Avis n° 144 (2020-2021) de Mme Cécile CUKIERMAN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2020

Disponible au format PDF (434 Koctets)

Synthèse du rapport (219 Koctets)


N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la c ommission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME I

ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Par Mme Cécile CUKIERMAN,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 18 novembre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de Cécile Cukierman , les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Cette mission, pilotée par le ministère de l'intérieur , poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques, assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre au niveau local les politiques publiques nationales.

Les crédits de la mission prévus par la loi de finances pour 2021 s'élèvent à 4,2 milliards d'euros , en légère hausse par rapport à l'année précédente (+ 3,6 % en autorisations d'engagement (AE) et + 6 % en crédits de paiement (CP).

Cependant, cette augmentation cache une évolution très hétérogène selon les programmes qui composent la mission :

- le programme 354 « Administration territoriale de l'État » , qui supporte la majorité des crédits de la mission et comprend notamment les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI), voit ses crédits stagner (- 3,7 % en AE, + 1,7 % en CP) ;

- le programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » , dont les crédits financent l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, de la vie associative et de la liberté religieuse, enregistre une hausse spectaculaire de plus de 80 % de ses crédits (+ 82 % en AE, + 85 % en CP) pour financer les élections départementales, régionales et territoriales prévues en 2021 ;

- le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » , auquel sont rattachés les moyens du pilotage des fonctions support et de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère , dont le budget continue de croître légèrement (+ 3 % en AE, 0 % en CP) pour permettre la poursuite des réformes engagées en 2020.

La stagnation des moyens humains et financiers consacrés au programme 354 , qui intervient après plusieurs années de coupes budgétaires drastiques, interroge sur la capacité de l'administration territoriale de l'État à remplir ses missions dans le contexte d'une crise sanitaire inédite.

En conséquence, sur proposition de sa rapporteure, la commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Alors que le Premier ministre a annoncé dans sa déclaration de politique générale, le 16 juillet dernier, que « les moyens de l'État [seraient] confortés dans leur action quotidienne 1 ( * ) », force est de constater que la réforme de l'organisation territoriale de l'État se fera à moyens constants . Certes, le projet de loi de finances pour 2021 ne prévoit aucune suppression d'emplois pour le programme 354 « Administration territoriale de l'État », mais cette respiration salutaire n'est pas suffisante pour garantir aux services mis à mal par des années de réformes administratives et de diminution des effectifs les moyens de mener leur action. Cette stagnation des moyens est particulièrement problématique à l'heure où, pour faire face à l'épidémie de covid-19, la présence de l'État dans les territoires aux côtés des citoyens et des élus locaux est plus que jamais nécessaire.

Le présent rapport s'intéresse par ailleurs à la hausse marquée des crédits du programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » qui s'explique à la fois par la forte activité électorale de l'année 2021 et les surcoûts liés aux mesures sanitaires supplémentaires dans les bureaux de vote, dans un contexte d'incertitude sur le calendrier électoral et les conditions d'organisation des scrutins.

Concernant le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » , enfin, votre rapporteure constate que les crédits demandés s'inscrivent dans la continuité de l'année 2020 pour permettre à l'administration de poursuivre ses grands chantiers numériques et faire face à l'augmentation des dépenses de contentieux.

I. LE PROGRAMME 354 « ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT » : UNE NOUVELLE RÉFORME DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE MENÉE À MOYENS CONSTANTS

A. UN PROGRAMME STABILISÉ DU POINT DE VUE DES MOYENS HUMAINS ET FINANCIERS

1. La hausse des effectifs affichée s'explique par des évolutions de périmètre entre ministères

La création du programme 354 en 2020 vise à accompagner le déploiement, au 1 er janvier 2021, des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles (DDI) pour favoriser la mutualisation des fonctions support de l'administration territoriale de l'État.

Cette réorganisation entraîne des transferts entrants importants, de l'ordre de 824 équivalents temps plein travaillé (ETPT), provenant de 8 ministères, qui expliquent la hausse de 2,5 % des ETPT du programme.

Ainsi, l'accroissement des crédits de paiement et des effectifs rattachés au programme 354 ne témoigne pas d'une augmentation des moyens alloués à l'administration territoriale de l'État mais de simples évolutions de périmètre qui découlent de la réforme de l'organisation territoriale de l'État annoncée par la circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019 2 ( * ) .

2. Pour la première fois depuis 2008, l'administration territoriale de l'État ne subit pas de diminution de ses effectifs

Bien que la loi de finances pour 2021 ne prévoie pas de renforcer les moyens de l'administration déconcentrée, celle-ci marque un tournant puisque, pour la première fois depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), les effectifs de l'administration territoriale de l'État sont maintenus. Depuis 2008, les schémas d'emplois successifs ont entraîné la suppression de plus de 5 000 postes, soit 25 % des effectifs .

La cible du schéma d'emplois était initialement fixée à - 463 ETP pour l'année 2021, dans la continuité des diminutions des années précédentes, avant d'être ramenée à 0 après la déclaration de politique générale du Premier ministre dans le contexte d'une crise sanitaire sans précédent. Les suppressions de postes seront ainsi intégralement supportées par l'administration centrale pour permettre le maintien de la présence de l'État sur le territoire.

Si l'on ne peut que saluer cette initiative, il apparaît cependant que les réformes successives , de la RGPP à la réforme de l'organisation territoriale de l'État en passant par le plan préfectures nouvelle génération (PPNG), ont mis à mal la capacité de l'État à remplir ses missions sur l'ensemble du territoire national , tant auprès des usagers des services publics que des élus locaux. Ces réformes participent d'un mouvement plus global de retrait de la présence de l'État dans les territoires, dans une logique de rationalisation de la dépense publique, à l'instar de la suppression de plus de 20 000 emplois en dix ans au sein de la direction générale des finances publiques qui a déstabilisé le réseau des trésoreries locales.

B. UNE NOUVELLE RÉFORME DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE QUI VISE LA RATIONALISATION DES MOYENS

1. La création des secrétariats généraux communs : une nouvelle tentative de rationalisation des services déconcentrés

La création des secrétariats généraux communs, première étape de la réforme de l'organisation territoriale de l'État décidée par le Gouvernement en 2019, s'inscrit donc dans la continuité des nombreuses mesures qui ont fragilisé et rendu illisible l'action de l'État dans les territoires.

L'objectif de cette restructuration est de permettre de générer de nouvelles économies par la mutualisation des fonctions support des préfectures et des directions départementales, et de briser la logique du fonctionnement en « silos » pour créer des synergies entre services et accroître l'efficacité de l'action publique.

Toutefois, des interrogations subsistent sur le calendrier de mise en oeuvre de la réforme (initialement prévue en juin 2020 et repoussée au 1 er janvier 2021), les gains attendus et les conséquences d'une telle restructuration sur les agents concernés . Le ministère de l'intérieur a d'ores et déjà indiqué qu'il ne serait pas en mesure d'assurer le versement des payes des agents au 1 er janvier 2021, celui-ci continuant à être géré, à court terme, par les ministères d'origine.

La mise en place d'une véritable administration commune nécessite par ailleurs de mener une réflexion sur l'harmonisation des régimes indemnitaires et de l'action sociale entre les agents afin de faire émerger une culture de travail commune . Il semble donc qu'il soit trop tôt pour estimer les chances de succès d'une telle réforme.

2. Un budget qui ne permet pas de renforcer l'administration territoriale de l'État dans un contexte de sollicitations croissantes des services
a) Les objectifs du plan préfectures nouvelle génération n'ont pas été atteints pour les missions prioritaires

Le plan préfectures nouvelle génération a permis, grâce à la dématérialisation de la délivrance des titres sécurisés et à la fermeture des services accueillant du public, de générer des économies d'emplois de l'ordre de 1 300 ETP entre 2016 et 2018 . Les moyens ainsi dégagés devaient être en partie redéployés au sein des quatre missions prioritaires que sont le contrôle de légalité, la fraude, la sécurité et la coordination des politiques publiques.

Or, le plan préfectures nouvelle génération est désormais achevé et un effort de 231 ETP reste à fournir pour atteindre les objectifs fixés pour les missions prioritaires. Cela s'explique à la fois par la sévérité des schémas d'emplois successifs et l'avènement de la crise migratoire en 2016, qui a nécessité le déploiement de 327 ETP pour renforcer les services étrangers des préfectures.

Cette inflexion de la trajectoire des effectifs génère des conséquences importantes en termes de qualité du service public. Ainsi, faute d'effectifs suffisants, la prévision des taux de contrôle des actes prioritaires reçus en préfecture a été revue à la baisse jusqu'en 2023 (90 % contre 90,4 % en 2018).

b) Une administration sous-dimensionnée pour faire face à la crise sanitaire

Malgré la stabilisation des effectifs prévue pour 2021, l'administration territoriale de l'État ne se trouve donc pas en état de faire face à une recrudescence des sollicitations et à une désorganisation de ses services dans le contexte de l'épidémie de covid-19 .

Les préfectures ont su faire preuve de réactivité en mettant en place, dès le 13 mars 2020, des schémas d'accueil des usagers en nombre restreint afin de concilier la continuité du service public et le respect des précautions sanitaires. En parallèle, deux instructions du ministre de l'intérieur des 16 et 20 mars ont restreint le champ des missions essentielles pour permettre à un maximum d'agents de travailler à domicile ou, en cas d'impossibilité, d'être placés en autorisation spéciale d'absence. 24 % des effectifs ont été maintenus au sein des préfectures et des sous-préfectures . La mise en oeuvre du plan de continuité de l'activité (PCA) ministériel a entraîné un surcoût de 7,5 millions d'euros pour financer les équipements informatiques et de 26,1 millions d'euros pour doter les 79 000 agents concernés de protections sanitaires , en partie compensé par les économies sur certains postes de dépenses (frais de mission, entretien des véhicules, etc.) pendant le confinement.

En dépit du recours massif au télétravail, certains missions ont été impactées par la crise, notamment le contrôle des actes prioritaires et des actes budgétaires. 74 % des actes prioritaires ont fait l'objet d'un contrôle de légalité au premier semestre 2020, soit 17 % de moins qu'au premier semestre 2019. Même si les contraintes de transmission des actes ont été allégées et que de nombreuses collectivités territoriales ont eu recours à la télétransmission, les difficultés des agents de l'État à se connecter au système d'information @CTES depuis leur domicile ont ralenti l'exercice du contrôle de légalité.

En ce qui concerne la délivrance des titres, la prolongation de la durée de validité des documents de séjour par l'ordonnance n° 2020-328 du 25 mars 2020 a permis de limiter l'impact de la fermeture des services durant le confinement sur les délais de traitement des demandes. Bien qu'allégée, l'activité a été maintenue durant le confinement en matière de délivrance des titres sécurisés (carte nationale d'identité, passeport, certificat d'immatriculation des véhicules, permis de conduire) puis renforcée pour soutenir la reprise d'activité et maîtriser l'augmentation du stock de demandes.

II. LE PROGRAMME 232 « VIE POLITIQUE, CULTUELLE ET ASSOCIATIVE » : DES CRÉDITS EN FORTE AUGMENTATION DANS UN CONTEXTE D'INCERTITUDE SUR LE CALENDRIER ÉLECTORAL

A. UN BUDGET EN FORTE HAUSSE DU FAIT DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES, RÉGIONALES ET TERRITORIALES PRÉVUES EN 2021

L'année 2021 est marquée par une activité électorale importante car les élections départementales, régionales et territoriales (en Corse, en Martinique et en Guyane) doivent se tenir en mars . La hausse des crédits du programme s'explique à la fois par le nombre de scrutins, leur simultanéité mais aussi par la nature même des élections. Le nombre traditionnellement élevé de candidats aux élections départementales augmente ainsi le coût de la gestion de la propagande électorale.

La hausse des crédits du programme s'explique également par une anticipation des mesures sanitaires qui devront être prises pour assurer la protection des électeurs au sein des bureaux de vote. En 2020, l'État a débloqué 6,5 millions d'euros pour financer les équipements sanitaires nécessaires à la tenue des élections dans le contexte de l'épidémie de covid-19. Le coût du déploiement du protocole sanitaire dans les 140 000 bureaux de vote est estimé à 25 millions d'euros pour 2021.

B. EN RAISON DE LA CRISE SANITAIRE, DES INCERTITUDES PÈSENT SUR L'ORGANISATION DU SCRUTIN ET LE CALENDRIER ÉLECTORAL

En 2020, le report du second tour des élections municipales, communautaires et métropolitaines à Lyon a entraîné un surcoût de l'ordre de 30 millions d'euros pour financer les équipements sanitaires et rembourser les dépenses de campagne et de propagande aux candidats présents au second tour. Celles-ci ont augmenté du fait de l'allongement de la durée de la campagne.

En revanche, l'éventuel report des élections au mois de juin et la majoration de 20 % du plafond des dépenses de campagne proposés par M. Jean-Louis Debré dans son rapport remis vendredi 13 novembre au Premier ministre n'ont pas été budgétés dans le cadre de la loi de finances pour 2021 car seul le législateur peut décider de reporter les élections. Aucune disposition législative n'a été prise en ce sens à ce jour. Il conviendra donc, si le législateur entend décider d'un tel report, de dégager des crédits suffisants pour couvrir ce surcoût.

« Quelle date et quelle organisation pour les élections régionales et départementales ? »

Propositions principales du rapport de M. Jean-Louis Debré au Premier ministre

- reporter les élections prévues en mars à la fin du mois de juin 2021 ;

- transmettre au Parlement un point de situation sur l'évaluation de la situation sanitaire réalisé par le Conseil scientifique Covid-19 avant la tenue des scrutins ;

- majorer le plafond des dépenses de propagande ;

- réduire le délai de paiement du remboursement forfaitaire des dépenses électorales ;

- doubler le format des professions de foi ;

- faciliter le recours aux procurations en maintenant la possibilité, pour chaque mandataire, de recevoir deux délégations et en permettant que les officiers de police judiciaire ou leurs délégués se déplacent pour établir les procurations des personnes vulnérables ;

- envisager le développement du vote par correspondance.

III. LE PROGRAMME 216 « CONDUITE ET PILOTAGE DES POLITIQUES DE L'INTÉRIEUR » : DES CRÉDITS EN LÉGÈRE AUGMENTATION POUR POURSUIVRE LES CHANTIERS LANCÉS EN 2020

La légère hausse des crédits prévue par la loi de finances pour 2021 s'explique par des effets de transferts (4,5 millions d'euros en AE, 5,3 millions d'euros en CP) et les crédits pluriannuels d'investissement consacrés à la cité unique du renseignement (15,93 millions d'euros) qui permettra de regrouper, sur un site unique, les agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le niveau des crédits du programme 216 reste donc globalement inchangé par rapport à 2020 , ce qui permet au ministère de l'intérieur de poursuivre les chantiers engagés l'année dernière.

A. LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA DIRECTION NUMÉRIQUE

La direction numérique (DNUM) a été créée au 1 er janvier 2020 pour coordonner l'ensemble des systèmes d'information et accompagner plusieurs projets de grande envergure soutenus par le programme 216, tels que :

- le programme interministériel France Identité Numérique , dont relève notamment la carte nationale d'identité électronique (CNIe) déployée à partir de 2021 ;

- le projet de systèmes d'information européen en matière de contrôle des frontières et de lutte anti-terroriste ;

- le réseau radio du futur commun aux forces de sécurité et de secours.

La création de la DNUM accompagne le mouvement de dématérialisation totale des démarches administratives amorcé dans le cadre du comité Action publique 2022 . La DNUM a ainsi créé un observatoire de la qualité des démarches en ligne pour suivre le développement de l'offre de services dématérialisés et renforcer l'accessibilité numérique.

B. LA MAJORATION DES CRÉDITS LIÉS AUX CONTENTIEUX

Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit par ailleurs une augmentation de 10 millions d'euros des crédits destinés à couvrir les dépenses de contentieux qui atteindront ainsi 89,5 millions d'euros. Cette évolution est notamment liée à la multiplication des contentieux à la suite du mouvement des gilets jaunes.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 18 novembre 2020

Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - Il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Cette mission, pilotée par le ministère de l'intérieur, poursuit trois objectifs : garantir aux citoyens l'exercice de leurs droits dans le domaine des libertés publiques, assurer la continuité de l'État sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre au niveau local les politiques publiques nationales.

Si les crédits de la mission prévus par la loi de finances pour 2021, qui s'élèvent à 4,2 milliards d'euros, sont en légère hausse par rapport à l'année dernière, leur augmentation cache une évolution très hétérogène selon les programmes.

D'une part, les crédits consacrés au programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », auquel sont rattachés les moyens du pilotage des fonctions support et de la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère, sont en légère augmentation pour permettre la poursuite des réformes engagées en 2020. Il s'agit principalement de la montée en puissance de la direction du numérique, créée en 2020 et qui accompagne le mouvement de dématérialisation des démarches administratives et le développement de grands projets numériques comme le déploiement de la carte nationale d'identité électronique prévu pour l'année prochaine.

D'autre part, le programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative », dont les crédits financent l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, de la vie associative et de la liberté religieuse, enregistre une hausse spectaculaire de plus de 80 % de ses crédits pour financer les élections départementales, régionales et territoriales prévues en 2021.

Cette augmentation s'explique à la fois par le nombre traditionnellement élevé de candidats aux élections départementales et les modalités particulières d'organisation des scrutins en période de crise sanitaire. Le coût du déploiement du protocole sanitaire dans les 140 000 bureaux de vote est ainsi estimé à 25 millions d'euros pour 2021.

Notons cependant que les crédits du programme 232, déjà en forte augmentation par rapport à 2020, devront être revus à la hausse en cas de report des élections. M. Jean-Louis Debré, dans son rapport remis au Premier ministre vendredi dernier, préconise en effet le report des élections au mois de juin 2021 et la mise en place de mesures comme la majoration du plafond des dépenses de propagande, le doublement du format des professions de foi ou le développement du vote par correspondance. Ces mesures, qui n'ont pas été budgétées, font peser de nombreuses incertitudes sur le coût réel du programme. C'est en effet au législateur, comme vous le savez, que reviendra la décision du report des élections.

Quant au programme 354 « Administration territoriale de l'État », qui comprend notamment les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des directions départementales interministérielles, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une stabilisation globale de ses moyens qui diminuent de 3,7 % en autorisations d'engagement et augmentent de 1,7 % en crédits de paiement. C'est sur ce programme, qui supporte la majorité des crédits de la mission, que je m'attarderai.

Alors que le Premier ministre nous a annoncé dans sa déclaration de politique générale, le 16 juillet dernier, que les moyens de l'État seraient « confortés dans leur action quotidienne », force est de constater que la réforme de l'organisation territoriale de l'État se fera à moyens constants. Les annonces gouvernementales ont permis de reporter sur l'administration centrale les diminutions d'effectifs prévues au sein de l'administration déconcentrée. Mais le projet de loi de finances ne prévoit pas de véritable renforcement de la présence de l'État dans les territoires.

Certes, nous ne pouvons que saluer cette respiration salutaire, mais celle-ci n'est pas suffisante pour garantir aux services mis à mal par des années de réformes administratives et de diminution des effectifs les moyens de mener leur action.

Après la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) qui s'est achevé l'année dernière, le Gouvernement nous annonce déjà une nouvelle réforme de l'organisation territoriale, sans avoir pu dresser le bilan des précédentes réorganisations qui ont entraîné, depuis 2008, la suppression de 5 000 postes, soit 25 % des effectifs !

Loin de renforcer les moyens de l'administration, la première étape de la réforme de l'organisation territoriale de l'État s'inscrit dans la continuité de la rationalisation des moyens avec la création des secrétariats généraux communs aux préfectures et aux directions départementales interministérielles prévue au 1 er janvier 2021. Cette mesure a vocation à mutualiser les fonctions support de l'administration territoriale. L'objectif d'une telle mesure est de créer une culture de travail commune et de générer des économies. Cependant, des interrogations subsistent sur le calendrier, les gains attendus et les conséquences d'une telle réforme sur les agents concernés. Le ministère de l'intérieur nous a par exemple indiqué, en audition, qu'il ne serait pas en mesure d'assurer le versement des payes des agents au 1 er janvier 2021 qui sera donc géré par les ministères d'origine.

Budgétairement, la création des secrétariats généraux communs se traduit par une augmentation de 2,5 % des équivalents temps plein travaillé (ETPT) du programme qui s'explique entièrement par des transferts entrants provenant d'autres ministères. Le projet de loi de finances pour 2021 ne prévoit donc aucune création d'emplois pour accompagner le renforcement de l'administration territoriale. Ceci est d'autant plus regrettable qu'un effort de 231 ETP reste à fournir pour atteindre les objectifs fixés par le plan préfectures nouvelle génération pour le renforcement des missions prioritaires.

Cette stagnation des moyens est particulièrement problématique à l'heure où, pour faire face à l'épidémie de covid-19, la présence de l'État dans les territoires aux côtés des citoyens et des élus locaux est plus que jamais nécessaire.

Si je salue la réactivité des administrations de l'État qui ont su rapidement mettre en place des schémas d'accueil des usagers en nombre restreint et développer le télétravail, conformément au plan de continuité de l'activité, je note que certaines préfectures et sous-préfectures sont démunies face à l'accroissement des sollicitations et à la désorganisation des services générés par la crise sanitaire.

En matière de contrôle de légalité, par exemple, le taux de contrôle des actes prioritaires a chuté à 74 % au premier semestre 2020, soit 17 % de moins qu'au premier semestre 2019. Faute d'effectifs suffisants, les prévisions ont été revues à la baisse jusqu'en 2023, alors qu'il s'agit pourtant d'une mission prioritaire.

Durant le confinement, les services en charge de la délivrance des documents de séjour ont fermé leurs portes, ce qui a entraîné une hausse du stock de demandes, en partie limitée par la prolongation de la durée de validité des documents de séjour. De même, le stock de demandes de titres sécurisés (permis de conduire, passeports, etc.) a augmenté du fait du ralentissement de l'activité.

La stagnation des moyens humains et financiers consacrés au programme 354, qui intervient après plusieurs années de coupes budgétaires drastiques, n'est donc pas suffisante pour permettre un véritable renforcement de l'administration territoriale de l'État.

Même si, vous l'aurez compris, chers collègues, je considère que le niveau des crédits proposés en loi de finances pour 2021 pour la mission « Administration générale et territoriale de l'État » est insuffisant, je vous propose de réserver le vote sur l'adoption de ces crédits en attendant l'audition budgétaire du ministre de l'intérieur.

M. Mathieu Darnaud . - La mission de suivi de la covid-19 menée par la commission des lois a permis de mettre en lumière le besoin impérieux de renforcer les moyens de l'administration territoriale de l'État pour lui permettre de faire preuve d'autant d'agilité dans la gestion de crise que les collectivités territoriales. Nous constatons aujourd'hui qu'au-delà des annonces du Gouvernement, aucune mesure concrète n'a été prise en ce sens.

Tous les élus locaux réclament un État conseil, pas juste un État censeur. Or, les sous-préfectures que nous avons visitées dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle de la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale n'ont manifestement plus la capacité d'accompagner les collectivités territoriales. On ne peut que déplorer le manque de moyens humains et financiers prévus par la loi de finances pour 2021, alors que le contexte actuel plaide pour un renforcement de l'administration territoriale de l'État.

M. Éric Kerrouche . - L'État met l'accent sur la dématérialisation des procédures, notamment dans les préfectures. Nous ne pouvons que reconnaître les apports positifs des évolutions technologiques. Pour autant, il convient d'être particulièrement vigilant face au problème de l'isolement numérique. Le Défenseur des droits et, plus récemment, la mission d'information du Sénat sur la lutte contre l'illectronisme l'ont rappelé à plusieurs reprises : la dématérialisation ne doit pas être totale. Elle n'est efficace qu'à condition de mobiliser les économies générées pour renforcer l'accessibilité des services publics aux citoyens les plus fragiles.

Je rejoins la position de la rapporteure qui plaide pour une action de proximité renforcée qui fait défaut aujourd'hui. L'État ne peut plus se permettre d'être « touche à tout », il doit se concentrer sur son action territoriale. Or, les réformes successives se sont concentrées sur la dématérialisation des procédures, qui est vécue comme un abandon de l'État dans les territoires peu denses.

Cette année, comme les années précédentes, la doctrine territoriale de l'État porte à confusion. Certes, la stabilisation des effectifs de l'administration territoriale est un signe positif, mais les réformes administratives et comptables continuent de se succéder sans redéfinition de la politique territoriale de l'État. Celui-ci, faute de moyens, s'appuie de plus en plus sur les collectivités territoriales, à l'image du déploiement du réseau des maisons France Services. En effet, sur les 856 Maisons France services labellisées, 543 sont portées par les collectivités territoriales. Ajoutons à cela que l'État ne respecte pas lui-même les obligations qu'il fixe, à savoir l'affectation de 2 ETP au minimum dans chaque Maison France services.

En outre, l'affectation de 30 équivalents temps plein seulement à l'Agence nationale de cohésion des territoires est insuffisante compte tenu des besoins des collectivités territoriales en matière ingénierie.

Concernant les crédits du programme 232, je rappelle que notre groupe réclame depuis plusieurs années leur augmentation. En 2020, nous avions proposé une augmentation des crédits dans le contexte du lancement de la proposition de référendum d'initiative partagée sur les aérodromes de Paris. Pour l'année 2021, il est à prévoir une nouvelle augmentation des moyens consacrés à ce programme, notamment dans la perspective d'une éventuelle adaptation des modalités de vote. J'attire d'ailleurs votre attention sur le fait que l'Écosse a profondément modifié son droit électoral hier en adoptant le vote par correspondance et le vote anticipé. Nous pouvons espérer que la France en fera de même.

Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - Ce n'est pas comparable !

Mme Françoise Gatel . - Nos échanges sur la question de l'administration territoriale de l'État ressemblent à une complainte : nous faisons toujours les mêmes constats. La dématérialisation est certes souhaitable, mais elle ne sert pas les citoyens les plus fragiles ni les petites collectivités territoriales car elle ne s'accompagne pas d'un allègement des procédures, notamment en matière d'urbanisme.

Nous continuons également à nous interroger sur la cohérence de l'État. Le principe d'une République une et indivisible se heurte à la multiplication des satellites que sont les agences régionales de santé, le réseau de la direction générale des finances publiques et les rectorats qui ne sont pas l'autorité des préfets. Certaines directions, comme les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, prétendent même faire la loi à la place du législateur !

Ce manque de cohérence se retrouve dans la stratégie de l'État en matière d'ingénierie. L'État nous annonce un renforcement de son soutien aux collectivités en la matière grâce à la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires. Certes, mais cette structure continue à favoriser un modèle d'ingénierie verticale qui s'appuie sur des appels à projets auxquels les petites collectivités territoriales ne peuvent pas répondre, faute de ressources humaines et financières suffisantes. Le système des appels à projets, qui met en concurrence les collectivités territoriales entre elles, est vécu par les élus locaux comme une loterie.

Nous constatons donc, à nouveau, que les moyens déployés par l'État pourraient être optimisés par une mise en cohérence de l'action de l'État dans les territoires.

M. André Reichardt . - De plus en plus de collectivités territoriales remplissent les missions qui sont dévolues à l'État, ce qui entraîne une multiplication des doublons administratifs. Les élus locaux ne peuvent pas se plaindre du manque d'initiative de l'État s'ils se tournent d'abord vers d'autres niveaux de collectivités territoriales pour résoudre leurs problèmes. À titre d'exemple, dans le Bas-Rhin, jusqu'à récemment, une dizaine d'agents de l'État assuraient des services de conseil auprès de filiales françaises d'entreprises allemandes, alors que c'est le rôle des chambres de commerce et d'industrie.

Il me semble donc que le budget de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » ne permet pas de comprendre la présence des services publics sur le territoire car il ne prend pas en compte les moyens mobilisés par les collectivités territoriales. Madame la rapporteure, au cours de vos travaux, avez-vous pu appréhender ce phénomène de doublons administratifs ?

Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - Je rejoins la position de Mme Gatel sur le manque de cohérence de l'action de l'État. Les problèmes de coordination entre les préfets, les agences régionales de santé et les rectorats durant la crise sanitaire ont particulièrement illustré ce phénomène.

Même si je ne conteste pas la réalité des doublons administratifs, il me semble que le véritable problème, à l'heure actuelle, est le manque de moyens alloués à l'administration territoriale de l'État. Certaines sous-préfectures sont devenues des navires perdus de la République ! Les citoyens et les élus locaux ont besoin d'un État qui les accompagne dans leurs prises de décision. Ceci est d'autant plus vrai que plus d'un tiers des maires élus l'année dernière exercent cette fonction pour la première fois.

Concernant le vote par correspondance, je répondrai à M. Kerrouche que comparaison n'est pas toujours raison. Le ministère de l'intérieur m'a alertée en audition sur le changement profond de paradigme qu'impliquerait le déploiement du vote par correspondance en France.

M. François-Noël Buffet . - Dans la mesure où nous auditionnerons le ministre de l'intérieur, responsable de cette mission, mercredi prochain, je vous propose de réserver le vote de la commission jusqu'à cette date.

La commission réserve son avis sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » dans l'attente de l'audition du ministre de l'intérieur.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Secrétariat général du ministère de l'intérieur

M. Olivier Jacob, préfet, secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l'administration territoriale

M. Jean-Gabriel Delacroy, sous-directeur de l'administration territoriale

Mme Pascale Pin, chef du bureau des élections

M. Sébastien Audebert , chef du bureau des moyens de l'administration territoriale

Syndicats présents au Conseil supérieur de la fonction publique de l'État

M. Jean-Noël Rault , secrétaire de la fédération générale des fonctionnaires - force ouvrière (FGF-FO)

M. Martial Crance , secrétaire général adjoint de la confédération française démocratique du travail (CFDT) - fonctions publiques

M. Christophe Delecourt , membre du bureau de l'union fédérale des syndicats de l'État - confédération générale du travail (UFSE - CGT)

M. Roland Girerd , représentant de Solidaires fonction publique

Association des maires ruraux de France

M. Luc Waymel , Président de l'association des maires ruraux du nord

M. Bertrand Hauchecorne , maire de Mareaux-aux-Prés


* 1 Déclaration de politique générale de M. Jean Castex, Premier ministre, au Sénat, le 16 juillet 2020

* 2 Circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État

Page mise à jour le

Partager cette page