C. LA RÉORGANISATION DE LA CARTE DES SOUS-PRÉFECTURES

1. Une réforme annoncée depuis 2009

L'idée d'une réorganisation du réseau infra-départemental avait été évoquée lors du quinquennat précédent, mais elle ne s'était traduite que par des mesures mineures. Reprise en 2012 par M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, elle visait à faire évoluer le réseau des sous-préfectures 22 ( * ) , afin de l'adapter aux évolutions démographiques, sociales et institutionnelles. La mission chargée de conduire cette réflexion n'a cependant pas rendu de conclusions. Ses travaux ont été repris par la mission animée par MM. Rebière et Weiss, qui, dans leur rapport sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État, n'ont évoqué aucune piste concrète de réforme pour le réseau infra-départemental.

Une première expérimentation, en 2013 en Alsace et Moselle, avait abouti à la suppression de 8 arrondissements et à la fermeture de 6 sous-préfectures 23 ( * ) . Cette expérimentation devait à l'origine préfigurer une réforme générale de la carte des sous-préfectures en 2014 qui a depuis été systématiquement reportée.

En attendant, les sous-préfectures ont dû continuer de remplir leurs missions avec des moyens de plus en plus restreints et un personnel maintenu dans l'incertitude... Et les sous-préfets ont été régulièrement interpellés par des élus locaux inquiétés par ces projets de réforme.

Par une lettre du 16 février 2016, le ministre de l'intérieur a demandé à l'ensemble des préfets de lancer des concertations visant à réformer l'échelon infra-départemental de l'État. Etant précisé que cette réforme devait s'inscrire dans l'adaptation « non plus seulement de l'organisation des sous-préfectures mais bien plus globalement de l'offre de services publics dans les territoires ».

Dans ce cadre, il a d'abord été demandé aux préfets d'étudier la pertinence des périmètres des arrondissements par rapport aux nouveaux schémas de coopération intercommunale. Ils ont également été chargés de rechercher les possibilités de spécialisations thématiques et de mutualisations. Le ministre a également sollicité des propositions de fusions et de jumelages d'arrondissements, cette dernière forme d'évolution étant privilégiée 24 ( * ) . Les préfets ont enfin été invités à implanter des Maisons de services au public et des Maisons de l'État 25 ( * ) et à repositionner les agents des sous-préfectures sur l'ingénierie territoriale.

Le retour de l'État dans l'ingénierie territoriale ?

La réforme du réseau des sous-préfectures procède de « la volonté résolue du Gouvernement de développer l'accompagnement des collectivités territoriales pour porter les projets de territoires et pour aider les acteurs locaux à trouver l'expertise et les financements dont ils ont besoin ».

Alors que l'inquiétude liée au recul de la présence de l'État dans les territoires était relayée depuis des années par nombre d'élus locaux et nationaux, les concertations menées dans le cadre de la revue des missions de l'État ont enfin, semble-t-il, fait prendre conscience au Gouvernement de l'importance du rôle de l'État dans l'ingénierie territoriale.

En mars dernier, une directive nationale d'orientation (DNO) relative à l'ingénierie territoriale de l'État 26 ( * ) , cosignée par le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et le ministre de l'intérieur, a précisé les axes de cette nouvelle priorité du Gouvernement. Le préambule de cette DNO annonce que, dans le cadre de la réorganisation territoriale de ses services, « l'État entend [...] réaffirmer sa place et préciser son rôle » dans ce domaine. Toutefois, quelques paragraphes plus bas, il est précisé qu'« il n'est plus question [que l'État] se substitue aux collectivités territoriales : l'ingénierie technique concurrentielle est définitivement de leur responsabilité ».

La DNO précise les trois rôles que l'État entend jouer :

- un rôle d'expert, c'est-à-dire de coordination des capacités d'expertise et d'ingénierie des différents services et établissements publics de l'État, pour mettre en oeuvre les politiques publiques prioritaires ;

- un rôle incitateur, qui comprend la coordination des différents acteurs, publics et privés de l'ingénierie dans les territoires et l'initiation de synergies locales pour permettre la réalisation des projets. Il s'agit aussi pour les préfets d'identifier les priorités d'interventions en matière d'ingénierie territoriale, par la prise en compte des différents besoins des territoires ;

- un rôle de facilitateur, par la veille des évolutions juridiques, le suivi des bonnes pratiques, la sécurisation des porteurs de projets : position unique de l'administration et orientation vers les partenaires et les financements pertinents.

Enfin la DNO définit l'organisation renouvelée sur laquelle se fondera l'ingénierie d'Etat. Elle précise notamment que les préfets mobiliseront les différentes entités étatiques compétentes dans le cadre de délégations ou missions interservices ou encore de pôles de compétences. L'organisation en mode projet devra être privilégiée pour les projets complexes.

La lecture de ce document laisse une impression d'accumulation de principes abstraits sans portée pratique autre que déclamatoire. On est donc sceptique sur la capacité de cette DNO à relancer la dynamique des services de l'État en matière d'accompagnement au développement des projets locaux.

2. Et qui n'aura pas vraiment lieu...

Les projets territoriaux de réforme de l'échelon infra-départemental ont été remis fin mai 2016. La mise en cohérence du périmètre des arrondissements avec celui des nouvelles intercommunalités va aboutir à la modification des limites de 229 arrondissements sur 335. Les arrêtés préfectoraux nécessaires seront pris avant la fin de l'année, afin de permettre une entrée en vigueur au 1 er janvier 2017, date de mise en oeuvre des nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale.

Concernant les jumelages et fusions d'arrondissements, le résultat des concertations est beaucoup plus modeste : il se résume à deux fusions et six jumelages... La carte des sous-préfectures n'évolue donc quasiment pas. Si on ne peut que s'en féliciter, on s'interroge sur les raisons d'un tel écart entre les ambitions initiales de la réforme et les résultats : aurait-on enfin réalisé l'importance du maintien de la présence de l'État au niveau infra-départemental et le rôle essentiel du sous-préfet ? Ou l'approche des échéances électorales de 2017 aurait-elle freiné une réforme qui ne pouvait que contrarier un peu plus les élus locaux et les électeurs ?

Sous-préfet, sous-préfectures et maires ruraux

Nous avons demandé à l'Association des maires ruraux de France de nous faire part de l'avis de ses adhérents concernant le rôle des sous-préfets et la place des sous-préfectures dans la vie locale 27 ( * ) .

Principal enseignement de ces remontées : la perception du sous-préfet par les élus dépend pour beaucoup de la personnalité de celui-ci et de la conception qu'il a de son métier. Là où certains se contentent d'appliquer les politiques publiques au niveau infra-départemental ou d'être le relai du préfet, d'autres partent des besoins et des projets du terrain pour les défendre auprès des différents services de l'État ; d'autres encore s'impliquent fortement dans le développement local, et constituent une véritable force de proposition en la matière.

Deux autres constats :

- les maires ruraux dont les communes dépendent de l'arrondissement chef-lieu regrettent la moindre disponibilité de leur sous-préfet. Étant également directeur de cabinet du préfet ou secrétaire général de la préfecture, celui-ci privilégie, largement, cette dernière fonction ;

- la spécialisation des sous-préfets sur des missions d'envergure départementale ou interdépartementale est bien perçue et même valorisée par les élus.

Parallèlement, les projets territoriaux des préfets ont prévu la création de 41 Maisons de l'État et de 179 Maisons de services au public. Rappelons que les Maisons de l'État sont des regroupements, au niveau infra-départemental, de services de proximité de l'État et/ou d'opérateurs nationaux sur un même site. La plupart des Maisons de l'État sont des sous-préfectures accueillant d'autres services, souvent ceux de la direction départementale des territoires (DDT). Ce regroupement permet différentes mutualisations (accueil, gestion du courrier, salles de réunion...). Les Maisons de services au public regroupent quant à elles différents services, assurés par l'État, les collectivités ou des entreprises privées de service public (poste, gaz, électricité).


* 22 Lettre de mission datée du 19 septembre 2012 au Conseil supérieur de l'administration territoriale, au délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale et à l'inspection générale de l'administration.

* 23 Les enjeux de la réorganisation du réseau infra-départemental dans ces territoires étaient toutefois limités dans la mesure où la réorganisation consistait, d'une part, à revenir sur une sur-administration pour des raisons historiques et, d'autre part, à acter une situation de fait, deux sous-préfectures étant déjà jumelées et deux arrondissements n'ayant pas de sous-préfectures.

* 24 Un jumelage d'arrondissements consiste à confier à un sous-préfet la responsabilité de deux arrondissements voisins. Dans le cas d'une fusion d'arrondissements, une sous-préfecture se voit confier la gestion de deux arrondissements.

* 25 Voir infra p. 24.

* 26 Directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'Etat dans les territoires 2016-2018, 10 mars 2016.

* 27 Une soixantaine de contributions nous ont été transmises.

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