III. LA HADOPI ET LA PROTECTION DES AUTEURS : UNE MOBILISATION ESSENTIELLE

A. HADOPI : LE SALUT A MINIMA

1. La fin de l'asphyxie budgétaire

Installée le 8 janvier 2010, la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a d'abord bénéficié d'une subvention de 10,06 millions d'euros , largement sous-consommée à la fin de l'exercice en raison des lenteurs inhérentes à l'installation d'une nouvelle instance. Ainsi, ce sont près de 6,1 millions d'euros qui ont, à l'époque, abondé le fonds de roulement. Le versement de la subvention atteignit, pour l'année 2011, 11,4 millions d'euros, avec un taux d'exécution budgétaire de 96,8 %.

Des efforts drastiques de réduction budgétaire ont été demandés à la Hadopi dès 2012 , par une nouvelle majorité moins bien disposée à son égard. Face à une baisse de 10 % de sa subvention, elle a réussi à diminuer de 30 % son exécution et à maintenir un résultat positif, grâce notamment à l'internalisation massive des travaux, ainsi qu'à la réduction et au plafonnement des dépenses de communication et de représentation.

En 2013, la poursuite de cette politique budgétaire a permis à l'institution de supporter une nouvelle réduction de la subvention (-32 %) sans toutefois réussir à éviter un premier résultat déficitaire (-1,66 million d'euros) nécessitant un prélèvement sur son fonds de roulement. Le montant de la dotation pour 2013 a, en outre, connu diverses modulations peu favorables à l'institution : si le ministère de la culture et de la communication s'était engagé à abonder la somme initiale d'un million d'euros supplémentaires en cours d'exercice, un gel budgétaire de 6,36 % puis une nouvelle diminution de 17 % décidée au mois de juillet ont ramené la dotation annoncée à 7 millions d'euros .

En s'inscrivant dans un scénario similaire (nouvelle diminution de 20 % de la subvention, résultat déficitaire à hauteur de 2,5 millions d'euros), l'exercice 2014 a atteint les limites de la contrainte budgétaire que peut supporter l'institution. Le fonds de roulement s'élevait, en fin d'exercice, à 3,4 millions d'euros après un nouveau prélèvement de 2,3 millions d'euros.

Subvention

Source : Hadopi

En conséquence, l 'assèchement du fonds de roulement n'ayant nullement été compensé par une réévaluation de la subvention en 2015 , l'institution est désormais atteinte dans sa capacité à mettre en oeuvre ses missions. L'ouverture de crédits a été significativement réduite, à 7,85 millions d'euros (-13 %), sans permettre d'éviter un troisième exercice déficitaire consécutif, qui impliquera une reprise sur le fonds de roulement de 1,8 million d'euros. Il devrait alors s'établir à 1,6 million d'euros à la fin de l'année, soit un peu plus de l'équivalent de deux mois de fonctionnement.

Évolution du fonds de roulement

Source : Hadopi

La réduction puis le plafonnement des dépenses de fonctionnement depuis 2012 ont conduit l'institution à supprimer la quasi-totalité de ses projets d'étude. En outre, plusieurs projets relatifs à l'encouragement au développement de l'offre légale ne pourront pas être menés à terme . Des postes de dépenses ont également été supprimés ou drastiquement réduits : la communication, les audits de sécurité informatique, la documentation, par exemple. Surtout, la réduction des dépenses de personnel opérée en 2015 limite mécaniquement la capacité d'action de l'institution et affecte le climat social.

La mission d'information confiée aux sénateurs Corinne Bouchoux et Loïc Hervé par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, dont le rapport 10 ( * ) a été rendu public au mois de juillet 2015, a estimé à cet égard que « la dégradation des conditions matérielles et sociales entrave la capacité de l'institution à mettre en oeuvre ses missions légales et ne peut se poursuivre en 2016 ».

Jean-Marie Beffara, député, partageait ce constat dans son rapport budgétaire relatif à la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015, réalisé au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale : « l'asphyxie financière progressive de l'HADOPI afin de recentrer son action sur la réponse graduée n'est pas une solution tenable et porte préjudice à l'ensemble des missions » .

Le présent projet de loi de finances pour 2016 dote la Hadopi de 8,5 millions d'euros, ce dont l'ensemble des représentants des industries culturelles auditionnés par votre rapporteur pour avis s'est réjoui. Ce niveau de subvention permettra, à périmètre inchangé, de stabiliser le budget de l'institution , en se limitant à la prise en compte du glissement-vieillesse-technicité (moindre qu'en 2015, si les effectifs se maintiennent).

La dotation prévue ne sera, en revanche, pas suffisante, pour renforcer ses interventions, notamment en faveur de l'offre légale et des actions de sensibilisation auprès du monde scolaire, comme le constatait Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, lors de son audition. La mission d'information sénatoriale susmentionnée a, pour sa part, estimé entre 9 et 10 millions d'euros le niveau de financement adapté aux missions légales de l'institution. Dans ce cadre, votre rapporteur pour avis souhaite qu'un effort supplémentaire soit réalisé en 2017 et que, dans cette attente, la dotation de la Hadopi soit préservée des gels budgétaires.

2. Un outil à mieux utiliser

Une réforme de la Hadopi visant à en faire un instrument plus efficace et plus crédible ne doit pas laisser croire que l'institution pourrait alors, seule, régler le problème du piratage des oeuvres culturelles sur Internet. En réalité, l'extrême diversité des formes de piratage , en fonction du type d'oeuvres notamment, plaide pour la mise en oeuvre d'une série d'outils complémentaires les uns des autres.

Un piratage différent selon la catégorie de biens culturels

Source : Étude CSA - Hadopi

Le premier de ces outils est la mise en place d' une stratégie volontaire dite « follow the money » . Cet instrument d'autorégulation constitue la principale proposition de Mireille Imbert-Quaretta dans son rapport de mai 2014 à la ministre de la culture et de la communication relatif aux outils opérationnels de prévention et de lutte de la contrefaçon en ligne.

Du constat selon lequel un nombre non négligeable de sites massivement contrefaisants tirent des revenus soit des bandeaux publicitaires qu'ils abritent, soit des abonnements - disponibles grâce à un service de paiement en ligne - qu'ils proposent, il en est conclu que les acteurs de la publicité ou de paiement peuvent contribuer à assécher les ressources de ces sites.

Selon l'analyse de Mireille Imbert-Quaretta, « ces acteurs sont déjà engagés dans la lutte contre diverses infractions commises sur Internet et ne souhaitent pas être associés à la contrefaçon de droits d'auteurs pour diverses raisons : protection de leur image de marque et promotion d'un climat de confiance sur Internet dont ils ne peuvent être que bénéficiaires. Ils souhaitent cependant disposer d'éléments suffisamment probants pour garantir leur sécurité juridique dans le cadre des mesures qu'ils pourraient être amenés à prendre à l'égard des sites massivement contrefaisants ».

Afin d' apporter ces garanties en échange de l'engagement des intermédiaires de la publicité et du paiement en ligne de ne plus contracter avec ces sites, il a été choisi de se placer sur le terrain de l'autorégulation au travers de la signature de chartes sectorielles , sans envisager de mesures contraignantes. Dans leur principe, ces chartes ont vocation à définir le cadre d'implication des acteurs et de préciser les modalités de leur intervention.

Sous l'égide du CNC, une première charte impliquant les acteurs de l'achat de la publicité en ligne a été signée le 23 mars . Un comité de suivi de son respect a été mis en place dans la foulée avec la participation des représentants des ayants droit (l'ALPA pour l'audiovisuel et le cinéma, la SACEM, la SCPF et la SCPP pour la musique, le SELL et le SNJV pour les jeux vidéo et le SNE pour le livre).

Un travail est, en outre, en cours entre le CNC et l'Inspection générale des finances (IGF) afin d'aboutir à une charte relative aux moyens de paiement en ligne. Les négociations ont débuté au mois d'avril et devraient se conclurent dans les prochaines semaines.

Votre rapporteur pour avis, si elle peut regretter que la Hadopi ait été, une fois de plus, la grande oubliée des travaux présidant à l'élaboration des chartes, est largement favorable à la mise en oeuvre de tels outils de responsabilité collective et solidaire de la lutte contre le piratage.

La nécessaire réforme du statut des intermédiaires techniques de l'Internet et, plus particulièrement des hébergeurs de contenus, représente un deuxième instrument. Leur irresponsabilité est actuellement garantie par les articles 12 à 15 de la directive du 8 juin 2000 relative au commerce électronique, transposée en droit français par la loi n° 2000 719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, puis par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services, s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible , selon la procédure appelée « notice and take down » .

Or, compte tenu du nombre considérable de contenus protégés circulant sur Internet, la complexité de cette procédure constitue un frein à une suppression rapide des oeuvres concernées , notamment lorsque la diffusion se fait en streaming on live .

Toutefois, une stratégie « follow the money » offensive et une procédure de « notice and take down » simplifiée ne pourront éviter aux titulaires de droits de prendre également leur part de responsabilité en matière de lutte contre le piratage sur Internet, notamment en utilisant plus systématiquement les solutions techniques de marquage des oeuvres proposées par les hébergeurs, à l'instar de l'outil de surveillance de vidéos et de gestion des droits afférents « Content ID » développé par Google .

3. Une nécessaire réforme

Au-delà d'une dotation budgétaire mieux adaptée à ses missions et du développement parallèle d'outils complémentaires de lutte contre le piratage, il apparaît que le rôle de la Hadopi devrait être réformé, afin de prendre en considération les évolutions du piratage et d'améliorer son efficacité en matière de protection des droits des auteurs.

À cet effet, la mission d'information précitée sur la Hadopi a proposé une réforme ambitieuse de l'institution, pour en renforcer l'action et en moderniser la gouvernance . Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux une traduction législative rapide de ces dispositions.

Synthèse des propositions de la mission d'information sénatoriale


Modifier le mécanisme de la réponse graduée en remplaçant la sanction judiciaire par une amende administrative décidée et notifiée par une commission des sanctions indépendante.


Élargir les compétences de la Hadopi en matière de lutte contre le piratage à la constatation des atteintes aux droits d'auteur par des sites massivement contrefaisants et à la publicité de ces informations sous forme de « liste noire », ainsi qu'au suivi des injonctions judiciaires de blocage des sites.


Créer une injonction de retrait prolongé des contenus contrefaisants signalés par les ayants droit et en confier la mise en oeuvre à la Hadopi.


Rendre obligatoire l'organisation, par la Hadopi, des modules prévus de formation à la protection des droits sur Internet dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) , développer les actions de sensibilisation dans les universités, les grandes écoles, les administrations et les entreprises dans le cadre de partenariats.


Limiter au seul domaine public la mission de la Hadopi en matière de développement et de promotion de l'offre légale.


• Recentrer la mission d'étude et d'observation de la Hadopi sur l'évolution des usages et des technologies et supprimer , dans ce cadre , toute possibilité d'auto-saisine .


Clarifier et simplifier la gouvernance de la Hadopi autour d'une présidence unique, d'un secrétariat général et de quatre directions : « Protection des droits et lutte contre le piratage », « Prévention, information et formation », « Études et développement de l'offre légale » et « Affaires générales ».


Intégrer systématiquement la Hadopi à la mise en oeuvre des politiques publiques et des engagements contractuels en matière de lutte contre la contrefaçon culturelle sur Internet.


Inciter la Commission européenne à revoir en profondeur le statut des hébergeurs établi par les articles 12 à 15 de la directive du 8 juin 2000 relative au commerce électronique.


• Inciter les titulaires de droits à utiliser systématiquement les solutions techniques de marquage des oeuvres.


Assouplir la chronologie des médias afin de renforcer l'offre légale disponible.


Mettre en oeuvre , au niveau européen, l'équité fiscale entre les grands acteurs du numérique .

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication


* 10 La Hadopi : totem et tabou - Rapport d'information n° 600 (2014-2015).

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