N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEUR E DE L'ÉTAT

Par M. Claude KERN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

L'année 2020 a vu les acteurs de la diplomatie culturelle et d'influence de la France mis à rude épreuve par la crise liée à la pandémie de Covid-19 . La majorité des établissements d'enseignement français à l'étranger, des instituts culturels et des alliances françaises ont dû, à un moment ou à un autre, fermer temporairement leurs portes et réorganiser leurs activités à distance. Sur le terrain, les équipes ont souvent fait preuve d'une remarquable capacité de mobilisation et d'adaptation pour assurer la continuité pédagogique ou proposer une offre de cours de langues et de contenus culturels en ligne. Mais les conséquences économiques de la crise sanitaire se sont aussi traduites par une diminution importante des ressources propres des établissements , posant la question de la viabilité financière de certains d'entre eux.

Au printemps dernier, le groupe de travail de la commission consacré au suivi de la gestion de la crise pour le secteur de l'action culturelle extérieure et animé par votre rapporteur pour avis, avait dressé un premier bilan inquiétant de l'état du réseau de l'enseignement français à l'étranger . Compte tenu de l'urgence de la situation, il avait choisi d'axer ses recommandations sur le projet de plan de soutien au réseau, annoncé fin avril par le Gouvernement. Budgété dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ce plan est en cours de déploiement.

Aussi, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur l'état du réseau d'enseignement français et la mise en oeuvre des mesures d'aide exceptionnelle dont il a bénéficié. Il a également tenu à présenter un état des lieux de la situation des instituts culturels, des alliances françaises et de l'Institut français de Paris , qui a vu son rôle d'interface renforcé. Globalement, les réseaux d'enseignement et d'action culturelle apparaissent comme fortement fragilisés, mais dotés de réelles capacités de résilience . La situation actuelle se révèle aussi hétérogène d'une zone géographique à l'autre, d'un établissement à l'autre, et surtout très évolutive.

C'est dans ce contexte que le projet de loi de finances pour 2021 présente une stabilisation du budget des opérateurs et des réseaux de la diplomatie culturelle et d'influence . À l'heure où nombre de politiques publiques nécessitent un soutien financier accru de l'État, cette sanctuarisation mérite d'être accueillie favorablement , tout en maintenant la plus grande vigilance sur les conséquences encore non stabilisées de la crise , afin de ne pas laisser des dommages irréversibles atteindre les réseaux culturels et d'influence. Cette période sans précédent doit aussi être l'occasion de penser l'après et d'impulser des transformations comme autant de moyens permettant de redonner aux établissements une capacité de rebond et de relancer leur attractivité.

I. L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER : UN RÉSEAU DUREMENT ÉPROUVÉ PAR LA CRISE, MAIS GLOBALEMENT RÉSILIENT

A. UN RÉSEAU FORTEMENT FRAGILISÉ QUI FAIT L'OBJET D'UN PLAN DE SOUTIEN DÉDIÉ

1. Les fortes inquiétudes sur la survie du réseau lors de la première vague épidémique

Dans ses conclusions publiées au printemps dernier 1 ( * ) , le groupe de travail « action culturelle extérieure » de la commission avait dressé un état des lieux très inquiétant de la situation du réseau de l'enseignement français à l'étranger pendant la première vague épidémique , les acteurs du secteur la qualifiant unanimement de plus grave crise de son histoire.

Les établissements d'enseignement français à l'étranger ont en effet été parmi les premiers, dès février 2020, à être touchés de plein fouet par l'épidémie de Covid-19. Au fur et à mesure de la progression géographique du virus, les fermetures d'établissements se sont multipliées. Au pic de la crise sanitaire, courant avril, 99 % des 522 établissements que compte le réseau dans 139 pays avaient fermé leurs portes .

L'urgence, pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), a été de développer un dispositif de continuité pédagogique et d'accompagner les établissements à sa mise en oeuvre. Fin avril, la quasi-totalité d'entre eux avaient basculé vers des modalités d'apprentissage en ligne. Si ce passage à un enseignement à distance a été rendu possible grâce à une mobilisation exceptionnelle des équipes administratives et pédagogiques - que le groupe de travail avait tenu à saluer -, il a été diversement apprécié par les familles, certaines considérant que la qualité de cet enseignement n'était pas à la hauteur de leur contribution financière. Un mouvement de contestation du niveau des frais de scolarité a alors vu le jour dans certaines zones, entraînant parfois de vives tensions entre les familles et les équipes des établissements. Cette remise en cause des frais de scolarité a aussi été avivée par la baisse des revenus à laquelle ont été confrontés un grand nombre de parents du fait des conséquences économiques de la crise sanitaire.

L'ensemble de ces facteurs a exposé les établissements à des difficultés de recouvrement des droits d'écolage, engendrant une diminution de leurs recettes. Les problèmes de trésorerie auxquels ils ont été rapidement confrontés se sont traduits par une diminution de leur contribution à l'AEFE, qui s'est elle-même retrouvée fragilisée. L'emballement de cette mécanique récessive a fait craindre une crise financière globale du réseau , appelant la mise en oeuvre de mesures de soutien exceptionnelles.

2. Le plan de soutien au réseau tel que prévu par la troisième loi de finances rectificative pour 2020

C'est dans ce contexte que, le 30 avril dernier, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, le ministre de l'action et des comptes publics et le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ont annoncé, outre des mesures sanitaires et sociales, un plan de soutien pour aider le réseau de l'enseignement français à l'étranger à faire face à la crise sanitaire liée à la Covid-19 . Le groupe de travail avait salué cette initiative, tout en émettant deux réserves : d'une part, une méthode contestable, privilégiant l'effet d'annonce plutôt que le travail de fond, d'autre part, un calibrage budgétaire encore très imprécis.

Ce plan de soutien s'est finalement concrétisé budgétairement dans la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 (LFR 3) . Les crédits destinés au réseau ont été articulés autour de trois grandes mesures :

- un accompagnement aux familles françaises en difficulté , prenant la forme d'un abondement de l'aide à la scolarité à hauteur de 50 millions d'euros sur le programme 151 (bourses scolaires), portant sa dotation totale à 155 millions d'euros en 2020 (dont 105,3 millions d'euros au titre de la loi de finances initiale) ;

- une aide aux familles étrangères en difficulté et aux établissements quel que soit leur statut (établissements en gestion directe, conventionnés ou partenaires) - avec une attention particulière portée aux établissements partenaires, particulièrement touchés par la crise -, qui s'est traduite par le versement d'une subvention supplémentaire de 50 millions d'euros sur le programme 185 ;

- une enveloppe de 50 millions d'euros d'avances de l'Agence France Trésor (AFT) sur le programme 823, permettant à l'AEFE d'aider les établissements à affronter leurs difficultés de trésorerie.

3. L'état de mise en oeuvre du plan de soutien

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur la mise en oeuvre des trois volets du plan de soutien au réseau.

L 'accompagnement des familles françaises en difficulté , qu'elles soient déjà boursières ou non, a consisté en un assouplissement du dispositif de recours gracieux de l'aide à la scolarité et en une adaptation du calendrier des demandes de bourses. Au 1 er octobre dernier, 102,6 millions d'euros avaient d'ores et déjà été validés, à l'issue des premiers conseils consulaires d'attribution des bourses (CCB). Il faut y ajouter 1,54 million d'euro consacré à des recours gracieux sur le troisième trimestre 2019-2020. Au total, le montant des crédits consommés sur l'enveloppe dédiée aux bourses s'élève à 104,1 millions d'euros . Ce chiffre, qui n'est normalement atteint qu'à l'issue des seconds CCB, illustre la forte augmentation des demandes de bourses de la part des familles françaises .

L'aide aux familles étrangères et aux établissements a fait l'objet d'une première phase de déploiement, soit par l'octroi de subventions aux établissements partenaires, soit par une diminution de la participation à la rémunération des résidents (PRR) versée par les établissements en gestion directe et les établissements conventionnés à l'AEFE. À ce jour, 23,3 millions d'euros sur les 50 millions d'euros votés en LFR 3 ont été consommés .

Sur ces deux premiers volets, les représentants de la Fédération des associations de parents d'élèves des établissements d'enseignement français à l'étranger (Fapée) ont fait part au rapporteur pour avis de leurs réserves sur le dispositif de soutien aux familles françaises qu'ils jugent trop rigide. Selon eux, les critères choisis, très restrictifs, auraient conduit au rejet de 40 % des dossiers par manque de pièces justificatives. Ils estiment en outre que la condition d'éligibilité, selon laquelle il ne fallait pas avoir payé les frais de scolarité au troisième trimestre, est injuste, certaines familles ayant fait beaucoup d'efforts pour s'en acquitter. A contrario , la mesure d'aide aux familles étrangères est perçue comme plus souple et moins sélective.

Le rapporteur pour avis a, pour sa part, eu écho de disparités dans l'application des aides selon les postes diplomatiques, qui semblerait être la résultante d'une mauvaise communication verticale , d'abord du ministère de l'Europe et des affaires étrangères vers les postes, puis de ces derniers vers les établissements.

S'agissant des avances de l'AFT accordées à l'AEFE , celles-ci ont permis à l'opérateur de mener deux types d'actions :

- le report des versements dus par les établissements à gestion directe et les établissements conventionnés,

- l'octroi de prêts aux établissements partenaires.

Au total, le montant des avances de trésorerie de l'AEFE aux établissements du réseau s'élève actuellement à près de 24 millions d'euros .

4. Une situation aujourd'hui maîtrisée et apaisée, mais encore fragile et évolutive

La mise en place du plan de soutien a permis à la rentrée 2020 de se dérouler de manière globalement satisfaisante, malgré la prolongation de la crise . Les modalités d'organisation des établissements se classent en trois catégories : 50 % des établissements ont repris l'enseignement en présentiel ; 21 % des établissements fonctionnent en mode « hybride » (alternance d'enseignements en présentiel et à distance) ; 29 % des établissements sont en distanciel complet.

Cette situation évolue néanmoins chaque jour en fonction de l'état sanitaire du pays et des décisions prises par les autorités locales. Ainsi, depuis septembre, des établissements ont été amenés à fermer partiellement ou totalement (par exemple, en Amérique latine ou au Moyen-Orient). Comme l'a indiqué le directeur de l'AEFE au rapporteur pour avis, cette instabilité permanente exige beaucoup de souplesse dans l'organisation et implique une gestion déconcentrée, au plus près du terrain .

Au niveau des établissements, les relations entre les équipes administratives et pédagogiques et les parents se sont apaisées, même si des points de crispation peuvent parfois perdurer. La ligne directrice de l'AEFE est clairement de promouvoir la qualité du dialogue dans les établissements pour créer du consensus . Une enquête menée en septembre auprès de l'ensemble des acteurs du réseau (élèves, parents, enseignants) et portant sur leur perception de l'enseignement à distance révèle des retours globalement positifs. Néanmoins, selon l'AEFE, trois points de vigilance en ressortent : l'accompagnement des enfants à besoins éducatifs particuliers, les difficultés de l'enseignement à distance pour les enfants de maternelle, la qualité de la communication entre les établissements et les familles. Ces préoccupations ont également été relevées par les représentants de la Fapée.

Concernant l'état des effectifs du réseau à la rentrée 2020 , lesquels avaient fait l'objet de prévisions pessimistes au printemps dernier, la baisse enregistrée est de l'ordre de 8 000 élèves. Mais, si l'on prend en compte les 5 000 nouveaux élèves arrivés dans le cadre de la dernière campagne d'homologation, le solde de la perte d'effectifs s'établit entre 3 000 et 3 500 pour le réseau . Au total, les effectifs à la rentrée 2020 devraient se stabiliser autour de 365 000 élèves et afficher une baisse de 1,2 %. Les effectifs connaissent par ailleurs des variations importantes selon les zones géographiques, la nationalité des élèves et le degré de scolarité 2 ( * ) .

Selon le rapporteur pour avis, cette résilience du réseau doit cependant être regardée avec prudence . Si celui-ci est globalement moins affecté par les effets de la crise sanitaire qu'on aurait pu le craindre au printemps dernier, la plus grande vigilance s'impose : d'une part, parce que la situation demeure très instable et évolutive, d'autre part, parce que certains établissements, notamment de petites structures, sont particulièrement concernés par les pertes d'effectifs.

C'est d'ailleurs au regard de ce constat mesuré qu' une deuxième étape du plan de soutien va être prochainement déployée . Conformément aux dispositions de la LFR 3, elle portera sur des dépenses rendues strictement nécessaires par la crise sanitaire et bénéficiera à toutes les familles (françaises et étrangères), ainsi qu'à l'ensemble des établissements. Est envisagée la mise en place d'un fonds de renforcement de la continuité éducative et d'un fonds de relance spécifique pour les établissements les plus durement touchés.


* 1 Constats et recommandations du groupe de travail « action culturelle extérieure » sur la gestion de la crise sanitaire, rapport d'information n° 667 « Culture, éducation, recherche, sport et communication : penser l'avenir malgré la crise sanitaire », 22 juillet 2020.

* 2 Les effectifs enregistrent une forte baisse dans le réseau états-unien, en Asie, au Liban ; une baisse plus faible dans le reste du Proche-Orient et en Europe ; une quasi-stabilité en Afrique ; une croissance dynamique au Maghreb. Les baisses d'effectifs concernent principalement les élèves français (- 5,4 %, soit environ 6 800 élèves), essentiellement en raison du renoncement des expatriés à faire venir leurs familles, compte tenu des incertitudes sur la situation sanitaire et le mode de scolarité. Les élèves dits « nationaux », qui représentent les deux tiers des élèves, voient en revanche leur nombre croître de 1,8 % (+ 3 500 élèves), preuve du maintien de l'attractivité de l'enseignement français auprès des familles étrangères. La maternelle est le degré de scolarité le plus touché par les baisses d'effectifs, celui-ci ayant sans doute pâti d'un enseignement à distance plus difficile à mettre en oeuvre.

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