécifiquement sur les volets de l'immigration régulière et l'intégration, d'une part, puis de la lutte contre l'immigration irrégulière, d'autre part.

Précisons d'abord que la mission « Immigration, asile et intégration » ne recouvre pas l'intégralité des sommes affectées dans le budget de l'État en la matière. En réalité, le financement des politiques migratoires relève de 13 missions, pour un montant de 6,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), si l'on en croit le document de politique transversale relatif à cette thématique. La mission qui nous intéresse rassemble, quant à elle, 1,84 milliard d'euros en CP, et 1,76 en autorisations d'engagement (AE). Ces crédits sont pilotés par la direction générale des étrangers en France, qui dépend du ministère de l'intérieur. Il s'agit donc d'apprécier ce budget et l'action au Gouvernement, en prenant en compte l'intervention de la pandémie dans les flux d'immigration et d'éloignement.

Concentrons-nous d'abord sur l'immigration régulière, en rappelant quelques faits. Celle-ci est en hausse, de 4,6 % en 2018, et de 6,1 % en 2019. Les chiffres pour 2020 ne sont pas encore disponibles, notamment en raison de la pandémie. Environ 275 000 titres de séjours ont été délivrés en 2019. Le stock en cours, c'est-à-dire les titres de séjour en cours de validité, était de 3,4 millions au 31 décembre 2019. On peut observer une évolution des motifs de délivrance de ces titres : les titres de séjour étudiants ont augmenté de 7,5 %, atteignant ainsi pour la première fois le niveau des demandes au titre du regroupement familial, et l'immigration économique a augmenté de 14,8 %. Environ 224 000 immigrés au total ont été régularisés sur le fondement de la circulaire Valls depuis 2012, dont nous déplorons tous les ans le manque de fermeté à l'égard des personnes entrées irrégulièrement sur le territoire. Les trois premières nationalités des personnes qui immigrent régulièrement sur notre territoire sont les nationalités marocaine, algérienne et tunisienne.

Le sujet de l'intégration est essentiel lorsqu'on parle d'immigration légale. Or, nonobstant l'activité de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et indépendamment de la crise de la covid-19, les résultats sont relativement décevants. À compter de mars 2019, un contrat d'intégration républicaine (CIR) renforcé avait pourtant été mis en place. Celui-ci prévoyait une formation linguistique et civique, ainsi que des possibilités d'insertion professionnelle. Il n'a pas donné les résultats attendus : sur près de 52 000 primo-arrivants qui bénéficiaient de la formation linguistique, un quart n'atteint pas le niveau de langue requis, pourtant rudimentaire. De plus, seules 173 personnes se sont présentées pour obtenir la certification de niveau de langue qui était proposée. S'agissant de la formation professionnelle, un nouvel accord-cadre doit être conclu depuis plus de deux ans, notamment avec Pôle emploi, il se fait attendre. Surtout, les moyens accordés à l'OFII n'évoluent pas, et en décalage avec la pression migratoire qui augmente d'année en année.

Il est beaucoup plus difficile de donner des chiffres sur l'immigration irrégulière. Le Sénat a déjà alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur le fait qu'aucune donnée ne semble à même de pouvoir chiffrer précisément ce type d'immigration. Nous en sommes donc réduits à évoquer le chiffre de l'aide médicale de l'État (AME), qui correspond à la sécurité sociale des immigrés en situation irrégulière sur le territoire, dans la mesure où ils s'y trouvent depuis au moins trois mois sans bénéficier d'aucun revenu. Cet indicateur a été multiplié par deux en quinze ans, et a augmenté de 5 % en 2019. Ce sont ainsi 334 546 personnes qui en bénéficient, mais ces chiffres sous-estiment sans doute de beaucoup la réalité de l'immigration irrégulière.

L'immigration irrégulière a vocation à engendrer des départs de France, ce devrait être une priorité de notre politique. Nous en sommes loin.

Premièrement, concernant les centres de rétention administratifs (CRA) - lieux où sont maintenus les étrangers qui font l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente d'un renvoi forcé, et qui sont 25 en France - des places supplémentaires sont certes en cours de création : le plan 2018-2020 se poursuit, avec 480 nouvelles places. Mais il faut rappeler que ces centres font l'objet d'un taux d'occupation extrêmement important, à hauteur de 87 % en 2019. L'année 2020 est, à cet égard, une exception, du fait des mesures sanitaires. La question du personnel qui sera affecté pour « armer » ces nouvelles places revêt une grande importance. Le taux d'encadrement requis est conséquent, de l'ordre d'1,5 à 1,7 agent nécessaire par personne en situation de rétention. Des incertitudes demeurent sur l'affectation de personnel en temps et en heure pour l'ouverture des places.

Deuxièmement, concernant l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, se pose d'abord la question des laissez-passer consulaires. Ce document doit être délivré par le pays d'origine pour qu'il reprenne son ressortissant. Sur ce point, on constate une amélioration du taux de délivrance, passé de 54 à 67 %, ainsi que du délai de réponse. Malgré tout, le taux d'exécution des décisions d'éloignement reste extrêmement faible : il est de l'ordre de 13,6 % en 2017, de 12,6 % en 2018 et de 12,2 % en 2019. Ce résultat se dégrade d'année en année, et dans les faits, un étranger sur deux se trouvant en CRA ne quitte pas le territoire. La situation est donc meilleure du point de vue de la délivrance des laissez-passer consulaires, mais mauvaise du point de vue de l'exécution des mesures d'éloignement, avec un budget qui reste, là encore, constant.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis. - Je poursuis sur le droit d'asile, qui représente 1,18 milliard d'euros en AE et 1,28 milliard en CP. On constate une baisse des AE, qui apparaît logique dans le contexte de la fin d'un cycle important de création de places d'hébergement. Les CP augmentent, quant à eux, de 2,37 %. Depuis plusieurs années, notre pays engage deux types de démarches : d'une part, la réduction du délai de traitement des demandes d'asile, et d'autre part, l'amélioration des conditions matérielles d'accueil des demandeurs.

Le nombre de demandes d'asile accuse une hausse continue depuis une dizaine d'années. En 2019, les demandes enregistrées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont atteint le nombre record de 132 826, soit une augmentation de 7,4 %. La masse des demandes effectuées dans le cadre des procédures dites « Dublin », - un tiers du total des demandes déposées - démontre à nouveau l'échec de ce mécanisme. En 2020, la limitation des déplacements à la suite de la crise sanitaire a abouti à une baisse des demandes d'environ 30 %, chiffre en conformité avec ce que l'on peut observer ailleurs en Europe. Il ne s'agit toutefois pas d'un phénomène durable, car, dès la fin du premier confinement, on a pu constater une remontée du nombre des demandes d'asile, et cela nous conduit à penser que la progression a vocation à continuer. Le PLF 2021 est bâti sur l'hypothèse d'une stabilisation du nombre de demandeurs autour du niveau constaté en 2019, qui nous paraît crédible.

L'analyse de l'origine des demandeurs d'asile met en lumière une prédominance des pays du Maghreb et des pays d'Afrique francophones, sous l'effet des différents conflits. On constate une diminution du nombre de demandeurs venant de pays d'origine considérés comme sûrs, notamment l'Albanie et la Géorgie. Les efforts menés d'abord par M. Collomb, et aujourd'hui par M. Darmanin, peuvent donc être considérés comme des réussites. Depuis trois ans, le premier pays d'origine des demandes est l'Afghanistan. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) vient d'ailleurs d'infléchir sa jurisprudence dans ce domaine, en précisant les critères d'attribution de la protection subsidiaire. Ce sujet n'est pas négligeable, car les Afghans représentent une grande partie des personnes effectuant leur demande en France après un passage ou l'échec d'une première demande dans un autre État européen. À titre d'exemple, le taux de rejet des demandes afghanes en Allemagne représente un peu plus du double du nôtre.

Sur les deux objectifs du Gouvernement en matière d'asile - réduction du délai de traitement, amélioration des conditions d'accueil -, nous ne pouvons faire qu'un constat d'échec.

Concernant la réduction des délais de traitement, l'exercice est un peu désespérant. Pourtant, les moyens alloués à l'Ofpra avaient été fortement augmentés, notamment avec la création de 200 équivalents temps plein (ETP) l'an dernier. La plupart des recrutements ont été réalisés, mais l'épidémie de la covid a abouti à la fermeture de l'Ofpra pendant le premier confinement, et, malgré les efforts, à une semi-fermeture dans la période actuelle. Ainsi, l'examen des dossiers et les auditions ont été ralentis, aboutissant pour 2020 à un délai moyen de traitement de l'Ofpra de 275 jours. L'objectif fixé par notre pays, à savoir la réduction du délai de traitement à 60 jours, est donc repoussé à 2023. Pour 2021, l'objectif dit « intermédiaire » serait de 112 jours, ce qui reste élevé. La situation est similaire pour la CNDA : malgré un effort budgétaire de recrutement important en 2020, avec des juges vacataires, de nouveaux rapporteurs, ou encore la création de chambres spécialisées, on peut conclure au même échec. Celui-ci a une double origine : d'une part, la grève des avocats début janvier, et d'autre part, l'effet de la covid-19, puisque la totalité des audiences a été annulée pendant la période de confinement. Les délais sont de nouveau importants et nous n'arrivons pas à mettre en place l'utilisation de la vidéo en audience, qui était une solution envisagée. L'expérimentation dans ce domaine existe, mais se heurte au fait qu'elle ne peut avoir lieu sans l'accord des parties. L'accord conclu avec les avocats fait ainsi fi de la volonté du législateur...

Concernant les conditions matérielles d'accueil, notre pays présente des niveaux élevés de dépenses sur l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), correspondant à 459 millions d'euros. Dans le cadre du « quoi qu'il en coûte » présidentiel, notre pays a par ailleurs prorogé automatiquement l'ADA jusqu'à la fin de la crise sanitaire, même pour les personnes déboutées de l'asile. En outre, l'effort considérable mené sur les conditions d'hébergement se poursuit. En 2021, 6 000 places d'hébergement supplémentaires seront créées, ce qui correspond à une augmentation de 6 %. Ces chiffres sont particulièrement importants, et sont le résultat de cet exercice budgétaire particulièrement marquant. Mais malgré ces moyens budgétaires, la situation ne donne pas satisfaction, puisque la moitié seulement des demandeurs d'asile sont hébergés.

Le droit d'asile est un échec en France, et il ne s'agit pas d'un sujet de nature budgétaire. Aujourd'hui se pose la question de sauver le droit d'asile de lui-même. Ce droit est né après-guerre, il est aujourd'hui devenu un élément beaucoup plus mondialisé que ce qui avait été envisagé. Peut-il être sauvé ? Oui, mais sous réserve que les délais de traitement soient raisonnables, d'une part, et que soient éloignées les personnes qui ne bénéficient pas de la protection, d'autre part. À l'origine, le droit d'asile s'adresse aux combattants de la liberté, mais nous avons quitté ce registre depuis bien longtemps. La question des délais ne relève pas de mauvaise volonté ou d'insuffisance de moyens budgétaires. Concernant l'éloignement, c'est une catastrophe totale : nous n'éloignons en réalité quasiment pas. Certaines situations sont même totalement imparables. Sur les 25 CRA, la moitié est fermée pour des raisons liées à la covid-19, et la moitié restante fonctionne à demi-effectif. De plus, l'éloignement est soumis à l'accord des pays concernés, qui demandent l'assurance que l'intéressé ne soit pas atteint de la covid-19, et le refus d'être testé est un droit protégé. Ainsi, il faut faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour se trouver en situation d'éloignement...

Il y a toutefois des points positifs, le premier étant porté par l'Union européenne, avec des projets de réforme importants. Ensuite, un travail intéressant de croisement des informations administratives est aujourd'hui effectué, afin de permettre à l'autorité judiciaire de communiquer à l'Ofpra les situations qui posent problème en termes d'ordre public. En outre, l'attribution du statut du réfugié ne vaut pas carte blanche, car le bénéficiaire du droit d'asile ou de la protection subsidiaire présentant un risque pour l'ordre public peut se voir retirer ce statut, ce qui se produit assez régulièrement. La modification de jurisprudence de la CNDA vis-à-vis de l'Afghanistan est également un élément positif. De la même manière, le ministre de l'intérieur est très engagé sur l'obtention des laissez-passer consulaires, et il faut également saluer le travail de l'Union européenne sur ce sujet. Lors de l'audition de Mme Johansson par la commission des affaires européennes, celle-ci nous a assuré que la Commission européenne disposait d'une palette d'arguments pour négocier une augmentation de nombre de ces laissez-passer. Enfin, je souhaite que nous trouvions des solutions pour éviter que des personnes en situation de migration ne s'opposent à la prise en compte de leurs empreintes.

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis . - Vous l'avez compris, ce budget a été abondé tous les ans par à-coup, plutôt au bénéfice de l'immigration régulière et de l'intégration en 2018, de l'asile en 2019, et de l'hébergement en 2020. Les efforts financiers sont indéniables. Mais ce budget est surtout un tonneau des Danaïdes : on passe son temps à courir après la réalité qui s'impose à nous, à savoir celle d'une immigration toujours en hausse, et d'un nombre toujours plus important de personnes en situation irrégulière. Il nous faut désormais vraisemblablement adopter une législation différente : cela passe à la fois par l'Europe, mais aussi par le niveau national. On ne peut pas à la fois constater que cette immigration ne cesse d'augmenter, et voter parallèlement un regroupement familial toujours plus facile, comme cela a été fait - contre l'avis du Sénat - dans la loi de 2018 pour une immigration maîtrisée. Il faut tirer des conséquences de la réalité : nous n'appliquons pas nos lois sur l'immigration irrégulière correctement, et ce n'est pas de bonne politique.

Malgré les efforts financiers, la politique migratoire n'est pas efficace, et par conséquent, nous vous proposons d'émettre un avis défavorable sur ce budget.

Mme Nathalie Goulet . - Ce sujet est un irritant, qui fait le jeu les extrêmes et du Rassemblement national. Il est de la responsabilité de la représentation nationale de trouver des solutions. Je partage le constat des rapporteurs sur l'échec de la politique migratoire. Il faudrait accueillir moins, mais accueillir mieux.

A-t-il été fait état de la situation des outre-mer au regard de la situation migratoire, ces territoires étant particulièrement poreux ?

Qu'en est-il des interprètes afghans de l'armée française ? Ces personnes mériteraient l'asile, et ont été traitées de façon inacceptable. Ils ont besoin d'un hébergement et sont aujourd'hui complètement à la charge des bénévoles. Cette situation est un vrai scandale pour la France.

La situation en milieu carcéral a-t-elle été étudiée ? Que deviennent les détenus en situation irrégulière à l'issue de leur incarcération ?

M. Jean-Yves Leconte . - Je ne pense pas qu'il y aura un jour une solution parfaite sur ce sujet, qui est complexe. Il faut donc s'exprimer avec nuance.

Premièrement, l'année 2020 sera particulière. Le premier motif de délivrance d'un titre de séjour est d'être conjoint ou futur conjoint de Français. Compte tenu de la situation aux frontières, beaucoup de personnes ne pourront pas se marier cette année. Deuxièmement, nous délivrons à peu près trois fois moins de titres de séjour que la Pologne. Il faut donc relativiser l'idée que nous les délivrons à tout-va. Troisièmement, la circulaire Valls se contente d'établir des critères objectifs en matière d'intégration, de travail et de scolarisation des enfants qui conditionnent l'obtention du titre de séjour. Enfin, notre pays a été plusieurs fois condamné cette année par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), à propos de la manière dont les personnes sont traitées. C'est le cas pour la situation des enfants à Mayotte, ou encore sur les traitements inhumains et dégradants que la France a fait subir à certains demandeurs d'asile. Je rappelle aussi la lettre très argumentée du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur la situation des CRA dans le contexte sanitaire. Et quid des contrôles aux frontières ?

Concernant l'asile, nous sommes chanceux par rapport à la plupart des pays européens. Les demandes d'asile ont suivi une courbe progressive, qui n'a jamais présenté les à-coups de celle nos voisins. On peut constater deux échecs : le premier est l'hébergement, en particulier de ceux qui obtiennent la protection ; le second, la difficulté d'accès au guichet en préfecture. Les seuls points positifs viennent de l'Europe. Il s'agit notamment de la réforme du pacte migratoire, notamment via le renforcement de la base de données Eurodac et le développement du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias) pour les ressortissants non soumis à l'obligation de visa. Pour le reste, la politique actuelle ne préserve pas la dignité des personnes. Nous ne voterons donc pas ce budget.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Les rapporteurs pourraient-ils évoquer la situation des outre-mer ? Ces territoires concentrent en effet à eux seuls plus de la moitié de la problématique de l'immigration illégale, et plus de la moitié des reconduites à la frontière de notre pays. Ils sont également fortement concernés par la problématique du droit d'asile. Lors d'une visite en Guyane l'année dernière sous la conduite de Philippe Bas, nous avons pu nous apercevoir de cette réalité.

M. Jean-Pierre Sueur . - On considère toujours qu'il y a une sorte de « trop-plein » d'immigration, qui serait préjudiciable. Or, je crois que l'état économique du monde et d'un certain nombre de pays fait qu'il y aura toujours une pression migratoire. Je salue le fait qu'il y ait deux rapporteurs, puisque l'immigration est une politique, alors que l'asile est un droit, par lequel nous sommes liés au travers de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

Je ne partage par la conception de Philippe Bonnecarrère, selon laquelle le droit d'asile serait né à partir de l'après-guerre. Les conditions de violence et de souffrance existantes dans certains pays font que l'asile sera toujours là. Il n'y a donc d'autre solution que de faire en sorte que les choses se passent le mieux possible. S'agissant de l'asile, il est intéressant de voir qu'en dépit des moyens importants affectés à l'Ofpra et à la CNDA, il n'y a pas eu d'effet. Si l'examen d'une demande d'asile dure un an et demi, les personnes finissent par rester. Réduire ces délais est donc un véritable enjeu, y compris dans la perspective de raccompagner les personnes en situation irrégulière. C'est la seule chose que nous pouvons faire. Il faut être réaliste, et ce sujet suscite des questionnements idéologiques, même si je reconnais la présence de problèmes concrets.

Mme Éliane Assassi . - Le droit d'asile est un droit fondamental en France, profondément ancré dans notre tradition républicaine. Il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, et c'est une obligation internationale qui repose sur la convention de Genève de 1951. C'est pourquoi il ne peut pas être soumis aux vicissitudes de la politique de la migration. Si je partage l'avis défavorable des rapporteurs, ce n'est pas pour les mêmes raisons. Il s'agit d'une mission compliquée, dont on ne peut pas avoir qu'une lecture chiffrée. La place de l'humain est importante. Or, votre analyse porte exclusivement sur les conséquences : les causes de l'immigration et de l'accroissement des demandes d'asile ne sont évoquées à aucun moment. Tant que l'on ne s'affranchira pas de cette réflexion, on restera dans une discussion binaire. La question n'est donc pas d'être pour ou contre, mais de faire des propositions. Une fois que nous parviendrons à cette analyse sincère, nous pourrons être plus sereins sur ces questions.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Il s'agit d'un débat très clivant. Personne ne remet en cause le droit d'asile, mais aujourd'hui, celui-ci est complètement détourné à la faveur de la migration économique. Effectivement, il faut un vrai débat sur le sujet. Il n'y a rien de glorieux pour un pays comme la France à créer des ghettos sur les trottoirs parisiens. Il faut donc être réaliste ; d'ailleurs, les régions ne sont pas toutes concernées de la même manière. L'aide au développement est, en outre, un élément majeur, et il faudrait poser la question de l'immigration en ces termes. Moins on en parle, plus on favorise les partis populistes.

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis . - Il y a un clivage, mais celui-ci ne porte pas sur les constats. Chacun est d'accord pour dire que l'immigration n'est pas bien intégrée, que le droit d'asile n'est pas bien exercé, et qu'il ne faut toutefois pas le remettre en cause. Mais deux politiques différentes se font face. D'une part, celle du Gouvernement, partagée par certains de nos collègues, selon laquelle il faudrait mettre les moyens à la hauteur de la demande. D'autre part, celle que vos rapporteurs soutiennent, qui consiste plutôt à vouloir juguler la demande pour pouvoir exercer correctement le droit d'asile, et ainsi avoir une politique d'immigration véritablement intégratrice, contraire à une simple juxtaposition de communautés sur le territoire.

Selon Mme Assassi, nous ne nous interrogerions pas assez sur les causes de l'immigration et les motifs de ceux qui émigrent. Mais on peut aussi s'interroger sur la volonté des peuples qui accueillent à intégrer. La position de ceux qui accueillent doit être prise en compte. On voit donc bien la ligne de partage qu'il y a ici.

Sur l'outre-mer, le format du rapport ne nous permet malheureusement pas de développements spécifiques, même si nous avons interrogé le ministère de l'intérieur et obtenu plusieurs réponses écrites. Je peux toutefois vous indiquer un chiffre : en 2019, plus de 24 000 personnes ont été placées dans les CRA en métropole, contre plus de 26 000 en outre-mer. On se rend compte que l'outre-mer, notamment Mayotte, concentre une forte immigration dans une situation déjà extrêmement difficile. Effectivement, un plan a été mis en place, mais la difficulté perdure.

Sur la situation en milieu carcéral, du fait de la pandémie, il a été difficile de remplir les CRA, mais les personnes sortant de prison faisant l'objet d'une mesure de départ du territoire ont, par principe, été retenues dans ces CRA.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis . - Nous comprenons très bien que ces sujets soient traités de manière nuancée.

Madame Goulet, concernant le sujet des interprètes afghans de l'armée française, le ministre des affaires étrangères vous a répondu en séance, et nous n'avons pas eu d'alerte particulière sur ce sujet. Lorsque nous revenons au droit classique de l'asile, toute personne persécutée en raison de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques bénéficie de la protection. Si l'Ofpra est saisi d'une demande d'un interprète de l'armée française pouvant justifier de sa coopération, nous comprendrons que cette personne puisse être en danger en restant en Afghanistan dans les conditions d'une prise de pouvoir des talibans. Nos procédures classiques doivent permettre de traiter ces cas.

Monsieur Mohamed Soilihi, s'agissant de l'outre-mer, j'espère que nous aurons l'occasion d'échanger pour avoir votre lecture de ce qui reste encore à faire en la matière. La moitié des quelques éloignements réalisés le sont en outre-mer. Est-ce une réponse satisfaisante aux préoccupations de l'outre-mer ?

Monsieur Leconte, je partage surtout votre conclusion : la réforme de la politique migratoire se fera forcément à l'échelle européenne.

Monsieur Sueur, s'agissant de la différence entre l'immigration et l'asile, vous nous appelez à considérer les choses dans la durée, et je retrouve, dans l'intervention d'Éliane Assassi, une même logique d'analyse générale.

Tout droit doit être socialement accepté. Notre pays a pris des engagements et il n'est dans l'esprit de personne de renoncer au droit d'asile, mais il n'est pas scandaleux d'examiner dans quelles conditions ce droit peut être socialement acceptable. Je constate une montée en puissance des interventions sur le thème : ne faut-il pas changer la Constitution ? Avant de se poser ce type de question douloureuse, il faudrait déjà faire fonctionner le système. Ce n'est pas la bonne volonté du Gouvernement qui est en cause, ni les moyens déployés dans notre pays ; on songe au rocher de Sisyphe.

Madame Eustache-Brinio a évoqué l'idée d'un détournement avec l'immigration économique ; cela fait effectivement partie du sujet.

Mme Françoise Gatel . - Un pays souverain définit sa politique d'accueil et nous devons pouvoir en parler de manière rationnelle et démocratique. Je suis frappée par l'augmentation de nos budgets et par notre incapacité à appliquer la loi, d'une part, et à apporter une réponse humaine aux personnes accueillies, d'autre part. Je partage l'avis d'Éliane Assassi quant à la nécessité de s'interroger sur les causes. Comment, par exemple, pouvons-nous laisser à penser que nous pourrions accueillir l'ensemble des personnes souhaitant émigrer, alors que les pays d'origine ont besoin de cette richesse humaine pour assureur leur développement ? Le rapport présenté aujourd'hui, à mon sens, est à corréler avec l'aide au développement que nous apportons.

Un pays doit s'assurer de l'application de la loi. En période de crise sanitaire, l'obligation du consentement aux tests avant tout éloignement me laisse interrogative.

Mme Valérie Boyer . - Le sujet est douloureux pour tout le monde, et en premier lieu pour les personnes jetées sur les routes de l'immigration. Ces personnes sont, le plus souvent, victimes du trafic d'êtres humains. Voilà une des causes dont on ne parle pas assez et que l'on ne sanctionne pas suffisamment : le trafic d'êtres humains. En tant que députée, j'ai voulu que ce trafic soit pénalisé de manière plus forte, mais cela a été refusé dans la dernière loi Asile et immigration. Nous savons aujourd'hui que ce trafic rapporte davantage que le trafic de drogues ou que tout autre trafic, et notre législation ne nous permet pas de lutter contre cela.

Je pense à la souffrance de ces personnes sur les routes ou entassées dans des bidonvilles ou des campements - on emploie même le mot atroce de « camp » -, souvent « utilisées » à des fins partisanes par des associations, et je pense également à la souffrance des Français qui n'ont jamais été directement interrogés sur le sujet. Le chaos migratoire dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui doit nous conduire à nous interroger sur la possibilité de consulter les personnes qui accueillent.

Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, des personnes venant majoritairement de Tunisie - un pays qui n'est pas en guerre - se font passer pour des mineurs et s'entassent à la frontière entre l'Italie et la France, avec l'idée d'enfreindre notre législation. Parmi elles, beaucoup, en outre, sont infectées par le virus de la covid-19.

Dans cette situation de chaos migratoire, il n'y a que des perdants : les pays qui se cotisent pour envoyer des personnes attirées par notre législation et par le regroupement familial très élargi, malheureusement, en 2018 ; et aussi, les Français qui souffrent et ne comprennent pas pourquoi nous n'arrivons pas à appliquer nos propres règles. Parmi les endroits les plus difficiles, je pense évidemment aux départements d'outre-mer, notamment à la situation dramatique à Mayotte.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous arrivons aujourd'hui à partager le constat. Il s'agit d'une première étape.

Nous connaissons un problème structurel - et non budgétaire. Les choix de politique migratoire doivent être formulés par le Gouvernement, quel qu'il soit. Cela touche l'immigration régulière - sur laquelle il faut être parfaitement clair - et l'immigration irrégulière - dans la manière de procéder aux éloignements. Et nous avons également affaire à un problème de droit, conjoncturel. L'asile, c'est un droit ; personne ne le remettra en cause, même si la situation peut varier selon les conjonctures internationales, ce qui oblige à s'adapter.

En revanche, nous devons être vigilants sur le détournement des procédures. Le problème de fond n'est pas d'accueillir, ni de protéger, mais d'éviter qu'un certain nombre de personnes ou de réseaux profitent du système et le détournent au détriment de ceux qui mériteraient un traitement plus rapide de leur dossier.

Le sujet, très complexe, dépend aussi beaucoup des relations internationales, de la capacité à obtenir des laissez-passer consulaires... Tout cela n'obéit pas simplement à la règle de droit elle-même, mais à d'autres critères.

Je voudrais saluer le travail précis et clair effectué par les rapporteurs. Nous aurons sans doute d'autres débats. Sur des sujets comme celui-ci, je vous ferai peut-être des propositions à l'avenir.

La commission décide de réserver son avis sur la mission « Immigration, asile et intégration » .

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