III. LA JUSTICE DES MINEURS FACE AU PHÉNOMÈNE DE « RADICALISATION »

Acteur déterminant de la prévention de la délinquance des mineurs, la protection judiciaire de la jeunesse est appelée à jouer un rôle essentiel dans la politique interministérielle de lutte contre les processus de radicalisation.

A. LE DÉFI DE LA PRISE EN CHARGE DES MINEURS RADICALISÉS

1. Un nombre croissant de mineurs radicalisés

Dans un contexte de forte attraction de certains mineurs pour les filières syro-irakiennes, la protection judiciaire de la jeunesse est confrontée à la croissance du nombre de mineurs repérés pour des faits de « radicalisation » ou « en voie de radicalisation » . Ce phénomène révèle néanmoins des situations très nuancées, qui peuvent relever d'une intervention de la PJJ en matière pénale comme en matière civile.

a) Les mineurs signalés en raison de la présence de « signes de radicalisation »

Au 1 er août 2016, 364 mineurs d'ores et déjà pris en charge dans les établissements et services de la PJJ ont été signalés aux magistrats en raison d'éléments objectifs et inquiétants pouvant indiquer l'entrée dans un processus de radicalisation : ils ont fait l'objet d'une évaluation et d'une attention particulière.

b) Les mineurs signalés en risque de radicalisation suivis au titre de la protection de l'enfance

Au 1 er août 2016, la mission nationale de veille et d'information (MNVI) a dénombré 189 mineurs qui ont fait l'objet d'une décision judiciaire au titre de la protection de l'enfance pour des risques de radicalisation, principalement au sein d'une mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) ou d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO). Au 1 er août 2015, ce chiffre était de 39.

c) Les mineurs impliqués dans des infractions pénales en lien avec les attentats

Les attentats terroristes de 2015-2016 et surtout la judiciarisation croissante des retours de Syrie expliquent la forte croissante des mineurs poursuivis dans le cadre de procédures pénales, pour des faits variant du délit d'apologie de crimes terroristes à une infraction criminelle d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste.

Alors qu'au 1 er août 2015, 67 mineurs étaient poursuivis pour ces infractions pénales, ce nombre s'élève, au 1 er août 2016, à 178 mineurs et jeunes majeurs . Parmi ceux-ci, 110 mineurs étaient poursuivis pour apologie du terrorisme, 35 mineurs pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste par le pôle antiterroriste de Paris, 23 mineurs pour une infraction à caractère raciste en lien avec les attentats et 4 mineures pour infraction à la loi n° 2010-1192 du 10 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public 13 ( * ) .

Au 14 novembre 2016, ce sont désormais 52 mineurs qui sont poursuivis dans le cadre d'une association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste 14 ( * ) .

d) Les mineurs suivis en raison de la radicalisation de leurs parents

Enfin, dans le cadre de la protection de l'enfance, au 1 er août 2016, les services de la PJJ ont suivi 146 mineurs en raison de la radicalisation de leurs parents, au titre d'une mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE), d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ou encore d'un placement. 48 mineurs étaient dans cette situation au 1 er août 2015. Il s'agit le plus souvent d'enfants en bas âge.

2. La mise en place d'un réseau de veille et d'accompagnement :
le signe d'une rapide adaptation de la PJJ à ce phénomène

À la suite du plan de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 par le Gouvernement, la PJJ a rapidement mis en place, au 1 er avril 2015, une mission nationale de veille et d'information (MNVI) , ayant vocation à :

- assurer la coordination des acteurs et le soutien aux personnels concourant à la prévention des risques de radicalisation ;

- conduire une politique de citoyenneté, de réaffirmation des principes et valeurs de la République 15 ( * ) .

Elle participe à la coordination interministérielle conduite par le secrétariat général de comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG CIPDR).

Cette mission anime un réseau de 70 référents laïcité et citoyenneté 16 ( * ) :

- 1 référent laïcité et citoyenneté (RLC) à l'école nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) , en charge des questions internationales, de formation et de recherche.

- 9 référents laïcité et citoyenneté (RLC) en directions interrégionales , qui facilitent la circulation de l'information, travaillent à l'harmonisation des pratiques professionnelles et remplissent les fonctions de correspondant interrégional de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) 17 ( * ) ;

- 60 référents laïcité et citoyenneté (RLC) dans les 54 directions territoriales : principaux interlocuteurs des professionnels de la PJJ et des partenaires, ils recensent, de manière anonymisée, les situations repérées afin de permettre une évaluation nationale du phénomène de radicalisation, aident au traitement de celles-ci et veillent à l'évolution des mineurs et à l'articulation des interventions. Les RLC exercent également les missions dévolues aux « référents de confiance » 18 ( * ) , ou travaillent étroitement avec ces derniers. Dans le cadre des cellules préfectorales de suivi de la radicalisation 19 ( * ) , qui associent également le procureur de la République et les services de l'aide sociale à l'enfance, peuvent être proposés des accompagnements concertés à des situations de radicalisation.

La création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel
relatif à l'assistance et au suivi du traitement de la radicalité
en services éducatifs (@strée)

Afin de fiabiliser le recensement anonymisé des situations de mineurs en voie de radicalisation, la Chancellerie travaille à la création d'un fichier, placé sous l'autorité de la DPJJ et à disposition du réseau des référents laïcité et citoyenneté, afin de permettre un partage d'informations entre les professionnels autorisés.

Conformément à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, la CNIL a été saisie pour se prononcer sur le projet de décret autorisant ce fichier qui fixerait quatre finalités au traitement : le recensement des situations de radicalisation, l'assistance au suivi des situations par les services éducatifs, l'information des services centraux et l'exploitation statistique.

La CNIL a formulé un certain nombre d'observations, en soulignant notamment l'attention à porter aux risques de ré-identification, c'est-à-dire la possibilité de reconstituer l'identité des personnes concernées à partir des éléments anonymisés de la base. Elle s'est également interrogée sur les critères justifiant une inscription au fichier, renvoyant ainsi à la question de la construction d'une grille commune de repérage des signes de la radicalisation.

En application de l'article 26-III de la loi du 6 janvier 1978, ce décret pourrait être dispensé de publication.

Déclinant territorialement les deux missions de la cellule nationale, les référents laïcité et citoyenneté ont pour mission d'accompagner et d'animer la formation des professionnels confrontés aux processus de radicalisation , pour les aider à repérer, évaluer et prendre en charge les mineurs concernés, mais également prévenir « la propagation des discours de propagande » et lutter « contre les phénomènes d'emprise » 20 ( * ) .

Ils ont également pour objectif de soutenir les actions d'éducation à la citoyenneté, et plus particulièrement dans l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.


* 13 6 infractions n'ont pas été renseignées.

* 14 Seuls les mineurs poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste font l'objet d'un recensement hebdomadaire.

* 15 En déclinaison du plan gouvernemental de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

* 16 Au 1 er août 2016, le réseau était effectivement composé de 68 référents, un poste restant en cours de recrutement.

* 17 Circulaire du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires.

* 18 Prévus par la circulaire interministérielle du 25 juin 2014 de mise en oeuvre du plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes - renforcement de la coopération entre les services de l'État, les référents de confiance participent aux réunions organisées par la préfecture et constituent le contact privilégié pour les services de sécurité.

* 19 La circulaire du 29 avril 2014.

* 20 Note DPJJ du 7 septembre 2015 relative au cadre d'intervention des référents laïcité et citoyenneté de la mission nationale de veille et d'information.

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