Avis n° 142 (2019-2020) de MM. Philippe PAUL et Yannick VAUGRENARD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 21 novembre 2019

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N° 142

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020 ,

TOME XI

SÉCURITÉS :

Gendarmerie nationale (Programme 152)

Par MM. Philippe PAUL et Yannick VAUGRENARD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, Jean?Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean?Marc Todeschini, vice?présidents ; Mme Joëlle Garriaud?Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie?Françoise Perol?Dumont, M. Olivier Cadic, secrétaires ; MM. Jean?Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway?Mouret, MM. Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert?Luc Devinaz, Jean?Paul Émorine, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy?Chavent, MM. Jean?Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean?Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond?Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean?Pierre Vial, Richard Yung.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 2272 , 2291 , 2292 , 2298 , 2301 à 2306 , 2365 , 2368 et T.A. 348

Sénat : 139 et 140 à 146 (2019-2020)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES
RAPPORTEURS POUR AVIS

1. - Au sein de la mission « Sécurités » (21,3 Mds € en AE, soit +1,96% par rapport à 2019, et 20,5 Mds€ en CP, soit +1,78%), l'enveloppe des crédits consacrés à la gendarmerie nationale augmentera légèrement en 2020, augmentation due quasi exclusivement à la hausse des dépenses de personnel .

Les autorisations d'engagement (AE) du programme 152 (Gendarmerie nationale) passent en effet de 9,5 Mds € en 2019 à 9,76 Mds € en 2020 (soit une hausse de 2,8 %) et les crédits de paiement (CP) de 8,8 Mds € en 2019 à 8,96 Mds € en 2020 (soit une hausse de 1,7 %).

2. - Les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'état des forces de sécurité intérieure ont démontré la précarité de la situation au sein de la gendarmerie nationale : missions toujours alourdies, relations tendues avec la population, procédure pénale trop complexe, et surtout moyens très insuffisants. Il en résulte un véritable malaise au sein des personnels. Les crédits prévus pour la gendarmerie au sein du projet de loi de finances pour 2019 ne permettent pas de lever ces inquiétudes.

En 2017 a certes été annoncée la création de 10 000 emplois sur la période 2018-2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. La gendarmerie nationale doit bénéficier sur cette période de la création de 2 500 emplois. Après 625 emplois en 2019, 527 emplois seront créés dans ce cadre au titre de 2020.

Toutefois, seuls 25 % des nouveaux postes sont prévus pour la gendarmerie. Or, les effectifs de la gendarmerie se montent à 40% de celui des forces de sécurité et la croissance démographique en zones rurales et périurbaines est actuellement plus forte en France que la croissance urbaine.

3. - Les crédits de fonctionnement s'élèvent pour 2020 à 1,105 Mds € en CP, contre 1,141 Mds € en 2019, soit une baisse de 36 M€ (-3,1%). Compte tenu d'une mesure de périmètre (transfert de crédits de fonctionnement à la Direction du numérique du ministère de l'intérieur), les dépenses de fonctionnement stagnent, par contraste avec l'augmentation des dépenses de titre 2.

Le budget de titre 3 prévu au PLF 2020 permettra ainsi seulement de reconduire, à périmètre constant, les dotations de fonctionnement courant des unités, les loyers de droit commun, le maintien en condition opérationnelle des systèmes d'information et des hélicoptères, ainsi que l'équipement des unités. Il n'y aura donc aucune amélioration des moyens dont disposent des gendarmes pour accomplir leurs missions. Or, de l'avis général, les conditions de travail des gendarmes sont actuellement précaires.

4. - Les crédits pour rémunérations et charges sociales représentent désormais presque 86% des crédits du programme. Ainsi, la dotation en crédits de titre II de la gendarmerie (pensions comprises) s'élèvera à environ 7,7 Mds € en 2020, contre 7,5 Mds € en 2019, soit une hausse de 2,5 % (+ 188 M€). Du fait de la part très forte dans le budget des dépenses de personnel et de la part élevée des dépenses de fonctionnement consacrées aux loyers, la mise en réserve portera très lourdement sur le fonctionnement quotidien et sur l'investissement. La gestion quotidienne en deviendra d'autant plus difficile.

5. - Les crédits d'investissement sont en diminution en AE (de 170 à 140 millions d'euros entre 2019 et 2020) comme en CP (de 174 à 165 millions d'euros). Le plan de réhabilitation du parc domanial voit ses crédits baisser, avec un montant de seulement 83,1 millions en AE, contre 90 M€ en 2019. Les mesures de sécurisation de casernes sont poursuivies (15 M€).

Les crédits consacrés par le plan de réhabilitation sont ainsi très inférieurs aux véritables besoins. Les besoins en matière immobilière sont en effet d'environ 300 millions d'euros par an, soit 100 millions pour la maintenance et 200 millions pour les opérations de reconstruction ou de renouvellement. Ainsi, les crédits prévus sont inférieurs de plusieurs centaines de millions d'euros aux besoins.

6 . - Par ailleurs, en 2020, 35 M€ en AE (contre 65 M€ en 2019) seront consacrés à l'acquisition de seulement 1550 véhicules légers (contre 2 800 véhicules légers et motocyclettes prévus en 2019, dont 1950 seulement seront réellement acquis).

Or, le nombre de véhicules légers à acquérir chaque année pour maintenir dans un état acceptable le parc automobile, qui affiche en moyenne plus de 7 ans d'âge, serait d'environ 3000.

7. - Enfin, la commission des affaires étrangères et de la défense a exprimé une forte inquiétude s'agissant du maillage territorial de la gendarmerie . En effet, des projets de réduction massive du nombre de brigades sont à l'étude. Les alternatives, comme l'utilisation des maisons « France services », présentent également de sérieux inconvénients. La commission demande que les travaux en cours du livre blanc sur la sécurité intérieure aboutissent à la présentation d'une loi de programmation ayant pour objet la remise à niveau des forces de sécurité et le maintien du maillage territorial.

À l'issue de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « gendarmerie nationale» .

I. LES GRANDS AXES DU PROGRAMME 152 AU SEIN DE LA LFI 2020

Au sein de la mission « Sécurités » (21,3 Mds € en AE, soit +1,96% par rapport à 2019, et 20,5 Mds€ en CP, soit +1,78% par rapport à 2019), l'enveloppe des crédits consacrés à la gendarmerie nationale augmentera légèrement en 2020, augmentation due quasi exclusivement à la hausse des dépenses de personnel.

Les autorisations d'engagement (AE) du programme 152 (Gendarmerie nationale) passeront en effet de 9,5 Mds € en 2019 à 9,76 Mds € en 2020 (soit une hausse de 2,8 %) et les crédits de paiement (CP) de 8,8 Mds € en 2019 à 8,96 Mds € en 2020 (soit une hausse de 1,7 %).

A. DES CRÉDITS POUR 2020 EN LÉGÈRE AUGMENTATION

1. Des crédits de personnel toujours en augmentation (titre 2)

Le programme « gendarmerie nationale » est en majeure partie un budget de dépenses de personnel. Ainsi, la dotation en crédits de titre II de la gendarmerie (pensions comprises) s'élèvera à environ 7,7 Mds € en 2020, contre 7,5 Mds € en 2019, soit une hausse de 2,5 % (+ 188 M€).

Les crédits de rémunération et charges sociales (en M€)

2019

2020

Variation
2019-2020

AE= CP

AE= CP

AE= CP

Rémunération d'activité

3 688

3 803

+ 3,1 %

Cotisations et contributions sociales

3 785

3 857

+ 1,9 %

TOTAL titre 2

7 490

7 678

+ 2,5 %

Au total, les dépenses de personnel représentent presque 86 % des crédits du programme , en légère hausse par rapport aux années précédentes.

Le ministère de l'Intérieur avait bénéficié d'une hausse significative de ses personnels en 2016 du fait des décisions prises par le Gouvernement pour adapter les forces de sécurité intérieure à la menace terroriste, ainsi qu'aux enjeux migratoires. Plus de 2 100 nouveaux postes avaient ainsi été créés dans la Gendarmerie nationale en 2016. En 2017, la hausse avait été de 255 ETP.

Le président de la République a décidé la création de 10 000 emplois sur la période 2018-2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure.

Dans ce cadre, la gendarmerie nationale bénéficie sur cette période d'un quantum de 2 500 emplois, dont 500 au titre de 2018, 679 emplois au titre de 2019 et 527 emplois au titre de 2020.

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit un schéma d'emplois positif (+ 490 ETP), comprenant :

- +527 ETP, dans le cadre du plan présidentiel de création de 2 500 emplois entre 2018 et 2022, dont + 27 ETP dans le cadre de la montée en puissance du renseignement territorial

- -33 ETP au titre des suppressions d'emplois en administration centrale

- -4 ETP au titre d'une contribution pour la création de l'Agence du numérique de la Sécurité Civile.

La commission n'a rien à objecter à la croissance des moyens humains de la gendarmerie, dès lors qu'elle permet de préserver le maillage territorial qui constitue l'un des points forts de la gendarmerie, au bénéfice de l'égalité de nos concitoyens devant la sécurité. Cependant, le découplage constaté entre les moyens humains et les moyens matériels (fonctionnement quotidien, équipements, véhicules et immobilier) s'accentuera encore en 2020, ce qui ne peut qu'affecter les performances de la gendarmerie .

2. Des crédits de fonctionnement qui stagnent à un niveau insuffisant

Les crédits de fonctionnement s'élèvent pour 2020 à 1,105 Mds € en CP, contre 1,141 Mds € en en 2019, soit une baisse de 36 M€ (-3,1%). Si l'on ne tient pas compte d'une mesure de périmètre (transfert de crédits de fonctionnement à la nouvelle Direction du numérique du ministère de l'intérieur), les dépenses de fonctionnement stagneront en 2020 à un niveau insuffisant , par contraste avec l'augmentation des personnels et des dépenses de titre 2.

Le budget de titre 3 prévu au PLF 2020 permettra ainsi seulement de reconduire, à périmètre constant, les dotations de fonctionnement courant des unités, les loyers de droit commun, le maintien en condition opérationnelle des systèmes d'information et de communication et des hélicoptères, ainsi que l'équipement des unités. Il n'y aura donc pas d'amélioration des moyens dont disposent des gendarmes pour accomplir leurs missions quotidiennes, alors que ces moyens sont notoirement insuffisants, comme l'ont démontré les travaux de la commission d'enquête sur l'état des forces de police et de gendarmerie.

3. Des crédits d'investissement en baisse, traduisant un ralentissement des opérations immobilières et un renouvellement très insuffisant des véhicules

Les crédits d'investissement sont en forte diminution en AE (de 170 millions d'euros en 2019 à 140 millions d'euros en 2020) comme en CP (174 millions d'euros en 2019, 165 millions d'euros en 2020), alors que ces derniers avaient déjà connu une baisse importante entre 2018 et 2019.

a) Un ralentissement de l'effort sur l'immobilier

Le plan de réhabilitation du parc immobilier domanial de la gendarmerie est poursuivi mais avec des crédits en baisse . Un montant de seulement 83,1 millions en AE, contre 90 M€ en 2019, permettra ainsi d'en financer la 6 ème annuité. Rappelons que concernant les opérations domaniales, la gendarmerie a fait le choix de porter son effort sur la maintenance du parc existant au détriment d'opérations d'envergure visant la complète reconstruction de certaines casernes. De fait , aucune construction domaniale nouvelle n'a été engagée depuis 2012 (livraison du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale à Pontoise dans le Val d'Oise).

En revanche, les mesures de sécurisation de casernes sont poursuivies pour un montant de 15 M€ en AE et CP.

Ainsi, l'effort entrepris depuis quelques années pour commencer à réhabiliter des casernes et des locaux de brigade globalement très dégradés est déjà ralenti, alors même que les résultats sont encore très insuffisants .

Moyenne âge du parc domanial

Age des Locaux de services et techniques (LST)

Age des logements

Age du parc domanial

53 ans

46 ans

50 ans

Selon les éléments fournis par le ministère de l'intérieur lui-même, le maintien à niveau du parc immobilier domanial de la gendarmerie nationale nécessiterait une dépense annuelle de l'ordre de 300 M€ selon les standards utilisés par les bureaux d'étude :

• 200 M€ seraient dédiés à la reconstruction de casernes et aux réhabilitations/ restructurations de grande envergure ;

• 100 M€ seraient destinés aux travaux de maintenance.

Principales opérations immobilières financées sur la période 2018-2020

1 - Au profit des logements

Melun (77) - Quartier Lemaître - réfection du clos et du couvert, des pièces humides, de l'électricité et des parties communes (156 logements impactés)

• tranche ferme de 11,8 M€ financée en 2018 ;

• deux tranches optionnelles financées en 2019 à hauteur de 2,15 M€ (les 2 dernières tranches seront couvertes en 2020 et 2021 pour un montant global de 4,3 M€) ;

• opération qui bénéficie d'une subvention de 0,85 M€ (convention CRIF).

Versailles - Satory (78) - Caserne Delpal - réhabilitation globale des 374 logements

• coût de l'opération 15,1 M€ dont 900 K€ déjà engagés au titre des études ;

• coût des travaux 14,2 M€ ;

• tranche ferme de 5 M€ programmée en 2019 ;

• tranches optionnelles devront être affermies en 2020 et 2021 pour un montant global de 9,2 M€ ;

• opération qui bénéficie d'une subvention de 1 M€ (convention CRIF) et dont certains travaux sont éligibles aux CEE.

Nanterre (92) - Caserne Rathelot - réhabilitation globale de la partie logements (658 logements impactés)

• tranche ferme de travaux financée en 2019 à hauteur de 12,4 M€ dont 500 K€ de sécurisation ;

• tranches optionnelles (études et travaux) financées à hauteur de 33,9 M€ devront être affermies entre 2021 et 2022.

Guéret (23) - Caserne Bongeot - réfection du clos et du couvert

• opération initiée en 2019 pour 500 K€ au titre des études programmées ;

• coût des travaux 5 M€ ;

• première tranche de 2,5 M€ financée en 2021 ;

• seconde tranche de 2,5 M€ financée en 2022.

Rennes (35) - Casernes Guillaudot et Audibert - traitement du clos et du couvert

• opération initiée en 2019 pour 12,4 M€ au titre des travaux ;

• première tranche de 4,2 M€ financée en 2019 ;

• feux dernières tranches seront couvertes en 2020 et 2021 pour un montant global de 8,2 M€.

Mirande (32) - Caserne Laubadère - réhabilitation de l'emprise

• coût de l'opération 6,3 M€ dont 6M€ au titre des travaux ;

• première tranche de 2,5 M€ programmée en 2020.

Issy-les-Moulineaux (92) - Issy Nord et Vernadat - traitement du clos et du couvert

• coût de l'opération 19,8 M€ dont 1,8 M€ au titre des études initiées en 2019 et 18 M€ au titre des travaux ;

• tranche ferme de 6 M€ financée en 2021 au titre des travaux ;

• deux dernières tranches seront couvertes en 2022 et 2023 pour un montant global de 12 M€.

b) Un renouvellement très insuffisant des véhicules

En 2020, seulement 35 M€ en AE (contre 65 M€ en 2019) seront consacrés à l'acquisition d'environ 1 550 véhicules légers (contre 2 800 véhicules légers et motocyclettes prévus dans le PLF 2019, dont 1 950 environ seulement seront réellement acquis en 2019), tandis que 7 M€ seront consacrés au début du renouvellement des véhicules de commandement et de transmission de la gendarmerie mobile.

Le parc automobile hors motocyclette de la gendarmerie nationale est constitué de 26 970 véhicules qui présentent un âge moyen de 7 ans et un kilométrage moyen de 110 000 km. Le parc deux-roues est constitué de 3 380 véhicules qui présentent un âge moyen de 5,7 ans et un kilométrage moyen de 57 000 km. Un léger rajeunissement du parc a pu être constaté depuis 2018 grâce à l'effort budgétaire consacré depuis trois ans aux acquisitions et à la sortie prioritaire des véhicules atteignant les critères de réforme (pour les véhicules légers : 8 ans et > 200 000 km ; pour les motocyclettes : > 110 000 km).

Bilan des acquisitions et des réformes depuis 2010

Véhicules réformés

Véhicules acquis

2010

2149

2264

2011

1967

1273

2012

1906

865

2013

1309

1333

2014

841

1444

2015

1905

2099

2016

2178

3302

2017

2788

2829

2018

3102

2782

2019*

1655

1857

Source : ministère de l'intérieur, réponses au questionnaire budgétaire

Toutefois, le nombre de véhicules légers à acquérir chaque année pour maintenir dans un état tout juste acceptable le parc automobile de la gendarmerie nationale est de 2 800 à 3 000 environ.

Dès lors que le renouvellement prévu pour 2020 ne concerne que 1 550 véhicules, on peut craindre que les gels budgétaires ne conduisent in fine à un nombre d'acquisition vraiment très faible .

La situation risque donc de redevenir critique à partir de l'année prochaine. L'âge moyen des véhicules va nécessairement recommencer à augmenter.

Les pistes actuellement à l'étude pour résoudre ce problème en dégageant des économies ne sont pas à la hauteur de l'enjeu et se placent clairement dans une logique de gestion de la pénurie :

- l'adaptation au juste besoin des équipements embarqués dans les véhicules, comme le pré-équipement radio, la peinture métallisée, le développement de dispositifs de signalisation sonore et lumineuse amovible ;

- la mise en oeuvre d'un nouveau marché d'approvisionnement des véhicules, qui offrira un choix de modèles plus adaptés à chaque typologie de terrain.

- au-delà de 2023, le déploiement rapide du « réseau radio du futur ».

II. QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GENDARMERIE DU FUTUR ?

A. L'ÉLABORATION D'UN LIVRE BLANC ET D'UNE LOI DE PROGRAMMATION DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE

La commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieur, présidée par Michel Boutant et dont le rapporteur était François Grosdidier, avait préconisé dans son rapport publié en juin 2018 1 ( * ) l'élaboration d'une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure , afin de prévoir l'indispensable remise à niveau des équipements et de l'immobilier de la police et de la gendarmerie nationale et de fournir un cadre budgétaire sécurisé pour remédier à la forte incertitude qui pèse actuellement sur les ressources annuelles, notamment en raison de la mécanique des « gels » budgétaires. Lors de son discours de politique générale du 12 juin, le Premier ministre a annoncé l'élaboration d'une telle loi. Il convient de souligner que si le livre blanc n'est publié qu'à l'automne 2020, comme envisagé actuellement, la loi de programmation ne pourra pas intervenir avant 2021, et les décisions budgétaires avant la LFI 2022.

Au préalable, quatre groupes de travail ont été formés au sein du ministère de l'intérieur pour élaborer un livre blanc qui devra constituer le socle de la loi de programmation . Il doit ainsi identifier et définir les grandes menaces qui pèsent sur la sécurité du pays (menace terroriste, crise migratoire, criminalité organisée, etc.) et élaborer le modèle de sécurité souhaité dans un contexte de forte demande de proximité de la part de la population, décliner une architecture de sécurité englobant la police et la gendarmerie, évoquer la situation des personnels et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

À la suite de cet exercice, il semble impératif à la commission que cette loi de programmation comporte, outre des mesures juridiques visant à poursuivre la constante adaptation des forces de l'ordre à la délinquance et aux besoins exprimées par la population (carte territoriale des forces, mesures de simplifications de certaines procédures, adaptation aux nouvelles tendances criminelles, etc.), une véritable programmation budgétaire précise et détaillée . Celle-ci devra permettre une remise à niveau des équipements, des moyens de fonctionnement quotidien et des investissements (en particulier véhicules et locaux) permettant de redonner aux forces de l'ordre l'ensemble des moyens nécessaires à l'accomplissement de leurs missions. Une telle remise à niveau permettrait ainsi de corriger l' « effet ciseau » relevé par la Cour des comptes : la hausse des effectifs décidée au début du quinquennat va de pair avec une baisse du budget HT2 d'environ 3,8% pour la période du budget quinquennal 2018-2022.

B. LA QUESTION PRÉOCCUPANTE DU MAILLAGE TERRITORIAL

1. Vers une contraction du maillage territorial ?

Au cours de l'année 2019, la gendarmerie a organisé une série d' « ateliers d'idéation », avec l'aide de 1 483 réservistes citoyens, qui ont apporté leur vision de l'avenir de la gendarmerie en mobilisant chacun leur domaine de compétence. Ces ateliers, qui ont eu lieu à l'extérieur de la « maison gendarmerie », ont permis au directeur général de la gendarmerie nationale de soumettre 101 propositions d'évolutions au ministre de l'intérieur. Certaines ont d'ores et déjà été retenues, comme la création d'un statut d'engagé pour les actuels gendarmes adjoints volontaires.

Le premier atelier d'idéation portait sur le thème: « dégager des marges nouvelles pour investir ». Il s'agit d'un thème essentiel compte-tenu de la stagnation des moyens en investissement depuis des années au sein de la gendarmerie malgré les plans immobiliers récents qui permettent tout juste de traiter les problèmes les plus importants mais sont loin de correspondre à des investissements « normaux » pour un parc d'une telle ampleur.

Les propositions retenues à l'issue de cet atelier sont les suivantes :

- valoriser certaines prestations externes (GIGN, secours en montagne, garde républicaine, PJGN, etc.),

- facturer systématiquement les missions non spécifiques réalisées au profit d'un opérateur externe (SOI) ;

- ouvrir par la loi la possibilité aux collectivités locales de financer les forces de sécurité sur les aspects de fonctionnement et d'investissement.

Une autre proposition semble plus radicale : contracter significativement le maillage territorial par regroupements d'unités et fermer les brigades de moins de 10 gendarmes .

Or, une telle réorganisation permettrait peut-être d'obtenir certaines améliorations en termes de rationalisation des moyens, de concentration des ressources au profit des unités restantes qui seraient alors mieux dotées, mais elle représenterait en même temps un recul des services publics de proximité, ce qui semble particulièrement peu pertinent dans le contexte actuel .

Il est vrai que la situation actuelle, dénoncée à maintes reprises par la commission, risque d'aboutir dans les années qui viennent à la fermeture de certaines brigades et casernes en raison de problèmes de sécurité ou de salubrité.

L'une des pistes envisagées par la gendarmerie pour maintenir une présence territoriale tout en réalisant des économies est de rendre la gendarmerie partie prenante de la réforme en cours consistant à transformer les maisons de services au public en maisons « France service », dont 300 doivent ouvrir d'ici janvier 2020 et, en principe, 2 000 d'ici 2022. . Il s'agirait ainsi de profiter du dense maillage des brigades de gendarmerie et des plages horaires larges des gendarmes qui y travaillent pour y installer d'autres services publics. Une telle démarche permettrait de mieux rentabiliser la présence d'emprises foncières parfois sous-employées, voire redondantes avec d'autres services publics.

Pour intéressante qu'elle paraisse, cette solution conduirait toutefois indéniablement à une banalisation de la gendarmerie et des services de sécurité. En outre, poser le problème en ces termes revient à abandonner de facto l'idée d'une véritable remise à niveau tant du parc immobiliers que des moyens mobiles de la gendarmerie , alors que de nombreux rapports parlementaires plaident pour une telle remise à niveau et que les Gouvernements successifs affirment tous faire de la sécurité une priorité.

Les maisons France Service

En avril 2019, le président de la République a annoncé la mise en place du réseau France Services pour faciliter les démarches administratives des Français sur tout le territoire.

D'ici janvier prochain, 300 points France Services vont ouvrir, en priorité dans les petites centralités des zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et une attention particulière sera portée sur les territoires d'outre-mer.

Il pourra s'agir de lieux d'accueil permanents ou de bus itinérants. Ces implantations France Services pourront être accueillies dans les locaux des mairies, des centres sociaux, des bibliothèques, des tiers-lieux, des gendarmeries.

L'autre hypothèse est en effet un renforcement des moyens planifié de manière pluriannuelle , via une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure, comme évoqué ci-dessus. L'adoption d'une telle « LOPSI » pourrait être mise à profit pour remédier au déficit des moyens des forces de sécurité en termes d'équipements et d'investissements.

La gendarmerie nationale se trouve ainsi aujourd'hui à la croisée des chemins . Soit les prochaines années verront une forte remise en cause de son modèle territorial, éventuellement partiellement compensée par des efforts drastiques de mutualisation avec les autres services de l'Etat, soit la Nation décide d'un effort d'ampleur en faveur du service public de la sécurité, ce qui implique le déblocage de financements importants et pérennes permettant de remettre à niveau l'ensemble des moyens matériels sur lesquels s'appuient la gendarmerie nationale - et la police nationale - pour remplir leurs missions au service de nos concitoyens.

2. Les autres pistes pour réaliser des économies

Il convient de noter qu'à côté de ces « tentations » de réduction du maillage territorial, d'autres pistes actuellement explorées pour améliorer la couverture territoriale de la gendarmerie à moyens constants paraissent intéressantes.

Ainsi, un décret du 15 février 2019 élargit de manière expérimentale la compétence judiciaire de 227 unités dans 44 groupements de gendarmerie au-delà des limites du département, ce qui représente plus de 2500 hommes. Ce dispositif comprend des procédures d'habilitation judiciaire supra-départementale et une coordination interdépartementale plus souple des effectifs engagés. Cette réforme est de nature à diminuer les délais d'intervention aux limites des départements et d'améliorer le contrôle des flux interdépartementaux . Après la phase d'expérimentation, cette mesure pourrait être plus largement étendue, renforçant ainsi l'efficacité opérationnelle de l'action de la gendarmerie.

D'autres réformes envisagées auraient pour effet de reporter des coûts actuellement assumés par la gendarmerie nationale sur les collectivités locales ou les personnes privées. C'est le cas de la réforme de la facturation des services d'ordre indemnisé (SOI). Actuellement, la facturation des prestations de sécurité assurées par la gendarmerie n'est pas intégrale. Le coût de 20€ de l'heure policier/gendarme facturé aux organisateurs d'événements culturels ou sportifs est inférieur aux coûts réels. Il y a plus de 10 ans déjà, le ministre de l'intérieur évoquait un objectif de 35 euros de l'heure. Un tel coût aurait une dimension dissuasive et conduirait les collectivités et les organisateurs privés à faire davantage appel aux sociétés privées de sécurité.

Par ailleurs, la commission avait déjà évoqué l'année dernière la création de deux nouvelles directions rattachées au secrétariat général du ministère de l'intérieur : la direction des achats et la direction générale du numérique (DNUM).

S'agissant en premier lieu de la direction des achats, appelé Service de l'Achat, de l'Équipement et de la Logistique de la Sécurité Interieure (SAELMI), cette mutualisation de la fonction achat entre toutes les directions générales du ministère de l'intérieur est censée permettre de réaliser d'importantes économies d'échelle . En accompagnement de cette création, un total de 219 ETP ont été transférés de la gendarmerie nationale au SAELMI. En outre, le programme 152 a été « déssoclé » de 20 millions d'euros pour 2020, correspondant aux gains attendus de cette réforme dans un premier temps. Il est étonnant que cette diminution qui risque d'être prématurée, surtout dans un contexte général de pénurie des moyens de fonctionnement et d'investissement.

S'agissant en second lieu de la Direction générale du numérique, Cette nouvelle direction générale regroupera plusieurs services préexistants et sera créée au 1 er janvier 2020.

Rappelons que, pour le moment, il existe essentiellement, au sein du ministère de l'intérieur, quatre services différents compétents dans le domaine du numérique :

1 - une direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) compétente pour tous les services du ministère de l'intérieur ;

2 - une sous-direction des systèmes d'information et de la communication à la Préfecture de police ;

3 - une mission des systèmes d'information à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ;

4 - enfin, un service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, dit ST(SI)2, placé auprès de la gendarmerie nationale mais compétent pour les systèmes d'information de sécurité de la gendarmerie et de la police. Le ST(SI)2 a une compétence éprouvée et reconnue ; ce service est ainsi notamment à l'origine du système NEO (Néogend et Néopol), mais aussi du système de gestion des soldes « Agorh@ solde », qui a été mis en place de manière efficace pour un coût très modéré.

La commission avait souligné que le nouveau dispositif, tout en produisant les économies indispensables et en soutenant l'ensemble des services du ministère dans leur transformation numérique, devait permettre de capitaliser sur les réussites préexistantes en la matière (notamment celles du ST(SI)2) et de respecter les spécificités des systèmes d'information de la sécurité intérieure, dont les exigences en termes de disponibilité et d'efficacité sont très élevées. La nouvelle gouvernance du numérique au sein du ministère de l'intérieur devait enfin impérativement rendre impossibles des dérives retentissantes telles que celles mis en exergue par la Cour des comptes dans un passé récent, du projet Louvois des armées à l'opérateur national de paie (ONP) de Bercy.

La DNUM sera ainsi créée au 1 er janvier 2020. Conformément aux recommandations exprimées lors de l'examen du PLF 2019 par la commission, les décisions prises au cours de l'année 2019 témoignent d'un compromis permettant de maintenir une certaine capacité en matière d'informatique au sein de la gendarmerie nationale :

- 50,2M€ en AE sont identifiés pour être transférés au programme 216 (Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur). Ces crédits seront notamment dédiés à l'hébergement, l'infrastructure, l'applicatif (FAED, ...), la location des points hauts ainsi que la dématérialisation de la procédure pénale ;

- En revanche, 80,2 M€ (AE) sont maintenus au sein du programme 152, principalement pour maintenir la capacité opérationnelle des unités. Ces crédits sont destinés aux acquisitions suivantes (PLF 2020) :

• Neogend (71,8 M€ AE) : 61,7 M€ en AE pluriannuel (2020-2023) pour le renouvellement des nouveaux marchés avec la location de 100 000 terminaux et 10,1 M€ pour couvrir les besoins de l'annuité 2020 ;

• Sac à dos numérique et équipements métiers (8,4 M€) dont :

? équipement radio personnels et véhicules ;

? caméras piétons ;

? équipements liés à la dématérialisation de la procédure pénale ;

? pièces détachées radio ;

? équipement de lutte contre la cybercriminalité ;

? logiciels d'enquête (Mercure, Analyse notebook...) ;

? brouilleurs.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

M. Philippe Paul, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie . -Cette année encore, le budget de la gendarmerie nationale nous paraît préoccupant à plus d'un titre. Certes, le Général Lizurey nous a présenté la situation sous un jour plutôt positif, conformément à l' « esprit gendarmerie », qui est de chercher à remplir la mission le mieux possible avec les moyens disponibles. Pour notre part, nous ne sommes pas tenus par la même réserve ! Si les crédits de paiement du programme augmentent de 1,7 % par rapport au PLF 2019, cette augmentation provient essentiellement d'une hausse des dépenses de personnel de 2,5 %. Rappelons que le Président de la République a annoncé la création de 10 000 emplois sur la période 2018-2022 au sein des forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la gendarmerie nationale bénéficie de 527 emplois au titre de 2020. Du fait de cette augmentation, les dépenses de personnel représentent désormais presque 86 % des crédits du programme. Avec un tel ratio, les effets des gels budgétaires sont particulièrement handicapants puisqu'ils impactent d'autant plus fortement les crédits de fonctionnement et d'investissement. Concernant justement ces crédits de fonctionnement, ils stagnent encore cette année. Je rappelle qu'entre 2006 et 2019, les dépenses autres que de personnel de la gendarmerie ont déjà connu une baisse de 6,5 %, pendant que les dépenses de personnel ont augmenté de 35 % ! Le budget de fonctionnement prévu au PLF 2020 permettra ainsi seulement de reconduire les dotations de fonctionnement courant des unités, les loyers de droit commun, le maintien en condition opérationnelle des systèmes d'information et de communication et des hélicoptères, ainsi que l'équipement des unités. Il n'y aura aucune amélioration des moyens dont disposent des gendarmes pour accomplir leurs missions quotidiennes. S'agissant par ailleurs de la réserve opérationnelle, désormais essentielle au fonctionnement quotidien de la gendarmerie, le constat est le même. Il y avait déjà eu de grandes difficultés en 2019. En 2020, il est prévu une réduction de 28 millions d'euros des crédits, ramenés de 98,7 M€ à 70,7 M€. Cette diminution va nécessairement peser sur les capacités opérationnelles. Je laisserai mon collègue Yannick Vaugrenard évoquer plus en détail la faiblesse tout aussi inquiétante des crédits d'investissement, notamment en ce qui concerne les véhicules légers. En effet, sur ce plan également, on est loin du compte avec seulement 1 600 nouveaux véhicules prévus en 2020. Pour ma part, je souhaite évoquer certains résultats de ces « ateliers d'idéation » qui ont permis au cours de l'année 2019 à la gendarmerie de réfléchir à son avenir avec l'appui de 1 500 réservistes citoyens. Le premier atelier portait sur le thème : « dégager des marges nouvelles pour investir ». L'une des propositions qui s'en est dégagée est assez radicale : « contracter significativement le maillage territorial par regroupements d'unités et fermer les brigades de moins de 10 gendarmes ». C'est en fait un sujet qui « est dans l'air » depuis plusieurs années à cause de la baisse des crédits destinés à l'entretien du parc immobilier, réductions qui font désormais craindre des fermetures de locaux pour des raisons de sécurité ou de salubrité. Une telle contraction du maillage territorial permettrait certes peut-être d'obtenir une meilleure rationalisation des moyens. Toutefois, elle signifierait surtout un recul des services publics de proximité, qui semble particulièrement peu pertinent dans le contexte actuel ! Relancer la fonction contact dans les brigades, comme l'a souvent évoqué le Directeur général, c'est une bonne chose, mais encore faut-il qu'il reste des brigades ! L'une des pistes alternatives envisagées pour maintenir une certaine présence territoriale tout en réalisant des économies est de s'appuyer sur la création des maisons « France service », dont 300 doivent ouvrir d'ici janvier 2020. Il s'agirait ainsi de profiter de la densité du maillage des brigades de gendarmerie et des plages horaires larges des gendarmes qui y travaillent pour y installer d'autres services publics. Dans l'esprit de ceux qui la soutiennent, une telle démarche permettrait de mieux rentabiliser la présence d'emprises foncières gendarmiques parfois sous-employées. Pour intéressante qu'elle paraisse, cette solution marquerait une forme de renoncement devant les efforts à fournir pour maintenir le maillage territorial qui fait la spécificité de cette force de sécurité en zone rurale et périurbaine. Il existe en effet une autre possibilité, celle défendue par le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de police et de gendarmerie de nos collègues Michel Boutant et François Grosdidier : un renforcement des moyens planifié de manière pluriannuelle, via une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure. La gendarmerie nationale se trouve ainsi en quelque sorte à la croisée des chemins : Soit les prochaines années verront une forte remise en cause de son modèle territorial, en partie compensée par des efforts drastiques de mutualisation avec d'autres services de l'Etat ; soit la Nation décide d'un effort d'ampleur en faveur du service public de la sécurité afin de remettre à niveau l'ensemble des moyens matériels sur lesquels s'appuient la gendarmerie nationale (et la police nationale) - pour remplir leurs missions au service de nos concitoyens. En conclusion, compte tenu de la nette insuffisance des crédits prévus pour le fonctionnement et l'investissement, je vous propose de donner un avis défavorable au programme « Gendarmerie nationale ». Je vous remercie et je passe la parole à Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie . - Je souhaite commencer mon intervention en soulignant les conditions de travail difficiles auxquelles sont de plus en plus souvent confrontés les gendarmes. Ainsi, au 30 juin 2019, la gendarmerie enregistre par rapport au 30 juin 2018 une augmentation de +11,5 % des agressions physiques ; une augmentation de +3,7 % du nombre de blessés à la suite d'agressions armées et une augmentation de 11,4 % du nombre de blessés à la suite d'agressions sans arme. Ces augmentations sont inquiétantes et doivent être condamnées fermement. Nous savons que la gendarmerie a eu affaire à forte partie au cours des deux années passées en matière de maintien de l'ordre. Certaines mesures ont été prises. Ainsi, en 2019, la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale de la police nationale et la préfecture de police se sont réunies pour élaborer un schéma national de maintien de l'ordre (SNMO), sur la base des enseignements tirés des engagements des derniers mois, avec notamment un accent mis sur la formation des unités spécialisées comme des unités territoriales. Ce travail crucial toujours en cours doit absolument aboutir à un cadre juridique clarifié, adapté à la diversité des situations rencontrées. Autre sujet d'inquiétude pour les gendarmes, la réforme des retraites. En effet, alors qu'il était entendu qu'ils seraient traités comme les autres militaires, donc dans une logique statutaire, une déclaration récente du Président de la République a pu faire craindre que ce ne soit pas le cas. Le général Lizurey a indiqué pour sa part lors de son audition qu'il n'y avait pas d'inquiétude particulière à avoir sur ce sujet. Nous devrons en tout cas rester vigilants sur ce point. Par ailleurs, nous devons certes nous féliciter que le nombre de gendarmes augmente encore en 2020 avec 527 postes créés dans le cadre du plan mis en oeuvre depuis 2017. Toutefois, il faut noter que les gendarmes n'ont pas apprécié que sur les 10 000 postes créés, seulement 2 500 le soient pour la gendarmerie nationale. Une telle différence de traitement ne semble pas vraiment justifiée. En outre, augmenter les effectifs n'a de sens que si les équipements, les matériels et les véhicules permettent à ces nouveaux militaires d'exercer leurs missions. Avec la stagnation des moyens de fonctionnement et la diminution des crédits d'investissement, cela ne sera malheureusement pas le cas. Enfin, mon collègue ayant plus longuement évoqué les crédits de fonctionnement, je souhaiterais évoquer la situation de l'investissement. Alors que la situation n'était déjà pas brillante l'année dernière, on observe encore une diminution de ces crédits, puisque l'on passe de 174 millions d'euros en 2019, montant déjà en forte baisse par rapport à l'année précédente, à 165 millions d'euros dans le PLF 2020. Arrêtons-nous par exemple sur la situation du parc automobile de la gendarmerie. Au 1er janvier 2019, la gendarmerie nationale dispose de 30 350 véhicules dont 26 992 véhicules opérationnels. Le parc automobile présente un âge moyen de 7 ans et un kilométrage moyen de 110 000 km. Le parc deux-roues a un âge moyen de 5,7 ans et un kilométrage de 57 000 km. Un léger rajeunissement du parc a certes pu être constaté depuis 2018 grâce à la sortie prioritaire des véhicules atteignant les critères de réforme. Cela reste toutefois nettement insuffisant. De l'aveu même du ministère, le remplacement idéal serait de de 2 800 véhicules par an, soit environ 60 M€. En réalité, sur la période 2010-2019, en moyenne annuelle, environ 2 000 véhicules ont été acquis. En 2019, l'année en cours, on est à environ 1 950 véhicules. Loin de redresser la barre, au sein du PLF 2020, le budget consacré au renouvellement du parc de véhicules est de 43,6 M€, ne permettant que l'acquisition de 1 550 véhicules légers et 48 véhicules de commandement et de transmission pour la gendarmerie mobile. C'est évidemment très nettement insuffisant, d'autant que les habituels gels de crédit risquent de nous faire descendre bien en-dessous de ces 1 550 véhicules prévus ! J'en viens à présent à la question des investissements immobiliers. Le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité évaluait à environ 300 millions d'euros la dépense annuelle nécessaire pour entretenir un parc domanial tel que celui de la gendarmerie nationale selon les standards généralement admis. Les services du ministère eux-mêmes confirment cette évaluation qui recouvre deux aspects : 200 M€ seraient dédiés à la reconstruction de casernes et aux réhabilitations et restructurations de grande envergure ; 100 M€ seraient destinés aux travaux de maintenance. Or, qu'observe-t-on au sein du PLF 2020 ? Le plan de réhabilitation du parc immobilier domanial de la gendarmerie est certes poursuivi, mais avec des crédits en baisse. Ainsi, un montant d'engagements de seulement 83,1 millions, contre 90 M€ en 2019, est prévu. Même en y ajoutant les 15 millions d'euros prévus pour continuer à sécuriser les casernes, c'est 3 fois moins que ce qui serait nécessaire ! Comme nous l'ont clairement dit les membres du Conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG), le moral des gendarmes est profondément affecté par l'état de l'immobilier, par les conditions dans lesquelles vivent leurs familles. Dans les casernes, les problèmes de sécurité, les fuites d'eau, les pannes d'ascenseurs sont permanentes. À Nantes, le GIGN a été forcé de réinvestir de vieux locaux qui doivent être vendus. Les travaux sont attendus depuis 2016. Devant la dégradation de la situation, une généralisation de la location est désormais évoquée. Ça ne serait sans doute pas de la très bonne gestion à long terme : mieux vaudrait faire l'effort d'investissement nécessaire et gérer le parc domanial, comme on dit traditionnellement en bon père de famille ! Au total, il ne me paraît pas acceptable que nos gendarmes soient nettement moins bien traités que leurs homologues des pays comparables à la France, comme c'est malheureusement le cas. En conséquence, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits du programme « Gendarmerie nationale ».

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Qu'en est-il du problème des dotations en carburant insuffisantes ? Par ailleurs, les maisons France Service intégrant les brigades de gendarmerie, ce n'est pas une bonne idée : il y aurait une perte de sécurité et d'image. C'est un peu la « foir'fouille » !

M. René Danesi . - En matière de renseignement territorial, la gendarmerie a des capteurs dans tous les milieux. Pourtant, le projet de loi de finances pour 2020 ne prévoit aucun crédit pour former des gendarmes aux langues étrangères ! Seuls 20 gendarmes connaissent l'arabe littéraire. Il faut absolument développer une politique de formation en ce domaine, au profit, en particulier, du renseignement gendarmique !

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Je partage l'avis de Mme Pérol-Dumont sur ces « supérettes » avec gendarmerie incluse. C'est aberrant. Concernant les moyens, j'ai auditionné des gendarmes des services de renseignement au cours des travaux de la commission d'enquête sur le suivi de la menace terroriste : ils paient l'addition avec leur propre argent lorsqu'ils invitent des gens à déjeuner dans le cadre de leur travail !

M. Richard Yung . - Je ne partage pas ces sentiments très pessimistes. Les crédits augmentent de 3 % après des années de baisse ; on est à presque 10 milliards d'euros de crédits et il y aura 527 postes en plus. Il y a eu d'importants projets en matière informatique, comme NéoGend. Sur l'immobilier, c'est vrai que la situation est difficile, mais on ne peut pas tout faire ! Je voterai pour ces crédits.

Mme Gisèle Jourda . - La question du maillage territorial dans le rural et l'hyperruralité est très inquiétante. Des brigades sont parfois supprimées alors même que leurs locaux ne sont pas vétustes. On a besoin des gendarmes dans les territoires de montagne. Il faudrait certes une représentation territoriale plus efficiente, mais sans oublier les territoires reculés.

M. Jean-Pierre Grand . - Le problème de l'immobilier est gérable pour les maires avec de la volonté et les bonnes informations. Il est crucial que nous soyons informés des projets de redéploiements autrement qu'au détour d'une visite ministérielle. La gendarmerie, ce sont des postes avancés de la République sur les territoires, cela a une dimension préventive. Il faut donc que nous soyons informés sur les modifications de la carte des implantations dans nos territoires.

M. Christian Cambon, président . - En petite couronne, toutes les petites gendarmeries ont été supprimées d'un trait de plume. Or elles étaient essentielles. Dans ma commune, les six gendarmes de la brigade se mêlaient à la population et avaient un rôle préventif. En outre le patrimoine de l'arme a été souvent bradé !

M. François Patriat . - Certes il y a eu des contractions de moyens, et des problèmes d'immobilier. Cela ne date pas d'hier. Aujourd'hui la gendarmerie est beaucoup plus visible sur le terrain et les gendarmes disent qu'ils ont des moyens pour cela. Les personnels augmentent. Ce n'est pas le nirvana, mais c'est mieux que par le passé : je voterai ces crédits.

M. Philippe Paul, co-rapporteur . - Le budget n'augmente que parce qu'il y a des recrutements. Les investissements, eux, diminuent. Pour les véhicules, certains craignent que moins de 700 seront acquis en 2021 ! Pour le carburant, les gendarmes disent qu'ils ne sont pas là pour faire des kilomètres. Certes, mais pour le GIGN, il n'y a pas de carburant pour les vols d'essai... Nous avons reçu le groupe de contact du Conseil de la formation militaire gendarmerie (CFMG) : ils nous ont indiqué qu'il y avait un bon coin des pièces détachées spécialement pour les gendarmes ! Pour ce qui est du maillage territorial, aucun plan n'est encore arrêté, mais il y a des propositions pour supprimer les brigades de moins de 10 gendarmes. Concernant les maisons France Service, bientôt on demandera au brigadier un paquet de nouilles après avoir porté plainte... Pour l'immobilier, les gendarmes se tournent actuellement vers les mairies. Mais les communes ne sont pas riches. On tourne donc vers les Conseils régionaux !

M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur . - Nous devrons effectivement creuser cette question des gendarmes qui utilisent leurs propres ressources dans le cadre de leurs missions. Lorsqu'il y a redéploiement, il est en effet indispensable que les élus locaux en soient informés pour qu'une co-décision puisse être élaborée. Je suis d'accord avec Richard Yung et François Patriat sur un point : les problèmes ne datent pas d'hier. Mais le phénomène des gilets jaunes, et une telle violence à l'encontre des forces de sécurité, cela nous ne l'avions jamais connu. La reconnaissance est donc encore plus nécessaire aujourd'hui qu'hier. Une enquête d'opinion auprès de plus de 13 000 gendarmes a montré que 60 % ne sont pas satisfaits de l'état de leur logement. 80 % des casernes ont plus de 50 ans. Dès lors qu'il y a davantage de postes, il devrait y avoir plus de moyens de fonctionnement et d'investissement. Le ministère dit lui-même qu'il faudrait au moins 2 800 véhicules supplémentaires chaque année ! Ce n'est pas un problème politicien. En outre, les véhicules blindés à roues de la gendarmerie ont plus de 45 ans de moyenne d'âge ! Les efforts à faire sont considérables. Enfin, il y a eu 33 suicides depuis le 1er janvier dernier, contre 14 sur la même période en 2010. Il y a donc un malaise qui doit être pris en compte. Nous souhaitons alerter le Gouvernement par ce vote négatif.

Les crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » sont rejetés par la commission, les quatre membres du groupe LREM s'étant prononcés en faveur des crédits et deux sénateurs s'étant abstenus.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Le 9 octobre 2019, en commission : le Général Richard Lizurey , directeur général de la gendarmerie nationale.

Le 12 novembre 2019 :

Groupe de contact du Conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG) :

• Lieutenant-colonel BAUDOUX

• Lieutenant RIVIERE

• Major BOUSSEMAERE

• Adjudant-chef VERFAILLIE

• Mdl-chef BECCEGATO

• Adjudant-Chef BURDET

• Adjudante GEORGET

• Adjudant-Chef PREVEL

• Adjudant-chef L'HOTELIER

• Adjudant-chef DELAVAL

• Mdl-chef DHORDAIN

• Colonel GASPARI

• Lieutenant-colonel DUFOUR


* 1 http://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-612-1-notice.html

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